Un départ précipité
Nylathria n'arrivait pas à dormir. À vrai dire, cela faisait des jours qu'elle ne dormait que d'un seul œil, se réveillant régulièrement avec cette impression d'être observée. Elle craignait une nouvelle tentative de Berengar pour s'emparer de Durlan et lui faire subir bien pire encore que l'épreuve du fouet. Elle essayait de se rassurer en se disant qu'il n'essaierait jamais de l'approcher alors qu'ils sont ensemble, mais rien n'y faisait. Elle passa sa main sous le traversin et sentit le poignard qu'elle avait caché. Si jamais quelqu'un venait à les attaquer, elle aurait de quoi répliquer rapidement.
À côté d'elle, Durlan dormait profondément. Grâce aux soins qu'il avait reçu d'Avedelis et Azlore, il se sentait bien mieux et, les soins combinés avec la magie elfique, ses blessures guérissaient à une allure folle. Il avait eu de la fièvre le lendemain du drame, et Avedelis craignait que les plaies ne s'infectent. Le jeune homme n'avait cessé de faire des cauchemars, appelant tout un tas de personnes dans son sommeil agité. Le voir dans cet état avait fendu le cœur de Nylathria et l'avait rendue profondément en colère. Tout était de la faute de Berengar.
La princesse veillait sur lui jour et nuit, ne quittant jamais la chambre alors que bon nombre de personnes défilaient dans les appartements à longueur de journée. La druidesse et son apprenti venaient régulièrement, aussi souvent que le cas de lady Brenna le leur permettait, Murzol et Torestrin passaient le plus clair de leurs journées avec Nylathria, tentant de la faire rire mais ils finissaient par se disputer à chaque fois. Lady Selina venait deux fois par jour demander de ses nouvelles et apporter quelques en-cas à Nylathria. Elle savait qu'elle refusait de s'éloigner de Durlan et la comprenait. Durlan avait eu raison à propos d'elle, Selina était une personne extraordinaire.
Les conseillers royaux avaient essayé eux aussi de prendre des nouvelles du jeune homme mais la princesse partait dans une rage folle à chaque fois qu'ils s'annonçaient. Elle savait qu'ils n'étaient pas innocents dans cette histoire, et cela la mettait hors d'elle de savoir que s'ils entraient, ils feraient comme si de rien était.
Le prince Marden avait lui aussi tenu à venir et s'était excusé au nom de la couronne et avait exprimé sa déception quant au comportement de son royal frère. Nylathria ne savait pas si elle pouvait lui faire confiance, mais elle accepta ses excuses, se doutant qu'il n'avait pas eu son mot à dire dans tout ceci. La princesse Eleine était elle aussi venue avec son époux, l'infirme Ser Madden, et leur fille, la timide lady Grayce. Eleine avait exprimé une colère similaire à celle de Nylathria.
–Si ma pauvre sœur voyait son fils dans cette était, avait-elle enragé, elle aurait mis à feu et à sang cette Cour. Pauvre Gweirith, elle doit se retourner dans sa tombe.
Ser Madden n'avait pas beaucoup parlé. Nylathria le voyait pour la première fois et, au vu de la tête qu'avaient fait les femmes de chambre, il était évident qu'il ne sortait pas souvent. Grayce s'était montrée profondément touchée par l'état de son cousin et vraiment attentionnée. Elle avait même proposé son aide mais Nyla avait décliné. Durlan était éveillé lorsqu'ils étaient là et les voir lui avaient réchauffé le cœur.
Il n'y avait eu cependant pas le moindre signe de Berengar. C'était mieux ainsi, s'il avait osé s'approcher de la porte, Nylathria l'aurait fait rôtir sur place, et Olvaar était d'avis de le faire lui-même. Il était venu la voir, sentant sa tristesse et sa colère. Elle s'était rendue sur le balcon, tout en gardant un œil sur Durlan, et lui avait parlé durant plusieurs heures, jusqu'à ce que le jeune homme se réveille. Le dragon lui avait avoué surveiller le roi de l'Aube de loin, guettant ses déplacements en dehors de l'enceinte du palais. Mais il n'avait rien vu qui aurait pu incriminer le roi.
Nylathria se retourna dans le lit, cherchant désespérément une position assez confortable pour lui donner l'envie de s'assoupir, ne serait-ce qu'une heure. Ses yeux se posèrent Durlan dont la poitrine encore bandée se soulevaient et s'abaissait au rythme de sa respiration régulière. Il avait l'air en paix, et c'était bien le seul moment où il semblait l'être. Elle s'approcha de lui, cherchant la chaleur de son corps, et posa délicatement sa tête dans le creux de son épaule.
