Chapitre 4

- Heu, je... Je suis vraiment désolée pour votre jardin.

- C'est pas grave, avait répondu Tiana, en repensant abattue aux rangées de fleurs arrachées.

Ils marchaient depuis une dizaine de minutes en direction de la maison abandonnée, et personne n'avait dit un mot depuis qu'ils avaient quitté l'allée qui bordait la maison de Tiana. La situation était tellement irréelle qu'aucun d'eux ne savait réellement quoi dire. À voir la mine déconfite de Colin, Tiana devinait qu'il devait déjà regretter d'avoir décroché et d'être venu l'aider.

- Je peux vous demander comment vous vous appelez ?

Tiana avait lancé un regard froid à l'inconnue. Au fond d'elle, elle était exaspérée. Mais elle essayait malgré tout d'afficher un minimum de bienveillance.

- Je m'appelle Tiana. Et mon ami c'est Colin.

- Moi c'est Amalia, avait lancé la jeune femme avec un sourire maladroit, visiblement rassurée que Tiana accepte de lui donner leurs prénoms.

La conversation était retombée, laissant de nouveau s'installer un silence qui visiblement mettait la dénommée Amalia mal à l'aise. Tiana n'en avait cure, elle n'avait plus qu'un seul désir : qu'ils déposent cette terrifiante sorcière à la maison abandonnée. Puis de retourner chez elle où elle et Colin pourraient se remettre de cette expérience autour d'un chocolat chaud en se promettant de ne jamais raconter ça à personne. Et d'oublier. Tout comme le conducteur, qui devait toujours être dans les vapes à cette heure-ci.

- Et vous allez faire quoi dans la maison abandonnée ? Sacrifier des chèvres au clair de lune pour conserver vos pouvoirs ? avait demandé Colin sans le moindre tact.

Amalia avait émis un petit rire. Ses ongles parcourraient de nouveau la peau blanche de son avant-bras, y laissant de longs sillons rouges. Elle regardait droit devant elle, évitant les yeux verts de l'ami de Tiana qui lui, lui assénait un regard qui en disait long sur son envie d'être là.

- Non... En fait j'habite dans cette maison. Enfin, j'y ai habité... C'est un peu compliqué.

Colin avait esquissé une moue et haussé les épaules. Au fond d'elle, Tiana savait qu'il se fichait de sa réponse. Il n'avait dit ça que pour lui manifester son mécontentement. La jeune femme lui assena un coup de coude suivi d'un regard qui lui signifiait clairement de se taire. Qui savait ce que cette femme pouvait encore leur faire ? Et Tiana doutait sérieusement que sa bombe à poivre soit d'une quelconque utilité face à des pouvoirs surhumains.

- Quant à mes pouvoirs, avait poursuivi Amalia, c'est héréditaire. Tout le monde en a dans ma famille. Mais... On reste assez discrets habituellement sur nos capacités...

Sa voix s'était muée en un murmure. Une perle de sang avait roulé sur son avant-bras. Surprise, elle s'était empressée de l'essuyer et avait croisé les brase pour s'empêcher de continuer à se gratter. Tiana songea qu'elle avait rarement vu quelqu'un d'aussi stressé et peu sûr de lui. A part sa mère peut-être.

- En fait je suis revenue pour trouver quelqu'un, avait-elle poursuivi. Quelqu'un qui m'est très cher... J'espère trouver des indices chez moi.

Ni Tiana ni Colin n'avait pris la peine de lui répondre.

Enfin, ils arrivèrent devant la fameuse maison. Derrière des grilles rouillées s'étendait ce qu'on avait dû appeler autrefois un jardin, mais qui n'était aujourd'hui plus qu'un champ d'herbes folles. Çà et là subsistait des taches grises qui étaient, si l'on regardait bien, des statues mangées par le lierre et la saleté. Étonnamment, aucune vitre n'était brisée, et la porte était encore intacte. Personne n'avait jamais réussi à rentrer ici. Et de toute façon la rumeur courait qu'elle était hantée, décourageant les adolescents trop téméraires.

