Chapitre 6 : L'hiver [Neige]
J'ai publié ce chapitre par accident... mais maintenant que c'est fait, tant pis ! ^^'
***
« Regardez ! Il neige ! » s'exclama Noé en se précipitant vers la fenêtre.
Le plus jeune avait l'air aux anges. Un large sourire étirait ses joues rondes et sa peau caramel était teintée de rose. Hortense sourit en fermant son livre. Elle le posa sur la banquette en velours rouge qui accrochait un peu la peau et faisait un bruit d'électricité lorsque les vêtements s'en détachaient. Elle le rejoignit à la fenêtre et appuya son front contre la vitre gelé pour mieux percevoir les légères billes blanches voleter au dessus du parc et de la forêt. Essayant de faire le point sur tous les flocons, l'adolescente fut prise d'un amusant vertige. C'était un spectacle d'une beauté simple et rare, presque irréelle.
Il était vrai que décembre battait son plein, et que Noël approchait à grands pas. Les journées étaient courtes, pourtant Hortense passait de plus en plus d'heure au manoir du marquis, s'habituant peu à peu à cette routine. Sans pouvoir encore les appeler amis, elle entretenait avec les deux garçons des relations plutôt plaisante, bien que Louis l'agaçât encore un peu sans qu'elle n'en sut la raison. Elle était tout aussi énervée par ce quelque chose qu'elle était incapable d'interpréter, cette sensation la rendant fébrile qui lui était inconnue.
« Il neigeait déjà l'année dernière, rappela justement ce dernier d'une voix blasée, sans lever les yeux de son manuscrit.
— Pff, tu es tellement... commença Hortense d'une voix mi-agacé mi-amusée, sans finir sa phrase. Profite un petit peu : cela n'arrive pas souvent dans une vie. »
Louis leva ses yeux ambrés vers elle. Comme d'habitude, elle ne put pas soutenir son regard plus de quelques secondes et promena ses propres prunelles partout dans la pièce avec un air de faux naturel.
« Je n'aime pas la neige, dit-il.
— Pourquoi ? demanda Noé avec la candeur d'un jeune enfant.
— C'est froid, on ne peut pas se déplacer correctement...
— Mais... et les batailles de boules de neiges avec les autres ? demanda le garçon, hébété.
— Justement : les boules de neiges glacent les doigts et font mal.
— Je trouve que c'est un moment magique, contredit Hortense avec un petit sourire. Une des seules bonnes raisons d'aimer la neige, avec sa beauté. Même si on a mal partout et qu'on est gelé jusqu'aux os, cela reste franchement amusant, lorsqu'on se trouve avec des personnes qu'on apprécie. »
Louis la regarda en levant un sourcil, avant d'hausser les épaules : « Je préfère rester lire à l'intérieur. »
Noé sourit largement à Hortense, les yeux pétillants : « Quand il neige, ça veut dire qu'il est bientôt Noël ! Et que Domi va venir !
— Domi, hein ? La petite sœur de Louis, se rappela la jeune fille. J'aimerais bien la voir. N'est-elle pas aussi pénible que son frère ?
— Moi, pénible ? » répéta Louis avec un petit sourire amusé.
Hortense sentit ses joues chauffer légèrement. Elle l'avait fait rire ? Sans perdre sa superbe, elle répondit avec elle-même un sourire en coin : « Parfaitement. Il n'y a que les personne particulièrement agaçantes qui n'aiment pas la neige. »
Il baissa à nouveau les yeux sur son livre en croisant les jambes, sans perdre son sourire, concluant : « Dans ce cas, oui : je suis pénible. Mais ne t'inquiète pas, Domi adore la neige, tant qu'elle peut s'y amuser avec Noé. »
Selon les sous-entendus de l'adolescent, Dominique devait vraiment être très éprise de Noé. Cela pouvait s'avérer drôle.
***
Hortense avançait sur le chemin boisé qui menait au manoir du duc de Sade, les mains dans les poches, la tête rentrée dans son col en fourrure. Tout en marchant, elle crachait de la fumée à chaque souffle, qui lui brûlaient la trachée, et jetait des coups d'oeil mauvais aux nuages gris qui voilaient lourdement le ciel. Cela lui faisait mal de l'admettre, mais elle avait fini par donner raison à Louis : la neige était réellement pénible. Elle n'aurait jamais voulu quitter sa couette chaude et moelleuse. L'air glacé passait par chaque orifice de ses vêtements pour venir se glisser contre sa peau et lui faire claquer les dents. Pourtant, elle s'était levé, ce vendredi matin, simplement pour passer la journée chez les de Sade. Hortense aurait aimé encore prétendre que ce n'était que pour respecter son engagement auprès du duc ; mais la vérité était que cela faisait bien une semaine qu'ils n'avaient pas eu cours de quoi que ce soit. Elle ne l'aurait admit pour rien au monde, mais elle s'y rendait simplement pour jouir de la compagnie de ses deux camarades.