Elle se mit à penser à sa soirée à l'auberge du Colibri. Elle espérait que son petit numéro avait eu l'effet escompté et que ces rebelles débutants ne tenteraient rien. Il le fallait, pour la sûreté de Durlan. Les trois hommes qu'elle avait blessés devaient vouloir sa mort, s'ils ne l'étaient pas déjà, et devaient très certainement être en train de l'insulter et de monter la ville contre elle mais elle s'en fichait pas mal. Elle n'avait jamais réellement fait attention à sa réputation, contrairement à Devon le Sanglant qui y mettait un point d'honneur. Alors qu'elle soit populaire ou non à Irindor, cela ne l'empêcherait pas de faire son travail.
Elle soupira longuement. Elle devait encore se rendre au royaume de Feoyether, voir ses cousins les demi-elfes qui allaient certainement lui lécher les bottes et la considérer comme la réincarnation de Mère Nature, et sur les Terres d'Ambre, ce reinaume aux traditions très... exotiques. Après cela, elle n'aurait plus qu'à ramener cette dernière armée à Irindor où Castien serait déjà et puis tout ceci sera terminé. Elle pourra enfin souffler et revenir à sa vie d'avant. En temps de guerre, les personnes recherchés sont nombreuses, de quoi la ravir. Elle avait hâte de finir cette besogne et se sentait stupide d'avoir pu tomber dans le traquenard de Castien. Le chantage était une technique de persuasion aussi vieille que le monde et elle avait réussit à se faire avoir. S'en serait presque comique.
C'est alors que des pas provenant du couloir éveilla sa curiosité. Seuls les gardes qui effectuaient leur ronde passaient durant la nuit et Nylathria a eu tout le loisir de retenir les heures auxquelles ils s'aventuraient dans cette partie du palais, et personne n'était censé passer à cette heure-ci. Puis on frappa violemment à la porte. Nylathria se redressa rapidement et passa une main sous son oreiller, le cœur battant. Durlan se réveilla en sursaut et ne comprenait pas ce qu'il se passait mais, en voyant la jeune femme aussi tendue, il comprit que ce n'était pas normal.
–Vôtre Altesse, cria un homme dont la voix était étouffée, nous avons besoin de vous parler !
–Qu'est-ce qu'il se passe ? Souffla Durlan.
–Je n'en sais rien, répondit-elle sur le même ton.
Ses doigts trouvèrent le manche de son poignard et s'y enroulèrent. S'ils tentaient quoi que ce soit, elle était prête.
La porte s'ouvrit alors en grand et les gardes entrèrent en trombe. Nylathria releva les couvertures pour cacher son corps nu et Durlan se releva péniblement. Les hommes se plantèrent devant le lit sans aucune gêne ni excuses.
–Sa Majesté le roi Berengar demande votre présence dans la salle du conseil. Il nous a demandé d'insister sur l'urgence de la situation.
–Que se passe-t-il ? Demanda la princesse.
–Nous ne sommes pas en mesure de vous répondre. Nous vous conseillons de vous habiller le plus rapidement possible et de descendre immédiatement, le conseil est déjà réuni.
Sur ces mots, ils tournèrent les talons et s'en allèrent aussi rapidement qu'ils étaient arrivés. Nylathria sentit la colère monter en elle.
–Je n'en reviens pas, murmura-t-elle entre ses dents, il pense que nous sommes à sa disposition, même après ce qu'il s'est passé ?
Elle se débarrassa des couvertures et se dirigea vers la coiffeuse. Dans son dos, elle entendit Durlan lâcher un râle.
–Qu'est-ce que tu fais ? Lui demanda-t-elle en se retournant.
–Je viens avec toi, déclara-t-il en grimaçant.
–Il en est hors de question, tu restes au lit.
–Nyla, je vais beaucoup mieux. Et puis tu n'as pas à t'inquiéter, tant que nous sommes ensemble tout va bien, non ?
Elle le jaugea un instant alors qu'il lui souriait puis capitula en lui lançant sa chemise.
–Dépêche-toi de t'habiller, fit-elle.
Elle s'empara à son tour de sa chemise, beaucoup trop longue à son goût, et tentait de s'en dépatouiller. Puis elle enfila une robe de chambre qui, finalement, ne cachait pas grand-chose et traînait beaucoup trop par terre, mais tant pis, elle n'avait que cela. Durlan, lui, avait réussit à enfiler sa chemise, un pantalon et ses bottes. Elle l'enviait de pouvoir porter des vêtements aussi confortables sans se faire juger par tous ceux qu'il croise.
