Chapitre 16

Johanna se réveilla dans un confortable lit. Une douce odeur d'eucalyptus se dégageait des draps lavande. Elle se releva avec précaution, essayant de bouger son bras le moins possible. De toute manière elle remarqua bien rapidement qu'elle ne le sentait presque pas. Ou pour être honnête, pas du tout. On lui avait bandé le bras avec de la gaze d'où se dégageait une odeur que Jo ne parvint pas à identifier.

Son regard parcouru la pièce. C'était une chambre très simplement meublée : une armoire lorraine, une chaise, un bureau avec un encrier et une commode où reposait une bassine et son broc, le tout en bois finement ciselé et dont le vernis luisant au soleil. La fenêtre était ouverte, elle donnait sur des volets à moitié fermé. Le soleil passait entre les persiennes, rayant le parquet de la pièce de rayons dorés.

La porte s'était ouverte, laissant passer Amalia qui s'avançait sur la pointe des pieds, portant un plateau sur lequel reposait une bouilloire, deux tasses et un tricot à peine entamé. En remarquant que Jo était réveillée, elle eut d'abord un petit sursaut, puis un soulagement palpable passa sur son visage.

- Tu es réveillée, constata-t-elle d'un ton doux. Tu n'as pas mal ? Pas de maux de tête ?

Jo avait secoué la tête. Son esprit lui semblait embrumé et sa tête lourde, mais rien de bien méchant. Amalia avait posé le plateau sur une petite table de chevet en bois à côté du lit et s'était dirigé vers la fenêtre et avait repoussé les volets. Dehors, le ciel s'assombrissait doucement et une odeur particulière, de celle qui annonce un orage, flottait dans l'air. Derrière les panneaux de bois s'étendait le jardin de la propriété, toujours aussi délabré, où se battaient en duel mauvaises herbes et plantes sauvages.

- Pas commode vos volumes, avait souri Johanna en reprenant un peu ses esprits.

- Non, pas vraiment, avait répondu doucement Amalia. C'est un vieux sort que je leur ai lancé il y a longtemps, j'ai dû le réactiver par mégarde. Le but était que d'une morsure, ils vous transmettent tout le savoir qu'ils contiennent. Mais comme vous le voyez, tout ce qu'ils font c'est vous filer un bon mal de crâne... Oh si vous aviez vu la tête de mon grand-père la première fois qu'il a vu ça... avait-elle conclut sur un ton penaud.

Johanna était restée un instant stupéfaite devant cette explication, puis avait éclaté d'un rire franc.

- Ça aurait été fabuleux si ça marchait ! avait dit la jeune femme écartant une mèche de ses cheveux noirs qui lui tombait dans les yeux. J'aurais usé et abusé même de cette technique pour apprendre mes cours.

- Vous... Vous ne trouvez pas ça stupide ? avait balbutié Amalia.

- Ben non, c'est même plutôt ingénieux ! Je n'aurais jamais pensé à un truc pareil.

- J'aurais aimé que mon grand père soit du même avis... avait murmuré la magicienne.

Doucement, elle avait servi deux tasses fumantes d'un liquide ambré dans les tasses. Une douce odeur était parvenue aux narines de Johanna.

- Tiens, lui avait dit Amalia en lui tendant une des deux tasses en porcelaine fine, menthe et mélisse, c'est excellent contre le mal de tête.

- Garantie sans magie foireuse hein ? l'avait taquiné la jeune femme en prenant la tasse.

- Promis, avait souri tristement Amalia.

Jo s'en voulut. Il fallait vraiment qu'elle apprenne à appliquer la maxime : « on peut rire de tout, mais pas avec n'importe qui ». Visiblement, ses pouvoirs imprévisibles complexaient la sorcière. Elle résolut de ne plus en faire mention. Elle jeta un coup d'œil à la tasse qu'Amalia lui avait servie et se souvint soudainement pourquoi elle était venue jusqu'ici.

- Donc heu... Vous avez un pouvoir de guérison ? avait innocemment demandé Jo en portant la tasse à ses lèvres.

- Eh bien, avait répondu la sorcière pensive. Je connais bien les herbes, je sais lever la plupart des malédictions lorsque mes pouvoirs ne font pas des siennes et je sais à peu près repérer où se situe un mal dans le corps d'une personne.

Jo sourit. Elle le savait. Elle avait bien fait de venir. Bientôt la morosité de Tiana ne serait plus qu'un mauvais souvenir grâce à elle.

- Alors j'ai une proposition à vous faire, avait annoncé triomphalement Jo.

Dans un élan d'enthousiasme, elle fit un geste un peu trop brusque du bras et une violente douleur la lança du poignet jusqu'à l'épaule, tordant son visage de douleur. Amalia se leva promptement.

