CHAPITRE II
Il faisait frais ce matin. Maud releva le col de son manteau et souffla dans ses mains pour les réchauffer. Le froid perçait à travers ses gants et la jeune fille sentait le bout de ses doigts geler progressivement. Un léger brouillard étendait ses nappes de coton sur le village encore endormi. De timides rayons d'or pâle tentaient de percer la couche nuageuse pour réchauffer la terre givrée.
Maud arriva près de l'église et s'approcha du porche. Rien n'avait changé depuis sa dernière visite, si ce n'est que la façade avait été quelque peu nettoyée. La jeune fille tourna la poignée de l'imposante porte de bois sculpté et entra dans le sanctuaire.
Elle s'approcha du bénitier et trempa le bout de ses doigts dans l'eau. Ensuite, elle se signa et avança d'un pas lent dans l'allée centrale. Rien n'avait changé : les mêmes chaises de paille étaient là, placées vers l'autel de pierre blanche. Sur le côté gauche, la chaire où le curé prêchait chaque dimanche surplombait les rangées des fidèles. Les vitraux de droite filtraient la lumière du jour naissant.
Maud se dirigea vers le chœur et se glissa dans le banc réservé à la famille Fleurville. Elle s'assit et resserra le col de son manteau. Il faisait encore plus froid dans la chapelle que dehors.
Elle se revit enfant, entre sa mère et son frère, les yeux agrandis d'admiration devant la beauté de la célébration de la Messe de Minuit. Des cierges brûlaient partout dans le chœur et les servants, vêtus de blanc, joignaient les mains avec ferveur. Les volutes d'encens montaient haut dans l'église et leur parfum se mêlait à celui des aiguilles de pin qui ornaient la crèche. La chorale chantait à pleins poumons les chants de Noël, les voix graves des hommes répondant en sourdine aux notes aériennes des femmes.
Maud soupira et s'adossa à son siège : comme elle regrettait ce temps où elle n'était qu'une enfant innocente et s'émerveillait d'un rien !
Un bruit sourd dans son dos la ramena brusquement à la réalité. Elle se retourna rapidement, juste à temps pour voir une silhouette noire sortir du confessionnal et s'enfuir par la porte principale. La jeune fille mit quelques secondes à réagir, puis prit l'intrus en chasse. Mais il était trop tard : lorsqu'elle sortit de l'église, l'oiseau s'était envolé.
« Manqué ! », pensa Maud, déçue.
Mais son désappointement laissa bientôt place à la perplexité. Que faisait cet homme – ou cette femme – dans le confessionnal à une heure si matinale ? Et depuis combien de temps était-il là ? L'avait-il vue rentrer ? Et dans ce cas, pourquoi ne s'était-il pas manifesté plus tôt ? Et de plus, pourquoi s'enfuir ?
Les questions tournaient à toute allure dans sa tête et, de plus en plus intriguée, la jeune fille décida de retourner dans le sanctuaire afin de trouver peut-être des réponses.
Elle se dirigea cette fois vers le confessionnal et souleva le rideau. Il n'y avait rien, à part un petit crucifix accroché au mur du fond. Elle vérifia aussi la loge du prêtre, mais là aussi, ses recherches furent vaines.
Dépitée, elle fit lentement volte-face. Soudain, son regard remarqua quelque chose d'inattendu. Elle se pencha pour mieux voir et ramassa un paquet – une liasse de papiers – fermé par un ruban de couleur bleu. Piquée par la curiosité, elle défit le nœud et ouvrit le premier papier. Il s'agissait d'une lettre. Maud la referma précipitamment. Sa bonne éducation lui interdisait de lire un courrier qui ne lui était pas adressé. Elle remit le papier et le ruban en place, puis rangea le paquet dans son sac à main.
En son for intérieur, elle se promit de retrouver la mystérieuse personne en fuite, afin de lui restituer le paquet de lettres.
Ainsi décidée, elle rajusta son chapeau, fit sa génuflexion, sortit de l'église dont elle ferma consciencieusement la porte et se dirigea d'un pas vif vers l'orphelinat de la rue Saint-Jacques.
***
La religieuse qui lui ouvrit ne la reconnut pas tout de suite, puis se rendant compte à qui elle avait affaire, un large sourire lui éclaira le visage.
