Chapitre 12

Comment faisait-on pour réconforter une amie dans ces cas-là ? Devait-on la prendre dans ses bras ? Ou bien la laisser respirer ? Emplir son espace de son, de sa présence pour la rassurer ? Ou bien au contraire la laisser quelques instants sombrer dans un silence où elle pourrait clairement entendre ses pensées ?

Après toutes ces années plus ou moins difficiles, Johanna ne connaissait toujours pas la réponse à ces questions. Soudain, tout était devenu si terne autour d'elles. Les couleurs vives du café avait pris des teintes passées. Les clients étaient tous partis, comme chassés par la nouvelle. Même Martha n'était plus visible : elle avait fini de s'agiter en salle et était reparti en cuisine. Quant aux pâtisseries que Jo convoitait encore quelques secondes auparavant, il lui semblait sans même y avoir goûté qu'elles n'auraient qu'un goût amer. Ce devait être la même chose pour Tiana, en pire sans doute : la tête enfouie dans ses mains, elle cachait le monde à ses yeux embués.

Johanna avait jeté un coup d'œil désemparé et inquiet à sa mère. Elle avait plus d'expérience dans la vie. Peut-être qu'elle connaîtrait la réponse ? Peut-être saurait-elle ce qu'il fallait faire, ce qu'il fallait dire ?

Adrienne s'était levée, avait fait signe à Jo de lui céder sa place, et s'était assise aux côtés de Tiana. Elle avait posé sa main sur son épaule, sans rien dire, et sans qu'elle eût besoin d'en faire plus, la jeune femme s'était jetée à son cou, enfouissant son visage dans le col en plumes synthétique de la mère de Johanna.

- Ce n'est pas juste... l'entendit Johanna murmurer d'une voix enrouée.

- Non, ça ne l'est pas, avait répondu avec douceur Adrienne en lui passant lentement la main dans le dos.

Il n'y avait pas besoin d'en dire plus, pas besoin de s'exaspérer sur la situation, ou de forcer un contact. Adrienne savait d'instinct ce qu'il fallait faire, car elle aussi était mère. Alors qu'elles les regardaient, impuissante, Johanna entendit que l'on l'appelait discrètement. C'était Martha qui lui faisait signe derrière le comptoir. Jo s'approcha sans que ni sa mère, ni Tiana ne remarquent qu'elle s'était éloignée.

- Qu'est-ce qu'elle a la petite ? avait demandé à voix basse Martha avec un fort accent anglais qui brouillait les contours de ses consonnes.

- Elle vient d'apprendre que sa mère est dans le coma. Et les docteurs ne comprennent pas pourquoi.

Johanna s'en voulut immédiatement de sa franchise. Le rouge lui monta aux joues. Elle n'avait jamais su tenir sa langue. Mais avait-elle le droit de révéler ainsi des détails de la vie privée de quelqu'un d'autre ?

- Ne t'en fais pas, avait répondu Martha comme si elle avait lu dans ses pensées, ça restera entre nous.

Elle disparut un instant dans l'arrière-boutique et revint avec à la main, deux bâtonnets surmontés de cubes de chocolat emballés dans un papier brillant.

- Tiens, c'est pour toi et la petite. Normalement je ne donne pas mes secrets comme ça, mais ça ne pourra que lui faire du bien. Laisse-les tremper dix minutes dans du lait chaud, tu verras, c'est un excellent remède à tous les maux.

- Merci beaucoup... avait murmuré Johanna.

- Et ne vous en faites pas pour la note ; c'est pour moi. De toute façon, ce genre de nouvelle, ça vous coupe l'appétit.

Johanna avait gratifié la patronne d'un signe de tête. Elle s'était éloignée de nouveau vers sa table, emportant soigneusement les deux précieux bâtonnets. Tiana avait toujours le visage figé dans le manteau d'Adrienne, agitée de sanglots.

- Tu vas venir vivre avec nous le temps que la situation s'améliore, lui avait imposé doucement Adrienne.

- Je... Je ne peux pas, je suis adulte, je peux...

- Être adulte ne signifie pas que tu dois toujours être capable de t'occuper de tout toute seule, lui avait répondu la mère de Johanna.

A ces mots, les sanglots de Tiana s'étaient un peu calmés. Ses membres crispés jusque-là s'étaient peu à peu détendu, et son souffle, si saccadé, avait presque reprit une cadence normale. Adrienne avait relevé son menton.

- Tu es forte, lui avait-elle dit en la regardant dans les yeux, tu vas traverser ça. Et on sera là pour t'aider.

Elle lui avait baisé le front et l'avait aidé à se relever de la banquette. Que ce serait-il passé si sa mère et elle n'avait pas été là au moment où elle aurait appris cette terrible nouvelle ? A cette question, Johanna n'avait pas de réponse. Et à vrai dire, elle préférait ne pas en avoir. Elles sortirent du café tant bien que mal ; et déjà Tiana tentait de pauvres sourires pour rassurer Johanna et sa mère.

Martha les regarda depuis la fenêtre de son appartement situé au-dessus du café, jusqu'à ce qu'elles disparaissent au coin de la rue. La vieille anglaise avait l'impression qu'une pierre était logée dans sa poitrine.

- Pauvre enfant... avait-elle murmuré. Puis, se retournant vers le couloir et haussant la voix : eh bien, que vas-tu faire maintenant ? Tu ne vas plus avoir le choix, il va falloir agir de nouveau, tu ne peux pas les laisser comme ça.

Seul le silence avait répondu à la femme dont l'âge avait déjà laissé quelques traces sur son beau visage rond. Elle avait laissé échapper un nouveau soupir. Dans la chambre tout au bout du couloir, celle dont la porte était si souvent close, brillait dans la pâle lumière d'une lampe de chevet un masque de démon japonais.


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