Chapitre 6
Il y a douzeans, quand Kanon avait appris la capture de son ami, il n'avait pasbronché. Il avait été inquiet parce que Camus restait son ami maisrien de plus. L'homme méritait son sort après tout. Quelle idée dese lier à un humain ! Oui, on ne choisissait pas mais il auraitdû faire attention. Savoir ça lui faisait indéniablement penser àEaque, son père, mort à cause de ces êtres qui foulaient la terre.
Ces êtres barbares qui avaient inventédes machines pour la pêche où Kanon s'était retrouvé un jourcoincé. Son père était venu à son secours au moment où le filetétait tout proche du bateau. Eaque avait reçu un coup d'hélice surle flanc droit, le blessant gravement. Kanon s'en souvenait comme sic'était hier. Ils avaient nagé jusqu'en Atlantide et il avaitpleuré sur tout le trajet. Comment Camus avait-il pu se prendred'affection pour un de ces hommes ? Il l'avait vécu comme unetrahison.
Le jour de l'annonce du retour de sonami accompagné de Saga lui avait glacé le sang. Il ne savait pascomment, mais son aîné avait appris pour la liaison de Camus et ilavait ordonné sa capture. Kanon savait que son frère apprendraitqu'il l'avait aidé à monter à la surface plusieurs fois. Il ne futdonc pas surpris de voir Saga débarquer chez lui, le regard sévère.
« Dire que tu es responsable deça, dit-il avec rage. Dois-je te rappeler que c'est à cause deshumains que notre père et mort ?
- Non je le sais, merci bien, crachaKanon. Je savais pas qu'il s'était lié à un putain d'humain, c'estclair ? Je croyais qu'il voulait juste explorer, pas plus.
- C'était déjà idiot de ta part del'aider pour ça.
- Désolé d'avoir des amiscontrairement à toi, siffla le plus jeune.
- Je préfère ne pas en avoir qu'êtreami avec un traître. »
Kanon et son jumeau n'avaient jamais eude très bonne relation. L'ambiance était souvent tendue, encoreplus depuis la mort d'Eaque. Saga était devenu plus froid, plusdistant... Kanon le regarda sortir de son salon, se demandant si sonaîné pourrait un jour éprouver autre chose.
Kanon, dès son plus jeune âge, étaitresté avec Rhadamanthe, leur voisin. Ils avaient passé beaucoup detemps ensemble, à jouer et à chanter. C'était surtout le jumeauqui chantait, ayant hérité de la voix d'Eaque, une très belle voixselon ses dires. Ils avaient très vite accroché, si bien que lejour des onze ans du chanteur, date à laquelle la majorité desparents fiançait leurs enfants, Kanon et Rhadamanthe avaient demandéà l'être. Leurs parents respectifs n'y avaient vu aucuneobjection. Ils étaient de très bons amis. Saga, à l'inverse,avait pourtant tout fait pour qu'il en soit autrement, ce qui avaitencore plus éloigné les deux frères.
Cette tension entre eux n'avait faitqu'augmenter au fil des années. Six mois plus tôt, Kanon avaitenfin pu épouser Rhadamanthe et avait quitté la maison familiale.Une délivrance, surtout que son frère semblait à tout prix vouloirle fiancer à une personne plus haut placée dans la hiérarchie del'Atlantide. Kanon n'avait jamais apprécié que Saga tente de régirsa vie comme il le voulait. Ils avaient eu beaucoup de disputes l'unavec l'autre, mais ils n'avaient jamais pris le temps de s'écouter.
De toute manière, Kanon était mariéavec son ami d'enfance. Ils n'étaient certes pas liés maiséprouvaient chacun une profonde affection pour l'autre.
Durant le mois d'enfermement de Camus,Kanon s'était parfois demandé comment son ami allait, ce qu'ilpouvait ressentir là-bas, loin de son lié. Il n'était jamais allélui rendre visite malgré les suppliques d'Aiolia. Il avait préférérester loin du palais. Tout le monde savait qu'il y était et mêmela famille de Camus ne souhaitait pas le voir. Une sirène liée àun humain, c'était une honte. Kanon ne se l'avouait jamais, maisil avait eu un peu de peine pour lui.
