Chapitre 1 : Hortense [le départ]

Hortense regardait le paysage, appuyée contre la vitre, boudeuse. Sa tête l'heurtait à chaque fois que la voiture passait dans un trou ou sur une bosse. Sa mère, sur la banquette en face de la sienne, soupira.

« Hortense, très chère, arrête de faire la tête.

— Je fais pas la tête », grogna-t-elle sans détacher ses yeux de l'extérieur.

Sa mère resta un moment silencieuse.

« On a pas eu le choix, tu le sais bien. »

Hortense ne répondit pas avant plus d'une minute.

« Je n'ai même pas pu dire au revoir à Léonore.

— Chérie... c'est elle qui aurait été en danger si nous étions resté à Paris...

— Ou aurait au moins pu aller à Altus, plutôt que dans le trou du cul du monde.

— Soigne ton langage, s'agaça-t-elle. Et c'est la seule option que nous avions dans l'urgence. »

Hortense leva les yeux vers sa mère. Une joue de celle-ci était recouverte d'un gros pansement.

Cela faisait deux journées entière qu'ils avaient quitté Paris, et ils ne s'étaient même pas arrêtés pour dormir. Ils n'avaient pu prendre que trois malles et une domestique dans la précipitation, ordonnant aux autres de se cacher. Hortense avait laissé toutes ses affaires personnelles, n'amenant que ses livres préférés, un carnet, une plume et deux flacons d'encre. Elle n'allait pas aller loin avec ça. Ils n'avaient prévenu personne et étaient parti comme ça, laissant le cadavre au milieu du salon. Quand les voisins appelleront la police, alertés par l'odeur, ils seraient déjà installés loin, très loin de la scène de crime. En sécurité ; si les vampires pouvaient prétendre être en sécurité quelque part.

« Ah ! s'exclama sa mère. On vient d'entrer dans la forêt, ça veut dire qu'on est maintenant dans le territoire du duc de Sade. »

Hortense jeta un coup d'oeil par la fenêtre puis marmonna : « On aurait au moins pu éviter d'emménager sur le territoire d'un vieux fou.

— Hortense ! s'indigna sa mère.

— Quoi ? Vous n'allez pas me dire que j'invente ! Tout le monde sait que c'est un taré, et il a une réputation de psychopathe.

— Il a été très généreux de nous louer cette maison, dans cette situation... Je t'interdis d'être malpolie envers lui quand on le verra, c'est bien clair ?

— Comme si c'était mon genre, dit-elle avec une grimace et un ton particulièrement isolent.

— Je suis sérieuse. Ne me fait pas honte. »

Après un soupire en levant les yeux au ciel, Hortense replongea dans la contemplation du monde inconnu qui s'étendait de l'autre côté de la machine. Cette forêt était dense et obscure, comme celle d'un conte pour enfant. Les arbres semblaient se dresser comme des feuilles de papier sur de la mousse. Elle avait souvent du mal à croire que ce qu'elle voyait ou ce qu'elle vivait était réel, comme si tout ça n'était qu'un roman, une pièce de théâtre ou chacun a un rôle bien précis. Certains appelaient ça le destin, mais elle nommerait plutôt ce phénomène comme une vaste manipulation. Les seules fois où elle donnait cet avis en public, sa mère tranchait net son idée en plaisantant sur la paranoïa de sa fille.

« Je suis sûre que tu vas te faire des amis.

— C'est ça. Je suis sûre que les lapins et les sangliers sont des êtres très sociables.

— Ne sois pas cynique. Ça ne rend pas heureux d'être cynique. »

Hortense pinça les lèvres en s'appuyant un peu plus contre le verre froid.

Ils arrivèrent dix minutes plus tard. Hortense n'attendit pas que son père ouvre pour se précipiter dehors.

« Hortense, voyons ! Cesse de te conduire comme une sauvage ! rouspéta sa mère en sortant dignement de l'automobile, son père lui tenant la main pour l'aider.

— N'est-ce pas justement dans le but de s'éloigner de toutes sortes de civilisation que nous avons emménagé ici ?

— Cesse un peu ton impertinence. »

Hortense soupira fortement en levant les yeux exagérément au ciel.

« J'ai connu une autre jeune fille avec un aussi fort caractère, à l'époque... » dit mon père en regardant ma mère avec un petit sourire nostalgique, puis il perdit d'un coup son sourire : « Elle me terrorisait.

