11
Lorsque le lendemain matin pointa le bout de son rayon, Faustin se réveilla comme à son habitude : en grognant et les cheveux en bataille. L'alarme stridente de son téléphone agressa ses oreilles et ses nerfs. Il tourna la tête à gauche, puis à droite, mais revint rapidement à sa gauche.
Son regard endormi s'attarda longuement sur les épais rideaux, qui dissimulaient la gigantesque vitre et les volets fermées. Et derrière toutes ces couches, un être surnaturel – en revanche, à l'apparence fragile – devait avoir mal dormi la nuit dernière... Certainement. Enfin, théoriquement ?
Est-ce que ça dort, au moins, un vampire ? se questionna-t-il, les index massant ses paupières closes. À vrai dire, Faustin l'ignorait complètement. Et comment le saurait-il, de toute façon, puisque a priori ce n'était rien d'autre qu'un mythe ? Qu'une vaste légende urbaine qui faisait fondre le cœur bleu d'adolescentes en manque de sensations fortes. Toutes en quête du mauvais garçon sombre, ténébreux, torturé et mystérieux, elles s'accaparaient ces folklores et rêvaient du jour où ses crocs se planteraient dans leur cou fébrile, devenant ainsi sa promise pour l'éternité.
Que des conneries. Qu'elles viennent prendre sa place, il en serait plus que ravi !
Et si ce n'était pas un vampire, mais autre chose d'encore plus dangereux ?
Faustin songea un instant à se recoucher dans l'espoir que le suceur de sang en ait marre de l'attendre. Partirait-il de son propre chef s'il ne se montrait jamais ? Néanmoins, l'image floue de ces iris flamboyants, indifférents lui fit comme un flash de conscience. Il revit cette même peur foudroyante qui, ce matin-là, l'avait tétanisé sur place. Ou plutôt qui l'avait plaqué au sol de sa poigne glaciale, cramponnée à sa gorge comme à une bouée de sauvetage.
Inconsciemment, Faustin attrapa son cou ; la douleur de son bleu lui éclata en pleine poire. Il respira plus fort, ses mains commencèrent à trembler. Il les plaça sous ses aisselles et rentra le plus possible les bras dans son ventre, ratatiné sur lui-même et le souffle toujours saccadé. Se couper en deux, afin de sortir de cet enfer, lui paraissait être la meilleure solution.
Il tenta de calmer sa respiration comme le lui avait enseigné, à la fin de ses années collège, sa mère. Paume sur la poitrine, Faustin inspira vigoureusement par le nez. Il se bloqua une dizaine de secondes, puis expira doucement. Au bout de la cinquième fois, il se sentit mieux.
Le vidéaste essuya son front suintant du revers de la main – dorénavant collant à souhait. Il jeta la couette à sa droite et s'extirpa du lit, s'emparant de ses lunettes en plein vol. Dans un charivari impressionnant, ses pieds frappant le sol de tout leur poids, Faustin tira les longs morceaux de tissu avec fracas. Tout en enfilant son bas de jogging, il appuya sur l'interrupteur des volets – tellement fort qu'il crut que la première phalange de son index se casserait sous la pression.
Prêt à en découdre, il actionna coléreusement la poignée de l'ouverture pendant que les roulants d'aluminium se rembobinaient, laissant entrer la lumière aveuglante du matin. Malgré la lenteur du mécanisme, Faustin fut quand même pris de court par l'éclat incandescent. Il protégea sa vue, croisant les bras en un X tout raplapla, la tête penchée sur le côté, et il patienta que le tintamarre incessant – signe que le dispositif était actionné – s'éteigne pour de bon.
Charles se tenait sur le balcon. Sa posture en garde-à-vous était timide, presque explosive. À croire qu'il s'était préparé toute sa vie à ce moment. La lueur solaire se reflétait sur sa chevelure de beurre, formant un étrange halo huileux.
— B-Bonjour, Monsieur, balbutia-t-il. Quelle belle matinée nous avons là, ne trouvez-vous pas ?
Faustin ne répondit pas, se contentant de hocher la tête de manière grotesque et murmurant un « Mmh. » engourdi. La porte entrouverte, l'air hivernal s'introduisit à l'intérieur et le fit grelotter de surprise.