Le mois passa et Aiolia avait vitearrêté de venir lui demander de l'accompagner. Poséidon avaitalors proclamé que son mariage avec Camus aurait bien lieu. Peuimporte que ce dernier soit lié à un humain, ça n'avait aucuneimportance. Il avait toujours prévu que ce serait lui, l'atlante àla voix enchanteresse, qu'il épouserait.
Pour le peuple, leur roi faisait preuvede bienveillance et de tolérance en épousant quelqu'un de lié àun humain. Ils acclamaient Poséidon pour sa générosité à ne paslaisser l'un des leurs tomber dans l'infamie totale. Ce jour-là,Kanon fut pris de remords. Son ami pourrait dire adieu à son liépour toujours. Il ne savait pas ce que ça pouvait faire, mais ill'imaginait très bien. Quitter Rhadamanthe, bien que ce soit qu'unmariage de convenance, l'aurait anéanti.
Pourtant Kanon n'eut pas le choix.
Un mois après la fuite de Camus, desgardes accompagnés de Saga s'étaient présentés chez lui. Poséidonsouhaitait vivement s'entretenir avec lui. Il les avait suivis sansfaire d'histoire, bien que très inquiet. Depuis l'annonce de ladisparition d'Aiolia, et le fait que ce dernier avait finalement étéaccusé de la fuite de Camus à la place de son frère, Kanon avaiteu peur d'être lui-même pointé du doigt.
Avant qu'il ne rentre dans la salle dutrône, les gardes étaient partis et Saga s'était vivement retournévers lui. Il avait lissé ses habits et remit ses cheveux en place.Le plus jeune avait tenté de se dégager de sa prise. Son aînéavait froncé les sourcils en marmonnant que ça ferait l'affaire.
« Ne me fais pas honte.Prouve-moi que tu n'es pas aussi bête qu'Aiolos ou son frère. »
Avant qu'il ne puisse répliquer, sonfrère avait déjà ouvert les portes, lui ordonnant de le suivre.Kanon avait rarement eu l'occasion de venir dans cette salle. Seulsles gardes haut placés y rentraient quasiment tous les jours. Ilcroisa les yeux de son mari qui était contre le mur de droite et quine semblait pas non plus comprendre ce qu'il se passait. Tous lesgradés étaient réunis ici. Il vit même Shura, le regard videqu'il arborait en permanence depuis la disparition d'Aiolia.
« Kanon Didymoi je présume ?demanda Poséidon.
- En fait c'est Kanon Wyvern, votremajesté. »
L'homme sur le trône lui accorda unregard colérique et Kanon vit son frère contracter sa mâchoire. Ildevait avouer ne pas comprendre le problème d'indiquer son nom demariage.
« Kanon Didymoi, tu n'es pas sansignorer que celui qui devait être mon époux a osé m'humilier pourchercher la compagnie d'un humain ? »
Il avait craché le dernier mot qui luicoûtait beaucoup apparemment. Kanon ne prit pas la peine de luirépondre car tout le monde à Atlantide était au courant. Aiolos etAiolia en avaient payé le prix. Était-ce son tour maintenant ?Allait-il était accusé ? Il ne devait pas sauter trop vite auxconclusions. Il lança un regard furtif à Rhadamanthe qui semblaittous aussi perdu et inquiet que lui.
« Tu étais son ami, ainsi quecelui des deux autres vermines ?
- Mon seigneur, mon frère est loind'être comme ces traîtres. C'est un bon citoyen, intervint Saga.Je suis sûr que malgré tout, il n'est pas comme eux, n'est-cepas ? »
Kanon avait la gorge sèche. Quepouvait-il répondre à ça ? Il n'était effectivement pascomme ses amis et il n'avait pas aidé Camus à s'enfuir, maisétait-ce une raison de cracher sur eux ? D'après Poséidon,c'était légitime. Kanon ne tenta même pas un regard vers Shura,mais il le devinait tiraillé entre défendre l'honneur de son liéou rester fidèle au roi. Sa réponse mit trop de temps à venir carSaga lui tapa l'épaule.
« Oui... Non, votre Majesté,jamais je ne vous trahirai.
- Très bien, fit Poséidon. Il paraîtque ta voix est presque aussi mélodieuse que l'était celle de monfiancé ?
