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je suis profondément désolée pour ces longs mois d'absence... j'ai eu, comme qui dirait, une sorte de syndrome de la page blanche de l'extrême. j'ai réécrit ce chapitre au moins cinq fois, et plusieurs fois en deux chapitres (c'était donc encore plus long à écrire).

comme j'en avais marre et que je voulais avancer dans l'intrigue, j'ai décidé que cette version serait sa version finale et point barre. je sais que le chapitre (et l'histoire aussi) est loin d'être parfait. et pourtant, je vais terminer l'histoire de Faustin, Charles et Raylenne coûte que coûte.

sur ce, bonne lecture à vous !



— Q-Quel temps splendide, n'est-ce pas ? émit furtivement Charles.

— Ma-gni-fi-que, lança sarcastiquement Faustin.

La pluie battait son plein et, penauds, les deux garçons s'étaient réfugiés sous le kiosque d'un parc. Au milieu de leurs sacs de courses, assez éloignés l'un de l'autre, l'atmosphère n'était pas au beau fixe. Tandis que Charles examinait distraitement les alentours, Faustin s'arrachait presque la peau à force de gratter ses avant-bras, qui le démangeaient depuis ce matin.

Non loin du là se trouvait un Starbucks et Raylenne à l'intérieur, car elle s'était donnée pour mission d'aller acheter des boissons chaudes. Faustin la revoyait courir sous l'averse, afin de rejoindre le café le plus rapidement possible, et tirer de toutes ses forces sur sa capuche, espérant garder ses lunettes au sec.

Tout ce mal juste pour des gobelets trois fois trop chers. Selon Raylenne, un moment de répit leur serait plus que bénéfique. Mais elle n'avait pas tort : ces derniers jours furent compliqués pour eux.

Et en premier, Faustin dut affronter ses parents.

Le lendemain de son retour à la capitale, il avait posté un mot d'excuses sur les réseaux sociaux, expliquant qu'il s'absentait quelques temps en raison de « soucis personnels ». Bien évidemment, personne ne s'était douté que cela se résumait à une colocation subite avec un vampire. Après tout, un YouTubeur qui s'éclipsait pour une période indéterminée n'était pas rare.

Néanmoins, Faustin n'avait pas prévu l'appel alarmé de ses parents suite à cette annonce. À peine décrocha-t-il qu'il fut bombardé de questions par sa mère :

Qu'est-ce qu'il y a Faustin ? Tu ne te sens pas bien ? avait-t-elle parlé à toute allure. (Faustin avait distingué ses petits pas précipités glisser sur le carrelage du salon.) Tu veux qu'on vienne te voir ? On pourr...

Martine, laisse-moi lui parler ! se débattait son père derrière.

Roh, Serge, baisse d'un ton ! Je comprends pas ce qu'il dit.

Passe-moi ce foutu téléphone !

Martine Lenoir et Serge Courtet.

N'importe qui qualifierait ce couple de dynamique, d'explosif et, de temps à autres, d'éreintant. Leur alchimie s'apparentait en quelque sorte à deux ours mal léchés, ou encore à deux tempêtes dérivant dans le ciel – calmes d'abord, puis tout d'un coup enragés. Mais contre toute attente, ils faisaient bon ménage et cela durait depuis plus de trente ans maintenant.

Tous deux suivaient tous les comptes de leur fiston adoré. Alors, quand celui-ci avait posté un message aussi ambigu, ses proches ne pouvaient que s'inquiéter.

Toute la famille se fait du souci pour toi, tu sais ? avait toussé M. Courtet, essoufflé puisqu'il poursuivait sa compagne dans la pièce de vie.

Et je vous confirme qu'il y a rien de grave ! les avait de suite rassuré Faustin. C'est juste que...

Que... ? avait continué sa mère d'une voix hésitante et bourrue, se bataillant toujours contre son conjoint.

... que mes caméras se sont cassées quand j'étais en Auvergne, avait-il inventé sur le tas. Du coup, je vais devoir en racheter, tout ça, que des contretemps chiants quoi, haha...

Après tout, ce n'était qu'un demi-mensonge. Elles avaient effectivement été endommagées durant son excursion à la montagne. L'objectif de l'une d'elles était fissuré, et la seconde avait perdu un morceau de son flash. Vu la puissance du choc qu'elles avaient subi - la colonne vertébrale de Faustin s'en souvenait encore -, ça relevait du miracle. Le vidéaste n'osait même pas imaginer les dégâts sans leur housse de protection.

Les cartes SD, en revanche, s'en étaient sorties indemnes. À la fois soulagé et dubitatif, le YouTubeur s'était tranquillisé en se disant qu'il aurait, au final, assez de matière pour monter sa vidéo plus tard. Même si ce n'était plus sa priorité actuelle.

