CHAPITRE IV
- Tu n'es pas excitée par la venue de madame Desroses ?
Camille fixa le visage de son amie. Elle semblait ailleurs, perdue dans ses pensées. La jeune servante lui donna un coup de brosse sur l'épaule.
- Aie ! cria Maud, rappelée à la réalité.
- Tu ne m'écoutes pas ! reprocha gentiment Camille en reprenant son travail.
Elle achevait de coiffer Maud qui s'apprêtait pour la réception à l'orphelinat Bon Pasteur.
- Excuse-moi, répondit Maud. Que disais-tu ?
- Rien de très important, grommela Camille. D'ailleurs, j'ai la réponse à ma question. Voilà, j'ai terminé !
Maud la remercia chaleureusement. Camille avait des doigts de fée : son travail était superbe. La jeune servante la remercia d'un air ravi, le rouge aux joues.
- Allez, file te préparer, sinon nous allons être en retard !
- Me prép... ?
Camille ouvrit des yeux ronds, sans terminer sa phrase. Maud eut un sourire taquin.
- Tu ne crois tout de même pas que j'allais me rendre à cette réception sans toi ! dit-elle en poussant Camille hors de sa chambre. Allez, oust ! Je t'attends dans le petit salon. Nous partons dans dix minutes.
Son amie ne se le fit pas dire deux fois. Elle monta les marches qui conduisaient à sa chambre d'un pas tout excité. Maud la regarda partir, ravie. Le cri d'émerveillement qu'elle entendit deux minutes plus tard, élargit encore plus son sourire. Son cadeau avait fait effet. Elle tardait de voir Camille dans la robe qu'elle venait de lui offrir.
***
- Camille arrive bientôt...
Maud avait prononcé ces paroles sans un regard pour son oncle, occupée à enfiler ses gants. Un sifflement d'admiration lui répondit. Elle leva les yeux, surprise, pour découvrir le sexagénaire appuyé contre la cheminée. Il l'observait, une lueur de fierté dans ses yeux clairs.
- Oncle Mat, je déteste quand vous sifflez ainsi, gronda doucement la jeune fille.
- Pardonne-moi, répondit-il en retenant un rire. C'est très inconvenant de ma part, reconnut-il ensuite. Mais il faut dire que je ne trouvais plus mes mots...
- Cessez donc de me flatter, rit Maud. Vous verrez quand Camille descendra...
- Je suis content de voir que tu t'entends à merveille avec elle, rétorqua oncle Mat sans tenir compte de la remarque de sa nièce.
- C'est grâce à vous ! Et d'ailleurs, je vous remercie vivement de l'avoir prise à votre service. J'ai l'impression de me retrouver quelques années en arrière, quand cette maison était pleine d'orphelins et que certains d'entre eux étaient devenus mes compagnons de jeux...
- ...et de bêtises, termina son oncle en la coupant.
Maud le fixa sans mot dire. Ainsi, il était parfaitement au courant de ses anciennes escapades nocturnes. Elle retint un sourire : oncle Mat était la bienveillance même. Il n'avait jamais rien dit et aujourd'hui encore, il passait ces épisodes sous silence !
- Je suis prête...
La voix, timide et féminine, l'arracha à ses réflexions. Maud fit volte-face, suivant le regard sidéré de son oncle. Elle poussa une exclamation ravie :
- Ma parole, Camille ! Tu es...époustouflante !
- M...merci ! bredouilla la jeune fille, rouge comme une pivoine.
- Oncle Mat, je vous en prie, dites quelque chose !
- Hein ? Ah ! Euh..., balbutia l'ancien marin en sortant de sa stupeur. Tu avais raison, en effet, ma chère Maud. Camille, vous êtes ravissante ! On vous comparerait aisément à une fée !
Camille remercia Matthieu de Fleurville pour son joli compliment. Maud jubilait intérieurement. Elle était tellement contente de s'être fait une amie et en plus, d'avoir pu lui faire plaisir.
- En route, s'exclama-t-elle en regardant l'heure. Vite, ou nous allons être en retard !
- Nous avons une demi-heure d'avance, ma chérie ! grommela oncle Mat qui n'aimait guère être bousculé.
- Mais je vous rappelle que je dois accueillir les invités, le sermonna Maud en le poussant vers la porte.
- Oh, bien ! bien ! Dans ce cas, je ne dis plus rien !
Et il alla s'installer au volant de sa voiture vrombissante, tandis que les deux jeunes filles s'asseyaient à l'arrière.
***
- Bonsoir, madame du Gorget ! Je suis enchantée de vous revoir ! Comment va votre fils ? Toujours dans l'armée ? Ah ! tant mieux !... Monsieur Renoir ! Où est donc votre ravissante épouse ? Ah ! la voilà ! Madame Renoir, ravie de faire enfin votre connaissance ! Nous nous sommes aperçues il y a quelques années, mais je n'étais qu'une petite fille à l'époque... Oui, installez-vous ! Vos sièges sont de ce côté-ci, sur la droite ! A bientôt !...