— Bordel... ! râla-t-il, se frictionnant les avant-bras.
Sans l'inviter à entrer, le rouquin fuit dans la salle d'eau, une boule de vêtements propres sous le bras. Au bout de quelques minutes, Charles entendit le jet d'eau chaude atterrir dans le bac à douche. Il discerna également les râles de Faustin, bougon, ensevelis sous le bruit de frottements continus.
Bien qu'il ne comprenait pas ce que Faustin trafiquait, le dandy attendit dehors, songeur. Relaxant d'abord sa silhouette tendue, il se balança d'un pied sur l'autre et observa les maisons encore assoupies. D'ici peu, il retrouverait la capitale. Il n'arrivait pas à se faire à cette idée. Il espérait cela depuis si longtemps...
Le battant s'ouvrit tout à coup. Une brosse à dents dans la bouche, le garçon de feu se précipita sur sa valise et l'ouvrit en grand. Il y fourra tout son fouillis, qui recouvrait le sol de la chambre, et força sur la fermeture éclair pour qu'elle se referme sans encombre. Ses cheveux trempés gouttaient sur le sol, glissaient le long de son nez et de sa nuque alors qu'il se débattait avec le bagage. Charles l'étudia, lui et sa technique de rangement chaotique.
Il finit par passer à ses baskets et se démena pour remettre les lacets à leur place, utilisés la veille comme menottes improvisées. Puis, lui tournant le dos, Faustin attrapa un pull devant lui – qu'il avait certainement oublié d'embarquer avec le reste – et le bazarda en arrière.
— Mets ça, vacilla sa voix sous le brossage de sa dentition. On part dans dix minutes.
Charles n'eut pas le temps de le remercier convenablement, car le Parisien retourna à la hâte dans la salle de bains. Le vampire s'accroupit et effleura le vêtement à ses pieds. Il saisit la texture du bout des doigts comme si elle était imprégnée de la peste. Avec une grande précaution, il l'enfila.
— Quel habit... ample, constata-t-il en détaillant la dimension du pull, bien trop grand pour lui.
Après l'avoir enfilé, il ressembla à un petit enfant qui portait un costume de la garde-robe de son père.
Faustin réapparut, les dents propres et les bras encombrés d'objets de toilette. Il s'empressa de les « ranger » dans un sac à part, qu'il tendit par la suite à Charles. Voyant que ce dernier ne savait pas quoi en faire, il somma :
— Tiens.
De nouveau, le blondin ne put rétorquer quoi que ce soit et, penaud, accepta de porter le modeste paquet. Faustin s'affubla en quatrième vitesse de son manteau, son bonnet bleu et ses gants. Il agrippa ensuite son téléphone éteint et le glissa dans l'une de ses poches. Le rouquin empoigna sa valise, son sac de randonnée lourd sur le dos, et déverrouilla la serrure de la porte.
Le jeune homme ne fut jamais aussi content de rentrer à Paris.
— On va pas y passer la journée ! s'impatienta Faustin. Monte !
— M-Mais Monsieur...
— Il n'y a pas de « mais » qui tienne ! Le seul truc que je veux, c'est que tu montes. Et tout de suite ! s'obstina-t-il, pointant coléreusement les sièges arrière.
Malheureusement, Charles n'osa pas s'approcher du véhicule. C'était une chose d'admirer ces engins de ferraille au loin, cependant monter dedans en était une autre. Leur complexité était telle que cela l'effrayait de ne rien déchiffrer. Dès le moment où Faustin avait ouvert le coffre pour y placer ses affaires, l'ermite s'était senti complètement largué.
Le myope se prit la tête entre les mains. Son front s'abattit sur le klaxon qui émit une brève plainte, avant de redevenir muet. Il manquait plus que ça, tiens ! réfléchit-il, agacé. Il a peur d'une bagnole !
Quand il termina de broyer du noir, la racine des cheveux écrasée contre le cuir de la roue, Faustin aperçut un couple de grands-parents sur le trottoir d'en face. Le duo grisé scrutait la scène et affichait une expression ridée tantôt inquiète envers Charles, tantôt hostile envers l'automobiliste roux. Visiblement, ils interprétaient mal la scène sous leurs paupières sillonnées.
