Chapitre 14

- On ne peut pas la laisser comme ça.

Colin et Adam avait acquiescé à l'affirmation de Johanna. Ils s'étaient réunis en secret tous les trois chez Colin à la demande de Jo pour une réunion de crise.

Cela faisait désormais un mois que la mère de Tiana était dans le coma. Et chaque jour, ils voyaient leur amie dépérir encore un peu plus. A chaque visite qu'elle faisait à sa mère, Tiana parlait toujours moins. Comme un fantôme, elle errait dans les couloirs de la fac, de l'hôpital, de la maison de Jo.

- Moi je veux bien, avait dit Adam, mais elle nous dit que dalle. A chaque fois qu'on aborde le sujet, elle se referme comme une huître. Et si on essaie de lui changer les idées, elle décline en prétendant qu'elle est trop fatiguée.

- Adam, c'est normal qu'elle soit fatiguée, c'est un des premiers signes d'une déprime. Et franchement, n'importe qui serait déprimée à sa place, lui avait rétorqué Colin.

Des trois, il était sans doute le plus abattu. Que Tia ne parle pas à Jo ou à Adam, il en avait l'habitude. La première avait la fâcheuse tendance à ne pas savoir tenir sa langue, le second était moins proche d'elle qu'ils ne l'étaient. Mais qu'elle ne lui parle même pas à lui, ça c'était inhabituel. En fait, ça faisait un moment qu'il sentait qu'elle le mettait à distance. Mais il ne savait ni pourquoi, ni que faire pour remédier à ça. Il avait laissé couler, en se disant qu'elle reviendrait vers lui quand elle le souhaiterait. Mais maintenant, il s'en mordait les doigts. S'il avait été plus présent, est ce que cela aurait changé quelque chose ?

- C'est vrai, pardon, s'était excusé Adam, l'air penaud. C'est juste que je ne sais pas ce qu'on peut faire d'autre.

- Moi j'ai une idée, avait dit Johanna en posant son chocolat chaud sur la table basse en bois laquée du salon.

Les garçons l'avaient regardée. Ils attendaient la suite qui pouvait tout aussi bien être une idée censée – du genre, amener doucement Amalia vers l'idée qu'il faudrait peut être qu'elle voit une psy pour l'aider à gérer tout ça – ou bien quelque chose de totalement délirant qu'elle défendrait corps et âme jusqu'à ce qu'on adopte son idée – du genre, recouvrir la mère de Tiana de pierres et de glyphes protecteurs tout en la gavant d'infusions divers et variées.

- Et si on demandait à la sorcière de la maison abandonnée de nous aider ?

Colin crut que sa mâchoire allait se décrocher. Finalement, l'idée des glyphes et des infusions lui aurait paru moins farfelues. Il allait prendre la parole pour expliquer en dix points pourquoi c'était une mauvaise idée, mais à sa grande surprise Adam le devança.

- On ne peut pas faire ça Jo.

- Et pourquoi pas ? La médecine traditionnelle ne trouve rien, mais moi j'ai vu ce dont elle, elle était capable ! Elle a arrêté le temps, vous vous rendez compte ! Alors soigner quelqu'un, elle doit le faire tous les matins au petit dej.

- Oui, elle a arrêté le temps, et elle a bousillé la voiture de ta mère. Je te rappelle aussi qu'elle a failli enterrer vivant Colin et Tiana. Comment tu peux même penser une seule seconde que c'est une bonne idée de faire confiance à cette femme ? lui avait demandé Adam.

- Je suis d'accord avec Adam, avait acquiescé Colin. Et puis, Tiana ne serait pas pour non plus. Elle n'apprécie pas beaucoup cette magicienne, des fois que tu n'aurais pas remarqué. Jamais elle ne lui confierait sa mère.

- Je ne vous comprends pas, avait répondu Johanna. On a une solution miraculeuse à portée de main qui permettrait de guérir à la fois la mère de Tiana et de sortir notre amie de sa déprime, et vous, vous l'écartez sans même l'envisager ?

Personne n'avait répondu au ton scandalisé de Johanna. Cette dernière avait soupiré et roulé des yeux. Parfois, elle se demandait quand ses amis étaient devenus aussi barbants. Ils avaient l'occasion de vivre un truc fantastique, de voir à l'œuvre des forces qui les dépassaient, et surtout, d'aider Tiana et ils allaient complètement passer à côté.

- Je vais me refaire un chocolat, avait-elle fini par décréter après de longues secondes de silence pesant.

