1.

Au 18e siècle, le Duc de Fauconval était réputé pour avoir les grandes faveurs du Roi. On l'emmenait à la cour pour détailler d'affaires importantes et son avis intellectuel et stratégique était fortement apprécié. Ses deux fils nommés par le dicton « les enfants bénis » avaient grandi autour des plus hauts fonctionnaires du Roi et leur esprit brillait. Ils s'accordaient parfaitement avec les us et coutumes de cette époque. Seulement dans l'ombre, la petite Françoise frayait son propre chemin. Cette fille, laissée pour compte, car de sexe féminin jugé sans importance et sans avenir prestigieux, passait son temps sous la tutelle de son précepteur. Les deux avaient du mal à bien s'entendre. Le caractère de Françoise était têtu et fougueux. Elle préférait courir que de marcher à petits pas, ramasser les fleurs à main nue lorsqu'il fallait demander à une domestique de le faire à sa place où encore dessiner sur les carreaux des vitres, des triangles et des cœurs au lieu d'apprendre son solfège. Son précepteur rapportait à sa mère, la Duchesse Marie-Françoise de Fauconval qu'avant de souffler sa dixième bougie, elle aurait commis toutes les bêtises interdites. Il l'avertissait sur son esprit qui était trop volontaire et indomptable, car la petite ne supportait pas les corrections. Elle criait par plaisir dès que l'on s'approchait d'elle pour aller courir se cacher quelque part.

« Madame la Duchesse, cet enfant ne sera jamais sous le signe de la fortune si vous lui laisser faire ces folies. Elle ne s'amuse pas comme la fille d'une Duchesse, mais comme la fille d'une domestique ! Madame, je vous prie d'arrêter de la consoler, et de mettre votre cœur à la corriger ! » disait-il en suppliant la Grande Duchesse.

Mais Marie-Françoise éprouvait un amour débordant pour sa fille. Elle se sentait délaissée par son mari et voir sa fille vibrer de joie et de fantaisie dans sa demeure si froide, la rendait heureuse.

La petite Françoise avait un cousin, qu'elle fréquentait souvent et qui était destiné à être son futur époux : Antoine, fils du Duc de Combes. Il était de deux ans son ainé, et représentait tout son contraire. Il apprit à écrire à l'âge de 4 ans, et la même habilité de ses doigts le rendit maitre du piano. On le mettait des heures sur une chaise à répéter des notes des plus célèbres opéras et compositeurs. Il exécutait toutes les volontés que son précepteur lui dictait, persuader que c'était pour son bien, sans jamais résister. Il avait le visage d'un petit garçon sage et calme. Françoise passait derrière son dos et tentait de le distraire, mais très vite on la ramenait à son pupitre où elle devait s'efforcer à apprendre à lire. Parfois même, on la ligotait sur une chaise devant son cousin pour qu'elle s'efforce de développer son oreille musicale. Mais Françoise prenait la punition avec humour et s'amusait à gesticuler et tordre son visage en grimace pour déconcentrer Antoine.

Un jour, Françoise ramena des œufs. Elle était si fière d'avoir visité le poulailler et de trouver ces petits trésors, qu'elle en donna un à son cousin.

- Antoine, il faut que vous en preniez bien soin, car cet œuf va devenir une poule, lui dit-elle en gardant les deux plus gros dans ses mains.

- Cet œuf est sale ! protesta-t-il. Pourquoi me donnez-vous quelque chose de dégoutant ? Regardez, il y a de la terre et de la paille collé à la coquille ! C'est encore une manière de vous moquer de moi, n'est-ce pas ?

- Si vous ne reconnaissez pas le cadeau comment êtes-vous capable de discerner la bonne intention ?

Elle leva le menton, l'air ravi de sa joute verbale.

Françoise avait la robe salie par sa traversée dans le poulailler, mais elle paraissait très naturelle et sans le moindre soupçon de honte. Il avait l'habitude de voir qu'elle ne se souciait pas de son apparence surtout à la fin de journée lorsqu'elle avait défait la coiffure que l'on avait mise des heures au matin à maintenir et tachée ou déchiré la robe en satin.

Les parents d'Antoine, le Duc et la Duchesse de Combes, jugeaient sévèrement le comportement de la petite. Elle devenait une source d'ennui pour leur fils. Cependant pour Antoine, le comportement « sauvage » de Françoise l'attirait plus qu'il ne le rebutait. Il se sentait aimanté par son charisme, son visage au sourire franc et son regard dominant. Toutes ses aventures de soif de liberté le poussaient petit à petit à vivre sans elle, car Françoise était toute seule dans son monde. Et cela était son angoisse, il trouvait en Françoise, l'âme d'une personne unique qu'il ne voulait pas perdre malgré leur différence.

