4. Une reine implacable
Le royaume de Garamaé s'étendait à perte de vue. A Ramaé, la capitale du pays, les habitants se pressaient dans les rues, totalement inconscient du chamboulement qui venait de se produire à quelques milliers de kilomètres de là. La tension était palpable dans les rues. En effet, ce jour-là était l'un des rares où la reine accordait audience à son peuple. Durant ces journées, elle offrait à une poignée d'entre eux le droit d'exprimer leurs soucis et leurs attentes, mais n'accordait son aide qu'à l'un d'entre eux. Celui ou celle qu'elle estimait le plus nécessiteux. Il était alors propulsé dans sa cour personnel, avec tous les siens, vivant une vie de riche contre un unique service rendu à la reine. C'était du moins ce qui se murmurait à travers la ville car, en effet, peu de temps après leurs entretiens, quelques chevaliers de la garde personnelle de la reine venait débarrasser la maison de l'heureux élu, rapatriant ses biens jusqu'au palais. Et ce jour-là, la souveraine avait accordé audience à une jeune paysanne. Les Ramiens l'avaient vu entrer au palais quelques minutes plus tôt, et les suppositions allaient bon train sur la place du marché. Quelques uns osèrent même lancer des paris sur la façon dont la jeune femme serait congédiée. Certains étaient persuadés que sa requête ne serait pas écoutée et qu'on la reverrait cul par dessus chemise dans la boue, tandis que d'autres pensaient qu'elle serait propulsée au rang de dame de compagnie de la reine. Mais, si ces consultations étaient sources de commérages et de fantasmes plus fous les uns que les autres, tout le monde s'accordait pour dire que personne ne revoyait jamais ceux qui passaient les portes du palais.
Pendant ce temps, la reine Alyna regardait avec mépris la femme agenouillée devant elle. Elle connaissait les basses combines du peuple, prêt à tout pour obtenir ses bonnes grâces. Celle-ci ne faisait pas exception. Recroquevillée sur elle-même, enveloppée dans une vieille cape noire rongée aux mites, le visage collé sur le sol en marbre blanc, elle implorait inlassablement, dans un murmure à peine audible.
— Pitié, dit-elle, je vous en supplie ma reine. Je n'ai plus rien à manger. Mes enfants...pitiez.
— Relevez-vous, ordonna Alyna, je suis une reine miséricordieuse, ne l'oubliez pas. Et en temps que tel, je vais vous accorder...six rations de pains de Boulignoux.
— Ma reine, six rations ? Oh pitié ! Ce n'est pas assez, geignit la femme en relevant sur la reine un visage de détresse, cela couvre à peine un repas pour les miens. Je vous en supplie...
— Vous n'aurez cas manger moins, il me semble que vous tenez encore debout, n'est-ce pas ? Cela dit, je veux bien faire une exception. Je suis d'humeur miséricordieuse, continua la reine d'une voix doucereuse, et il me semble que vous ayez deux fils, n'est-ce pas ? Si votre aîné s'engage dans mon armée au prochain recrutement, je vous accorderai double rations jusqu'à sa mort.
La femme blêmit tandis que la reine l'observait, un fin sourire aux lèvres.
— Ma...ma reine, couina la pauvresse, mon mari est mort l'an dernier, peu de temps après son engagement. Mon plus jeune fils n'a que trois ans. Si...si Ivayk rejoint l'armée, ce serait évidemment un honneur, mais nous n'auront plus d'entrée d'argent. Comment survivrons-nous sans lui ?
La reine soupira et se détourna de la pauvre malheureuse. Aussitôt, les gardes saisirent la Garamaéenne par les aisselles et la soulevèrent avec force.
— Pitié, non ! s'exclama cette dernière, ma reine je vous en supplie, je ferai tout ce que vous voulez.
Un sourire s'étira alors sur les lèvres d'Alyna tandis que ses yeux pétillèrent d'excitation. Lentement, elle se retourna vers celle qui pendait piteusement dans les bras de ses gardes. Elle n'avait rien d'une guerrière, et nul doute qu'elle n'avait encore jamais dû lutter pour sa vie par la force des poings, pourtant, la reine lui proposa un marché.
— Je comprends votre détresse, ma chère. En temps que reine, je la ressens au plus profond de mon coeur, et me savoir aussi impuissante pour vous me dévaste, lui dit-elle, si seulement je pouvais rencontrer le brodeur de rêves...Il pourrait m'aider à sauver mon peuple. Si seulement je pouvais récupérer les deux aiguilles de la Tisseraie, je pourrais alors vous rendre riche, ma chère, si riche que votre famille ne souffrirait plus de la faim pendant plusieurs générations.
La reine fit une pause, laissant la malheureuse s'imprégner de cet espoir nouveau, et, quand ses yeux s'allumèrent d'un nouvel éclat, elle ajouta en soupirant :
— Mais c'est impossible. La Tisseraie a été séparée en deux et personne ne sait où elles ont été caché.
— Je les trouverai ! s'exclama la femme avec espoir, je les trouverai pour vous, ma reine.
— Oh ! Je ne peux vous le demander voyons, refusa la reine, vous n'êtes pas un chevalier. Ce serait trop dangereux. Non !
— Je vous en prie, insista la paysanne, laissez moi me charger de ça.
— Très bien. Si vous insistez, soupira la reine, si vous me rapportez la Tisseraie, je vous promets que vous n'aurez plus jamais à vous soucier de la faim.
La femme s'inclina et quitta le palais sous le regard des gardes.
— Ma reine, appela un homme en armure aux cheveux couleur cendres qui ne semblait pas avoir plus de trente ans, vous allez vraiment laisser cette...Si elle trouve la Tisseraie...
— Mon cher Arvin, le coupa la reine en soupirant, pensez-vous un seul instant que cette vermine pourrait obtenir quoi que ce soit de moi ? Suivez-la ! Mais ne vous faîtes pas repérer. Quand elle aura la Tisseraie, débarrassez-vous de cette souillon. Gardes ! Rugit-elle à l'adresse du reste de ses sbires.
L'homme s'inclina et quitta la pièce, laissant les gardes exécuter les ordres de la reine.
— Gardes ! répéta Alyna, j'exige que la famille de cette femme soit envoyée au cachot dés qu'elle aura quitté le royaume ! Surveillez-la d'ici-là. Préparez les avis de recherche pour trahison : Forte récompense pour qui me rapportera sa tête. Tout objet qui sera trouvé en sa possession devra être remis à la reine sous peine de condamnation pour complot envers la couronne.
Un sourire carnassier se dessina sur les lèvres de la reine Alyna tandis qu'elle rejoignait ses appartement. Si Arvin échouait, elle aurait malgré tout un coup d'avance. Quand cette souillon réapparaîtrait en ville, avec ou sans aiguilles, elle serait à sa merci. De sa fenêtre, elle scruta le paysage, pensive.
— Bientôt, ronronna-t-elle seule dans sa tour d'ivoire, dés que j'aurais mis la main sur la Tisseraie, plus rien ne se mettra en travers de mon chemin, et nous serons de nouveau réuni, mon bébé. Ma chère petite Lucky.
D'une main tremblante, la reine agrippa le tissu de sa robe au niveau de son ventre, autorisant une unique larme à s'échapper de ses yeux aussi froids que de la glace.
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