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Françoise ne savait pas quoi faire. Elle avait passé la semaine encore à échanger des lettres avec le Marquis de Bouc, celui qui n'était soi-disant pas recommandable par son cousin. Il n'aimait rien de ce qui venait d'elle de toute façon. Elle ne pourrait jamais être comme lui, avec ses grands principes, sa noblesse et sa rigueur à respecter les règles.

Françoise s'agaçait. Depuis petite, il ne la regardait pas comme une amie, mais comme un poids difficile à supporter. De toute façon, elle ne devait plus l'épouser. Elle supposait qu'il devait en être heureux. Il épouserait une femme très distinguée et sans fautes.

Maintenant que ses frères n'étaient plus, elle ressentait le devoir de faire « tout comme il faut », mais elle ne s'en sentait pas capable. On n'avait mis aucun espoir en elle depuis le début et maintenant son père se plaignait de son caractère trop libre et entêté ? Foutaise..

Elle avait le cœur qui battait pour la première fois de sa vie pour un homme. C'était donc cela l'amour. Cette chose qui se blottissait comme un chat ronronnant dans le cœur, qui lui faisait monter le sourire sans savoir pourquoi. Se rappeler sans arrêt du visage du Marquis, ses beaux cheveux, son comportement rieur et sa répartie charmante.

- Alors, que dit-il cette fois-ci ? demanda Françoise à sa domestique favorite, Garance.

Garance déplia la lettre et se mit à la lire une fois pour elle même, sous les yeux impatients de Françoise.

- Amour chéri, j'aime me sentir prêt de toi, tout ce qui vient de toi, ta bouche, tes gestes, ta voix, tout me manque quand je suis loin de toi. On dit que l'âme est blanche quand elle n'est pas encore marquée par le désir, j'ai l'impression que la mienne est un rouge incandescent depuis que je t'ai rencontré.

Françoise eut les joues cramoisies.

- Madame, vous rougissez ! s'exclama Garance qui réprimait un rire.

- Ne te moque pas de moi, c'est très mal poli ! ria t-elle en lui donnant une petite tape amicale sur le bras.

Françoise ne s'entendait bien qu'avec les domestiques avec qui elle avait partagé ses chagrins, et trouvé du réconfort lorsqu'elle était punie, petite. Elle savait qu'ils étaient les seuls à la comprendre et ne pas la juger. En plus, Françoise cachait une honte qui la torturait : elle ne savait ni lire ni écrire. C'était le seul regret de son manque de discipline.

Elles se mirent toutes les deux sur une table ronde, parfaite pour l'écriture d'une lettre d'amour. Françoise donna tout son cœur dans la dictée pendant que Garance écrivait à l'encre le flux de mots de tendresse et de désir.

- Qu'avez-vous fait ? s'exclama Antoine fou de rage.

Il empoigna avec force le poignet de Françoise qui était prête à partir.

- Lâchez-moi ! Ce n'est pas à vous de séparer le bien du mal, j'ai déjà un père qui me corrige tout autant !

Elle gigota et le repoussa de toutes ses forces. Antoine bascula en arrière et se rattrapa sur la commode. Il était impressionné de voir autant de force dans son geste et surtout à quel point elle le rejetait. N'avait-il pas tout partagé depuis l'enfance ? Il avait tellement envie de lui crier que ce n'était qu'une imbécile, qu'il ne pourrait rien faire maintenant pour la ramener dans la haute société. Elle avait commis l'irréparable : perdre sa virginité avec le Marquis de Bouc, avant le mariage.

- Françoise, avez-vous conscience que ce que vous avez fait va vous mener à votre perte ? Est ce que vous n'avez vraiment pas eu de moment de lucidité pour le repousser ? Est-ce que vous êtes stupide au point de l'avoir cru quand il vous a promis de vous épouser ?

Il perdait tout le contrôle de lui même. Elle le mettait hors de lui. La voir lui faire face avec l'air buté, le petit menton relevé comme s'il ne pouvait pas l'atteindre, le mettait encore plus sur les nerfs.

- Ma vie ne vous regarde pas Antoine ! cria-t-elle au bord des larmes. Je n'ai pas toujours le bon proverbe en tête, désolée ! Oui je suis désolée de DÉCEVOIR, toujours et à tout le monde ! Mais vous savez ce qui me sépare de vous ?

Il se sentait perdu, sans voix de la découvrir tout à coup si vulnérable. Il ne voulait pas la toucher en plein cœur, ça lui faisait du mal de la voir comme ça. Il avait envie de revenir sur ses mots et lui dire juste simplement « Je n'arrive pas à accepter de te quitter, tu étais déjà si loin de moi, mais maintenant avec cette folie je te perds complètement, peu importe ce que tu as fait avec un autre, s'il te plait reste près de moi ».

- Je n'ai pas choisi cette vie, dit elle avec amertume, et j'ai tout fait pour en sortir même si le risque était grand, je l'ai pris. Alors que vous, vous êtes comme cette chaise, bien à sa place et inerte, qui n'existe simplement pour remplir sa fonction ! Il n'y a rien de pire que d'être un objet dans la cour du Roi !

- Offense ! lâcha-t-il pour la corriger. Comment osez vous parler du Roi ! On pourrait vous entendre ! Moquez vous de moi si cela vous plait, j'en ai maintenant l'habitude. Vous n'avez jamais remarqué toute la gentillesse que l'on a fait preuve envers vous.

- Maintenant je suis une ingrate ? Comme le dit si bien votre mère ?

- Cela n'a rien à voir avec ce qu'elle pense !

- Je sais bien que vous êtes les mêmes !

Antoine passa sa main dans ses cheveux châtains clairs, et voulut rétorquer, mais elle le fixait avec son regard insolent.

