Chapitre 11
- Donc... Quelqu'un vous a foncé dedans, vous avez perdu le contrôle du véhicule et vous avez eu tout juste le temps de sortir de la voiture avant qu'elle ne fasse une sortie de route... C'est bien ça ?
Jo avait vigoureusement hoché à la tête, approuvant le récapitulatif du policier.
- Il y a quand même deux choses que je ne comprends pas mesdemoiselles, avait repris le policier. Comment vous expliquez que l'on ait retrouvé la voiture qui vous est rentrée dedans des kilomètres avant l'endroit où vous êtes sorties de la route ? Et comment vous avez pu vous en sortir avec aussi peu de blessures ?
- On a eu de la chance ? avait tenté Jo en hochant les épaules.
Un demi-mensonge valait mieux qu'une vérité invraisemblable. Pour autant Tiana ne disait mot, la gorge complètement nouée. Elle se demandait encore comment elle en était arrivée là, obligée de mentir à la police sur un accident invraisemblable. La jeune femme réalisait soudain qu'elle grattait furieusement son avant-bras. Tout comme Amalia le faisait. Penser à elle la mit en colère ; aussi elle arrêta immédiatement de se griffer.
- Vous vous rendez bien compte que ça ne tient pas debout votre histoire ? avait demandé le policier. Vous savez que vous risquez de perdre votre permis avec vos bêtises ? Et que vous ne serez probablement pas couverte par votre assurance ?
Jo s'était efforcée de faire un sourire gêné, et le représentant des forces de l'ordre avait soupiré.
- Ok, c'est bon pour aujourd'hui, vous avez eu suffisamment d'émotions pour les prochains mois... voire années. Vous aurez peut-être de la chance : le fait que le propriétaire de la Clio soit en fuite joue en votre faveur.
Les deux amies étaient sorties du bureau avec soulagement.
- On s'en est pas trop mal sor...
- Johanna Lili-Rose Marie Dubois !
Jo avait tressailli et s'était retournée le plus lentement possible. Derrière les deux jeunes femmes se tenait sa mère : Adrienne. Les poings sur les hanches, ses yeux verts les fusillaient du regard, sa posture indiquant clairement que les deux amies n'étaient pas au bout de leurs peines.
- Qu'est-ce que tu as fait à ma voiture ? avait demandé la mère de Jo en s'approchant d'elles, ses talons hauts violet claquant sur le carrelage du poste de police.
- Ah, salut maman, avait bredouillé Johanna en se ramassant le plus possible sur elle-même. Tu vas bien ?
Sans une once de considération pour la dignité de sa fille, Adrienne avait saisi son oreille parcourue de nombreux piercings. Tiana avait grimacé en songeant qu'elle n'aimerait pour rien au monde être à sa place.
- Tu te rends compte des risques que tu as pris ? Non mais... Une sortie de route ! Sur l'autoroute en plus ! Tu veux me faire faire un arrêt cardiaque ?
- Mais maman c'est pas de ma faute ! avait plaidé Jo. Demande à Tiana !
L'intéressée avait relevé la tête du bout de ses chaussures, peu enchantée à l'idée d'être mêlée à la conversation. Semblant la découvrir au côté de sa fille, Adrienne s'était immédiatement radoucie.
- Oh Tiana chérie, je ne t'avais pas vue ! Ça va ma puce ? Tu n'as pas eu trop peur ?
- Bonjour Adrienne, non ça va, avait répondu timidement la jeune femme aux cheveux caramel.
La mère de Jo l'avait toujours intimidée. Avec ses tenues toujours rocambolesques et sa manière de parler théâtrale, elle semblait être tout droit sorti d'un film des années 60. Elle aurait pu jouer dans les demoiselles de Rochefort sans problème. Et pourtant se dégageait d'elle une autorité et un charisme naturel que Tiana lui enviait.
- Madame, avait tenté un malheureux policier, s'il vous plaît, si vous pouviez aller discuter dehors...
- Qui vous a sonné vous ? avait-elle répondu sur un ton sec – elle méprisait profondément les représentants de l'ordre, et ce n'était un secret pour personne. Déjà je ne discute pas, j'engueule mon inconsciente de fille qui a bousillé une voiture que je venais de finir de payer.