- Oui votre Majesté. Mon frère a sansnul doute la voix la plus enchanteresse du Royaume, fit Saga.
-Bien, Kanon Didymoi, tu dois savoirque cela fait un mois que Camus est parti et que nous ne l'avonstoujours pas retrouvé ?
-Oui, votre Majesté.
-Un Roi sans personne avec quigouverner ne s'est jamais vu depuis les temps immémoriaux. Il mefaut quelqu'un pour prendre cette place. »
Kanon sentait qu'il y avait quelquechose qui lui échappait. Son frère vantait ses mérites et lemettait sur un piédestal devant le roi. Le plus jeune n'aimait enaucun cas ce qui était sous-entendu dans la phrase de son souverain.Son cœur commença à battre la chamade, ses mains devenaientmoites. Il n'aimait pas ça du tout. Il regarda son frère qui nesouriait pas, la tête baissée en direction du sol, comme pour faireune courbette à Poséidon.
« Kanon Didymoi tu as donc étéchoisi pour être mon nouveau mari.
- Pardon ? dit-il d'une voixétranglée.
- Ne m'as-tu pas entendu ? grondala voix du roi.
- Bien sûr qu'il vous a entendu, votreMajesté, et je suis sûr que mon frère en est plus qu'honoré. Lajoie le rend muet. »
Kanon sentit comme une chape de plombslui arriver dans l'estomac. Il tourna un regard vers son frère quisemblait remercier Poséidon pour l'honneur qu'il faisait à leurfamille de vouloir épouser son cadet. Une rage sourde monta à lagorge de l'atlante. Il voulait se jeter à la gorge de son frère. Iln'y croyait pas, son aîné venait de le vendre au roi !
« Votre Majesté, avec tout lerespect que j'ai pour vous, je vous prie d'excuser mon insolence, fitRhadamanthe. Mais Kanon Didymoi Wyvern est actuellement mon mari. »
Kanon ferma les yeux, sentant sa colèrediminuer. Il était vraiment heureux d'avoir épousé cet atlande.Jamais il ne pourrait lui montrer toute sa gratitude. Il lui faudraitune centaine d'années pour ça.
« Votre mariage n'a jamais eulieu, fit Saga.
- Si, c'était il y a un an cherbeau-frère. Je me doute que vous l'ayez oublié car vous n'y étiezpas invité. »
On pouvait sentir une nette tensionentre les deux hommes. Kanon avait envie de sourire perfidement àson frère. Il savait que Saga était au courant du mariage, maisqu'il ne l'acceptait pas, comme il n'acceptait pas Rhadamanthe. Aumoment de se tourner vers son aîné, Kanon déchanta. Saga s'étaitmis entre lui et son mari. Il avait un air indéchiffrable sur sonvisage.
« S'il faut que vous soyez veufpour pouvoir m'épouser, je n'y vois pas d'inconvénient, fitPoséidon.
- Non, hurla Kanon, je vous...
- Ne vous alarmez pas, mon seigneur, lecoupa Saga, j'ai vérifié moi-même les registres. Leur mariage n'ajamais été validé. Mon frère, Kanon Didymoi, ici présent, estlibre pour vous."
Saga avait fait disparaître lespapiers attestant de son mariage avec Rhadamanthe ? À quelpoint son frère était cruel pour oser faire ça ? Commentavait-il pu ? Kanon se leva et défia son jumeau du regard,dardant sur lui des yeux venimeux. Il allait l'insulter de tous lesnoms mais la voix de leur majesté les rappela à l'ordre.
« Kanon Didymoi est à partird'aujourd'hui mon fiancé, fit-il autoritairement.
- Votre Majesté, Kanon et moi sommesmariés depuis un an...
- Essayez-vous d'asseoir mon autorité ?Garde.
- Non, mais un mariage ne peut être....
- Saga Didymoi, arrêtez-moi cettevermine et mettez-le au fer, ordonna le roi. S'il le faut, coupez-luiun membre ou deux. Que cela lui apprenne à me tenir tête. »
Kanon était en plein cauchemar. Sagaet d'autres gardes plaquèrent Rhadamanthe au sol pour le traînerensuite aux cachots. Tout se passa au ralenti. Il se sentit lui-mêmeemmené sous l'ordre de Poséidon en direction de ce qui deviendra saprison dorée. Il tenta alors de se débattre pour rejoindre sonmari. Il insulta son aîné qui baissa les yeux sous son regard. Ilavait beau tout faire pour se dégager, il fut enfermé à doubletour. Il passa sa journée à taper à la porte en espérant quequelqu'un lui ouvre.