- Je n'ai plus rien à vous dire, dit-il en soupirant.

Puis, il reprit d'une voix plus douce :

- Françoise.. je ne vous juge pas pour ce que vous avez fait, je suis juste exaspéré par votre comportement. Si le Monde découvre votre aventure, je crains que..

- Très bien ! Je m'en vais alors, bonne journée.

Elle partit et le laissa pantois.

Quelques jours plus tard, la nouvelle c'était répandue dans tous les duchés. On surnomma même Françoise « la Duchesse catin ». Qui ne parlait pas de cette histoire entre jeux de dames et cotillons à la Cour ? Le Roi avait cessé de verser la rente mensuelle, autrefois entretenu par le lien d'amitié et d'affection qu'il avait pour la famille Fauconval, pourvu de deux beaux fils.

Françoise ne voyait plus Antoine. Il n'était plus autorisé à se fréquenter. Elle n'était plus invitée aux soirées galantes, aux jeux et aux petits opéras. Plus personne ne lui écrivait, non plus. Elle se sentait si mal qu'on la voyait marcher seule sous un temps d'orage, à moitié bien vêtue ou alors elle refusait de manger sous prétexte d'avoir perdu l'appétit.

Plus les journées passèrent, plus son isolement était profond.

Un soir, elle approcha la chambre de sa mère, le cœur lourd de chagrin.

- Mère, est-ce que je peux entrer ?

La chambre était chaude avec le feu qui brulait dans la cheminée. Les rideaux couvraient les fenêtres si bien qu'elle distingua à peine le corps de sa mère dans le lit.

- Oh mère, est-ce que vous dormez ? Je vous dérange ?

Elle aperçut un léger mouvement dans sa main, comme si au contraire elle l'incitait à venir plus proche du lit. Françoise s'assit sur le lit et caressa le bras de sa mère puis glissa ses doigts dans les siens, doucement.

- Je peux rester un moment près de vous ?

La duchesse Marie-Francoise de Fauconval ne répondit pas. Elle avait les yeux clos comme une éternelle endormie, mais Françoise savait qu'elle pouvait l'entendre.

- Mère, est-ce que vous êtes fâchée vous aussi ?

Elle guetta la moindre expression sur son visage, mais il restait détendu et sans mouvement. Son cœur se serra, ça lui pressa si fort la poitrine que son souffle resta coincé dans la gorge.

- Je n'ai rien fait comme il faut, Mère, pardonnez moi. J'ai tout gâché. Est-ce que vous m'en voulez ?

Elle sanglota en silence. Toutes les gouttes tombaient sur la main de sa mère. Dès qu'elle s'en aperçut, elle prit un pan du drap pour vite essuyer. Elle craignait que cela mouille son corps déjà si froid et rigide.

- Vous êtes celle qui m'a le plus aimé dans ce monde. J'ai entendu dire qu'une mère ça pardonne tout, je vous en prie, ne me rejeter pas. Est-ce que vous m'aimez toujours ?

À ce moment-là, elle entendit des pas s'approcher. L'allure avait l'air pressée. Elle bondit et se cacha derrière le rideau. C'était son père qui parlait avec son fidèle bras droit.

- Est-ce que vous êtes certain Messire ? demanda son serviteur.

Françoise se demanda si elle était vraiment bien invisible dans la chambre. Son cœur battait la chamade. Son père était la dernière personne avec qui elle voulait faire un tête-à-tête. Il la détestait depuis petite. Il la regardait toujours avec mépris et la corrigeait avec des gestes violents. Lorsqu'il devait parler d'elle avec la Duchesse Marie-Françoise, il prenait bien soin de dire « votre enfant » pour toujours l'exclure de sa lignée bien-aimée.

Françoise ne bougeait pas. Elle contrôlait même sa respiration pour faire le moins de bruit possible.

- Autrefois, voyez vous j'avais de la peine de voir cette fille qui ne savait pas s'occuper toute seule. Elle n'a jamais été mauvaise, oh ça non. Ses goûts différaient des autres enfants. Il faut dire que sans cervelle c'est facile d'imiter les animaux. Il n'y a que Madame qui avait assez de compassion pour l'étreindre même encore après ses mauvaises conduites.

Il jeta un regard douloureux à son épouse.

- J'ai bien peur qu'elle ne puisse plus le faire. Et est-ce qu'elle m'arrêterait ?

Il interrogea du regard son compagnon. Celui-ci faiblit et répondit d'une petite voix :

- Madame est dans le sommeil depuis un moment, je crois qu'elle n'a pas appris le débâcle amoureux de votre fille. Elle a beaucoup souffert, peut être que vous devez penser à vous maintenant.

- Je ne pense pas à moi. J'attache plus d'importance à la dignité et à la loyauté. J'ai vu de nombreux ennemis dans ma vie et pas tous dociles comme des chevreaux une fois qu'on les avait maitrisés, mais Françoise.. Je n'aurais jamais cru qu'elle serait un jour la traitre cachée dans l'ombre qui assène un coup avec autant de véhémence.

- Oui Messire, dit l'autre sans savoir quoi dire.

Françoise plaça une main sur sa bouche pour éviter de trembler. Son corps se colla un peu plus vers le mur de peur d'agiter ne serait ce qu'une once, le rideau.

- Vous savez ce que l'on fait à un cheval qui est blessé ?

- Nous l'abattons Messire.

- Et pourquoi ?

- Parce que nous savons qu'il n'y a plus d'espoir de survie de l'animal, Messire.

Le Duc lança un regard dans la direction de Françoise. Il ne vit que le rideau, mais son regard s'attarda sur les taches sombres qui dansaient par les reflets du feu de cheminée.

- C'est comme cela qu'il faut l'abattre. Tuez-la ce soir, déracinons le mal ! 

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