Elle sortit en trombe de la chambre et tomba nez à nez avec un garde qui la reluqua de haut en bas.
–Madame, je suis là pour vous escorter jusqu'à...
–Je n'ai besoin de personne pour trouver mon chemin, cracha-t-elle, j'en ai plus qu'assez qu'on me prenne pour une pauvre écervelée qui ne sait rien faire toute seule sous prétexte que mon père était empereur !
Elle lui lança un regard noir et le contourna vivement, se dépêchant de se rendre dans la salle du conseil, enragée. Berengar voulait la voir ? Il allait surtout l'entendre. Qu'il fasse la moindre allusion à ce qu'il s'était passé ou tente de rabaisser Durlan, qu'il y ait des gens de la Cour ou non elle ne le laisserait pas faire.
Elle descendit les escaliers en trombe, ses pieds nus claquant contre le sol. Durlan la suivait du mieux qu'il pouvait, l'appelait et tentait de la calmer mais rien n'y faisait. Elle sentait ses cheveux voleter dans son dos, comme à chaque fois qu'elle se mettait en colère depuis qu'elle était en possession de la pierre de jade.
Lorsqu'elle arriva devant la salle du conseil, elle n'attendit même pas que les gardes lui ouvrent. Au lieu de cela, elle s'empara des poignées et poussa violemment les portes qui tapèrent contre les murs. Tous les regards convergèrent vers elle.
–J'espère que vous avez une excellente raison de me réveiller en plein milieu de la nuit ! S'écria-t-elle.
Berengar n'était pas seul, il était entouré de ses conseillers, de sa mère et de son frère ainsi que ses bannerets. Elle reconnut, dans le lot, l'époux de lady Selina, lord Stefan de Besanmur. Même Murzol et Torestrin étaient là, ce qu'elle trouvât étrange.
–Vôtre Altesse, fit calmement le roi, quel plaisir de vous voir.
Elle serra les poings et s'apprêtait à répondre mais Durlan posa une main rassurante sur son bras. Si cela n'avait pas été pour lui, elle aurait étripé ce roi de pacotille.
–Vous avez deux minutes pour m'expliquer ce qu'il se passe avant que je vous arrache la langue.
Les proches du roi autour de la table parurent profondément choqués par ce qu'elle venait de dire mais elle se fichait pas mal de ce qu'ils pensaient. Berengar, lui, se contenta de lui adresser un sourire en coin.
–La ville d'Aragath a été attaqué, annonça-t-il en montrant la ville sur la carte. On nous a rapporté une armée d'orques et de trolls sous les ordres d'un homme en noir.
–Aragath ? Fit Durlan. Cela n'a aucun sens, il n'y a rien là-bas.
–Personne ne vous a autorisé à parler, bâtard, cracha lady Eartha.
–Vous non plus, lança Nylathria en lui lançant un regard haineux.
La Reine Mère ouvrit la bouche pour répondre mais le prince Marden l'empêcha de dire quoi que ce soit, cachant son amusement face à la tête consternée de sa mère.
–Aragath est une ville influente dans le royaume, reprit lord Garett de Clersir, et la route royale la relie à Irindor. C'est un point stratégique.
Nylathria regarda longuement la carte et se rappela le Fléau. Toutes les grandes villes de l'empire avaient été attaquées en même temps et sont tombées les unes à la suite des autres, une fois Gaaldorei prise. Il n'y avait pas eu une seule attaque avant cela, garantissant l'effet de surprise. Il fallait croire que les elfes noirs avaient changé leur stratégie et souhaitaient que leur ennemi les voie arriver.
–Y-avait-il des dragons noirs ? Demanda-t-elle.
On la regarda étrangement, comme si ce qu'elle disait était insensé.
–Aucun de nos rapports y font mention, répondit lord Braden de Farside, le maître espion. La ville a été en partie brûlée mais mes hommes sont clairs, ce n'était pas du feu de dragon.
–Pourquoi cette question ? Demanda Marden.
Nylathria hésita un instant à répondre, caressant de son pouce sa Marque du dragon.