- Madame, si vous ne sortez pas maintenant, je vous colle un outrage à agent en plus du reste, avait repris l'homme en uniforme bleu sans se démonter.
En grognant, Adrienne avait battu en retraite, entraînant les filles à sa suite. Non sans avoir fait un doigt au policier dès qu'il eut le dos tourné. Jo avait eu le malheur de soupirer face au comportement enfantin de sa mère, et son oreille en avait pâti. Enfin, Adrienne avait abandonné, lâchant le pavillon rougi de sa fille.
- Bon, on va aller parler de ça autour d'un chocolat. Je vous invite chez Martha's.
Le cœur de Tiana s'était un peu réchauffé à l'idée d'un chocolat dans le meilleur salon de thé de la ville. Mais son esprit lui, continuait de penser à sa mère, seule dans son hôpital, qui avait dû attendre sa visite toute la journée. Comme si elle avait lu dans ses pensées, Adrienne avait passé sa main dans son dos.
- Ça va aller ma puce, lui avait-elle chuchoté. Comment va ta maman ?
- J'espère que ça va, j'ai cassé mon téléphone donc j'espérais vraiment la voir ce soir... avait dit Tiana d'une voix faible.
- On va essayer d'appeler l'hôpital, ils pourront peut-être te donner exceptionnellement des nouvelles.
- Vous... Vous pourriez le faire pour moi ? Je n'ai vraiment pas la force d'expliquer la situation à une standardiste... avait demandé la jeune femme.
- Bien sûr ma puce, bien sûr.
Tiana avait l'impression d'avoir de nouveau six ans. Est-ce qu'à vingt-et-un ans on n'était pas censé être capable d'appeler un hôpital pour prendre des nouvelles de sa mère malade ? En fait, elle s'en fichait pas mal. Elle était tellement fatiguée par ces derniers jours qu'elle avait besoin qu'on la traite autrement que comme une adulte.
Elles s'étaient dirigées vers le salon de thé au grandes vitrines bordés de bois peint en un rouge vif sur lesquelles on pouvait lire « Martha's tea, coffee and other treats ». Derrière les vitres translucides, on devinait des pâtisseries colorées à la pâte à sucre, des ganaches qui ne manquaient pas de panaches, des tartes, des pana cota aux milles saveurs, enfin tout ce que la créativité humaine pouvait créer de meilleur - et de sucré.
En rentrant, elles avaient été accueillies d'abord par le tintement d'une clochette accrochée à la porte en bois couleur cerise, puis par un « bienvenue ! » énergique lancé depuis le bar par un des trois serveurs du café. La fameuse Martha quant à elle était comme à l'accoutumée en train de courir entre les rangées de table en bois laquée qui scintillaient au soleil. Arrivée de Londres il y a des années, tout le monde en ville continuait de se demander pourquoi elle avait tenu à venir s'enterrer dans ce trou plutôt que d'aller s'établir plus près de la capitale où elle aurait fait fureur.
- Allez commander ce que vous voulez les filles, j'appelle l'hôpital et je te passe ta mère dès que je l'ai en ligne Tiana, avait souri Adrienne.
Les deux ne s'étaient pas fait prier. Malgré tout, Tiana eut toutes les peines du monde à passer commande tant elle n'avait de cesse de guetter la mère de Jo, attendant un geste de sa part lui indiquant qu'il fallait qu'elle revienne. Elle avait hâte d'entendre la voix de ma mère. C'était la moindre des choses, après toutes ces émotions. Bon, elle ne lui parlerait peut-être pas de leur « accident ». Ça commençait à faire beaucoup de choses qu'elle ne pouvait pas dire à sa mère...
Mais voilà, le signe de main que la jeune femme attendait ne vint pas. Pire, elle faillit lâcher son plateau, laissant s'échapper son cappuccino et sa part de tarte à la rhubarbe lorsqu'elle vit que la mère de Johanna reposait son téléphone sur la table.
- Vous n'avez pas réussi à les joindre ? avait demandé Tiana, la voix cassée, en revenant près de la table, les mains tremblantes.
Adrienne l'avait regardé avec cette douceur dans les yeux, de celle que l'on a uniquement lorsque l'on doit dire quelque chose de difficile.
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