Maud n'arrêtait pas. Depuis vingt longues minutes, les invités affluaient en masses compactes à l'intérieur de l'orphelinat, qui semblait soudain trop petit pour accueillir cette centaine de personnes. Oncle Mat observait sa petite nièce, fier de voir qu'elle s'en sortait à merveille. Maud était vraiment une jeune fille accomplie. Qu'attendait-elle donc pour se marier ? Elle avait dû avoir déjà quelques prétendants, sans doute... Pourtant, elle ne lui en avait pas touché mot. Peut-être parce qu'il s'agissait d'un sujet qu'elle ne voulait sans doute pas partager avec un vieil homme comme lui.
Un ami de longue date vint le distraire de ses pensées. Il détourna le regard de sa petite nièce qui continuait sans relâche à sourire aux hôtes de la soirée.
- Maud ?
Ainsi interpellée, la jeune fille se retourna. Un jeune homme, à peine plus grand qu'elle, la regardait avec un mélange d'étonnement et de joie dans ses yeux bruns.
- Loïc ? demanda-t-elle d'une voix hésitante.
- Oui, c'est bien moi, confirma le jeune homme. Mon Dieu ! J'avais peur que tu ne me reconnaisses pas !
- Comment aurais-je pu t'oublier ? s'exclama Maud en riant. Mon inséparable compagnon de jeu ! ajouta-t-elle en le serrant contre elle.
C'était une façon fort peu protocolaire de dire bonjour à un jeune homme, mais Maud se moquait bien des convenances quand il s'agissait de Loïc. Elle le considérait comme son petit frère et, même s'ils s'étaient perdus de vue quelques années auparavant, elle sentait que rien n'avait changé.
- Tu m'as manqué, avoua-t-elle en le tenant à bout de bras.
Elle l'observa un instant. Il ne devait pas dépasser le mètre soixante-quinze ; sa peau était toujours aussi mate, ses cheveux noirs et ses yeux bruns. Il était resté mince, même s'il avait pris un peu plus de carrure par rapport à sa taille frêle d'enfant. Agé de trois ans de moins qu'elle, Loïc était la gentillesse incarnée.
- Toi aussi, tu m'as manqué, répondit-il avec un sourire. Que deviens-tu ?
- Oh ! Je suis institutrice. Mais pour l'instant, je profite de mes quelques jours de congé.
- Institutrice ? Je ne sais pas pourquoi, mais cela ne m'étonne même pas. Combien de temps restes-tu ?
- Une semaine ou deux, je ne sais pas trop...
- Très précise, comme d'habitude, se moqua Loïc en lui lançant un clin d'œil.
Camille choisit ce moment pour s'approcher d'eux. Elle semblait surexcitée.
- Maud ! Madame Desroses va bientôt faire son entrée ! Dépêche-toi de regagner ta place ! Oh..., fit-elle en apercevant Loïc. Excusez-moi, je ne voulais pas vous dér...
- Je te présente Loïc, interrompit son amie tandis que le jeune homme, un peu rougissant, saluait Camille. C'est mon meilleur ami d'enfance. Loïc, voici Camille, avec qui j'ai fait connaissance à mon arrivée ici, il y a quelques jours.
La jeune servante salua à son tour. Maud constata qu'elle devait avoir le même âge que Loïc. Elle s'aperçut aussi que son ami fixait étrangement Camille. Quel mal élevé ! Elle lui lança un coup de coude discret. Loïc détacha ses yeux de la jeune fille et se racla la gorge, gêné d'être pris en flagrant délit.
- Je vais m'asseoir, déclara soudain Camille. Rejoins-moi quand tu es prête. Loïc...
Elle tourna les talons et disparut. Les lumières s'amenuisèrent progressivement, tandis qu'au contraire, la scène s'éclairait vivement. Une femme d'une cinquantaine d'années, à la corpulence impressionnante, vêtue d'une robe sombre ornée de roses rouges, parut.
- Elle porte bien son nom ! risqua quelqu'un non loin de Maud.
Madame Desroses commença à chanter. Maud, les sourcils froncés, se tourna vers Loïc.
- Tu la connais ?
- Qui ? Madame Desroses ? Bien sûr, tout le m...
- Mais non ! interrompit Maud en le secouant. Camille ! Tu l'as déjà vue ?
- Je n'en suis pas sûr..., répondit le jeune homme d'un ton hésitant. En tout cas, elle me rappelle une autre jeune femme. Un peu plus âgée que ton amie peut-être... Mais où l'aurais-je vue ? Je n'arrive pas à m'en souvenir...
- Ce n'est pas grave, le rassura Maud en glissant sa main sous le bras de son ami. Viens, allons nous asseoir. Profitons pleinement du spectacle.
Ils s'installèrent à côté de Camille qui leur adressa un grand sourire. Maud fixa ensuite madame Desroses qui continuait son récital. Si son oncle avait pu la voir, il aurait été certainement déçu. Maud n'écoutait absolument pas l'artiste. Perdue dans ses réflexions, elle ne cessait de s'interroger : comment Loïc aurait pu connaître Camille ? Et surtout, quelle était cette mystérieuse femme à qui son amie ressemblait ?
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