–Les elfes noirs ont des dragonniers, j'ignore combien mais ils en ont. Le jour de la chute de Gaaldorei, ils étaient deux. Le premier est arrivé lorsque l'armée est entrée dans la ville, le second un peu plus tard pour venir en renfort, nos dragonniers à nous se défendaient beaucoup trop bien pour qu'il n'y ait qu'un seul dragonnier noir. S'ils n'ont pas déployé les dragons sur Aragath, c'est que ce n'est qu'un avertissement. Ils veulent vous faire comprendre qu'ils se rapprochent et que vous n'avez plus beaucoup de temps.
–Comment pouvons-nous vous faire confiance ? Lança lady Eartha.
La princesse porta son attention sur la Reine Mère et lui lança un nouveau regard dédaigneux.
–Je les ait vu de mes propres yeux, mon dragon a essayé de me protéger d'eux parce qu'il savait que les dragons noirs venaient pour nos Guerriers du dragon. J'ai vu ces mêmes dragons brûler ma ville natale, brûler le bois sacré, et j'ai vu nos Guerriers tomber les uns après les autres. De quoi pouvez-vous vous vanter ? D'avoir vu l'état de lady Brenna ? Croyez-moi, ce n'est rien face à ce qui vous attend.
–Que devons-nous faire alors ? Demanda lord Stefan.
–Vous dire de fuir serait vain, personne ne m'écoute depuis le début, répliqua Nylathria. En combien de temps ont-ils réussit à faire tomber Aragath ?
–Cinq heures.
–Avec leurs dragons, il leur faudra beaucoup moins que cela pour faire tomber Irindor. Vous connaissez tous la puissance qu'avait Gaaldorei. Nous avions la meilleure armée du monde, sept Guerriers du dragon sans me compter, des remparts qui n'ont pas été franchis par des ennemis depuis la construction de la ville et pourtant, elle est tombée en moins de deux heures. Aragath n'était qu'un avant-goût de ce qui vous attend.
–Nous aurons bien plus d'hommes que vous n'en avez jamais eu, rétorqua lord Thornley de Vinlun. Nous aurons les hommes des Terres de l'Aube, de l'Opale et de l'Ambre, des Terres des nains, de l'empire elfique et du royaume de Feoyether, en plus d'avoir la magie des druides.
–De plus, ajouta lord Garett, il est évident que nous ne pouvons plus avoir confiance en notre traité avec les orques.
Des regards peu avenants se dirigèrent vers Murzol qui s'empressa de répondre.
–J'ai été bannis, ce que fais mon peuple ne me regarde plus.
–Les orques et les trolls ne sont pas les seuls à avoir rejoint les elfes noirs, reprit Nylathria, il y a aussi des humains.
–Mensonge ! S'écria lady Eartha. Il est évident que vous haïssez notre race mais ne nous insultez pas pour autant, Vôtre Altesse. Notre peuple est bien trop intelligent pour faire une telle chose.
–Parce que les orques sont stupides ?! S'emporta Murzol.
Nylathria fit un signe de main en sa direction pour le faire taire, sans quitter la Reine Mère des yeux.
–Si votre peuple avait été intelligent, madame, cracha-t-elle, il m'aurait écouté dès le début et aurait fuis. Mais vous êtes tous plus obstinés les uns que les autres parce que vous semblez tous savoir exactement ce qu'il s'est passé et comment cette bataille va se dérouler et se terminer. Alors puisque votre peuple est si intelligent et sait absolument tout, vous devriez vous rendre compte assez rapidement que vous ne ferez pas le poids, peu importe le nombre d'hommes que vous possédez. Mais le déroulement de la bataille ne devrait pas vous inquiéter, madame, puisque vous avez entièrement confiance en votre fils. Vous n'aurez qu'à prier pour la victoire dans votre sanctuaire et cela arrivera, n'est-ce pas ? Après tout, le nombre d'hommes perdus vous importe peu du moment que votre fils reste en vie.
–Comment osez...
–Je n'ai pas terminé. N'avez-vous pas été élevée en apprenant que couper la parole d'une personne d'un rang supérieur au vôtre était plus que mal vu ? Vous m'avez demandé ce qu'il était possible de faire. Je n'aurais qu'une seule réponse à vous apporter, rendez-vous, négociez avec l'ennemi pour garder un peu de pouvoir, donnez les otages qu'il désire sans rien dire et tout devrait bien se passer. Il est à présent trop tard pour fuir puisqu'ils sont bien présents sur les Terres de l'Aube, et se retrancher derrière un bouclier magique ne ferait que retarder le jour de votre mort. Parfois, les mots valent plus que les armes.
–Peut-être aurait-il fallut faire cela avant que mon royaume soit autant attaqué, s'énerva Berengar.