En réalité, si Françoise ne venait pas étudier avec lui, il la cherchait du regard et dès qu'il l'entendait rire ou se chamailler au loin avec le précepteur, il sentait son cœur vibrer. Antoine avait pourtant la coutume de garder un visage impassible, ainsi Françoise ne s'aperçu jamais de son attachement.

Lorsque Antoine devint un jeune homme, tout le monde le surnomma l'« adorable » fils du duc de Combes. Il en devint sa fierté, mais surtout celle de sa mère. Elle ne parlait que de son fils.

« Le Roi lui a touché le visage, quel grand signe de bénédiction ! Il a rendu l'accès à son cœur, une fois entré, il n'en sortira jamais ! Voyez mesdames, mon enfant est beau, mais sa réputation sera meilleure ! »

Cette bénédiction sonna la fin de sa relation avec Françoise. Un jour de pluie, alors qu'il venait de se mettre à lire dans le petit salon, sa mère la Duchesse de Combes lui posa une main sur son épaule.

- Antoine, si je ne vous avais pas, il n'y aurait pas d'étoile dans mes nuits et pas de lumière dans mes journées. Vous êtes le sang de mon sang, mon foie, mon cœur. J'ai rêvé maintes fois que le Roi vous regarde et ce jour est arrivé. Il y en aura maintenant d'autres, car Dieu a été clément et sa Grâce est venue sur vous. Vous êtes lié à un grand avenir, je ne peux pas faire de vous l'époux de cette têtue et à l'esprit sauvage !

Un coup dur venait de le frapper, il posa son livre immédiatement et se surprit d'échapper sur un ton agité : « Mère ! ». Elle le regarda l'air surpris de sa réaction. Il était temps, se dit-elle de les séparer.

- C'est pour le mieux. Il n'y a plus rien à faire pour sauver Françoise ! Bien que sa naissance soit riche et prestigieuse, ce n'est plus qu'une relique en or sur lequel on a coulé de l'étain. Sa mère l'a gâté et ses leçons ont été gâchées, que de temps perdu avec cet enfant ! Si seulement elle avait hérité de ton tempérament doux et docile. Pour une femme en plus, regardez avec quelle hardiesse elle s'exprime ! Qui peut lui tenir compagnie aujourd'hui ? Dites-moi ?

- Je peux encore lui parler. Je peux la raisonner !

La duchesse de Combes fit un mauvais petit rire.

- Elle est tombée dans le fond de l'eau, c'est trop tard pour partir la récupérer. Je ne veux plus que vous vous préoccupiez de son sort. Vous devez maintenant regarder devant vous, l'avenir que le Roi va dessiner. Quand vous êtes né, vous ne pleurez presque pas, j'ai tout de suite su que j'avais un enfant discipliné et à l'esprit mature. Françoise est trop éloignée de votre sagesse, elle partirait avec le bâton du mage pour s'en faire un feu de bois. Son esprit est ruiné et bientôt la mauvaise réputation va l'anéantir. Je ne la laisserais pas vous entrainer dans sa chute.

Antoine prit la mine grave. Il savait que sa mère ne revenait jamais sur une décision et qu'il allait devoir céder. Il ne pouvait faire autrement et jamais de toute façon il ne s'était permis de la contredire. Il était vrai que la bénédiction du Roi lui garantissait un avenir prospère, mais pourquoi était-il si triste ? Quand il se répéta intérieurement qu'il la perdait, son cœur se mit à crevasser. La fente était assez grande pour qu'il puisse en pleurer. Cependant, il se retint devant sa mère. Il garda une respiration régulière et tourna le regard vers la fenêtre.

- Bien, j'ai compris.

C'était donc cela de perdre son amour. Il devait à l'avenir la voir de loin et connaître ce jour où elle sera mariée à un autre.

L'année qui suivit fut sombre pour la famille de Fauconval. Françoise perdit ses deux frères de la maladie. Elle avait contracté le mal, mais après une forte fièvre, alitée pendant une semaine, elle s'en était remise. Cela ne fit pas la joie de son père qui ne pouvait se remettre d'avoir perdu ses fils distingués et loyaux, lui laissant une fille sans culture et sans noblesse. Ce fut un coup si dur qu'il passa du temps à prier à l'église et demanda que l'on éloigne de sa vue le plus possible la « restante ». Comme si un malheur ne venait pas seul, la Duchesse de Fauconval tomba dans les escaliers et se brisa la colonne vertébrale dans sa chute. Obligée de passer ses journées allongée dans le lit, elle perdait son énergie à petit feu. Son visage devenait de plus en plus pâle et parfois Françoise la sentait partir quand elle lui parlait. Elle avait si peur que sa mère décède qu'elle s'était mise à faire du déni et passait du temps a tremper ses pieds dans la rivière le long du domaine plutôt que de lui tenir compagnie.

