Chapitre 4 : Dîner [deuxième rencontre]

Les majordomes prirent leurs vestes avec une douceur et une fermeté professionnelles. Leurs pas résonnaient un peu sur le carrelage. Il faisait bon, ni trop froid ni trop chaud. Des pas nonchalant descendirent les escaliers. C'était le marquis de Sade, souriant sans bienveillance ni malveillance.

« Ah, vous voilà. Avez-vous fait bonne route ?
— Très bonne, Votre Seigneurie, répondit Ophélie, souriant avec politesse et respect.
— Je vous remercie humblement de votre invitation », renchérit son père.

Hortense savait que le marquis était vieux, même s'il n'en avait pas l'air ; les vampires n'avait presque jamais l'air vieux. Seuls ses cheveux gris indiquaient son âge, car aucune ride ne venait troubler la lisseur de sa peau.

« Mais c'est tout naturel, madame. Si vous voulez bien me suivre, l'apéritif sera servi dans le salon bleu. »

Puis il se tourna vers elle. Directement, elle n'aima pas sa façon de la regarder, comme un petit animal.

« Mademoiselle Hortense, n'est-ce pas ? Les enfant sont dans la bibliothèque. Voulez-vous bien qu'un serviteur vous y accompagne ? »

Hortense croisa une demi-seconde le regard de sa mère, où elle vite la menace silencieuse derrière son sourire mielleux. Elle sourit à son tour hypocritement au marquis : « Oui, je vous remercie, Votre Seigneurie. »

S'il sentit le mépris dans sa voix, il n'en montra rien car il se contenta d'appeler une servante avec un sourire. Alors qu'elle se mettait à suivre celle-ci vers un couloir, ses parents et le marquis gravissaient les escaliers en s'échangeant des banalités mortellement ennuyeuses. La servante était à peine plus vielle qu'elle, toute menue, avec des cheveux bouclés de couleur chocolat à faire pâlir de jalousie les jeunes parisiennes. C'était dommage que son visage fut si quelconque. Elles ne marchèrent pas si longtemps, seulement assez pour qu'Hortense s'ennuie et se mette à détailler tout ce qui était à sa portée, de la luxueuse décoration au bout de ses chaussures vernies qui dépassaient de ses jupons à chaque pas. L'ambiance de la demeure était étouffante, écrasante, et Hortense sut que c'était le dernier endroit où elle aurait voulu vivre, elle qui ne jurait que par la liberté et la légèreté.

Arrivées devant une immense porte, la servante toqua trois petits coups, puis ouvrit. Hortense resta ébahi : c'était la plus grande des bibliothèque qu'elle n'ait jamais vu ! Les rangées de livres semblaient s'élever à l'infini, et la pièce ne manquait pas d'échelles et de balcons pour aller chercher ceux qui touchaient les cieux. La gigantesque pièce comportait des tables, des sofa et des fauteuils sur lesquels on pouvait lire les ouvrages choisit, comme le faisait à ce moment Louis de Sade et son ami Noé. Ils avaient tous les deux tournés la tête vers elles, et les yeux du plus jeune s'illuminèrent. Il fit un grand sourire en se levant pour venir vers elle, suivit par son ami, plus agacé, même s'il ne semblait pas vouloir le montrer.

« Hortense ! s'exclama-t-il. Je suis heureux que tu sois là ! »

Il se souvenait de son nom. Elle eut un demi sourire. Il était encore plus mignon que dans son souvenir. Son innocence éclairait cette demeure comme la lune dans une nuit obscure.

« J'ai surtout été obligée de venir, marmonna-t-elle, sa mauvaise humeur revenant au galop.
— En voilà une façon de parler à ceux qui invitent », ricana le brun.

Elle haussa un sourcil en le regardant.

« Enfin au petit-fils de celui qui invite », corrigea-t-il en haussant les épaules.

Noé rit.