Faustin ravala sa salive et, ne désirant pas être en butte à des coups de canne bien placés, reprit d'un ton qui se voulait rassurant :
— Écoute. Ça va bientôt faire une demi-heure que tu me fais poireauter. Et moi, ça me saoule. Donc, soit tu viens, soit tu restes. Mais décide-toi, pour l'amour de Dieu !
Afin d'accentuer son ultimatum, il démarra le moteur et alluma le GPS, puis régla sa destination : Paris. Comme si de rien n'était, il ferma sa portière et enclencha la marche arrière. Charles fit les yeux ronds : en plus de monter d'un cran son tiraillement, il sut que son « sauveur » comptait déjà l'abandonner s'il ne réagissait pas très vite.
— Alors, tu montes ou pas ? l'interpella Faustin, la vitre baissée et l'air impassible.
— O-Oui, je me hâte ! couina le blondinet.
— Magnifique.
La chauve-souris humaine s'avança confuse vers la machine, mais prête à l'affronter désormais. Or, elle se stoppa à quelques pas de son ouverture. Faustin le remarqua dans son rétroviseur et leva les yeux au ciel. Il posa son coude sur le siège et se retourna.
— Quoi encore ? soupira-t-il. C'est pas que je m'ennuie – en fait, si –, mais on a quatre heures de route au moins.
Pris sur le fait, l'ancien reclus se tortilla de gêne.
— Je suis extrêmement embarrassé de vous demander cela, mais...
— Hm ?
— Pourriez-vous m'aider à l'ouvrir, s'il vous plaît ? Je ne sais pas comment procéder, confessa Charles. Je vous en saurais gré.
Suite à un énième grognement, Faustin débuta ses explications en désignant la poignée de l'automobile :
— Tu vois le truc tout allongé, là ? Tu le prends et tires vers toi. Simple comme bonjour, conclut-il en agitant un coucou, un sourire narquois et épuisé en coin.
Le noble, après un coup d'œil circonspect vers l'adulte aux taches de rousseur, se résolut à mettre en pratique ses éclaircissements. Tandis que sa main menue abordait précautionneusement le rectangle, le Parisien se remémora la force hors du commun qui coulait dans ses veines.
— Doucement, surtout ! s'écria-t-il, les doigts se cramponnant avec frayeur à ses joues. Manquerait plus que tu m'arraches la portière !
Mais Charles, appliqué, ne l'écoutait plus. Sa paume atterrit sur la poignée et l'attira vers lui. Un clac fut suivi par l'ouverture de la porte – et par le gémissement soulagée du propriétaire.
— J'ai réussi ! s'extasia Charles, les prunelles pétillant d'étoiles.
— Génial. Tu mériterais un prix Nobel.
— Un prix « Naubelle » ?
— Bon, maintenant on y va ! annonça Faustin qui remettait déjà le moteur en marche.
Durant les quatre heures de trajet, Charles – assis en diagonale par rapport au rouquin – décortiqua avec intérêt le paysage qui défilait au fil de leur avancée. Cet horizon nouveau qui se dessinait sous son petit nez rosi, au gré des routes sinueuses au bord des falaises plongées dans la végétation montagnarde, le fascinait.
Et bientôt, Faustin quitta ces sentiers presque sauvages pour emprunter la A77. Au milieu de ce rassemblement de voitures, transportées par les grondements de leurs turbines, Charles se cacha. Tel un mouflet découvrant le monde pour la toute première fois, il ne laissa pas dépasser plus bas que ses pommettes. Le nez écrasé contre la paroi granulaire, il zieuta les divers chauffeurs, le bitume, les installations routières, tout. Il fit même quelques batailles de regards avec de jeunes marmots, qui cherchaient à deviner ce que fabriquait le « drôle de monsieur ».
Lorsqu'un camion-citerne jaillit soudainement, Charles eut tellement peur qu'il fixa ses vieilles bottes pendant le reste du voyage. Faustin n'y fit pas attention, trop concentré sur la route.
