— En devenant familier, susurra le serpent, ne lâchant pas Benjamin du regard, ne s'adressant qu'à lui, j'ai hérité du pouvoir de télépathie, qui me permet de communiquer instantanément avec mon humain, peu importe la distance qui nous sépare. Mais je peux également le marquer afin de savoir où il se trouve à chaque instant, ce qu'il ressent, si il est en danger... Nous pouvons nous trouver à des kilomètres l'un de l'autre, il lui suffit de m'invoquer pour que je le rejoigne. Une seule parole et j'apparais.
Vishka fit une pause, ménageant son effet. Si Méryne ne semblait pas sous son charme, Benjamin, quand à lui, imaginait déjà les milliards de possibilités que ce familier pourrait lui offrir.
— Une simple morsure suffit à signer le contrat, reprit le serpent, en se dandinant de droite à gauche, tel un métronome au mécanisme parfaitement réglé.
Benjamin le regardait avec une telle fascination que Méryne ne put s'empêcher de couper la parole au serpent, à défaut de le couper en deux.
— C'est quoi le truc ? demanda-t-elle sèchement, la contrepartie ?
Cassian, s'apprêtant à rabrouer sa sœur pour son excessive suspicion, ouvrit la bouche avant de la refermer sans mot-dire. Lui-même devait bien avouer que la condition du serpent semblait trop belle pour être vraie. Si c'était si fantastique, pourquoi Vishka n'était pas déjà liée à un humain ?
— Il n'y en a pas, siffla le serpent, ou si peu. Les vies des deux contractants sont liées pour toujours. Si l'un est blessé, l'autre l'est aussi. Si le second a peur, le premier est terrorisé. La soif, la faim, la fatigue, la joie, ils partagent tout ! Sans restrictions. Sans secrets. Sans mensonges.
Plus Vishka expliquait ce qu'un contrat impliquait, plus sa voix se faisait sifflante, mélodie enchanteresse, susurrement ensorcelant.
— Et si l'un meurt...Mais je ne compte pas mourir de sitôt, continua le serpent avant de plonger son regard dans celui de Benjamin. Tu auras besoin de toute l'aide possible. Ta quête est longue et la liste de tes ennemis encore plus. Laisse-moi t'aider, jeune Brodeur de Rêves, tu ne le regretteras pas.
Benjamin se sentit tirer en arrière par Méryne. La jeune fille fusillait Vishka du regard, tandis que Cassian se dandinait d'un pied à l'autre, le regard torturé, luttant visiblement contre ses propres désirs.
— Benjamin, non ! souffla Méryne d'une petite voix aiguë, c'est un piège ! Cela se sent à des kilomètres ! Dis-lui, Cassian ! Nous devons retourner au bateau et oublier cette rencontre.
— Je sais que je ne suis pas là depuis longtemps, rétorqua l'Orangeois, mais il n'a pas l'air méchant.
— Ben...Benjamin, balbutia la jeune fille en lui serrant le bras, tu...tu ne penses pas sérieusement à signer un contrat avec ? Je t'en pris ! Si tu fais ça, tu ne pourras pas...
— Calme-toi, Méryne, la coupa le Brodeur de Rêves, je n'ai pas dis que c'était ce que j'allais faire. Mais, je ne sais pas, peut-être que l'avoir avec nous sera utile ?
— Cassian et moi, nous trouvons que c'est une très mauvaise idée, répondit la chasseuse, on devrait...
— Je n'ai rien dit, coupa Cassian.
Sa sœur se tourna vers lui, livide. Benjamin les regarda à tour de rôle tandis qu'une lueur de colère brillait dans le regard de Méryne.
— Comment ça ? demanda-t-elle d'une voix blanche.
— Benjamin a peut-être raison, reprit Cassian, le familier peut nous être utile. Mais, ajouta-t-il avant que sa sœur ne puisse dire quoi que ce soit, il serait peut-être judicieux qu'il nous raconte son histoire. Comment se fait-il que tu n'aies pas de maître ? Et surtout, comment sais-tu que Benjamin est le Brodeur de Rêves ?
Le ventre de Benjamin se contracta d'appréhension. Il lui semblait avoir fait attention de ne mentionner ni son rôle, ni l'aiguille, alors comment Vishka était-il au courant ? Le garçon passa une main tremblante le long de son corps, vérifiant ainsi que son instrument était à sa place, bien cachée. Quelque peu rassuré de la sentir à sa place, il posa son regard sur le serpent, mais ne ressentit aucune suspicion à son égard, comme s'il lui faisait déjà confiance. Comme si ils étaient déjà liés.
— Pour ce qui est du Brodeur de Rêves, se justifia Vishka, tu ferais mieux de bien dissimuler cette aiguille. Quand le vent souffle, son éclat apparaît brièvement. Un regard aiguisé aura tôt fait de l'identifier. Un fourreau fera l'affaire, lui conseilla le serpent, ce n'est qu'une question de bon sens après tout.