« En vérité c'est Louis qui a proposé de vous inviter ! »

Le regard d'Hortense passa à nouveau de Noé à Louis. Celui-ci rougit légèrement.

« N'importe quoi ! Arrête de dire des bêtises un peu, s'énerva-t-il gentillement.
— Mais je ne dis pas de bêtises ! »

Les deux garçons avaient l'air très proche. Le spectacle qu'ils offraient était attendrissant. Le plus vieux dû sentir le regard insistant d'Hortense car il leva les yeux vers elle et leurs regards s'accrochèrent. Il lui fit un étrange sourire, les sourcils en accent circonflexes. Il était particulièrement beau, et même s'ils devaient avoir le même âge, aucun air enfantin ne brouillait ses traits. Hortense s'empourpra légèrement et redressa légèrement le menton en fermant les yeux.

« Je savais que je n'aurais pas dû venir », dit-elle fièrement.

Le plus vieux redressa fièrement la tête, légèrement plus froid.

« Rien ne t'a obligé à accepter l'invitation.
— On voit bien que tu ne connais pas ma mère... » marmonna-t-elle pour elle-même.

Une autre bonne toqua à la porte.

« Mademoiselle, messieurs, la table est dressée. »

Hortense suivit les garçons jusqu'à la salle à manger. Ses parents et le ducs étaient déjà installés. Hortense remarqua tout de suite que sa mère et le duc menaient la conversation, contrairement à son père qui, plus discret, se tenait en retrait.

« Ah ! Vous voilà ! » s'exclama sa mère avec un grand sourire.

Elle avait cette voix aigüe qu'elle prenait pour se donner bon genre dans les réceptions. Louis lui sourit poliment : « Enchanté de faire votre connaissance. »

Hortense aurait pu le trouver charmant s'il s'était présenté de la même manière à elle, et non en la mettant la tête en bas comme un vulgaire porcelet. Noé sourit aussi, plus innocemment.

« Votre fille et vous vous ressemblez beaucoup, madame ! » dit-il.

Hortense le regarda, les yeux ronds. Son manque de bonne éducation hypocrite le rendait certes charmant, mais ce garçon aurait du mal à évoluer dans la haute société parisienne.

« Et bien... merci. Quel est votre nom ?
— Je suis Louis de Sade, madame Duroy. Et voici Noé.
— Ravie de vous rencontrer. Hortense m'a beaucoup parlé de vous. »

Hortense s'empourpra d'un coup en entendant ce mensonge. Non mais... quelle image d'elle sa mère était en train de donner ? Louis lui jeta un regard en coin avec un léger haussement de sourcil. Il se moquait d'elle ? Elle le foudroya du regard.

Ils s'assirent et le repas arriva, sous des globes de bronze, poussés sur des chariots mécaniques dont les gros rouages tournaient au même rythme que les roues. Les serviteurs prirent les plats pour les apporter sur la table. Hortense fut une seconde impressionnée par ce luxe, mais se dit très vite que cela était bien normal pour un duc aussi important. Elle avait déjà entendu dire qu'il était le noble le plus proche de la couronne. Elle se tut une grande partie du repas, ne répondant que très brièvement aux questions qu'on lui posait. Elle regardait sa mère d'un regard très désapprobateur vanter ses talents - exagérés, bien évidemment.

« Hortense fait du dessin depuis qu'elle a l'âge de tenir un crayon. Depuis quelques années, elles s'est perfectionnée dans les pastels. Ses natures mortes sont époustouflantes ! C'est ce que tu préfère faire, n'est-ce pas, ma chérie ?
— J'aime beaucoup les vanités, marmonna-t-elle, de façon à ce qu'on l'entende le moins possible.
— Oui, elle est dans la période sordide de l'adolescence où l'on s'amuse à se vêtir tout de noir et dessiner la mort... »

Hortense aurait voulu crier à Louis d'arrêter de la regarder ; elle avait bien trop l'impression qu'il se moquait d'elle. Et sa mère ne pouvait pas changer de sujet ? Déjà qu'elle avait honte de voir sa génitrice meubler à peu près seule la conversation...

