Chapitre 3 : Dispute [relation compliquée]
Ophélie poussa la porte de la maison et entra difficilement avec tous les paquets pour la refermer avec le pied. Elle posa lourdement ses courses du marché sur la table avant de se mettre à marmonner en les rangeant. Elle, venant de la bonne société parisienne où elle avait côtoyé les plus grands, était réduite à traîner les pieds dans la boue pour faire le marché dans le froid de l'automne. Elle ne supportait déjà plus cette vie.
Hortense entra discrètement dans la cuisine dans le dos de sa mère et chaparda une pomme à l'odeur sucrée. Elle recula sur la pointe des pieds pour repartir.
« Tu as rencontré des enfants du village, l'autre jour. »
Hortense se figea et passa sa pomme derrière son dos avec une rapidité surprenante.
« Oui.
— C'est la boulangère qui m'en a informé. Pourquoi n'as-tu rien dit ? » demanda-t-elle en se retournant.
Hortense haussa simplement les épaules en tordant les sourcils. Sa mère fronça les sourcils.
« Ça veut dire quoi ça ? grimaça-t-elle en la singeant vulgairement.
— J'ai pas pensé que c'était une information importante, traduisit Hortense.
— Mais tu ne nous dit jamais rien de toute façon ! Important ou pas !
— Maman, ce n'est rien. J'ai juste vu quelques enfants.
— Oh arrête un peu ! Tu ne m'appelle "maman" que lorsque tu veux m'attendrir ou obtenir quelque chose. Nous nous faisons un sang d'encre pour toi depuis que nous avons quitté Paris, Hortense !
— Et pourquoi ?
— Mais parce que tu n'es pas sociable, que tu ne vas pas vers les autres...! Tu as déjà eu tant de mal à t'entendre avec d'autres filles du salon, à Paris... alors tout quitter comme ça, aussi brutalement, à forcement du t'impacter. J'aurais aimé que tu nous prévienne que tu t'étais bien entendu avec les autres ! »
Hortense battit des cils, puis fronça les sourcils à son tour. Elle siffla : « Je vous remercie de vous occuper de ma vie sociale, mais comme son nom l'indique, c'est la mienne ! Vous n'avez pas à vous en mêler, ni vous, ni personne !
— Ne me parle pas sur ce ton !
— Vous l'avez cherché !
— Je n'ai fait que m'inquiéter ! Tu es toujours si odieuse !
— Je suis odieuse ? Sérieusement ! Vous passez le plus clair de vôtre temps à me faire des reproche, on dirait que ça vous amuse !
— Arrête de raconter n'importe quoi.
— Je ne raconte pas n'importe quoi. Vous le savez. Ou alors vous vous voilez la face.
— Je ne te permets pas !
— Je n'ai pas besoin de votre permission, maman ! »
Hortense tourna les talons et gravit les marches quatre à quatre bruyamment pour claquer la porte le plus fort possible. Dans ce genre de situation, deux types de scénario pouvaient se dérouler : soit Ophélie, énervée au plus haut point, suivrait sa fille jusque dans sa chambre et s'en suivrait une deuxième tragédie de Babel ; soit, trop fatiguée, sa mère passait à autre chose en ruminant contre sa fille pendant une heure tout en épluchant sauvagement des pommes-de-terre innocentes. Il semblait qu'il se déroula la seconde option cette fois-ci car aucun pas précipités ne retentit dans l'escalier à la suite d'Hortense.
Elle souffla. Tant mieux pour elle, elle n'aimait vraiment pas perdre du temps à crier. C'était ennuyeux, énervant, frustrant. Pourquoi fallait-il que sa mère soit comme elle était ? Elle n'aurait pas pu être gentille, souriante, douce, attentionnée, comme celle de Léonore ? Elle tomba sur son lit et enfonça sa tête dans son oreiller. Elle resta un moment à réfléchir en mangeant sa pomme. À la vie, au temps, aux problèmes, et à la mort. Puis elle entendit la porte s'ouvrir doucement et des pas délicats firent grincer le parquet. L'odeur de cette personne était un mélange de cirage, de nourriture et de sang. Hortense tourna sa tête. C'était l'unique domestique : Isabelle. Son visage rond et poupin était plein de compassion. Elle parut gênée par le regard de sa jeune maîtresse, et son regard glissa sur la décoration.
« C'est joli, la façon dont vous avez arrangé ça... » dit-elle de sa voix fluette.
Hortense ne répondit pas. La bonne s'assit sur le matelas du bout des fesses. Elle soupira et commença à faire la conversation : « Je n'aime pas beaucoup cette maison. Elle me fait peur. »
Hortense se redressa sur les coudes, à demi-tournée, en fronçant les sourcils.
