13

n. d. a : je suis vraiment désolée que les publications soient aussi espacées et la narration aussi lentes. j'écris beaucoup pour ne rien dire, je l'admets... j'ai même l'impression d'être une arnaque, des fois. je sais que l'histoire n'avance pas pour le moment, mais ça va venir, je vous le promets !

je vous remercie du fond du cœur de lire cette histoire.

[merci encore !]


— Donc, et corrige-moi si je me trompe... ce gars-là est certainement un vampire et il a tenté de te tuer, mais t'as fini par accepter de l'aider à faire on-ne-sait-quoi en le ramenant ici. C'est bien ça ?

— En gros, ouais... affirma Faustin d'une intonation éteinte, installé sur le canapé, la tête entre les mains. Enfin, « accepter » est un bien grand mot. Je sais pas ce qu'il se serait passé si je lui avais dit non.

Bien trop tendue par l'avalanche récente d'évènements, et par le récit alarmant du rouquin, Raylenne restait debout. Faisant les cent pas dans la partie salon, elle lançait de rapides œillades en direction du balcon. Elle se sentait à la fois en sécurité et à la merci de l'inconnu enfermé de l'autre côté de la vitre. Si elle ne trouvait pas cela dégoûtant, elle grignoterait ses ongles tout en se rongeant les sangs jusqu'à l'hémorragie.

Durant les trois quarts d'heure de sa mise en quarantaine, Charles observait. Il observait le quartier, les nouvelles structures, les dernières voitures, les gens et leurs habits, leurs attitudes, les animaux en laisse, ce qu'il pouvait repérer de son perchoir. Il observait tout ce nouveau monde qui l'entourait. Son regard triste s'accrochait à l'espoir de dénicher une quelconque ressemblance avec son Paris. Du moins, de l'angle de cette plateforme étriquée.

Il entendit aussi toute la conversation. Leurs infimes chevrotements de timbres tintaient dans ses oreilles tel du cristal, comme s'ils discutaient de son cas à moins d'un mètre de lui. Mais ça, Charles le garderait pour lui ; tout était de sa faute.

Par contre, de dos, il ne vit pas l'homme à l'épiderme tacheté se morfondre entre ses paumes robustes. Il n'aperçut pas non plus Raylenne nier son existence de monstre jusqu'à s'en arracher quelques touffes de cheveux, le guigner telle une bête agressive avec une mine effarée, puis rire nerveusement avant de s'avachir sur un des coussins jaune délavé.

Désormais côte à côte, le couple de meilleurs amis ancra ses prunelles sur le mur d'en face. Sans s'en détourner, la jeune femme souffla d'accablement – et d'un mal de crâne imminent.

— Dis-moi que c'est une blague.

— C'est une blague, soupira à son tour Faustin.

— T'es pas très convaincant.

— Si tu veux, je peux te pincer. Mais je te préviens, ça marche pas du tout.

— Au point où j'en suis...

Elle lui tendit son avant-bras dans un mouvement de dépit absolu. Faustin forma de ses doigts un bec bossu, et il pressa vigoureusement la peau mate. Sa voisine répondit d'un grognement étouffé, avant de se dégager. Elle enleva la paire ronde de lunettes qui surmontait son nez pour frotter ses paupières fatiguées.

— OK, c'est vraiment pas un rêve.

— Je sais.

Faustin guettait chaque détail de sa réaction – comme la fois où il avait cassé un des vases de sa mère. (Et il ne rejoua plus jamais au foot, à partir de ce jour, dans la maison.)

For fuck's sake. Dans quelle merde tu t'es fourrée, Faustin !

— Eh, j'ai rien demandé, moi ! Tout ce que je voulais, c'était faire un documentaire animalier, rien de plus ! C'est ce malade qui... qui m'est tombé dessus.

Il caressa de nouveau son cou distraitement. Les bleus le lancinaient encore s'il gigotait trop précipitamment. Raylenne ne le réalisa pas, presque ramollie sur le dossier du large fauteuil. Ses yeux avaient troqué le mur pour le plafond. À chacune de ses respirations, elle calait une faible interruption. Elle se résolut à entrer dans le vif du problème blafard.

— Dis, qu'est-ce qu'on va faire ?

— Comment ça on ? Toi, tu rentres à Liverpool.

— Tu vas pas t'y remettre ! s'énerva-t-elle, frappant de ses poings menus le canapé. Hors de question que je te laisse seul avec lui.

