Chapitre 9

- Encore merci de m'emmener Jo.

- C'est normal Tia, c'est normal.

Tiana serrait son sac contre sa poitrine, confortablement assise dans l'Audi de la mère de Jo. On ne pouvait pas dire que Tia avait été très concentrée en cours. Depuis qu'elle s'était levée, elle ne parvenait à penser qu'à deux choses : son téléphone qu'il fallait qu'elle remplace de toute urgence, et sa mère. Elle espérait que l'hôpital n'avait pas tenté de la joindre pendant la journée, sinon sa mère devait être au bord de la crise de nerf. Et Tia avait déjà pitié du pauvre médecin qui l'empêcherait de sortir de sa chambre.

- Ta journée s'est bien passée ? avait demandé la jeune femme aux cheveux bouclés pour essayer de se changer les idées.

- Ça va, avait dit Jo en haussant les épaules. On peut pas dire que je sois débordée de travail non plus. Heureusement que j'ai mon petit job au café à côté, sinon je me demande ce que je ferais de mes journées !

- C'est ton coté hyper actif ça, avait souri son amie.

- Oui, ou le fait que la réputation des facs de lettres n'est pas complètement fausse ! Franchement, si je n'avais pas besoin de cette foutue licence, je t'assure que ça ferait un moment que j'aurais déjà claqué la porte et trouvé du boulot par moi-même.

Jo était quadrilingue. Elle parlait couramment anglais, allemand, espagnol et italien, et était en train d'étendre son champ au néerlandais et au suédois. C'était inné chez elle – quelque chose que Tiana et son pauvre B1 en anglais lui enviaient un peu. Plus tard, Jo se voyait bien traductrice dans une maison d'édition. Ou bien carrément dans une institution type parlement européen. Si quelqu'un doutait qu'elle puisse y arriver, grand bien lui fasse : elle, elle en était persuadée depuis sa sixième. Et bonne chance à qui voudrait la faire changer d'avis.

- Et toi ? avait-elle demandé tandis qu'elle s'engageait sur l'autoroute. Pas de nouvel évènement surnaturel à ajouter à la liste ?

- Non pas vraiment. A moins que tu ne comptes la capacité de mon prof de macroéconomie à débiter environ cent mots la minute.

- C'est pas exactement ce à quoi je pensais ! avait ri Jo.

Au même moment, une voiture déboita violemment devant elle, lui faisant une magnifique queue de poisson. Tiana avait crié un « attention ! » parfaitement inutile, par réflexe. Jo avait appuyé sur le frein et le klaxon en même temps, tandis que de la voiture de devant, par la fenêtre ouverte, sortait un magnifique doigt d'honneur.

- Non mais j'y crois pas... Quel connard ! avait déclamé Jo. Ça c'est le A tu peux en être sûr ! Putain, d'encu...

Johanna n'avait pas pu finir sa phrase, un énorme bruit avait retenti derrière elles. L'air hagard, les deux amies s'étaient retournées comme un seul homme. Dans le beau coffre rutilant de l'Audi, on voyait enfoncée une vieille Clio cabossée. Lorsque Tiana vit qui en sortait, l'air complètement catastrophée, son sang ne fit qu'un tour.

- Putain c'est elle ! J'y crois pas c'est encore elle !

Johanna l'avait regardé avec incompréhension, encore sous le choc de s'être fait emboutie. Semblant reprendre ses esprits, elle avait saisi son gilet jaune dans la porte conducteur et avait ouvert prudemment la portière alors que les curieux passaient au ralenti à coté de nous pour observer la scène.

- Reste à l'intérieur, je vais voir avec le conducteur arrière pour qu'on aille se garer plus loin... Je ne voudrais pas que cette enfoirée s'enfuie avant qu'on ait signé le constat en plus du reste !

- Jo, att....

Trop tard. Avant que Tiana ait pu dire un mot de plus, son amie avait claqué sa portière et se dirigeait déjà vers elle. Amalia. La femme qui était sortie de son mur et qui depuis n'était jamais loin quand il lui arrivait un malheur dernièrement. Mais bon sang de bon soir, on lui avait jeté un sort ou quoi ? C'était une furie sortie des enfers pour la poursuivre ?