Donc... il n'y a aucun problème ? avait repris sa mère, toujours aussi incertaine. Tout va bien ?

Dans le meilleur des mondes ! avait exagéré Faustin, souhaitant expédier cette conversation sans délai.

Mme Lenoir ne semblait pas convaincue. Cette excuse bidon n'avait sûrement pas fait mouche. Elle voulait absolument venir, histoire de vérifier que son fils ne lui mentait pas. Faustin avait dû ruser afin de la convaincre de ne pas monter sur Paris. Quant à son père, exclu, il avait capitulé et ouvert entretemps une bouteille de vin – qu'il dégustait en attendant que sa Martine termine son appel téléphonique.

Finalement, ils avaient raccroché après que Faustin eût demandé des nouvelles de Clémence, sa petite sœur – changeant ainsi de sujet. Une fois débarrassé de ses parents chéris, le jeune Courtet s'était écroulé sur son lit et, soulagé, s'estimait déjà heureux de les avoir écartés de cette situation merdique.

Carrément merdique, même.

— Le XXème siècle est très... impressionnant, commenta le dandy. Toutes ces installations et ces machines. L'Homme est vraiment un être exceptionnel.

Faustin soupira d'agacement et remua fortement les ongles sur sa peau, les manches de son manteau retroussées. Assister au comportement naïf de Charles, qui se conduisait comme si tout allait pour le mieux, lui tapait sur le système.

— Bof, grogna-t-il. On pollue, on s'entretue. On est toujours con. Et c'est le XXIème siècle, pas le XXème.

— Ah, je vois... Le temps passe vite, en effet.

Un long silence s'ensuivit. Si la pluie n'était pas bruyante, ils entendraient sans problème les mouches voler. Le Parisien jeta un vif coup d'œil au vampire, qui se tenait toujours aussi raide. À chaque fois, ça évoquait à Faustin une espèce de marionnette que quelqu'un obligeait à ne jamais se relâcher, pas même une petite seconde.

Comme il observait la silhouette du blondinet, Faustin ne put s'empêcher de s'attarder également sur sa tenue : sombre. Et louche, très louche. Affublé d'un long manteau, d'une paire de gants, d'une énorme écharpe, d'un bonnet, d'un masque et de lunettes de soleil, Charles ne pouvait pas passer inaperçu. Il était même plutôt ridicule. On jurerait un mélange entre un détective, tout droit sorti d'un film policier des années 70, et une star de k-pop voulant être incognito.

Et pourtant, l'ensemble de cet attirail était pensé pour ne pas captiver l'attention. Puisqu'il était un vampire, Charles devait à tout prix éviter les vitres, les miroirs, tout ce qui créait un reflet pour ne pas se faire griller.

Sortir aujourd'hui était l'idée de Raylenne. Le second problème qu'elle et le rouquin avaient sur les bras était Charles, bien évidemment. Plus précisément, le souci était ses besoins. Décrit comme ceci, on pourrait croire que cela concernait un animal domestique. Et si la chauve-souris humaine représentait ledit animal, alors Raylenne et Faustin se rapprochaient le plus des propriétaires.

— Pardonnez-moi, chuchota tout à coup Charles.

Faustin se tourna vers le faux enquêteur et bougonna, fronçant ses sourcils broussailleux comme de coutume :

— Si tu t'excuses encore pour la salle de bains, je te répète que c'est bon.

Acheter des vêtements neufs ne servirait à rien si leur détenteur ne se lavait pas. Alors, la première mission de la journée avait été la propreté de Charles. Le myope lui avait expliqué comment les robinets marchaient, comment utiliser le gel douche, quelle serviette prendre, ainsi de suite. Il se souvenait très bien de la stupeur dans ses yeux azurés. Au cas où ça tournerait mal, Raylenne lui avait même suggéré de rester avec le musicien. Mais son meilleur ami, fidèle à lui-même, avait répondu tout acariâtre : « Si un centenaire à poil t'excites, je te retiens pas ! »

Avec du recul, Faustin resongea à ses précisions sur le fonctionnement de l'équipement hygiénique : rapides, simplettes, voire très incomplètes. Il l'avait pratiquement jeté dedans, sans autre forme de procès. Pour être tout à fait franc, il avait espéré qu'il se noie à l'intérieur.

Coincé dans la cabine, entre le pommeau et les diverses lotions pour le corps, Charles s'était avéré pris au piège. Et seulement quelques minutes plus tard, un bêlement strident avait éclaté depuis la salle d'eau ; le vampire collé contre le mur à faïence blanche, au fond de la cabine et terrorisé, craignait impuissant le pommeau de douche qui inondait la pièce.