Les vitres qui il y a longtemps devaient être lumineuses et colorées étaient ternies par une épaisse couche de poussière. Il manquait plusieurs tuiles au toit, victimes des intempéries et du manque d'entretien, et la cheminée s'était écroulée sur elle-même. Mais dans l'ensemble, la maison était plutôt bien conservée.

Malgré tout, cette vision sembla anéantir l'étrange femme. Elle avait ouvert le portail dans un geste lent. La douleur se sentait sur son visage.

- Mais comment le manoir a pu finir dans un tel état... ? avait-elle murmuré. Ce n'est pas possible, il est bourré d'enchantements, chargé de génération de magie, même à l'abandon, il n'aurait pas dû être aussi délabré...

Les deux amis s'étaient consultés d'un regard, restant devant le portail alors qu'elle s'avançait vers la porte d'entrée.

- Bon eh bien on va y aller nous hein, avait lancé Colin alors que la dénommée Amalia s'éloignait.

Mais elle semblait avoir déjà complétement oublié leur présence. Hésitants quant à la marche à suivre, les deux jeunes gens l'avaient regardé, sans rien dire, poser sa main sur la porte en bois qui s'était soudain illuminée et s'était ouverte pour la laisser passer. Un instant, si court que Tiana se demanda si elle n'avait pas rêvé, il lui sembla que la maison retrouvait sa beauté d'antan. La jeune femme leur avait fait un signe de la main timide, un sourire triste aux lèvres, puis s'était engouffrée dans la maison. La porte s'était refermée, et le charme s'était rompu : ils n'étaient plus que deux imbéciles hébétés qui regardaient fixement une maison abandonnée depuis des années.

- Bon, j'en ai assez vu pour aujourd'hui, avait soupiré Tiana.

Colin avait acquiescé et ils étaient repartis vers chez eux, encore un peu ébahis par ce qu'il s'était passé.

- On... On en parle à personne hein ? avait demandé Colin.

- Je ne sais déjà plus de quoi tu parles, l'avait rassuré Tiana avec un sourire. Viens, on va se prendre un bon chocolat chez en regardant un anime.

Devant cette perspective rassurante et presque réjouissante, son meilleur ami avait retrouvé un semblant de sourire. Soudain Tiana été surprise par une vibration dans ma poche. Un numéro inconnu s'affichait sur l'écran de son téléphone. Ne le reconnaissant pas, la jeune femme avait froncé les sourcils.

- Encore des démarcheurs, avait-elle décrété à voix haute.

- Ah toi aussi ? avait rebondi Colin, trop heureux de changer de sujet. C'est la folie en ce moment, je reçois au moins neuf appels par jour...

Les deux amis avaient continué à râler sur ces appels intempestifs jusqu'à ce qu'ils aient rejoint le portillon du jardin de Tiana. L'état de celui-ci les avait brusquement ramené à l'expérience surréaliste qu'ils venaient de vivre.

- Tu vas dire quoi à ta mère ?

- Je n'en ai aucune idée, avait répondu Tiana à Colin, dépitée. Tu crois qu'elle me croira si je lui dis qu'une horde de sanglier a débarqué dans notre jardin ?

- Plus que si tu lui racontes la vérité, avait-il pouffé.

Le téléphone de Tiana vibra de nouveau dans sa poche. Excédée, elle avait fini par décrocher.

- Bon par pitié, arrêtez de m'appeler, j'habite encore chez mes parents, je n'ai pas besoin d'un nouveau contrat gaz et énergie, ni d'une nouvelle chaudière...

- Mademoiselle, c'est l'hôpital Sainte Jeanne à l'appareil.

La jeune femme s'était figée devant cette information inattendue, se sentant soudain comme la dernière des imbéciles.

- Ah heu... Oui ? Pourquoi vous m'appelez ?

- C'est votre mère mademoiselle.

Le sang de Tiana se figea dans ses veines.


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