Tiana avait jeté un œil à l'écran de l'Audi. 17h15. Dans trois quart d'heure, les visites seraient finies à l'hôpital et il faudrait qu'elle attende le lendemain pour voir sa mère. Elles étaient déjà assez juste pour qu'elles ne perdent pas plus de temps ! Nerveusement, Tia regardait Jo en pleine discussion houleuse avec sa stalkeuse. Son amie avait l'air de sérieusement tempêter, tandis qu'Amalia, elle, ne semblait pas vraiment dire mot. Comme d'habitude, elle se contentait de griffer nerveusement son bras, le regard rivé vers le sol. Enfin, elle était rentrée dans sa voiture et Jo était revenue vers son amie.

- On va se mettre sur la bande d'arrêt d'urgence. Heureusement, c'est juste son pare choc qui est embouti, elle va pouvoir démarrer. Franchement, elle a l'air complément lunaire celle-là !

- Heu Jo....

Johanna s'était tournée vers moi, ses mèches noires et violette complètement en pagaille.

- Oh ! s'était-elle exclamée. Mince ta mère ! J'espère qu'on va arriver à temps ! T'en fais pas, un constat ça se fait rapidement maintenant avec l'application...

- Jo c'est pas ça. C'est elle. C'est elle la femme qu'on a croisé avec Colin. Celle qui a des pouvoirs.

Complètement assommée par cette déclaration, Johanna faillit oublier de s'arrêter sur la bande d'arrêt d'urgence juste devant la Clio un peu plus loin.

- Tu déconnes ?

- Non pas du tout.

- Tu vois j'étais persuadé qu'elle se déplacerait plutôt sur un balai que dans une poubelle ambulante !

- Jo je ne rigole pas, avait repris Tiana sur un ton sérieux. Cette femme... Elle me fait peur.

- Ça va aller ma belle. Juste le temps de signer le constat avec elle et je reviens d'accord ? Il ne va rien se passer de plus ne t'en fais pas.

Tiana avait essayé de protester, mais de nouveau, Jo avait coupé court à la conversation en sortant. Tiana n'avait pas osé la suivre. Elle ne voulait pas qu'Amalia la voit. Elle voulait se convaincre que ce n'était qu'une mauvaise coïncidence si sa voiture suivait la leur. Après tout elle avait des pouvoirs qui lui permettaient de la traquer n'importe où, pourquoi s'embarrasserait-elle à la suivre ?

Dans le rétro intérieur, Tia observait son intrépide amie qui enguirlandait toujours l'étrange femme. Elle n'entendait pas leur conversation, mais doutait pas qu'elle soit lunaire. Cette femme avait-elle ne serait-ce que le permis ? Plus leur échange durait, plus Tia sentait l'angoisse monter en elle. Elle fixait l'écran de la voiture. 17h30. Elles parlaient toujours. 17h35. 17h40. 17h45.

50.

Il était trop tard. Jamais elles n'arriveraient à temps à l'hôpital à temps pour voir sa mère. Johanna revenait à coté d'elle, plus à fleur de peau que jamais, fouillant dans son sac à main.

- Mais elle est complètement fada celle-là ! s'était-elle énervée. Non mais tu te rends compte qu'elle n'a ni son permis, ni même sa carte d'identité, et qu'elle ne sait pas ce que c'est qu'un constat ? Ah madre mia, ma mère va me tuer. Il me faut une clope.

- Qu'est ce qu'on fait du coup ? avait demandé Tiana nerveusement.

- Qu'est ce que tu veux que je fasse ? J'ai appelé les flics ! Elle m'a supplié en pleurs de ne pas le faire, mais à un moment donné c'est pas elle qui va les payer hein les réparations ! Attend, t'imagines qu'elle voulait qu'on roule jusqu'à la prochaine aire d'autoroute pour soi-disant « réparer tout ça » ? Eh, pouvoir magique ou pas je suis pas folle hein, je fais pas plus de cinq cent mètre avec une voiture qui a été abîmée, qui sait ce qui a été touché ?

Le flegme de son amie laissait Tiana sans voix. D'un autre côté, au fond d'elle, elle savait que Johanna avait raison d'agir ainsi – qu'y avait-il d'autre à faire de plus sensé dans cette situation insensée ?

Enfin. Cette fois, Jo avait fait ce que Tiana aurait dû faire dès le jour où cette étrange femme avait débarqué dans sa vie : appeler la police. Avec un peu de chance, tout serait réglé d'ici quelques minutes. Elle serait embarquée, et Tia ne la reverrait plus jamais. La jeune femme soupira de soulagement rien qu'à cette idée. Oui d'ici quelques minutes... Tout irait bien.

Tiana avait tourné son regard vers sa fenêtre. Un immense rayon de lumière bleu fonçait sur elle.


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