Le soir même, Poséidon passa dans sachambre, lui apprenant que le mariage se ferait rapidement pouréviter qu'il ait l'idée saugrenue de vouloir lui aussi rejoindre lemonde des humains. Il rajouta que s'il lui venait, ne serait-ce qu'unseul instant, à penser qu'il pourrait faire ce qu'il voulait, latête de son ex-mari y passait.
La cérémonie avait été un calvairepour lui. Personne n'était venue l'aider à s'échapper. Quand ilavait tourné le dos à Camus, certains de ses amis avaient faitpareil avec lui. Seul Aiolia avait continué à lui parler, mais ilétait mort maintenant. Il était seul dorénavant. Rhadamanthe étaitenfermé, et il avait en quelque sorte sa vie entre ses mains. Sonroi avait été clair. Un seul faux pas et il était sûr de nejamais revoir le blond.
Poséidon avait mis de nouvelles loisdrastiques. L'époux du roi ne devait être vu par personne saufles servantes et quelques conseillés du monarque. Mais personne nedevait lui adresser la parole sans autorisation. Il se retrouva doncisolé de tous. Toutes les sorties de l'Atlantide étaientcontrôlées et surveillées. Un couvre-feu avait été mis en place.Une enquête fut menée sur chaque citoyen ne faisant pas partie dela garde royale. La famille et les amis de Camus avaient déjà étésur la liste.
Bien sûr les interrogatoires, dèsqu'il y avait une suspicion de trahison dans un cercle, étaientquelque peu musclés. Certains aveux étaient obtenus sous lacontrainte. Et au moindre soupçon, les atlantes finissaient aucachot, ou même carrément exécutés en place publique.
Durant la première année, ce fut uncalvaire pour Kanon. Il se sentait seul et commença à nourrir unerancœur envers Camus qui lui vivait librement. Il avait aussi tentéplusieurs fois de voir Rhadamanthe et de le faire libérer... sanssuccès. La seule chose qui pouvait le consoler était que Poséidonne l'avait pas encore une seule fois touché.
Si dans les couples Atlantes, lapersonne qui devrait porter l'enfant n'était pas prédéfini, dansle couple royal si. Jamais le roi ne pouvait porter. Il n'avait pasle temps. Kanon savait que ce serait à lui d'être enceint. Ilredoutait un peu ce moment. Ce fut la deuxième année de leurmariage que Poséidon mit le sujet d'un héritier sur la table. Ilavait tant redouté ce moment, mais il avait accepté car c'étaitson devoir. Ça n'arriva qu'une fois et ce fut plus que suffisant.
Neuf mois plus tard naissait Julian.Une fois le prince venu au monde, Kanon fut exclu de la vie de sonenfant. On le lui arracha presque des bras sous ses protestations,mais d'après Poséidon il ne fallait pas que l'enfant grandisse sousune mauvaise influence.
Kanon fut alors exilé sur terre à sonplus grand désarroi. Il s'était retrouvé dans une maison, dans unpays appelé la Grèce. Il avait dû s'adapter au soleil, au mondedes hommes. Il ne comprenait pas pourquoi il se retrouvait là, maisil eut tôt fait de le découvrir. Son roi était toujours à larecherche de Camus. S'établir sur terre, se mélanger aux humainslui permettrait de le retrouver plus rapidement. Il était sûr quele jour où Camus serait retrouvé, ce dernier serait enfermé aupalais pour ne plus en sortir, loin de son lié, et lui resterait là,loin de Rhadamanthe. Le roi ne semblait pas vouloir partager ce quilui appartenait.
Kanon rêvait de rejoindre Rhadamanthe,mais il savait qu'au moindre faux pas, ce dernier risquait la mort.Il aurait pu croire à sa mort depuis longtemps, mais une servante,du nom de June, l'avait tenu au courant de ce qu'il se passait dansles geôles.
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