À la vue de l'adulte à lunettes qui avait déboulé sur le lieu du drame, Charles s'était tortillé sur place comme si les froides parois en céramique l'avaient d'emblée consumé vif. Il avait caché le plus possible ses parties intimes à moitié recroquevillé sur lui-même, tremblant comme une feuille et le cœur au bord des lèvres. Heureusement pour lui, Faustin n'en avait que faire de sa tenue d'Adam ; il s'était plutôt dépêché d'arrêter le massacre.

Au final, ils durent se mettre à trois pour éponger ce chantier. En y resongeant, les joues de Charles virèrent à un rosée doux. Il avait honte, si honte !

— N-Non, vous faites erreur ! balbutia-t-il de nouveau. Je ne faisais pas allusion à cela !

— Mmmh. Faudra quand même te remontrer comment ça marche. Tu sens vraiment pas la rose, ajouta Faustin sans l'ombre d'un scrupule.

À part Charles, qui y était habitué depuis plusieurs décennies, les citadins n'appréciaient pas énormément son odeur. Faustin se rappelait de leurs mimiques dégoûtées dès que la boule puante sur pattes passait ne serait-ce qu'à côté d'eux. Par chance, Paris était une ville assez immense pour y enfouir son parfum infect.

— En réalité, persista le gentleman, je voulais m'excuser au sujet de... au sujet d'hier–

Charles ne put terminer sa phrase : le soudain regard noir de Faustin l'y contraignit. Celui-ci se gratta de plus belle les avant-bras, au souvenir de la veille. Il prit de grandes inspirations, respirant bruyamment, et ferma les yeux. La bouche pincée, il sentait les grosses gouttes de pluie couler le long de son front.

— D'hier soir, oui, finit-il par articuler.

Comment Faustin aurait-il pu oublier la nuit dernière ? Elle avait apporté son lot de mauvaises surprises, dont Raylenne et lui-même se seraient bien passés.

Vers trois heures du matin, des grondements sourds avaient réveillé en sursaut la jeune femme, qui ronflait jusque-là sur le clic-clac du salon. À peine sortie de sa torpeur, elle s'était traînée vers le balcon, d'où les bruits émergeaient au fur et à mesure. Elle jeta un coup d'œil à travers la grande vitre.

Au début, elle n'arrivait pas à distinguer quoi que ce soit dans la pénombre. Elle avait même dû se frotter les yeux pendant une longue minute, afin d'être assez éveillée pour parvenir à y voir quelque chose. Puis, à force de se concentrer, Raylenne avait fini par deviner une forme obscure et tremblante.

What the hell ? avait-elle murmuré de son timbre rauque et endolori. Charles... ?

Raylenne s'était penchée au point de se coller contre le verre, n'osant pas sortir. Elle avait analysé l'ombre qui gigotait vivement dans l'air polaire, mais pas de froid. Plutôt de manque, comme une droguée.

Prise de panique, la Britannique avait détalé jusqu'à la chambre de Faustin. Ce n'était pas son genre de fuir dans les jupons de quelqu'un d'autre. Pourtant, à ce moment précis, elle avait plus que tout ressenti le besoin de renfort. Lorsqu'elle avait ouvert la porte à la volée, son meilleur ami avait soubresauté de frayeur et manqué de tomber du lit, battant de l'aile dans une mollesse incroyable. Raylenne regardait sa tête étoilée pleine de bave, éclairée par la lampe, pendant qu'il réalisait doucement qu'on avait interrompu sa douce nuit.

Faustin, je crois que Charles ne va pas très bien.

Hein, quoi... ? avait-il baillé. Qu'est-ce qu't'm'racontes encore...

Sans plus se justifier, Raylenne avait arraché de son nid moelleux le binoclard. Ce dernier n'avait même pas eu le temps d'attraper sa paire de lunettes, posée sur la table de chevet. Entraîné subitement par sa confidente, ses pieds s'étaient pris à maintes reprises dans le bric-à-brac de la chambre. Mais actuellement non-voyant et somnolent, Faustin n'avait d'autre choix que de suivre aveuglément la brune affolée, qui courait en sens inverse au balcon.

Je... Je crois qu'il est malade, lui avait-elle indiqué.

À quatre pattes, Charles émettait des plaintes bestiales plus fortes qu'auparavant. Le dos arrondi, il semblait sur le point de dégobiller une immondice. La taupe humaine l'entendait souffrir le martyr.

Bien que Faustin eût discerné dans la voix de Raylenne une inquiétude pure, il ignorait que faire face à un vampire souffrant. Mais d'un instant à l'autre, les voisins seraient debout et passeraient leur tête par la fenêtre, se demandant bien ce qui se tramait chez M. Courtet – et balançant n'importe quoi pour que ça s'arrête.

Faudrait... qu'on fasse un truc, non ?