- Attendez, je vais vous refaire une compresse, ça devrait calmer la douleur.

Elle s'était dirigée vers la bassine en émail qui trônait dans un coin de la chambre et avait versé un peu d'eau de son broc dans le récipient. Ses doigts graciles avaient ouvert une petite pharmacie en bois au-dessus de la bassine d'où elle avait sorti plusieurs petits flacons tantôt d'étain, tantôt de faïence. Elle saupoudra quelques herbes d'une main experte dans le liquide translucide.

Amalia ouvrit ensuite l'imposante armoire lorraine et en sortit un linge blanc qu'elle trempa dans l'eau. Elle essora avec douceur un linge blanc dans une bassine d'émail à côté du lit de Johanna.

- Je vous écoute, tant que vous ne bougez pas le bras, avait dit Amalia.

- La mère de Tiana est... Malade. Et personne n'a l'air de comprendre ce qu'elle a. Guérissez là, et en échange je ferais ce que vous voulez – ménage, course, même récurer vos toilettes vraiment je ferais tout. Qu'est-ce que vous en dîtes ?

Amalia avait marqué un temps d'arrêt, mais avait vite repris son travail. Elle tordait le linge blanc, lançait parfois dans l'eau quelques herbes, y trempait de nouveau le tissu, le ressortait, l'essorait, le portait à son nez, puis recommençait. Elle cherchait visiblement un accord particulier.

- Je ne suis pas médecin. Je peux chercher d'où vient le mal, mais je ne pourrais pas le guérir. Et encore, je ne peux rien vous garantir.

- Mais vous avez des pouvoirs magiques ! avait protesté Jo.

- Certes, mais la science peut encore plus que la magie. Sinon, on ne l'aurait pas inventée.

Cette affirmation avait quelque peu assommée Jo, qui pour autant ne s'était pas démontée.

- Je vous en prie ! Les médecins ne trouvent rien depuis des semaines ! Vous devez bien ça à Tiana, vous l'avez bien fait flippée vous savez à la suivre partout comme ça ?

Amalia avait eu un sursaut, et son visage avait affiché une peine vaguement dissimulée.

- Ce n'était pas mon intention... Je pensais qu'elle pourrait m'aider à trouver quelqu'un... avait-elle dit du bout des lèvres. Mais je ne peux pas vous aider, je regrette, cela dépasse mes capacités.

Le visage de la magicienne s'était refermé. C'était la première fois que Jo la voyait ainsi. Jusque là la jeune femme avait toujours abhorré un visage hésitant, qui reflétait tous ses doutes et ses incertitudes. Mais sur ce sujet, il semblait que sa décision était prise. Et ça désespérait Jo.

- Vous venez de dire que vous cherchiez quelqu'un ? Qui est-ce ? Peut-être que je peux vous aider ? avait repris Jo dans un effort désespéré pour la faire changer d'avis.

Amalia avait acquiescé de manière imperceptible. Elle porta une dernière fois le tissu à son nez, et souri à son odeur. Elle rapprocha la bassine de Jo, la posant à même le lit. Elle avait défait le morceau de gaze qui couvrait sa blessure et était venu apposer le tissu sur la peau de la jeune femme. Le contact du linge froid sur sa peau brulante avait arraché une nouvelle grimace à la jeune femme, mais après quelques minutes, elle sentit que la compresse lui faisait bien plus de bien que de mal.

- Mon enfant, avait enfin répondu du bout des lèvres Amalia au grand étonnement de Johanna, je suis venue chercher mon enfant.

- Il s'appelle comment ?

Amalia avait haussé les épaules en nouant délicatement le bandage autour du bras de la jeune femme.

- Aucune idée, c'est bien mon problème.

- Comment ça aucune idée ? Comment vous pouvez jusqu'à ignorer le nom de votre propre enfant ?

- Ben, avait répondu Amalia embarrassée, c'est-à-dire qu'il ne l'est pas encore. Un jour, il le sera.

Un ange était passé dans la pièce. Johanna avait écarquillé les yeux.

- Vous avez voyagé dans le temps ? avait-elle réalisé sur un ton excité.

Amalia avait haussé les épaules d'un air gêné.

- Mais c'est génial ! Vous êtes vraiment trop forte ! J'aurais dû m'en douter, c'est pour ça que vous étiez aussi perdue ! Oh c'est incroyable, quand je raconterais ça aux autres je...

Devant le regard soudain affolé de son interlocutrice Jo ralentit soudain drastiquement son débit de parole.

- Enfin on n'est pas obligé de le dire hein, ça peut rester entre nous, avait elle conclut, gênée à son tour. Vous venez de quelle époque alors ?

- Quand je suis partie, on était en 1968.