- Jo, le prend pas comme ça... avait dit Colin en se levant pour la retenir.

Mais la jeune femme se dirigeait déjà d'un pas décidé vers la cuisine, une moue boudeuse sur le visage. C'était au tour de Colin de soupirer. Les délires ésotériques de Johanna étaient drôles au quotidien. Mais il ne comprenait pas qu'elle ne puisse pas les mettre de côté dans des situations aussi graves.

- Laisse, avait dit Adam en prenant un gâteau sur l'assiette posée devant lui, c'est dur pour elle aussi. Elle voit tous les jours Tia aller plus mal.

- J'aurais pu l'héberger aussi, n'avait pas pu s'empêcher de dire Colin sur un ton abattu. Mais elle a refusé, elle ne voulait pas m'embêter.

Adam avait mâchouillé son cookie, pensif.

- Dis, tu me dis si tu veux, avait-il dit, après avoir avalé sa bouchée, mais il s'est passé quelque chose avec Tia ? Parce qu'avant vous étiez inséparables et... Maintenant je ne sais pas, il y a quelque chose de... Différent.

- Je sais, avait soupiré Colin, dépité que ça ne soit pas passé inaperçu. Mais je ne sais pas pourquoi moi non plus. Je crois que c'est depuis que je suis avec Octave. Peut être qu'elle a peur d'être de trop, je ne sais pas. Mais elle me manque, et je ne sais pas comment faire pour revenir à la relation qu'on avait. Dès qu'on en parle, elle prétend qu'il ne se passe rien.

Son ami n'avait rien dit, se contentant de lui donner une tape sur l'épaule et d'un sourire conciliant. Ce n'était pas grand-chose, mais Colin se sentit un peu plus léger d'avoir pu partager ça avec quelqu'un. D'autant qu'il était assez convaincu que Johanna savait quelque chose, étant donné qu'elle esquivait le sujet maladroitement dès qu'il essayait de l'aborder. Mais pour que son amie tienne sa langue, c'est que ça devait réellement être grave, et ça ne faisait que l'inquiéter d'autant plus.

Cette dernière était réapparue avec une tasse fumante entre les mains, évitant toujours soigneusement le regard de ses deux amis. Le timing était si parfait que Colin en vint à se demander si elle n'avait pas attendu qu'ils aient fini de parler pour revenir, afin d'éviter d'avoir à prendre part à leur conversation.

- Alors je vous écoute, avait-elle dit d'un air pincé. Vous proposez quoi sinon ? Non parce que, rien que la semaine dernière, Tiana est restée deux fois jusqu'à 20 heures passée à la fac pour aider une camarade qu'elle ne connaissait que de vue sur un TD, elle a tellement aidé ma mère avec son ménage que mon intérieur semble avoir été refait à neuf, et si elle continue à venir me filer des coups de main au café, elle pourra bientôt prendre mon poste à ma place. Et vous savez ce que ça veut dire : Tiana qui s'approprie les problèmes des autres, c'est Tiana qui évite ses propres problèmes.

- On continue exactement ce qu'on a fait jusqu'à présent, avait tranché Colin. On continue d'être là pour elle, de la solliciter pour des sorties, de l'accompagner voir sa mère, on ne la laisse pas seule. Et surtout, on ne va pas voir la sorcière. Ça n'arrangera rien.

Johanna s'était tournée vers Adam, espérant en vain que celui-ci désapprouve ce plan, mais son ami avait acquiescé à chaque mot qui sortait de la bouche de Colin.

- Bon d'accord, avait fini par céder la jeune fille. On est en démocratie ici après tout.

Colin avait été surpris de voir son amie céder aussi facilement. Il lui avait lancé un regard suspicieux tandis que la jeune fille tendait à son tour la main vers le plat de cookie avec une expression gourmande.

- Johanna, l'avait-il interpellée tandis qu'elle trempait le gâteau dans son lait chaud, promets-moi que tu n'iras pas voir cette sorcière.

- Promis, avait dit la jeune femme en engouffrant le gâteau tout entier dans sa bouche et en levant sa main, croix de bois, croix de fer, si je mens je vais en enfer !

Colin avait soupiré devant la réaction enfantine de son amie. Elle ne changerait décidément jamais. Et il avait raison. S'il avait mieux regardé, il aurait vu qu'en jurant Jo avait posé sa tasse sur la table pour croiser les doigts de son autre main.


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