Le ton qu'il employait continuait de mettre Nylathria en rogne. Lorsqu'elle leva les yeux vers lui, elle eu la subite envie de lui faire manger la table.
–Est-ce ma faute si vous ne faîtes pas votre travail de souverain correctement ? Rétorqua-t-elle. La négociation aurait dû faire partie de votre plan, tout comme celui de Castien, mais il faut croire que votre peuple n'est pas si intelligent que cela étant donné que vous n'avez même pas réussit à trouver toutes les solutions qui se proposaient à vous pour sauver vos sujets et votre propre fessier royal.
Lady Eartha laissa échapper un cri de consternation. Du coin de l'œil, elle vit Murzol et Torestrin se retenir de rire.
–Parce que vous pensez être meilleure que moi ? Répliqua le roi. Vous qui avez fuis votre identité toute votre vie et qui ne pense qu'à sa propre personne. Vous pensez que nous ne sommes pas au courant que vous ne comptez pas vous battre avec nous ? Vous pourriez nous être d'une grande aide mais puisque vous voulez à tout prix protéger votre petite vie, vous allez laisser des milliers de personnes mourir.
Nylathria laissa éclater sa colère et tapa si violemment sur la table qu'un des pieds craqua. Ses cheveux recommencèrent à voler dans son dos.
–J'ai essayé de tous vous sauver ! S'écria-t-elle. Je vous avais prévenu du danger, je vous avais dit qu'il était bien trop grand pour que vous puissiez le vaincre mais personne ne m'a écouté ! Que ce soit vous, Castien ou Jungdu vous avez mit cela sur le compte de mon égoïsme et vous vous êtes lancés dans cette quête d'une plus puissante armée, m'embarquant là-dedans contre mon gré. Si vous aviez accepté de m'entendre, vous seriez tous sur un bateau à chercher une nouvelle terre où vous établir, loin de cette guerre !
Elle marqua une pause, le temps de reprendre son souffle.
–Vous n'êtes même pas certain d'arriver à réunir les six terres. Le roi Murdrek ne se battra que s'il pense avoir une chance de gagner. À la seconde où il va se rendre compte de la gravité de la chose, il retournera dans sa montagne et attendra que les elfes noirs vous anéantissent pour pactiser avec lui. Et une fois que Castien se rendra compte de l'erreur qu'il a faite et qu'il commencera à avoir peur pour sa vie, vous croyez qu'il restera à se battre ? Non, il prendra ses jambes à son cou et tentera par tous les moyens de négocier avec l'ennemi, jouant la carte de la parenté de nos deux races. Et les demi-elfes, croyez-vous qu'ils resteront avec vous une fois que les elfes auront quitté le champ de bataille ? Les humains se retrouveront seuls face aux elfes noirs, et certainement que vous n'arriverez même pas à rester soudés. La reine Sirila ne se battra pas si elle n'y trouve aucun avantage. Vous aurez l'air beaux face aux dragonniers, aux trolls et aux orques suivant les ordres des elfes noirs qui, je le rappelle, pratiquent la magie noire. Pourquoi croyez-vous qu'ils essaient de vous effrayer en attaquant un peu partout sur l'Aube ? La peur et la douleur sont les essences même de la magie noire, plus ils attaquent et plus ils sont puissants.
Tout au long de son discours, les visages des nobles et des conseillers s'étaient déconfis petit à petit, laissant la confiance faire place à de la panique et de l'inquiétude. Tous savaient qu'elle avait raison. Nylathria fit quelques pas en arrière et toisa Berengar. Elle avait réussi à se calmer, mais sa colère n'avait fait que s'endormir. Un mit de travers de la part du roi et elle repartait de plus belle.
–Vous appelez cela de l'égoïsme et de la lâcheté, reprit-elle plus calmement, moi je considère cela comme de l'instinct de survie. Alors oui, je ne compte pas me battre avec vous seulement parce que je sais que je n'en ressortirais que perdante. Croyez-moi, j'ai vu ce dont sont capable les elfes noirs, je ne veux pas revivre un deuxième Fléau.
Un lourd silence s'abattit sur la salle, tout le monde réfléchissant à une meilleure option. Mais il n'y en avait pas, Nylathria le savait. Sans discussion avec l'ennemi, tout était fini. Je veux que tu rétablisses la vérité. Les paroles de ce fameux elfe noir qui ne cessait de la suivre lui revinrent à l'esprit. Peut-être que cette vérité dont il parlait était la solution.
–Cela vaut quand même le coup d'essayer, fit lord Stefan, si nous gardons la foi...