Ils ne s'arrêtèrent qu'une fois. Seul le YouTubeur descendit afin de profiter des toilettes et du café de l'aire de repos. Quant au vampire, il ne se dégourdit pas les jambes pour faire fuir les fourmis qui le démangeaient. À la place, il réfléchit sur ce qu'il venait de voir. Dès que Faustin retrouva sa place de conducteur, il grogna sur le fait que la boisson chaude était immonde.
— Autant boire du jus de chaussettes ! affirma-t-il dans son coin.
Le garçon à la peau laiteuse ne fit aucun commentaire. Puis, ils reprirent la route.
Charles ferma les yeux. Certes, il ne ressentait pas le besoin de dormir, mais il voulait se laisser bercer par le bruit des pneus bourdonnant sur le goudron. Jusqu'à leur arrivée, sa tête posée contre le dossier du siège, il écouta la mélodie étonnement musicale et moelleuse.
Enfin, le véhicule arriva à la capitale. Très vite, le grésillement caoutchouteux laissa place à des coups de klaxon en colère, des cris, des insultes, des rires, des chansons diffusées à la radio, à toute une cacophonie sans pareille. L'aristocrate agrippa ses oreilles angulaires et contracta sa poitrine. On aurait dit des milliers de couteaux dans ses tympans ! Ce n'était pas aussi bruyant au village ! jérémiada-t-il, se recroquevillant de plus en plus sur lui-même, le souffle coupé. Néanmoins, il n'osa pas contempler l'extérieur : il refusait pour le moment d'apercevoir ce qu'était devenu sa ville lors de son absence.
Habitué à ce tintamarre quotidien, Faustin y fit abstraction et effectua des manœuvres qu'il maîtrisait sur le bout des doigts désormais. En une trentaine de minutes, l'automobile fut garée dans une rue et le Parisien en sortit. Il ouvrit le coffre et emporta les bagages, tandis que Charles se décarcassait à se débarrasser de la ceinture de sécurité. Il n'appréciait pas du tout cette espèce de harnais : cela le serrait bien trop fort, c'était de loin inconfortable !
— Un peu d'aide ? l'interpella Faustin, indifférent, qui venait d'ouvrir la portière.
Charles bafouilla une réponse pitoyable. Le rouquin, considérant cela comme un oui, se pencha et pressa le bouton de l'attache. Les joues du dandy prirent un éclat cramoisi et il ravala sa salive. Libéré de cette torture, il s'extirpa de ce démon mécanique promptement et se promit de ne plus jamais remonter dedans.
Tous deux, chargés des affaires, s'éloignèrent et entrèrent dans un grand bâtiment en béton. Ils traversèrent le hall et se positionnèrent devant un ascenseur. Alors que le locataire appuyait sur l'interrupteur, Charles examina les alentours. Tout a drôlement changé. Je n'aime pas cela. Les portes en métal s'ouvrirent un peu plus tard. Faustin s'engouffra dans la cabine, à l'inverse de son « invité ».
— Grouille avant qu'il se referme, le prévint-il en poussant le bouton du cinquième étage.
— O-Oui. (Il se plaça à côté de lui, mal à l'aise. L'ascenseur commença à monter.) Oh, mon Dieu !
La secousse subite le surprit et il se plaqua au mur derrière lui. Faustin haussa les sourcils :
— T'aurais dû me le dire que t'aimais pas les ascenseurs. On aurait pris les escaliers.
— Un « as-en-sueur » ? répéta Charles, dubitatif.
— En tout cas, enchaîna-t-il, on arrive bientôt.
Le monte-charge atteignit le cinquième palier. Dès qu'il le put, le vidéaste tourna à gauche et le noble fit de même. Le premier s'immobilisa devant le numéro 506.
— C'est ici, énonça Faustin en sortant ses clefs de la poche. Par contre, tu dormiras sur le canapé. Il n'est plus tout jeune, mais tu verras qu'il est très douillet. Et-
— Monsieur, l'interrompit le blondin, j'ai une question.
— Quoi ? maugréa-t-il, non content de s'être fait couper la parole.
Le cliquetis de la serrure résonna et l'occupant ouvrit la porte de son appartement.
— En... quelle année sommes- ?
— YOU PIECE OF SHIT !
Faustin reçut en pleine poire un chausson.
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