T'es marrante, toi. Tu veux quoi fasse quoi ? J'y vois rien, en plus ! s'était énervé Faustin, se concentrant très fort pour reconnaître Charles nettement. Et pourquoi il gémit comme ça ?

C'est ce que j'aimerais bien savoir, Shitlock ! s'était-elle agacée à son tour.

Les lamentations de Charles continuaient davantage, augmentant le volume à chaque pleur arraché de sa trachée. Et pendant que le duo se disputait, l'oubliant quelques instants dans son coin de ténèbres, le pauvre vampire s'était replié sur lui-même. Comme s'il se rapprochait de plus en plus d'un profond gouffre.

Exténué, Faustin voulait en finir au plus vite. Il avait tourné le dos à Raylenne et lâché sa main mate. À tâtons, sa marche lente contrastait avec sa rage d'avoir été dérangé au beau milieu de la nuit. Après avoir progressé à petit feu jusqu'au malade, le jeune homme s'était accroupi auprès de lui. Une cascade de salive sortait désormais de la bouche de Charles pour s'écraser en douceur par terre. Ses pupilles dilatées trahissaient un abandon imminent.

Mais Faustin n'avait pas le temps de faire dans la dentelle. Il brûlait de fatigue ardente et ne voulait qu'une chose : retourner ronfler. Il avait agrippé et secoué un peu l'épaule du souffrant.

Hey, on va t'emmener à l'intérieur, d'accord ? lui avait expliqué Faustin. (Il s'était hâté de soutenir l'âme chétive dans le but de le soulever.) Aide-moi vite Raylenne, avant qu'il ne réveille tout le quarti– AÏE !

Faustin !

Faustin se remémorait parfaitement cette sensation. Le filet de sang dégoulinant sur sa peau, les effluves de fer assaillant ses narines, les profondes aspirations qui s'ensuivaient rapidement... Charles le mordant, une seconde fois. Les crocs enfoncés dans les veines, le vampire y avait sucé le fluide corporel qui s'y trouvait avec désespoir, affamé et ses lèvres glacées teintées d'un rouge carmin. Puis, il s'était assoupi calmement.

— Ah ! ricana le rouquin. C'est pas comme si c'était la première fois que je te servais de casse-croûtes urgent pendant l'une de tes crises d'hypoglycémie.

Faustin effleura sa nuque, l'endroit de la première morsure qui ne le grattait plus. Il se demanda quand est-ce qu'elle serait guérie. Il observa le bâtiment du Starbucks, songeur. Peut-être que Raylenne avait fui loin d'eux et ne reviendrait pas.

Charles soupira et, d'une attitude plus qu'exaspérée, passa une main furieuse dans sa toison d'or. Surpris par ce geste inhabituel, le Parisien le fixa avec des yeux ronds. Il crut même apercevoir dans la paume blême quelques malheureux cheveux arrachés.

— Si vous me détestez à ce point, pourquoi avoir accepté de me prendre avec vous ?

La voix claire de l'immortel résonna dans tout le kiosque, donnant à la question un aspect plus spectral que d'ordinaire. Un frisson parcourut l'échine du rouquin. Les iris azurés plongés dans les siennes, durant une fraction de seconde Faustin ne sut pas où se mettre.

— Vous auriez pu me... laisser là-bas, enchaîna gravement Charles. Vous auriez pu refuser de me venir en aide. Mais voici où nous en sommes à présent. Je vous avoue que tout ceci m'échappe complètement.

— C'est vrai, concéda-t-il. J'aurais pu refuser. Et en toute honnêteté, je voulais le faire.

Les gouttes de pluie commençaient à se rarifier. Elles laissaient place à un ciel toujours aussi gris, mais bien moins lourd, et l'air se désépaississait.

— Mais quand t'as pleuré – parce que je t'avais frappé, pardon d'ailleurs –, quand tu m'as supplié de t'aider... Je sais pas. C'est comme si j'avais vu mon... mon ancien moi. Tu comprends ce que je veux dire ?

— Euh non. À qui tu parles ?

Faustin tressauta comme si un fantôme venait de surgir devant lui. Le spectre n'étant que Raylenne, revenue avec les boissons et une expression perplexe au coin de la figure, son frère d'âme s'empourpra dans une gêne absolue.

— Putain, tu m'as fait peur ! s'indigna Faustin. Je te hais tellement !

— Où est Charles ? l'ignora la jeune femme paniquée. Il est où, Faustin !

— Bah il est juste là, derrière moi.

Il ne saisit pas tout de suite pourquoi Raylenne était autant sur les nerfs. En revanche, lorsqu'il se retourna pour lui montrer du doigt le prodige du piano, un air moqueur et satisfait au bout du pouce, Faustin ne fit face qu'à du vide.

Charles avait disparu.

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