12. Ami ou ennemi?
— Le plus important est de faire profil bas, répéta Méryne alors qu'ils escaladaient les énormes cratères longeant la plage de cendres sur laquelle ils avaient échoué. De profondes fissures s'arrêtant abruptement prouvaient que les habitants des environs avaient tenté de créer des tranchées, certainement dans le but de contrôler l'écoulement de la lave.
— Ce n'est pas en le répétant qu'on y arrivera, Berry, grogna sa sœur en insistant sur son pseudonyme.
Il y avait un peu plus de deux heures, prise dans le feu de l'action, la jeune fille avait révélé le vrai nom de son frère. Par chance, personne à part eux ne semblait s'en être aperçu, mais, une fois en sécurité, Cassian ne s'était pas fait prié pour relever l'erreur de sa sœur, insistant dessus si lourdement que Méryne avait fini par lui planter un clou, qui s'était arraché du bateau, dans la main. Cassian, fou de rage, était allé se faire soigner par l'un des marins maîtrisant la compétence de soin et n'en avait ainsi gardé aucune séquelle, mais il en voulait énormément à sa jumelle.
Benjamin les laissa se disputer, préférant garder un œil sur les marins les précédent. Ces derniers riaient bruyamment en secouant des bourses pleines d'or, de pierres précieuses et de tous les trésors qu'ils avaient récoltés au cours de leur voyage et s'étaient gardé sous le coude.
— Va pas tout dépenser en bibine et en jolies filles, Vince ! se moqua un marin bedonnant au crâne complétement lisse.
— Et puis quoi encore ! Je vais pas me priver ! ricanna le dénommé Vince en se tournant vers son comparse, comme si t'allais pas en profiter Ryff ! Mais pour commencer, je vais changer ces guenilles.
Le marin donna une tape dans le dos de Ryff avant de poser son regard sur les trois adolescents. Il avait des cheveux bouclés d'un blond presque blanc qui retombaient sur ses épaules de façon désordonnée. Son œil droit, d'un bleu ciel pénétrant les jaugea un instant avant de se concentrer sur son ami. Benjamin frissonna en apercevant la partie d'un cache-oeil sur le gauche. Une barbe épaisse foisonnait le long de sa machoire, descendant sur son cou, mangeant ses joues. Des miettes de repas s'y accrochaient comme une tonne de réserve faite pour passer l'hiver. Les guenilles en question étaient constitués de ce que l'Orangeois qualifiait de débardeur, tellement rongé aux mites que des morceaux pendaient lamentablement autour de sa peau dénudée, et d'un bermuda tellement rapiécé que l'on ne pouvait deviner quelles avaient été sa texture et sa couleur d'origine. Vince, quand à lui, semblait avoir fait un effort pour paraître présentable. Ses cheveux noirs, gras et saupoudrés de sable étaient tirés en arrière en catogan et les égratignures sur la partie inférieur de son visage, désormais imberbe, prouvaient qu'il venait de se raser de près. S'il semblait plus petit et trapu que son ami, Vince était toutefois bien plus musclé que Ryff qui, de son con côté, arborait un embonpoint impressionnant pour un homme de la mer.
Benjamin, n'ayant pour image des marins que celles de Jack Sparrow, du Capitaine Crochet et des diverses représentations faîtes d'eux à travers les pirates ayant bercés son enfance, avait encore du mal à se faire à ces personnes sommes toute aussi normales que les habitants de Fantasyne, qu'il avait brièvement croisé en allant jusqu'au port.
— Ne te relâche pas, souffla Cassian en marchant à sa droite, au premier abord, Elmyk semble être un village paisible, mais si tu fais bien attention, tu verras que les chevaliers y pullulent à foison. Regarde leur démarche, ils ont tous la main contre le flanc et le regard concentré sur tout ce qu'ils voient. Le moindre signe suspect et ils nous tomberons dessus sans crier garde.
Benjamin redressa ses épaules, tendu. Il avait l'impression que des centaines d'yeux le passaient au crible, perçaient ses moindres secrets. La Tisseraie lui sembla alors brûlante contre sa jambe et sa peur lui criait de faire demi-tour, d'aller se cacher sur la plage et tant pis pour les volcans. Mais il continua d'avancer, la démarche raide. Les habitations défilaient à sa droite, sortes de tentes en toiles rigides surmontées de toits en fer, toutes identiques, sans portes ni fenêtres. A sa gauche, quelques stands façon fête foraines se dressaient à quelques centimètres de sol. Il s'agissait de commerces ambulants, autorisés à stationner jusqu'à écoulement de leur stock. Benjamin fût surpris de les voir flotter à quelques centimètres du sol, lui rappelant qu'il se trouvait bel et bien dans un autre monde que le sien, bien qu'il n'en doutait plus depuis longtemps. Loin derrière cette zone marchande s'étendaient les espaces d'entraînement des chevaliers. Ils étaient vulgairement séparés les uns des autres par des fils barbelés aiguisés, sûrement pour motiver les troupes à vaincre et au grand jamais être vaincus.
— Tiens, mange ! lui ordonna Méryne en lui tendant une brochette fumante aussi grande que son bras remplie de viandes grillées et de patates brûlantes.
— Merci, répondit Benjamain, où as-tu trouvé ça ?
— Une échoppe au bout de l'allée, l'informa la jeune fille avant d'ajouter d'une petite voix, mais c'est tellement cher que j'ai tout d'abord refusé.
— Refusé ? demanda Cassian en s'arrêtant de manger, une pointe d'inquiétude dans la voix.