— Georges !

— Je rigole, mon amour », rit-il avec franchise.

Puis il se pencha vers Hortense pour lui souffler, sans sourire, les yeux écarquillés : « Je ne rigolais pas. »

Hortense ne put se retenir de sourire en coin. Son père et sa mère formaient décidément vraiment un duo comique et excentrique, et elle se demandait comment ils pouvaient cohabiter dans cette aura bonne enfant après près de quinze ans de mariage, sachant qu'ils se connaissaient déjà depuis l'enfance. Ils étaient pour elle un idéal de vie, qu'elle aurait voulu atteindre. Son père posa ses mains sur ses hanches avec fierté : « En tout cas, je sens que l'on va se plaire ici ! »

Hortense regarda à son tour la demeure et écarquilla les yeux.

« C'est... vraiment miteux ici », grimaça-t-elle.

La maison devait-elle celle d'un garde chasse, complètement délabrée. Les murs de pierres étaient lézardés de fissures et engloutit par des plantes grimpantes, ce qui accentuait le manque de lumière. Les fenêtres étaient soit cassées, soit couvertes d'une poussière grasse, soit condamnées par des planches de bois. Hortense crut même voir bouger un rat dans l'obscurité.

« C'est vrai que ce n'est... pas très accueillant, admis pour une fois sa mère en fronçant le nez.

— Je crois que vous vous êtes fait avoir, père. »

Son père souffla fortement par le nez et serra les poings devant lui avec optimisme.

« Mais non, nous serons plus fort qu'une simple maison poussiéreuse... AH ! Un nid de frelons ! » glapit-il en bondissant plusieurs mètres plus loin.

Par réflexe, Hortense et sa mère reculèrent elle-même vivement. Sa mère vira au rouge : « Non mais sérieusement... nous avons tué un paladin, fuit Paris, parcouru la moitié de la France en auto, pour arriver dans une vieille ferme toute pourrie... alors nous n'allons pas nous arrêter pour quelques frelons !! »

Lancée dans sa furie, sa mère éjecta le nid d'insecte dans le ciel, où il disparut comme une étoile filante. La maison fut propre et à peu près réparé en deux heures, les opérations dirigées par la poigne de fer d'Ophélie Duroy.

Ils regardèrent la maison de l'intérieur avec une expression satisfaite. Il faudrait bien sûr racheter la plupart du mobilier et quelques carreaux, mais cela restait habitable. La chambre d'Hortense était à l'étage. Le matelas et les draps n'étaient pas en très bon état mais elle s'en contenterait pour quelques nuits. Ses meubles se composaient d'une vieille armoire paraissant moyenâgeuse, un tapis effilé sur les dalles froides, un lit, une chaise et un bureau sous une grande fenêtre, et un miroir dont la netteté de l'image laissait à désirer, mais avait un côté rassurant dans son fouettement des traits. Ainsi, Hortense ne voyait que l'ombre d'un visage triangulaire, de longs cheveux châtains et d'yeux rougeâtre vampiriques. La fenêtre donnait vue sur la forêt à perte de vue, ou s'échappait de légères fumées loin vers la droite - le village, sans doute - et se dressait au loin vers la gauche les pointes d'ardoises noires d'une toiture de manoir - sûrement celui du marquis de Sade, alias le vieux fou. Elle sonda longuement les bouts de toits en réfléchissant, puis se détourna pour installer ses livres sur le bureau. Ce soir là, ils mangèrent une simple soupe préparée par la bonne, qui souriait niaisement avec des yeux éperdus, comme toujours, en les regardant à moitié discrètement depuis l'entrée. Son père rit fort. Sa mère fut plus modérée dans sa joie, et se contentait de sourire doucement ou faire des commentaires. Hortense était égale à elle-même.

« Voyez comme nous serons bien ici ! répéta son père. En sécurité. »

Sa mère acquiesça, Hortense sourit. Pourtant, son esprit était ailleurs, quelque part entre les yeux fixant injectés de sang d'un mort et le tourment de son avenir. Parce qu'elle avait toujours ce pressentiment macabre qui lui serait le cœur, qui bourdonnait et l'oppressait, depuis qu'elle savait qu'ils étaient parfois suivis dans la rue, et qui lui murmurait d'une voix suave tout en griffant douloureusement, langoureusement son crâne qu'elle ne seraient jamais en sécurité nul part.

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