— Mais... ! contesta Faustin en tournant un visage angoissé vers Raylenne.

Elle leva la main en signe de désapprobation, lui coupant ainsi la parole.

— Y a pas de mais qui tienne, Tintin. Je suis pas une petite chose fragile à protéger. T'inquiète pas, j'en ai bien assez dans la caboche pour me défendre toute seule.

Tout en pianotant sur son front, Raylenne lui renvoya un sourire ravageur. Ses iris noisette pétillaient d'impertinence. D'incertitude également.

Elle prit un air faussement abattu et haussa les épaules.

— De toute façon, s'il devait y avoir un chevalier servant ici, ce serait moi. Toi, tu serais trop nul.

— Hé !

Faustin l'asséna d'une tape anodine sur l'épaule. Ils rirent faiblement, mais ils évitèrent de créer un contact visuel. Tous deux savaient que l'heure n'était pas à la plaisanterie. Ils devaient prendre une décision, et vite. Quant au rouquin, l'inquiétude du sort de Raylenne le rongeait toujours ; à défaut d'avoir un plan solide, en aucun cas il ne la laisserait entre quatre-z-yeux avec cet aspirateur à vaisseaux sanguins.

Instantanément, tel un flash foudroyant, un aspect du concept vampirique éclata dans son esprit exténué. Il se souvint de la nuit – ou du matin – de sa rencontre avec Charles... et surtout de la sensation de son croc aspirant son sang.

Quel abruti ! se réprimanda Faustin en se mordant la lèvre inférieure. Cela lui sembla tellement évident tout à coup qu'il se retint de se frapper de sa bêtise. Il sursauta de crainte et ce sentiment lui parut aussi désagréable que de la neige sur la nuque.

Il jeta à Raylenne une expression d'urgence absolue ; une sorte de grimace coincée entre la peur et l'agitation.

— Attends, mais... comment il va se nourrir ?

L'Asiatique ouvrit la bouche pour rétorquer une remarque cinglante, puis la referma presque immédiatement. Elle sut que le YouTubeur touchait la corde sensible qu'ils s'évertuaient à faire taire.

Un ange passa où la paire humaine s'analysait sans bruit. Ils ne bougèrent pas d'un centimètre, la respiration bloquée dans leurs poumons à l'arrêt. Ils crurent même un instant que le temps s'était figé.

— Oh putain, finit-elle par articuler. Oh putain, oh putain, oh putain !

Faustin lui attrapa les épaules et la secoua comme un prunier, tandis qu'elle répétait « Oh putain ! » de sa voix cassée. La scène reflétait un enfant dont le jouet mécanique pétait les plombs, après une chute trop violente, et ignorait comme le réparer.

— Ressaisis-toi, Raylenne, j'ai besoin de deux cerveaux maintenant !

— T'es marrant, toi, c'est pas moi qui ai ramené un vampire ici !

— Mais on n'en sait rien s'il en est réellement un ! Peut-être que... que c'est une race que l'humanité n'a jamais connue jusqu'à aujourd'hui ? supposa le rouquin dans un élan d'espoir futile. Hein, pourquoi pas après tout ?

— Arrête. Même toi t'y crois pas.

Et elle avait raison, Faustin n'escomptait pas à ce que son hypothèse se révèle exacte. Il s'efforçait surtout d'effacer la présence de l'anomalie qu'il avait emportée avec lui.

— En plus, reprit-elle du tac-au-tac, même si ce gars se trouve être une fée ou une connerie du genre, il n'en reste pas moins dangereux. T'es le mieux placé ici pour le savoir !

Alors qu'il envisageait de certifier tout un tas d'autres supputations loufoques, trois coups clairs se firent entendre. Dans une synchronisation parfaite, le Parisien et la Liverpuldienne se braquèrent vers la gigantesque fenêtre – endroit d'où résonnèrent ces fameux cognements gracieux.

Charles se tenait légèrement penché contre la vitre, le bras coincé entre elle et son front, et les fixait sans allègrement. En toquant avec l'index, il venait d'attirer leur attention. Sa bouille albe et coralline trahissait une moue sèche.

Malgré sa délicatesse d'acier, la patience dont Charles faisait preuve, tout comme son masque courtois, se fissurait au fur et à mesure qu'il les épiait débattre à son sujet. Sans lui ! Le noble aussi commençait à en avoir plus qu'assez, en plus de s'interroger sur le sens du mot « vent-pire ».

Il articula distinctement dans le but que le duo à lunettes le comprenne de loin :

— Laissez-moi rentrer.

