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Une violente brise s'abattit sur le jeune duo. Tellement puissante que la chevelure de Charles bloqua sa vue, faisant office de rideau velu et laissant ses esgourdes à l'air libre. Tellement glacée que Faustin frissonna de la tête aux pieds à son contact, ce qui le réveilla de son absence. Cet homme qui paraissait si frêle, si faible, si innocent... son assaillant ! Ce maigrichon pâlot, cette poupée masculine sur pattes n'était donc pas une autre victime, mais celui qui l'avait attaqué aussi sauvagement ? Faustin serra les poings, griffa ses paumes avec les ongles, se mordit la lèvre inférieure et rumina de fureur. Comment pouvait-il savoir ! Sa frénésie le gagna de plus en plus, et sa vue se troubla. Il refusait de voir la vérité en face.

Quant à Charles, il fixait l'inconnu presque immobile et plissait des yeux pour mieux le percevoir à travers ses cheveux dissidents. Il ne saisissait pas tout ce qui se déroulait en ce moment-même. D'abord, ce grand gaillard l'abordait tantôt compatissant tantôt lui criant dessus, puis il le poursuivait pour finir par le fixer d'un mélange de sentiments négatifs. Pour couronner le tout à cette situation loufoque, Charles n'arrêtait pas de se recoiffer, tentant de discipliner cette fichue crinière de blé qui n'écoutait que le vent fou de rage, sous le regard abasourdi et enragé de Faustin.

Finalement, il s'accorda un dernier mouvement minime afin d'arranger sa coiffure, parce qu'il ne voyait définitivement rien. Tout en soulevant et faisant glisser le long du front les mèches dorées avec sa main, le blondin évita la rencontre visuelle. Il se concentra alors sur les nombreuses taches de rousseur. C'était la première fois qu'il en contemplait. Il les trouvait jolies, comme une galaxie d'étoiles dans le ciel ébène. Dommage que le propriétaire de cette voie lactée s'avérait si peu enclin à la conversation.

S'observant tels des animaux coincés dans une cage, ni Charles ni Faustin ne bougèrent durant ce court laps de temps par peur de briser un moment fatidique, dont eux-mêmes n'étaient pas au courant. Le premier ignorant son ampleur, le second s'aveuglant encore sur sa véracité.

Ce petit jeu dura assez longtemps pour qu'un des deux craque avant l'autre : Charles, déterminé à tirer toute cette situation au clair.

— Qu-Qui êtes-vous ? trembla sa voix d'un calme doux, totalement pacifique. Je suis sincèrement navré, seulement je ne saisis aucune de vos... intentions à mon égard. Peut-être pourriez-vous m'expliquer votre affaire ?

L'homme dans la neige se força à le zieuter et à sourire du mieux qu'il pût. Il se remémorait les incalculables voix familiales lui initier les valeurs patriarcales avec une simple et unique formule : « Ne jamais vilipender, toujours atteindre l'ataraxie. » C'était la marque de fabrique de sa famille depuis des générations, connue pour régler un conflit sans hausser le ton et les sourcils. Charles souhaitait faire de même, accomplir ce à quoi ses ancêtres prospéraient au cours de tant d'années. Malheureusement, ce n'eut pas l'effet escompté : alors qu'il crut avoir appliqué à merveille cette doctrine, Faustin resta de marbre.

Pire : ses prunelles ne reflétaient plus que des émotions froides et sans saveur. L'aura autour de lui se fit plus intimidante, plus mauvaise, apparent à une statue de glace taillée dans un véritable bloc de mépris. Pour la première fois de sa vie, Charles n'avait jamais ressenti de telles affres envers quelqu'un d'autre que lui-même.

— T'expliquer ? souffla le myope, engendrant de la vapeur hivernale au niveau de la bouche. Tu te fous de ma gueule.

Sa phonation nasillarde mordit le blond d'une hostilité acerbe. Ce dernier ne put se retenir d'avaler sa salive sous ces iris vert malachite qui le foudroyaient sur place, mais il ne se laissa pas décontenancer. Du moins, Charles tâcha de garder la tête haute et le regard impassible. Néanmoins, ce fut impossible : il lisait sans problème le désir de vengeance amère qui prenait l'ascension sur Faustin.

— T'expliquer ! rabâcha celui-ci, indigné. Mais pour t'expliquer quoi, que tu m'as sauté dessus ? Que tu t'es amusé à me torturer ? Que t'as tenté de m'étrangler ? Que t'as bu mon sang ? Hein, qu'est-ce que je dois t'expliquer ! Vas-y, dis-moi !

À chacune de ses phrases, le timbre de Faustin gagnait en intensité. Et à chacun de ses haussements de ton, il avançait d'un pas lourd tandis que Charles reculait péniblement, gêné par la neige et appréhendant davantage ces rudes propos lancés à sa figure. Il avait attaqué ce pauvre homme.

Au milieu de tout cela, l'esprit du lunetteux bouillait de réflexions...

C'est quoi ce bordel ? Ses oreilles sont trop cheloues. Et ce trou, dégueu ! Et pourquoi il est pas mort ? Pas comme si je souhaitais sa mort, mais à la limite gravement blessé ! C'est quoi ce bordel, nom de nom ! Je dois fuir, et vite ! Je peux pas–

« Écoute, Faustin, redescends un peu sur Terre. »

... qui se mélangeaient à de pénibles souvenirs.

Faustin eut comme un déclic.

Il s'élança en avant, atterrissant sur le buste du membre de la lignée de Poyenneville qui en retint son souffle, comprimé par le poids de son opposant. Charles retomba en arrière et un gant le bloqua au sol. Il tenta vainement de se relever par réflexe, puis abandonna vite l'idée pour redevenir calme. Cependant, Faustin, lui, ne voulait pas se calmer de sitôt.