–La foi ne vous sauvera pas, mon seigneur, répondit la princesse. Mon peuple était très pieux et certainement que la grande majorité d'entre eux priaient lorsqu'ils ont été tués. Prier leur aura peut-être permis de rejoindre Mère Nature mais pas de rester en vie. Prier ne vous apportera que de faux espoirs.
–Je suis du même avis que Lord Stefan, lança lord Garett, nous devons essayer. Ces êtres sont malveillants, jamais les Dieux ne les laisseront gagner la guerre.
Nylathria ferma les yeux. Ils ne comprenaient donc rien. Cette guerre n'avait rien à voir avec ces foutus Dieux ou Mère Nature, aucun de ces personnages n'allait apparaitre pour tous les sauver.
–Majesté, intervint le maître espion, je serais d'avis d'écouté Son Altesse. Son témoignage est authentique, nous pourrions essayer de ne pas commettre la même erreur que les elfes.
–L'erreur des elfes a été de laisser ces horribles créatures venir au monde, cracha lady Eartha le regard rivé sur Nylathria. Berengar, nous devons les anéantir une bonne fois pour toute et débarrasser le monde de cette vermine.
–Écoutez votre mère, Majesté, ajouta lord Thornley, il serait impossible de discuter avec de tels monstres. Vous n'avez qu'à voir ce qu'ils sont en train de faire à cette pauvre lady Brenna.
Le roi restait silencieux, le regard perdu sur la carte. Il semblait réfléchir à toute allure.
–Marden, qu'est-ce que tu en penses ? Demanda-t-il finalement.
Le prince parut surpris qu'on lui demande son avis mais reprit rapidement une contenance en s'éclaircissant la gorge.
–La négociation n'est pas une mauvaise idée en soit, répondit-il sans grande assurance, mais il aurait fallu y penser avant. Comme l'a dit Son Altesse, l'ennemi n'est plus très loin et pourrait attaquer dans les prochains mois, voire les prochaines semaines. Nous devrions nous préparer au combat et surtout, à l'éventualité de perdre.
Berengar acquiesça, l'air toujours soucieux.
–Et toi Durlan, qu'en penses-tu ?
Personne ne comprenait le soudain intérêt du roi pour son cousin qu'il détestait depuis tant d'années, le principal concerné plus que n'importe qui. Durlan ne savait quoi répondre, ni si tout ceci n'était qu'une sombre blague destinée à le ridiculiser une fois de plus. Il lança un regard paniqué vers Nylathria qui, elle non plus, ne comprenait pas.
–Berengar ! S'offusqua la Reine Mère. Tu ne vas tout de même pas demander son avis à un simple bâtard.
–Ce simple bâtard a reçu une éducation similaire à la mienne, il est donc parfaitement capable d'effectuer une stratégie et son avis peut m'être utile. Parle Durlan.
Le jeune homme s'approcha timidement de la table, cherchant du réconfort dans le regard de Murzol et Torestrin.
–Et bien... je pense qu'il n'est pas trop tard pour une négociation. Nous... enfin vous avez le moyen de communiquer avec les elfes noirs grâce à Brenna... enfin lady Brenna. Peut-être que certains d'entre eux seront plus avenants et plus ouverts à une négociation. Je pense que si nous arrivons à comprendre leurs motivations, nous pourrions peut-être arriver à un accord en évitant de verser trop de sang.
Nylathria sentait qu'il avait envie de parler de l'elfe noir qui communiquait avec elle et qui avait vraiment l'air de vouloir un semblant de paix entre les peuples, mais il ne la trahit pas.
–J'entends, fit Berengar avant de se tourner vers Murzol et Torestrin. Et vous deux, qu'en pensez-vous ? J'ai cru comprendre que vous, Murzol, étiez un ancien chef de clan et c'est votre peuple qui se bat avec l'ennemi. Et puis vos points de vue en tant que chasseurs de primes pourraient être utiles eux aussi.
Les deux compagnons échangèrent un regard qui en disait long. Aucun des deux n'osaient prendre la parole. Finalement, Murzol se lança.
–Je ne vais pas vous mentir, Majesté, j'apprécie toujours un bon combat. C'est ma nature d'orque qui veut ça. Ces elfes noirs deviennent de plus en plus dangereux. J'ignore si cette idée d'armée va fonctionner, mais de toute façon nous avons commencé, autant finir. Mais une bataille ne garantira pas la victoire, même si nos chances ne sont pas nulles.
–Moi je suis pour la négociation, lança Torestrin, c'est le plus intelligent à faire lorsqu'on fait face à plus fort que soit.