- Wouah, vous avez fait un sacré saut... avait sifflé Jo admirative. Une tonne de question se bousculait dans sa tête, et elle avait bien du mal à savoir laquelle poser en premier.

- Oui, justement, je ne voulais pas arriver si loin... Lorsque j'ai réalisé que j'étais arrivée en 2030, j'ai voulu repartir mais... Je n'arrive pas à faire fonctionner le sort retour.

- Donc vous avez essayé de chercher votre fils ou votre fille ici avec les moyens du bord... avait terminé Johanna. Pas simple sans savoir son nom.

- Non. Et je n'ose pas vraiment sortir. Ce monde-là dehors est complètement fou.

- Ça je veux bien croire que c'est un choc ! avait ri Johanna. C'était comment, en 1968 ?

- Comment quoi ?

- Eh ben, le monde, les gens, la vie...

- Ah ça. Je ne sais pas trop. Je sortais rarement de la maison.

Johanna se sentit ragaillardie par cet échange. Maintenant, elle comprenait mieux la situation de la magicienne. Elle allait pouvoir négocier.

Ce dernier échange laissa Amalia songeuse. Elle s'était relevée et avait vidé le contenu de la bassine par la fenêtre. Désormais, quelques gouttes tombaient dehors. Doucement, elle avait remballé tout son attirail d'apprentie herboriste, avec des gestes délicats et lents, tandis que Johanna cherchait le prochain argument qu'elle pourrait apporter pour la faire changer d'avis.

- Vous voulez vraiment m'aider ? avait demandé la magicienne.

- Oui, vraiment.

- Est-ce que vous savez qui a planté les coquelicots bleus de l'allée de Tiana ?

La question avait laissé Jo une fois de plus sans voix. Elle ne comprenait pas où cette conversation était censée l'amener, mais elle s'y engouffra sans trop réfléchir.

- Je sais que sa mère les aime beaucoup, mais je ne sais pas d'où ils viennent.

Cette réponse laissa Amalia pensive.

- Encore une piste qui ne mène à rien alors, avait-elle soupiré. J'espérais que Tiana pourrait me dire où elle se les était procuré, mais nous n'avons jamais vraiment trouvé le temps de se parler.

- Mais si sa mère se réveillait... avait bredouillé Jo. Oui si sa mère se réveillait, elle pourrait vous le dire.

Amalia n'avait rien répondu. Ses doigts parcouraient négligemment sa peau nacrée. Elle s'était assise sur le lit à côté de Johanna, le regard perdu dans le vague. Elle avait sorti doucement de sous son pull une petite médaille noire.

- Il existe un médaillon identique à celui-ci, mais blanc, avait-elle dit, qui a longtemps appartenu à ma famille, mais qu'elle a caché il y a bien longtemps loin d'ici pour éviter qu'on ne lui vole. Si celui-ci permet de cacher celui qui le porte aux yeux de ceux qu'il désire éviter, il est dit que le second serait capable de montrer tout ce que l'on souhaite voir : passé, présent, avenir... Si je trouvais cet objet, il pourrait me guider jusqu'à mon enfant.

Dehors, des hirondelles se réfugiaient entre les branches d'un arbre touffu pour se protéger de la pluie. Les yeux d'Amalia les suivaient distraitement.

- Mais je ne connais rien à votre époque, rien du monde. Et je ne suis pas assez courageuse pour m'y aventurer toute seule. Je suppose que vous avez remarqué, mais dès que j'entreprends de mettre un pied dehors, tout tourne à la catastrophe.

Johanna ne pouvait qu'acquiescer. D'abord ça avait été le téléphone de Tia, ensuite la voiture de sa mère, et enfin, dernier évènement en date, un affrontement avec un hurluberlu qui se trimbalait avec un masque japonais sur la face. Il n'y avait pas à dire : Amalia était particulièrement douée pour se retrouver dans des situations malheureuses dès qu'elle mettait un pied dehors.

- Je vous servirais de guide, avait proposé Johanna, sachant pertinemment que c'était ce qu'attendait son interlocutrice. Et en échange, promettez-moi de faire ce que vous pouvez pour la mère de Tia.

Amalia acquiesça et Jo ne put s'empêcher de sentir son cœur battre dans sa poitrine. Tout ça ressemblait à une quête comme on n'en lisait que dans les romans. Peut-être même qu'elle aussi découvrirait qu'elle avait des pouvoirs ? Après tout, sa mère lui avait répété mainte et mainte fois que son arrière arrière grand-mère était une sorcière. Enfin, elle faisait ça avant tout pour Tia. Son amie avait besoin qu'on l'aide.

Bien sûr. Tout ça elle ne faisait que pour Tia, - et uniquement pour elle - parce qu'elle savait que c'était le mieux à faire. Elle en était convaincue.


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