— Et c'est quoi tout ce charabia ! cracha-t-il énergiquement. (Quelques postillons chutèrent sur le blond. Le rouquin rit jaune :) Tu es navré, tu dis ? Tu ne saisis pas mes intentions ? Tu te fous vraiment de moi !

« Sérieux, regarde-toi dans un miroir des fois, tu comprendras mieux où je veux en venir. »

Faustin contracta sa paume, concentré sur la terreur de Charles. Sa vue devenait de plus en plus confuse, quelques larmes enragées s'éclatèrent sur ses verres de lunettes, et sa voix se fit brusquement plus morne :

— Tu me prends pour un minable, c'est ça ?

« Biquet, t'es un des mecs les plus minables que j'ai jamais vu. T'es pas un battant. »

— Je suis un battant.

« T'es même pas fichu de rendre les coups. »

— Je ne suis pas..., marmonna-t-il de manière grave. Je ne suis pas... !

Faustin prit plus d'appui sur Charles, qui ne se mouvait pas et débutait également à céder aux sanglots. Le YouTubeur enleva ses gants et prit de l'élan, les poings serrés et le froid glacial rongeant illico les phalanges. Il pleurait abondamment ; il laissait son courroux et son désespoir couler. Il voulait que la douleur du passé cesse.

« En gros : t'es qu'une pauvre merde. »

Un crochet s'écrasa sur la joue gauche de Charles. La sensation de souffrance fut instantanée et le blond resta une seconde ou deux dans l'immobilité la plus complète, interdit. Personne n'avait osé le toucher, avant. Il caressa du bout des doigts la zone brûlante pendant que de nouveaux pleurs se répandaient sur sa mine déconfite. Ses lèvres vacillantes finirent par couiner lentement :

— Pardonnez-moi. Je n'étais pas moi-même, pardonnez-moi. Ce que je vous ai fait subir, je n'en avais pas conscience. J'ai connaissance que des excuses ne seront jamais assez. Mais il y a un être malin qui... Je vous en conjure, pardonnez-moi...

Charles sanglotait beaucoup, ressassant sans cesse plaintivement : « Pardonnez-moi, oh pardonnez-moi... » En examinant son visage livide, Faustin ne découvrit pas autant de plaisir qu'il le croyait. À la base, en revenant ici, il s'imaginait voir un homme tué d'un pieux enfoncé dans la nuque. Au départ, il ne demandait qu'à être fixé sur son meurtre, bien que la possibilité du contraire était très peu probable. Mais, en fin de compte, il se retrouvait à frapper ledit cadavre ressuscité.

Il pinça derechef sa lèvre inférieure. Je suis le même abruti qu'au lycée.

Tous les deux reniflaient en chœur, un chagrin vif coincé dans la gorge qui les dévorait intérieurement. Charles avait croisé ses bras pour se dissimuler, évitant ainsi qu'ils se reluquent yeux dans les yeux, mais Faustin ne détournait pas le regard. À travers lui en pleurs, il se revoyait durant son adolescence brisée.

Si ses propres iris étaient des malachites abruptes, alors ceux du blond étaient des spinelles bleues égarées au fond d'un lac.

Le rouquin désirait comprendre comment tout cela était arrivé. Il se reposait la question d'auparavant encore et encore : « Quand et où est-ce que tout avait déraillé ? » Malgré cela, comme plus tôt, il n'avait toujours pas la réponse. Les interrogations sans queue ni tête pleuvaient dans son cerveau, mais rien à faire : la logique lui échappait ! Quelle mouche l'avait piqué pour retourner sur le lieu de son agression ? Ah, son fichu instinct ! À l'avenir, il devrait moins l'écouter, voire plus du tout.

— Mais qu'est-ce que je fous, moi ? susurra-t-il à voix haute.

Faustin essuya les gouttes salées et séchées sur sa peau. Puis, il se leva et fit demi-tour le plus nonchalamment du monde. Désormais, la seule chose qu'il désirait était d'oublier ces deux dernières horribles journées et de rentrer dans son modeste appartement parisien, où son canapé jaune délavé l'attendait patiemment. Maintenant, il s'en fichait bien que ce mec sorti de nulle part l'avait tabassé et était mentalement dérangé. Être fracassé ne lui était pas inconnu, ce n'était pas nouveau pour lui. Et puis, à chacun ses lubies. Si ce blond agissait comme un vampire avec cette fantaisie de fausses oreilles angulaires et de soif de sang, ce n'était pas son problème, mais celui de psychiatres compétents.

Demain, Faustin appellerait la police pour seulement le signaler d'« instable » et elle se débrouillerait bien sans lui. Il en avait plus qu'assez, il rentrait à Paris. Il oublierait tout, dans les moindres détails.

Tandis qu'il disparaissait derrière la végétation, Charles ne quitta pas la perspective de son dos jusqu'à ce qu'il quitte son champ de vision. Il toucha encore sa joue martyrisée mouillée. Une seule explication lui était tangible : Dieu. Il avait envoyé l'inconnu pour le punir de ses péchés. Sa bouche forma une risette triste, levant la tête vers le ciel nuageux. Était-ce un signe de Sa part ? Était-ce l'aide divine qu'il avait attendu chaque jour dans cette lugubre maison ? Lui dictait-il de suivre cet homme douteux qui portait un accoutrement insolite ? Non, cela ne pouvait être le cas. Sinon, son ordre serait plus explicite.

Charles se redressa à son tour. Cependant, il toucha une matière drôlement rigide et molle à la fois. Il attrapa les objets laissés à côté de lui, abandonnés comme sa personne. Les gants.

Le signe.

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