–Plus fort que soit ?! S'emporta lord Garett. Je suis certain que vous ne faites qu'extrapoler pour nous effrayer ! Et si vous aviez à y gagner dans cette négociation ? Nous connaissons très bien les gens dans votre genre, vous ne cherchez qu'à vous enrichir sur le dos des autres.
–Il suffit ! Gronda Berengar.
Lord Garett s'empourpra et se rapetissait à vue d'œil. Le roi posa son regard sur Durlan puis sur Nylathria, les jaugeant l'espace de quelques instants.
–Nous parlerons de négociation une fois que l'empereur Castien arrivera à Irindor, déclara-t-il en se redressant, je ne veux pas qu'il pense que nous le trahissons. Vôtre Altesse, Durlan, Murzol et Torestrin, vous partirez à l'aube pour le royaume de Feoyether. Si jamais Castien refuse les négociations ou que celles-ci n'aboutissent à rien, nous devons nous tenir prêts. On va vous faire préparer des montures et des vivres pour le voyage. J'enverrais des soldats de ma garde avec vous.
–Nul besoin de sortir les grands apparats, lança Nylathria, nous devons voyager sans attirer l'attention. J'ai déjà assez de mon garde personnel.
Berengar plongea son regard dans le sien et lui accorda un léger sourire.
–Prenez cela comme une sorte de rassurance, je sais que vous n'oseriez pas me trahir en présence de mes hommes.
–Vraiment ? Il n'y a rien que je ne puisse faire, le provoqua la princesse. Et comment pourrais-je savoir que vos soldats n'auront pas eu l'ordre de nous tuer dans notre sommeil ?
–Nyla, souffla Durlan, s'il te plait.
–Je suis certain que vous savez gérer ce genre d'imprévus, lui répondit le roi.
Ils se défièrent du regard quelques secondes, assez de temps pour mettre les autres mal à l'aise.
–J'autorise deux soldats, lança Nylathria, pas plus.
–C'est d'accord, je sélectionnerais deux de mes meilleurs soldats.
***
Nylathria se sentait tellement plus à l'aise dans sa tenue de voyage, elle revivait. Elle n'avait pas hâte d'arriver à Ellran Edhil parce qu'elle savait que les demi-elfes allaient la couvrir de cadeaux et l'aduler comme si elle était Mère Nature elle-même. Elle était déjà exaspérée à l'idée de devoir remercier tout un tas de gens pour leurs compliments.
La seule fois où elle s'était rendue sur Feoyether, elle devait avoir six ou sept ans. La famille impériale avait été invitée par le roi Ingsaran pour fêter le millénaire des accords entre leurs deux peuples. Elle se souvenait avoir été chouchoutée par toutes les dames de la Cour qui n'avaient de cesse de complimenter l'impératrice sur la beauté de sa fille et sur leur grande ressemblance. Au bout d'un moment, sa mère ne savait même plus quoi répondre.
–Un sou pour tes pensées.
Durlan la surprit en la prenant par la taille. Elle était étonnée de le voir autant s'exprimer en public, toute la Cour était rassemblée pour les voir partir et voilà qu'il se donnait en spectacle.
–J'en veux deux, répliqua Nylathria.
Le jeune homme arqua un sourcil et ses lèvres s'étirèrent en un sourire.
–Toujours négocier, lança la princesse, c'est ainsi que l'on gagne à tous les coups.
–Très bien alors deux sous pour tes pensées.
–Je pensais aux demi-elfes et je me préparais à recevoir des tonnes de bijoux, robes, pierres précieuses et autres cadeaux.
–Tu pourras toujours les revendre, répondit Durlan en haussant les épaules.
Nylathria se mit à sourire. Il commençait à la connaître à force. Puis elle repensa à quelque chose qui l'avait intriguée un peu plus tôt dans la matinée.
–Tu es parti où ce matin ? Demanda-t-elle. Je t'ai vu revenir de la ville tout à l'heure.
–Tout le monde a ses secrets, fit-il d'un air joueur.
–Durlan, je te jure que...
–Les tourtereaux, lança Murzol en approchant son visage des leurs, Sa royale Majesté arrive, vous feriez mieux de fricoter un peu plus tard.
Un sourire malicieux s'étira sur les lèvres de l'orque, dévoilant ses crocs. Durlan et Nylathria s'écartèrent et firent face à Berengar, lui accordant un signe de tête respectueux. Le roi se planta juste devant eux.