« Pourquoi vous fait-elle peur ? »
Isabelle ouvrit la bouche, la referma, puis la rouvrit, comme un poison hors de l'eau. Elle s'empourpra, gênée.
« Et bien... vous n'êtes pas au courant ?
— Au courant de quoi ?
— Je ne sais pas si j'ai le droit dans vous le dire, dans ce cas...
— Ah non ! s'agaça Hortense. Maintenant vous en avez soit trop dit, soit pas assez ! »
Isabelle pinça les lèvres.
« Vous promettez que vous n'en direz rien à madame ? » s'inquiéta-t-elle.
Comme si Hortense pouvait parler avec sa mère.
« Bien sûr que non, promit-elle.
— Et bien... (La servante regarda de droite à gauche et baissa encore la voix.) Un palefrenier du village m'a informé que le dernier habitant de la maison — un garde-chasse — est mort dedans il y a une dizaine d'année... il a été décapité ! souffla-t-elle horrifiée, comme si ce simple fait apprenait à Hortense l'entière vérité.
— Pourquoi a-t-il été décapité ?
— Parce que c'était un maudit, voyons...! »
Isabelle plaqua une main contre sa bouche en écarquillant les yeux, comme après avoir dit quelque chose de particulièrement grossier.
« Maudit ? Qu'est-ce qu'être un...
— Hortense ! » appela la voix forte de sa mère, plus aiguë qu'à la normale : c'était la voix des bonnes nouvelles.
Isabelle se tendit et se leva précipitamment avant de partir dans un coup de vent en soufflant une excuse. Il ne fallait pas qu'Ophélie, sa maîtresse, la voit : cette dernière lui avait formellement interdit d'aller réconforter Hortense après un de leurs fréquents accrochages.
« J'arrive, mère ! »
Hortense dévala les escaliers avec l'élégance d'un éléphant : la dispute était terminée mais cela ne l'empêchait pas d'user de la provocation. Pourtant, ce manque de manière n'alarma pas sa mère, qui continuait et faire les cent pas dans le salon en secouant devant elle un papier cartonné. Cela devait être une très bonne nouvelle.
« Ah, te voilà ! Regarde ça ! » sourit-elle de toutes ses dents en lui tendant le papier. Mais avant qu'Hortense n'ai pu même entamer un mot, l'informa : « Le marquis de Sade nous invite enfin à dîner dans sa demeure ! Nous commencions à désespérer, mais il semblerait qu'il ne nous ai pas oublié finalement. Ah... notre premier dîné depuis Paris... comme cela me semble déjà loin, le doux temps des réceptions et de la vie en bonne société... »
Hortense lut le papier. En effet, il était inscrit à la machine-à-écrire, noir sur blanc :
Chers madame et monsieur Duroy,
Accepteriez-vous de nous accorder votre présence pour le dîner du jeudi 22 octobre, à partir de 19h, peut-être en compagnie de votre fille, mademoiselle Duroy, si elle le désire.
J'espère pouvoir profiter de votre compagnie,
au plaisir de vous voir,
M. de Sade
« Du coup... je ne suis pas obligée de venir ?
— Bien sûr que si, asséna sévèrement sa mère. Et tu te conduira parfaitement, sinon... »
Elle ne termina pas sa phrase. Hortense fronça les sourcils et leva le menton avec défi.
« Il est hors de question que je me comporte parfaitement avec quelqu'un d'aussi arrogant que le petit-fils du marquis. »
Sa mère se figea.
« Le petit-fils du... J'ignorais que monsieur le marquis avait un petit-fils ! s'étonna-t-elle.
— Il en a un. Je l'ai rencontré l'autre jour. »
Ophélie la fixa avec de grands yeux. Hortense pouvait presque voir les rouages de son cerveau se mettre à tourner à travers les yeux bruns de sa mère.
« Quel âge a-t-il ?
— Je ne sais pas. Mon âge », répondit-elle en haussant nonchalamment des épaules.
Une lueur s'éclaira dans les yeux d'Ophélie et elle se mit à sourire toute seule.
« N'y pensez même pas, mère, coupa Hortense.
— Tu viendra avec nous demain, conclu sa mère en tapant dans ses mains. Isabelle ! Pouvez-vous m'apporter du papier à lettre, de l'encre et une plume, je vous pris ?
— Bien sûr madame, répondit la bonne en descendant les escaliers, l'air encore coupable.
— Voudriez-vous bien porter ma réponse à la demeure du marquis après, s'il-vous-plait ?
— Bien sûr, madame. »
Une des raisons pour laquelle Hortense détestait sa mère malgré l'amour qu'elle lui portait était son obstination : une fois qu'elle avait une idée en tête, il était extrêmement difficile de lui en faire changer.
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