— Cadeau du capitaine, informa la chasseresse en haussant les épaules, il doit vouloir s'excuser pour le détour. Peu importe, balaya-t-elle d'un ton soudain enjoué, on a de la bouffe gratuite. C'est tout ce qui compte !
Sur ces paroles, Méryne croqua dans sa brochette, imitée par les deux autres.
— Vous n'êtes pas d'icssssi, siffla une voix aigu, les faisant sursauter.
Benjamin regarda autour d'eux. Les matelots étaient disséminés un peu partout, si bien que plus personne ne faisait attention à eux. Pas même les chevaliers qui avaient trouvé un meilleur divertissement dans la présence d'un groupe de saltimbanques exclusivement féminines et à la beauté renversante.
— Là, en-bas, souffla la voix râpeuse.
Baissant les yeux, Benjamin remarqua un serpent aussi gris que le sol sous lui. La créature glissa vers eux et se redressa. Sa couleur, sous le regard émerveillé du Terrien, changea pour prendre celle, rouge, des briques derrière lui. Cassian sortit son épée en bois et recula d'un pas, imité par sa sœur qui avait bandé son arc.
— Benjamin, appela cette dernière d'une voix tremblante, recule doucement, sans geste brusque.
Mais le garçon ne l'écoutait pas. Au contraire, il se pencha pour être à la hauteur du serpent, ses yeux marrons rivés dans ceux jaunes de la créature. Il aurait dû être terrifié, il le savait, pourtant, il ne ressentait qu'une fascination étrange et avait l'intime et déroutante conviction qu'il ne risquait rien.
— Je m'appelle Vissshka, se présenta le serpent, je sssuis une vipère, en effet, ajouta-t-elle en se dandinant de gauche à droite jusqu'à arriver aux pieds de Benjamin.
Là, elle se redressa sur sa queue afin d'arriver à hauteur du garçon accroupi.
— Une vipère qui parle, souffla Benjamin, les yeux écarquillés et brillants d'excitation, plus rien ne devrait m'étonner pourtant...
— Je ne suis pas qu'une vipère, siffla Vishka, je suis un familier.
Cassian grogna et regarda autour de lui, comme si il s'attendait à voir quelqu'un leur tomber dessus, tandis que Méryne poussa un hoquet de surprise avant d'agripper le bras de Benjamin. Le jeune garçon rougit tandis que son coeur accélérait. Il sentait le parfum de la jeune fille, qui venait de s'accroupir à ses côtés, lui titiller les narines ainsi qu'une douce chaleur naître à son contact, remonter dans sa poitrine pour s'y loger, tel un chat ronronnant devant l'âtre brûlant d'une cheminée.
— Un familier ? Demanda le Vauclusien, oubliant instantanément son émoi.
— Il s'agit d'un animal ayant été soumis à un sortilège lui donnant une conscience soit-disant humaine, lui explique Cassian, un regard haineux posé sur Vishka, seul un puissant sorcier en a le pouvoir. Et depuis le début du règne de la reine Alyna, les seules personnes ayant le droit d'en posséder un sont ses généraux. Cette créature est notre ennemie, Benjamin !
— Je ne sssuis pas votre ennemi, résonna la voix du serpent.
Benjamin sursauta, se bouchant les oreilles par réflexe, mais c'était inutile. La voix du serpent parlait directement dans sa tête.
— C...Comment... ? Balbutia-t-il avec effarement en regardant à tour de rôle Méryne, les yeux plissées et les lèvres pincées, Cassian, les traits tirés et dont une veine de rage palpitait le long de son cou, puis Vishka, qui se balançait nonchalamment de droite à gauche.
— En m'offrant une conscience, j'ai également hérité du pouvoir de télépathie et du marquage, expliqua le serpent sans lâcher Cassian du regard.
— Allons-nous en, ordonna ce dernier, la voix tremblante de colère.
Mais Benjamin, retenu par une curiosité incontrôlable, resta immobile. A ses côtés, Méryne, étrangement silencieuse, tremblait de tout son corps. Inquiet par ce comportement qui ne lui ressemblait pas, l'Orangeois passa un bras derrière son dos.
— Méryne ? Que se passe-t-il ? Qu'est-ce que tu as ? lui demanda-t-il avec crainte.
— Je ne..Ce n'est pas...balbutia la jeune fille, je sais qu'ils existent mais...Je n'avais encore jamais été...C'est étrange...Mon pouvoir...
— Je sssuis navré pour ccce trouble, gente dame, susurra Vishka, les pouvoirs d'un familier sssans humain ne sssont pas ssstable. Vousss êtes liée au monde animal, je le sssens. Vousss êtes un mage zoologiste, du moins, c'est le terme qui vous désignait il y a quelques sssiècles. Vous pouvez communiquer avec mes cousins, les contrôler. Peu importe l'animal qui vit sssur cette Terre, vos gènes sont liés par un puissant fil, indestructible, propre à votre type de magie. Ma condition n'est pas compatible avec vous. Oh ! Rassurez-vous, ces désagréments ne vous tueront pas. Ceci n'est que, disons, un moyen d'auto-défense ou de reconnaissance d'incompatibilité. Appelez ça comme vous voulez. Tant que je n'aurais pas de contrat, cela ne s'arrangera pas, je le crains.
— Un contrat ? Quel genre de contrat ? demanda Benjamin.
— Ça tombe bien, puisque vous ne venez pas avec nous, il ne sert à rien de passer un contrat. Sur ce...répondit Cassian en même temps que son ami.
Cassian plissa les yeux, observant l'Orangeois, un mauvais pressentiment lui broyant les entrailles. Il sentit la bile lui remonter l'œsophage alors qu'il détaillait le regard avide que le jeune Brodeur de Rêves braquait sur le familier.
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