–Je n'oublie pas qu'il y a une prime sur ta tête Durlan, murmura-t-il de sorte à ce qu'ils soient les seuls à l'entendre, ni qu'une rébellion se monte contre moi. Je ne fais que tolérer temporairement ta présence pour le bien de votre mission et de notre victoire. En revanche, lorsque tout ceci sera terminé, Devon le Sanglant ne se gênera pas pour te traquer même au fin fond des Terres d'Opale.
Nylathria jeta un coup d'œil vers le chasseur de prime dont le sourire ne quittait pas le visage. Comment avait-elle pu ressentir quoi que ce soit pour un homme tel que lui ?
–Ce que tu devrais ne pas oublier, rétorqua Durlan, c'est que je suis innocent dans cette histoire. N'oublie pas non plus que je n'ai aucun désir de te prendre ta couronne ou te renverser au profit de Marden. Garde le trône, je me fiche bien de qui est assis dessus, je demande seulement à ce qu'on me laisse enfin tranquille. Ne te laisse pas berner par ta mère, c'est elle qui veut les pleins pouvoir et je représente une menace à cause du titre que ma mère et ton père m'ont donné. Ta mère n'avait plus d'influence sur le roi Hunter alors elle l'a fait assassiner, n'est-ce pas ? Et par son propre fils en te faisant croire que c'était pour ton propre bien. Ne la laisse pas te faire faire quelque chose que tu regretteras de nouveau.
Berengar parut déconcerté un instant mais se reprit rapidement. Néanmoins, l'incertitude dans son regard n'avait pas échapper à Nylathria.
–Je vous souhaite bon voyage, s'exclama le roi assez fort pour que tout le monde l'entende.
Il accorda un signe de tête à Murzol, Torestrin et Nieven, un simple regard à Durlan et un baise-main à Nylathria.
–Votre fougue n'aura pas convaincu tout le monde ici, fit-il, mais j'aime l'honnêteté qui en ressort. Madame, je me languis de vous revoir.
La princesse hésita un instant à retirer sa main mais ne fit rien, elle s'était déjà assez attiré les foudres de la Cour.
–Espérons que la prochaine fois que nous nous verrons, rétorqua-t-elle, vous saurez vous tenir.
Il avait parfaitement bien compris ce qu'elle sous-entendait, elle le vit dans son regard. Ils s'accordèrent une dernière révérence puis Durlan et Nylathria montèrent en selle. Elle vérifia que tout le monde était prêt pour le départ puis jeta un dernier regard sur l'assemblée. Ses yeux s'arrêtèrent sur lady Selina qui lui accordait un sourire radieux, sourire qu'elle lui rendit. Puis elle remarqua, à l'une des fenêtres, lady Brenna. Mais au vu du regard qu'elle lui lançait, elle savait que ce n'était pas elle qui la regardait mais l'elfe noir.
–Attendez ! S'écria quelqu'un alors qu'ils s'apprêtaient à partir.
Azlore débarqua à dos de cheval et rejoignit le petit groupe.
–Qu'est-ce que tu fais mon garçon ? L'interrogea Murzol.
–Je viens avec vous ! J'ai demandé à maître Avedelis si je pouvais vous accompagner et être ses yeux durant ce voyage et elle a accepté. Bon, pas tout de suite mais elle l'a fait, je vous jure ! Je sais que vous vouliez vous débarrassez de moi parce vous trouvez que je parle trop mais j'aime bien voyager avec vous. Et puis maître Avedelis m'a appris de nouveau sorts et de nouvelles techniques pour soigner, je pourrais vous être utile !
Durlan et Nylathria échangèrent un regard amusé alors que Torestrin allumait sa pipe en riant.
–Bon et bien je crois que c'est reparti comme avant tout ce bordel ! S'exclama le nain.
Nylathria ne put réfréner un sourire lorsque le visage d'Azlore s'illumina. Elle obligea son cheval à se tourner et le dirigea vers la porte, sortant enfin de ce palais de malheur, suivie du petit groupe.
–J'ai volé un lut ! S'exclama Murzol. Qui sait en jouer ?
–Moi je sais, répondit Durlan.
Le jeune homme s'empara de l'instrument et commença à l'accorder puis il se mit à fredonner une chanson légère, rapidement accompagné de Murzol, Torestrin et Azlore. Même Nieven commençait à se dérider. Une fois la chanson finie, les cinq hommes se mirent à rire.
–En tout cas, lança l'orque, j'espère que les demi-elfes sont jolies, j'ai bien envie de découvrir une nouvelle culture !
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