Benjamin, rouge de honte, plaqua son bras contre l'instrument. Recevoir une leçon n'était déjà pas plaisant, mais de la part d'un serpent, tout familier fût-il, était humiliant pour le jeune garçon.
— Admettons, concéda Méryne, et pour le fait d'être seul ?
— Allez-vous me croire, de toute manière ? Siffla Vishka.
— Si tu commences ainsi, c'est sûr que non, attaqua Méryne, les yeux plissés.
— Méryne ! S'il te plaît, supplia Benjamin avant de se tourner vers Vishka, nous t'écoutons, Vishka.
M éryne grimaça en entendant l'admiration dans la voix de son ami, mais ne fit aucun commentaire, préférant tourner la tête vers la foule, écoutant d'une oreille les explications du serpent, focalisant le reste de ses sens sur la recherche de potentiels ennemis.
— J'étais lié à un humain, leur apprit Vishka, je l'ai servi avec dévouement durant de nombreuses années. C'était un chevalier sous ordre de la reine, et avant sous celui de son père, feu le roi. Mon maître était un homme bon et droit. Mais il a été abusé. Trois chevaliers, jaloux de la place qu'il occupait au conseil, l'ont piégé. Mon maître s'est retrouvé accusé de trahison et la reine l'a condamné à mort.
— C'est terrible, souffla Cassian qui ne pouvait s'empêcher de penser au sort de son père.
— Avant d'être emmené à la potence, reprit le serpent, il a pris la fuite. Non pas pour lui, pour se sauver, mais pour moi. Je regardais la place publique au loin, à l'abri d'un buisson, impuissant. Il m'a obligé à rompre notre contrat avant de se livrer. C'est un fait rare et atrocement douloureux. Rares sont les familiers qui acceptent de regagner leur liberté à cause de cela. Chaque pactisant perd une partie de lui-même lors d'une rupture. Et on ne sait jamais laquelle ce sera.
Vishka se tut un instant, le regard dans le vague, certainement perdus dans ses souvenirs, auprès de ce chevalier et de la partie de lui-même qui lui a été arraché. Les trois jeunes gens retinrent leur souffle, n'osant rompre ce silence solennel malgré leur curiosité dévorante. Méryne, qui sondait l'avenue à la recherche d'une personne leur voulant du mal, osa même un regard en direction du serpent.
— Il n'a pas ciller quand la corde lui est passée autour du cou, reprit l'animal au sang froid, et même si j'ai ressenti sa douleur jusqu'au bout, comme si c'était la mienne, j'ai survécu. Un contrat brisé garde malgré tout des traces. Seul, hagard, fou de chagrin et de colère, j'ai arpenté les routes entre Ramaé et Pearl-Campès, ne sachant comment assouvir ma vengeance. Puis, j'ai croisé la route d'un groupe de chevaliers en partance pour Elmyk, l'endroit où je vivais avec mon maître. Je me suis glissé dans une de leur charrette. Arrivé ici, je n'ai plus jamais quitté le village. Depuis, j'essaye de récolter des informations auprès des chevaliers s'abandonnant un peu trop à l'alcool, afin de venger mon maître.
Vishka se tut, laissant les adolescents assimiler ses paroles. Puis, il se glissa le long de la jambe de Benjamin, remontant lentement jusqu'à son buste. Le jeune garçon, tétanisé, sentit son coeur marteler sa poitrine, la sueur couler le long de son dos et sa peau chauffer sur le passage du reptile. Des frissons de peur le parcouru, mais Vishka se contenta d'aller se loger contre ses épaules, le corps en appui sur la nuque du Vauclusien.
— La Tisseraie est puissante, et vous n'êtes que des enfants. Je peux vous aider dans votre quête, proposa-t-il, je vous protégerai, vous guiderai et vous servirai. Emmenez-moi et je vous promets que vous ne le regretterez pas.
— C'est d'accord ! s'exclamèrent Benjamin et Cassian d'une même voix.
— Qu-Quoi ? Bafouilla Méryne, non ! C'est hors de question ! Cassian, enfin ! Que Benjamin se fasse avoir, je comprends, mais toi ? Tu connais ce monde ! Tu sais aussi bien que moi qu'on ne peut pas faire confiance aux familiers ! En plus, il sait que Benjamin est le Brodeur de Rêves ! Comment l'a-t-il appris ? Si la Tisseraie était reconnaissable aussi facilement qu'il l'insinue, nous serions déjà morts ! C'est louche, Cassian, je t'assure. C'est un piège, j'en suis sûre.
— Méryne, soupira son frère, tu t'en fais trop. Est-ce que, pour une fois, tu ne pourrais pas juste être reconnaissante ?
— Re...Quoi ?! s'étrangla la jeune fille, pourquoi le serais-je ? Je...Venez là !
Méryne tira les deux garçons à l'écart du serpent. Les éclats de voix des marins leur parvinrent aux oreilles. Ils regagnaient le navire et Méryne, comprenant qu'ils devaient se dépêcher pour ne pas se retrouver bloquer ici, alla à l'essentiel.