- Mademoiselle Maud ! s'exclama-t-elle. Votre oncle nous a prévenues de votre visite. Si vous saviez comme nous sommes enchantées de vous revoir !
- Je le suis également, sœur Myriam, répondit Maud d'un ton poli.
- Venez, la pressa sœur Myriam. Notre mère supérieure vous attend. Elle vous expliquera mieux que moi ce que l'on attend de vous.
Maud eut un demi-sourire. Elle connaissait bien sœur Myriam : âgée d'une quarantaine d'années, vive et intelligente, un sourire permanent sur ses lèvres, la religieuse n'avait pas sa langue dans sa poche. Elle était toujours au courant de la moindre rumeur et s'empressait de la colporter à toute oreille attentive et complaisante qu'elle rencontrait. Maud se doutait que sœur Myriam savait parfaitement lui expliquer quel rôle elle devait jouer. Mais la religieuse résistait à la tentation en l'emmenant voir la supérieure de l'orphelinat.
Elles traversèrent un long couloir silencieux et arrivèrent à une petite porte de bois, sans fioriture aucune. Sœur Myriam frappa un coup discret et attendit la réponse. Celle-ci ne tarda pas à venir. Une voix ordonna d'un ton impérieux d'entrer. Sœur Myriam ouvrit la porte sans faire de bruit et annonça :
- Mademoiselle Maud est là, ma Mère.
- Merci, sœur Myriam. Voulez-vous la faire entrer, je vous prie ?
Sœur Myriam s'effaça pour laisser Maud pénétrer dans la pièce. La jeune fille avança d'un pas timide. Elle entendit la porte se fermer derrière elle : sœur Myriam était partie, laissant la jeune fille seule avec la mère supérieure.
- Bonjour, mon enfant, salua celle-ci d'une voix chaleureuse.
- Bonjour, ma mère, répondit Maud d'une toute petite voix.
- Asseyez-vous, je vous en prie.
Maud obéit et prit place sur le siège que lui désignait la religieuse. Celle-ci s'assit en face d'elle et croisa ses mains sur son bureau. Elle observa quelques instants la jeune fille qui n'osait la regarder. Mère Alice eut un sourire imperceptible : elle retrouvait la fillette effrayée dès qu'elle se trouvait en sa présence. Elle ne savait pas pourquoi, mais Maud était toujours très impressionnée lorsqu'elle était avec Mère Alice. Certes, la religieuse possédait une autorité imposante, mais elle ne parlait jamais durement et ressentait toujours une profonde affection pour tous les enfants qu'elle voyait grandir.
- Bien, déclara-t-elle soudain. Votre oncle vous a sûrement expliqué quelle grande réception nous organisons en ce lieu. Madame Desroses arrivera dans deux jours, ce qui nous laisse peu de temps pour préparer la salle que nous réservons pour son récital. Fort heureusement, nous avons assez avancé dans nos autres préparatifs, mais avec les enfants, j'ai peur que nous prenions du retard. Aussi, je vous laisse le soin de décorer à votre guise la salle que je vous montrerai tout à l'heure. J'ai mis les filles les plus âgées à votre disposition car j'imagine que vous aurez besoin de bras dans votre tâche. Madame Reille, la fleuriste, arrivera dans une heure pour recevoir votre commande et vous guider dans vos choix de fleurs. Avez-vous des questions ?
- Tout est clair, ma mère. Je vous remercie. Ah si ! Jusqu'à quelle heure m'autorisez-vous à rester dans la salle ?
- Excellente question. J'aimerais que vos aides nous rejoignent pour le repas du soir, c'est-à-dire vers dix-neuf heures. Cela vous suffira-t-il ?
- Amplement ! Merci beaucoup, ma mère.
- Bien ! sourit Mère Alice en se levant. Dans ce cas, je n'ai plus qu'à vous montrer la salle. Voulez-vous bien me suivre ?
La jeune fille se leva à son tour et suivit la religieuse sans dire un mot de plus. Depuis quelques secondes, ses pensées étaient ailleurs. Elle venait de se rappeler de la présence des lettres dans son sac à main, et une question la taraudait : comment allait-elle retrouver le mystérieux propriétaire du courrier ?
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