Il ne hurla pas pour se faire entendre à l'autre bout de la pièce, et s'énerva encore moins. Néanmoins, sa requête ne manquait pas d'autorité, et Faustin nota l'absence du « s'il vous plaît » que le revenant blond rabâchait à toutes les sauces depuis leur seconde entrevue catastrophique, dans la chambre d'hôtel.

À toute vitesse, ce dernier pesa le pour et le contre. Il pourrait ne pas lui ouvrir afin de s'assurer un tant soit peu de sûreté... s'il omettait le fait que le blondin était apte à briser cette soi-disant protection en une pichenette bien dosée.

En outre, si Faustin ne cédait pas à sa demande, il mettrait en péril Raylenne et prouverait sa lâcheté à la goule. Dans le fond, s'il lui confirmait qu'il n'était d'aucune utilité, pourquoi elle ne se débarrasserait pas tout de suite de lui ?

— OK, consentit le myope en se levant du canapé.

— Non ! s'insurgea Raylenne. (Elle retint son meilleur ami par le bras et baissa la tête. Ses phalanges froissèrent le tissu du pull qu'il portait – et par la même occasion, le triceps tapi en-dessous.) Je veux pas qu'il rentre !

— Ça me fait mal de dire ça, mais on a besoin d'en parler avec lui. On tourne en rond depuis une heure et on ne sait toujours pas quoi faire.

— En même temps, qui sait quoi faire d'un vampire ! Faustin, réfléchis : si tu le laisses entrer, on sera à sa merci ! chuchota-t-elle dans un raclement de gorge, obstruée par le stress. C'est ça que tu veux ? Qu'on soit aussi vulnérables que des moucherons ?

— Et si je ne le fais pas, riposta-t-il également à voix basse, on le sera quand même. Ce mec a une force phénoménale dans ses muscles super riquiqui ! Tu crois que ça m'amuse ? Je ne prends pas ça à la légère.

Faustin discerna le tremblement qui parcourait le corps de Raylenne. Elle ne releva pas sa figure vers lui, pourtant il devinait facilement ses traits crispés et ses sourcils perpétuellement froncés. Elle s'accrocha avec plus de ferveur à son haut.

— S'il te plaît...

Voilà autre chose : Raylenne Kinoshita qui prononçait le mot magique. Cela n'arrivait pas souvent, voire quasiment jamais. D'une poigne compatissante, Faustin retira l'emprise désespérée de la brune sur son pauvre pull et s'inclina tout en murmurant :

— Kiki... S'il avait voulu nous attaquer, il l'aurait fait depuis longtemps. Ça va bien se passer, je te le promets.

Naturellement qu'ils se doutaient que ce serment ne valait pas mieux que la légende du Père Noël – à moins qu'il existait véritablement, lui aussi. Toutefois, Raylenne daigna se fier au jugement du grand gaillard. Elle le regarda s'éloigner, une image d'abattoir à l'esprit, pendant que Faustin s'approchait du balcon à pas feutrés, cependant d'une allure de conquérant.

Mais une fois en face de Charles, qui ne bougeait pas d'un pouce, cette même allure s'essouffla comme un ballon de baudruche crevé. Faustin ravala sa salive d'une traite et débloqua le verrou de la baie vitrée. Le clic ! sonna dans toute la pièce, et le glissement de l'immense porte-fenêtre leur parut durer une éternité.

— Merci bien, s'en cantonna Charles alors qu'il s'engageait déjà dans le logement.

Le vampire se hâta de prendre place à l'opposé du canapé, dans une bergère grise dite vintage, séparés par une sommaire table basse. D'un coup, Raylenne se renfonça au fond du sofa, un rictus incommodé scotché aux lèvres. Au moment où le vidéaste la rejoignit et se posa derechef auprès d'elle, Charles croisa les jambes et les reluqua gravement.

En réalité, il angoissait comme eux. Son organisme le ressentait tout autant, flageolant sans cesse. Sa posture contre la vitre et dans la chaise rembourrée, sa démarche pressée, son aigreur inhabituelle, chacun de ces subterfuges s'efforçaient à amenuiser, voire absorber ses secousses d'anxiété sociale.

Mais aveuglé par la colère d'avoir été mis à l'écart, les mains juxtaposées l'une sur l'autre au-dessus des cuisses, et non sans trembloter, Charles entreprit sévèrement :

— Eh bien, soit. Parlons de mon cas.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top