— Ecoutez, leur dit-elle, je n'ai pas confiance en lui. Ce serpent n'est pas clair du tout. Il est trop...je ne sais pas, mais je ne le sens pas. Je sais ce que vous allez dire, et d'accord, puisque je n'ai pas le choix, il nous accompagnera. Mais Benjamin, je t'en pris, promets moi que quoi qu'il se passe, tu ne passeras pas de contrat avec lui !
Benjamin s'apprêtait à refuser, mais Cassian lui fit signe d'accepter. L'Orangeois lança un regard au serpent qui ne cessait de les fixer et frissonna, confusément tirailler entre attraction et répulsion.
— Ok, marmonna-t-il, je te le promets.
— Moi aussi, confirma aussitôt Cassian.
Satisfaite, Méryne leur adressa un large sourire.
— Bien ! Alors c'est réglé, lança-t-elle avant de rejoindre le serpent, tu peux nous accompagner.Benjamin a le pantalon le plus large alors dissimule toi dedans pour ne pas te faire repérer par les matelots. Mais, lui murmura-t-elle, au moindre faux pas, je te coupe la tête et te fais rôtir, c'est clair ?
Le serpent siffla, ce que Méryne prit pour un accord, et alla se glisser contre le Brodeur de Rêves. Benjamin frissonna au contact de la peau froide du reptile, mais ne fit aucun commentaire. L'espace d'un instant, il se demanda ce que sa famille et ses amis penseraient de lui si ils le voyaient accompagné de Vishka. Lui qui, d'ordinaire avait une peur bleue des serpents. Mais à peine cette pensée lui traversa l'esprit qu'il la chassa aussi sec. Penser à eux était douloureux. Ils lui manquaient terriblement, et plus les jours passés, plus il désespérait de les revoir. Alors, il préférait les mettre dans un coin, se focalisant sur l'instant présent, préférant faire comme si il avait toujours vécu à Garamaé. C'était plus simple ainsi.
Les jeunes gens rebroussèrent chemin discrètement, dans l'ombre des bâtiments. Ils longèrent la plage d'un pas rapide, silencieusement. Ils étaient en réalité terrifiés à l'idée de se faire surprendre en compagnie de Vishka et d'en subir d'obscurs conséquences, mais la route était étrangement vide de toute présence.
— Sont-ils déjà partis ? demanda Benjamin avec inquiétude, sans nous ?
— Non, j'ai vu le bateau en remontant la colline, le rassura Cassian, ils doivent remplir le navire et...
Sa voix se brisa alors qu'ils atteignaient le port. Voyant le navire à quai, Benjamin soupira de soulagement et pressa le pas avant de se stopper net. Les marins étaient rassemblés quelques mètres à leur gauche, murmurant frénétiquement.
— Il a critiqué la reine, à ce qui paraît, souffla un marin.
— Il aurait pas dû, cet idiot, la ville a des oreilles, lui répondit son collègue.
— Personne ne critique Sainte Alyne impunément, grogna le premier.
— Chut ! Tu veux subir le même sort ? Le rabroua le second, vivement qu'on quitte la ville, et vite ! Je vais parler au capitaine.
Les deux marins fendirent la foule, laissant à Benjamin le loisir de contempler la scène face à lui.
Le coeur battant, au bord de la nausée, l'Orangeois ne put détourner le regard jusqu'au moment où, doucement, Méryne l'entraîna jusqu'au navire. Il s'installa en silence dans un coin et se laissa bercer par les remous tandis que le navire prenait le large en direction de Pearl-Campès, la ville portuaire la plus importante du royaume de Garamaé. Horrifié, l'adolescent venait de comprendre que la moindre parole, le moindre écart avait de forte chance d'être entendu et rapporté. Au moindre mot malheureux envers la royauté de ce pays, il risquait d'en subir des conséquences mortelles. Mais dans ce cas, quel sort lui serait réservé à lui, le Brodeur de Rêves ? La nausée le gagna et il se sentit soudainement si vulnérable, si jeune. Jusque là, il ne s'était pas posé de questions. Ou du moins, pas sur sa mission. Il s'était contenté de se laisser guider par Méryne et Cassian, de s'acclimater à ce nouveau monde et tenter de comprendre son rôle sans vraiment en prendre réellement conscience. Mais désormais, comment pourrait-il nier le danger qui planait sur lui ? Cette épée de Damoclès qu'il avait sublimement ignorée jusque là ? Si les autorités de ce monde étaient capable d'arriver à de telles extrémité pour quelques malheureuses paroles en l'air, quel sort lui réservaient-ils à lui, le Brodeur de Rêves ?
Encore sous le choc, Benjamin cligna rapidement des paupières, en vain. L'image de Vince, battu à mort, les bras et les jambes cloués au mur, le visage déformé par la peur et la douleur, couvert de sang, hanterait ses nuits pendant de longues semaines.
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