Le dîner était long... Hortense s'ennuyait à mourir, et jouait à faire tourner la fourchette entre ses doits, observant la lumière se mouvoir sur le métal. Elle maudit plus d'une fois la curiosité excessive de sa mère.

« Les nouvelles concernant votre famille sont très rare à Paris, dit-elle après quelques verres de vin. Vous êtes des personnes très discrètes.
— Oui. Cela fait parti de nos talents, sourit le duc.
— J'ignorai même que vous aviez un petit-fils. J'avais entendu parlé de vos deux petites filles, Véronique et Dominique, bien sûr, mais j'avoue avoir été surprise en apprenant son existence. »

Hortense vit le visage de Louis s'assombrir légèrement, et sa mâchoire se contracter. Elle se demanda si sa mère n'était pas allée trop loin. Ce n'était sans doute pas pour rien qu'il ne vivait pas avec ses parents et ses sœurs, mais avec son grand-père. Cela devait le faire souffrir. Hortense était attristée pour lui.

« Ma santé fragile m'oblige à une vie à la campagne, expliqua-t-il avec un sourire un peu triste.C'est pour cela que je ne vis pas à Paris Altus. L'air y est trop pollué pour moi.
— Oh... Je vois. J'en suis navrée, s'excusa-t-elle.
— Ce n'est rien », dit-il.

Hortense fut admirative de la maturité et la diplomatie dont il
faisait preuve, même si elle ne l'aurait jamais avoué à voix haute. Pourtant, quelque chose la dérangeait dans son explication, sans qu'elle ne put mettre le doigt dessus. C'était un pressentiment, quelque chose sans fond, mais qui la mettait légèrement mal-à-l'aise.

Sa mère se remit à parler, et Hortense ne put s'empêcher de détailler l'expression de Louis en fronçant les sourcils. Rien dans son visage ne trahissait de mensonge, mais elle n'en fut pas convaincue. Il tourna les yeux vers elle, et leur regard se croisèrent. Elle ne détourna pas le regard tout de suite, mais n'encra pas ses yeux de ses orbes ambrées non plus. Elle se dit qu'il cachait surement quelque chose de lourd, sans vraiment savoir d'où lui venait cette pensée. Et elle maudit cette curiosité qui lui venait de son côté maternel, qui lui soufflait de découvrir ce que c'était.

« ... je crains n'avoir des difficultés à lui trouver à nouveau un bon professeur dans cette région. Il faut malgré tout qu'elle continue ses études. »

Sans avoir écouter le début du monologue de sa mère, Hortense savait qu'il s'agissait d'elle.

« Si vous voulez, mademoiselle Hortense peut venir prendre ses cours ici, avec Louis et Noé. »

La concernée redressa la tête d'un coup, les yeux écarquillés. Avait-elle bien entendu ?

« Vraiment ? s'extasia sa mère. Vous voulez dire que des professeurs viennent jusqu'ici pour donner leurs leçons.
- Pour certaines matière, en effet. Pour le reste, je suis moi-même leur professeur. »

Sa mère rougit, tant son émotions fut violente. Elle sourit, les yeux exorbités.

« Vous voulez dire que vous prendrez ma fille en apprentissage... ? » demanda-t-elle avec la voix un peu tremblante.

Hortense elle-même eut le cœur se mettant à battre plus fort. Beaucoup de mystères grouillaient autour de la famille de Sade, notamment autour du duc. On sait qu'il fut le premier à servir la reine des vampires, mais personne ne connaissait l'étendue de sa force. Elle devait sans doute être immense pour qu'il fut aussi respecté. C'était une chance inouïe d'être l'élève d'un puissance pareil...

« Cela même », répondit-il.

Hortense n'arriva pas à dire si c'était la terreur ou la joie qui l'étreignait alors. Surement l'ambigu mélange des deux.

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