Quand Hortense frappa à la lourde porte d'entrée, elle comprit que quelque chose avait changé. L'ambiance était légèrement différente, sans qu'elle ne puisse dire pourquoi. On lui ouvrit, elle entra et donna son énorme manteau. Elle eut un peu froid, dans le hall vide, mais savait que la chaleur d'un feu l'attendait dans un salon ou la bibliothèque. Le majordome lui indiqua : « Monsieur le marquis est dans son bureau. Monsieur Louis se trouve dans le salon rouge, si vous voulez le rejoindre. »
Hortense fut d'abord étonnée que le domestique ne nomme pas Noé comme il le faisait usuellement, mais pensa que c'était simplement une légère négligence de sa part. Connaissant maintenant chaque pièce de la grande demeure, elle monta sans hésitation rejoindre Louis. Elle eut la surprise de le trouver seul, en train de lire face à la cheminée. Il leva la tête en l'entendant entrer et parut aussi étonné qu'elle.
« Où... où est Noé ? bafouilla-t-elle.
- Dehors, avec Domi, répondit-il. Je pensais que tu les aurais rejoint.
- Domi ? Elle est arrivée ?
- Hier soir. Tu ne le savais pas ?
- Non... »
Il y eut un silence gênant, avant que Louis ne dise : « Tu peux aller les rejoindre, ils ne doivent pas être très loin. »
Hortense ne bougea pas. La dernière chose dont elle avait envie était de replonger dans l'air glacé de décembre, et elle rêvait de s'asseoir et de prendre un livre ou, peut-être même de faire la conversation à l'arrogant Louis de Sade ; cependant, elle savait parfaitement que son orgueil en serrait blessé si jamais elle choisissait cette option, car l'adolescent se moquerait d'elle, qui protégeait si bien le froid et la neige. Elle était bloquée. Comme si Louis avait compris son dilemme, il eut un sourire en coin en proposant : « ... Ou tu peux simplement prendre un fauteuil. »
Elle fut immensément soulagé de n'avoir pas entendu de moquerie méprisante dans sa voix, et tira un siège près du feu, avant d'aller choisir un recueil de poème dans la petite bibliothèque du salon rouge. Elle prit place et sentit la chaleur des flammes agréablement détendre ses muscles. Elle lança un regard plein de dédain au garçon, qui lui souriait simplement avec amusement, afin de récupérer un petit peu de fierté. Il s'en suivit un long silence, où Hortense relisait en boucle les premières phrases du poème sans en comprendre le sens. Elle était mal-à-l'aise au plus haut point, n'entendant que le crépitement du feu et la respiration de Louis, à un mètre d'elle. Ce fut lui qui brisa en premier le silence : « Qu'est-ce que tu lis ? »
Hortense leva les yeux vers lui en haussant les sourcils. Il essaye de faire la conversation ? Elle s'empourpra légèrement et bégaya : « Hum... Lord Byron...
- Ah... Ce sont de beaux poèmes.
- Oui », mentit Hortense, qui n'en avait pas fini un seul.
Le silence retomba comme du plomb. La jeune fille sentait son cœur battre beaucoup trop fort dans sa poitrine, et son estomac était tout brouillé. Le malaise s'était intensifié par ce dialogue, mais elle se sentait étrangement heureuse d'avoir échanger ces banalités avec Louis. Elle se demandait pourquoi quelques pauvres mots pouvait la mettre tant en joie, et vérifia son hypothèse en demandant à son tour : « Et toi, que lis-tu ?
- Des nouvelles de Maupassant.
- Oh, je déteste Maupassant, se renfrogna Hortense.
- Ah oui ? Pourquoi ? demanda-t-il en souriant et haussant les sourcils. Ce sont des textes superbes.
- C'est très bien rédigé, ce n'est pas le problème. Je déteste Maupassant car cet auteur est vraiment... pessimiste... Tous les personnages sont négatifs : ils sont vaniteux, désagréables, fourbes, ou stupides ! Quand je le lis, j'ai l'impression d'étouffer tant l'espoir n'existe pas dans ses écrits ! Certains réussissent, certes, mais le bonheur semble juste... banni de son esprit. »
Comme Hortense se rendait compte de s'être trop emporté par le mépris que lui inspirait cet auteur, elle sentit ses joues brûler. Louis n'avait pas perdu son sourire, cependant il ne semblait plus aussi joyeux. Il rit légèrement : « Quelle analyse... je suis impressionné. Enfin... tout tes arguments ne me le font aimer que plus encore. »
Son sourire était légèrement douloureux, et il retourna les yeux vers sa nouvelle. Le malaise s'était volatilisé. Hortense, un peu sonnée par la réponse de l'adolescent, s'apprêta à répondre quand elle fut coupée par deux enfants qui entraient dans la pièce en courant et gloussant. C'était Noé, ainsi qu'une fille très mignonne aux cheveux noirs et aux grands yeux ambrés. Hortense comprit aussitôt que c'était Dominique, la sœur de Louis : ils se ressemblaient comme des jumeaux, à un, deux ou trois ans près.
La fille était timide et n'arrêtait pas de rougir lorsqu'elles furent présentées avec zèle par Noé. Hortense aurait voulu s'intéresser à elle dès leur rencontre, mais elle en fut incapable, car une seule image tournait dans son esprit, qu'elle sut gravé à jamais dans sa mémoire.
C'était celle du sourire torturé qu'avait eu Louis en lui répondant.
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