Un jour, Françoise tomba amoureuse du Marquis de Bouc. Il était grand, au visage efféminé et plaisait à toutes les dames. Françoise n'avait pas l'habitude de se montrer en public, car son père ne le voulait pas, elle offrait alors un grand spectacle de divertissement quand elle parlait d'un ton vif ou avec humour. Mais la plupart du temps, le « beau monde » se moquait d'elle. On disait qu'elle était le chausson le moins bien assorti de tous les Duchés. Son comportement en haute société était risible, par exemple elle riait en montrant ses dents et sans se retenir. Parfois elle coupait la parole ou s'absentait sans prévenir au milieu d'une conversation. Et surtout sans montrer la moindre timidité elle avertissait tout le monde qu'elle ne savait ni dessiner ni coudre et ni jouer du piano ou « tout ce qui sonne beau à l'oreille ».

- Je pense que je plais au Marquis de Bouc, confia-t-elle à Antoine dans un petit salon à l'écart de la salle des jeux, loin de tout le monde.

Elle ne put s'empêcher de sourire jusqu'aux oreilles. Sa robe était parfaitement ajustée et ses cheveux relevés dans un chignon sans faute. Seulement la manière dont elle se tenait était tout autre. Elle frappa de ses mains, excitée comme une puce.

Antoine se moqua.

- Vous n'êtes pas du tout dans ses goûts ! Il passe son temps à regarder la Marquise de Jade. En plus, pour avoir conversé avec lui, il ne m'a jamais parlé de vous.

- Qu'est ce que c'est que ces mots ? Ha ce que vous pouvez être mauvais ! Heureusement que tu n'es plus mon époux, on m'a bien arraché une épine du pied ce jour-là !

Ces mots allèrent droit au cœur d'Antoine. Il en fit ne rien savoir.

- Vous n'avez pas vu les regards qu'il me lance ? Quand.. quand on s'est tous mis à table ! Il a une manière de prendre les jetons de jeux très au sérieux dès lors que je suis à côté de lui ! Et son sourire lorsqu'il me parle, n'as-tu pas vu ? Vraiment ?

Antoine souffla. Il ne savait pas ce qui le peinait le plus : laisser sa favorite s'éprendre d'un autre ou qu'elle ait choisi, le Marquis de Bouc, celui qui avait la moins bonne réputation. Il était connu pour être un coureur de jupons. Ha ça il savait manier l'art de charmer avec des phrases appétissantes et prometteuses, mais en vrai il laissait courir les femmes après les avoir trahis. Si, Françoise devait se séparer de lui un jour, car c'était bien cela sa malédiction, alors il préférait la voir avec un homme juste et un peu - si cela était possible du à son tempérament- amoureux d'elle. Il savait que personne ne pouvait ressentir le feu qui brulait son cœur depuis des années. Il fallait avoir vécu avec Françoise pour se rendre compte qu'elle était la perle rare confondue au milieu des algues dans le bleu de l'océan.

- Le Marquis de Bouc n'est pas un homme pour vous, Françoise, dit-il d'un ton sérieux. Il se satisferait de n'importe qu'elle compagnie féminine du moment qu'elle passe dans son lit !

Françoise le dévisagea avec des gros yeux. Il ne s'était jamais montré aussi franc envers elle. Est-ce qu'il essayait de briser le seul homme qui entrait dans sa vie mis à part lui ?

- Vous n'êtes qu'un jaloux Antoine !

À ce moment, il s'empressa de la faire taire en mettant sa main sur sa bouche. La duchesse de Combes entra dans le salon et les surprit.

- Et bien Antoine, quelle familiarité !

Françoise le repoussa et le défia du regard. Puis sans un mot, alors qu'elle sentait les yeux menaçants de la Duchesse de Combes se poser sur elle, elle tourna les talons.

- Vous lui parlez encore, s'indigna la Duchesse de Combes en le montrant du doigt pour l'accuser. Je vous ai déjà prévenu mainte fois, Françoise est en proie aux sarcasmes et au mépris par les esprits élevés et de hautes estimes. Mais bientôt cela ne sera même plus naturel de se moquer d'elle, car cette famille va sombrer dans l'oubli. Son père, rendez vous compte, le grand Duc de Fauconval n'est même plus invité à la Cour. Elle a fini non seulement par retirer tout le prestige de sa famille, mais elle continue de porter le malheur. Regarder sa mère, elle qui a tant donné son amour, où est elle maintenant ? À l'article de la mort ! Quelle fille ingrate, elle préfère batifoler que de tenir compagnie d'une mourante !

Antoine aperçut la silhouette de Françoise près de la porte. Il passa devant sa mère pour la rejoindre, mais elle s'échappa en courant. 

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