Rêve de dragonnier

Durlan se réveilla avec une affreuse migraine, certainement due à tout l'alcool qu'il avait bu la veille. Nylathria était à côté de lui et sa respiration irrégulière lui indiquait qu'elle était déjà réveillée. Il trouvait d'ailleurs étrange qu'elle ne l'ait pas déjà brusqué pour qu'il se lève, d'habitude elle lui balançait quelque chose pour qu'il se réveille. Mais il ne lui en tint pas rigueur et se contenta de se redresser et déposer un baiser sur son épaule nue.

Elle était perdue dans ses pensées, fixant un point imaginaire sur le mur, jouant machinalement avec la pierre de jade. Elle semblait soucieuse et ne pas le remarquer alors que d'ordinaire, elle ne se gênait pas pour le charrier parce qu'il dormait beaucoup trop.

–Tout va bien ? Souffla-t-il.

Elle se reprit et parut enfin le remarquer. Elle se mit sur le dos et lui sourit faiblement.

–Oui, je n'avais pas vu que tu étais réveillé, excuse-moi.

Il fronça les sourcils. Cela ne lui ressemblait pas. Son regard se posa de nouveau sur la pierre de jade qu'elle continuait de tripoter sans vraiment s'en rendre compte.

–Qu'est-ce que tu fais avec la pierre ? Lui demanda-t-il. Il est ici ?

Elle posa les yeux sur le petit objet et le regarda longuement, l'esprit ailleurs. Quelque chose n'allait définitivement pas.

–Non, fit-elle, il n'est pas là. Il ne me parle plus d'ailleurs et n'apparait que rarement depuis l'incident à Irindor. J'étais simplement en train de réfléchir.

Elle se redressa, écarta les draps et se leva. Elle se dirigea jusqu'au miroir et se regarda durant de longues minutes sans rien dire, toujours à jouer avec la pierre.

–Si je te disais que tout ce en quoi tu crois est faux, reprit-elle, que ferais-tu ?

Durlan ne comprenait pas où elle voulait en venir.

–Cela dépend de ce que c'est, je ne sais pas.

Nylathria soupira longuement. Durlan sortit à son tour du lit et vint la rejoindre. Il s'arrêta près d'elle, ne sachant pas si elle allait accepter qu'il l'enlace. Il n'arrivait pas à déterminer son humeur alors il ne préférait pas tenter.

–Qu'est-ce qui s'est passe Nyla ? Murmura-t-il. Ingsaran t'a dit quelque chose ?

Elle ne répondit pas tout de suite.

–Non, ce n'est rien ne t'inquiète pas.

Elle se détourna et entreprit d'enfiler ses vêtements de voyage qui avaient été lavés.

–De quoi parlais-tu ? Insista-t-il. Tu sais que tu peux tout me dire.

Elle resta silencieuse, de nouveau perdue dans ses pensées.

–Nyla, s'il y a quoi que ce soit qui ne va pas tu sais que je suis là, prêt à t'écouter. Prends ton temps mais tu sais que je ne supporte pas de te voir ainsi.

Finalement, elle leva les yeux vers lui et lui sourit faiblement.

–Je sais, merci, mais je t'assure que tout va bien.

Il n'était pas convaincu mais n'insista pas davantage. Il savait que s'il cherchait à lui arracher les vers du nez, elle allait se braquer et la situation s'empirerait. La dernière chose qu'il voulait c'était se disputer avec elle.

Alors qu'il s'habillait, il repensait à ce qu'elle lui avait dit. Quelque chose s'était passé, il en était certain, mais il avait beau se creuser les méninges il n'arrivait pas à trouver quoi. Peut-être qu'Olvaar avait vu quelque chose à propos des elfes noirs et le lui avait dit. Cela pourrait expliquer son trouble. Peut-être irait-il voir le dragon et lui parlerait. Même s'il ne pourrait pas entendre ses réponses, il pourrait au moins interpréter son langage corporel. Encore fallait-il que l'animal ne se montre pas hostile.

Après avoir mangé un petit déjeuner beaucoup trop copieux, que Nylathria toucha à peine, ils furent convoqués dans la salle du conseil pour les négociations avec les demi-elfes. Il ne faisait aucun doute qu'ils allaient suivre leurs cousin les elfes, il fallait seulement enrôler le plus d'hommes possibles.

La salle du conseil était une longue pièce rectangulaire où trônait une table en granit. De nombreux sièges étaient disposés autour et la plupart étaient remplis, notamment par le souverain et ses trois fils qui étaient installés en bout de table. La pièce était soutenue par des arches disposées à intervalles réguliers, et les murs étaient décorés de nombreuses tapisseries.

Nylathria et Durlan s'installèrent juste à côté de l'héritier du trône, le prince Edruil, à la gauche du roi. Il n'y avait aucun signe de Murzol, Torestrin ou encore Azlore. Ingsaran ne voulait certainement pas s'embêter avec eux. Par contre Nieven arriva et prit place à côté de Durlan. Du coin de l'œil, il voyait Nyla jouer avec la pierre de jade sous la table, l'air absent.

–Bien ! S'exclama le roi en se levant. Puisque tout le monde est arrivé, nous pouvons commencer. Vôtre Altesse ?

Nylathria sursauta, prise au dépourvu, alors que le roi se rasseyait. Mais elle reprit rapidement une contenance et se leva, rangeant la pierre dans l'une de ses poches.

–Majesté, messieurs, salua-t-elle. Tout d'abord, laissez-moi vous remercier d'avoir accepté de m'écouter. Comme vous le savez, les... elfes noirs ont décidé de s'en prendre aux humains comme il l'ont fait avec les elfes il y a presque deux cent six ans. Mon cousin, l'empereur Castien, et le souverain des Terres d'Opale, le roi Jungdu, ont prit la décision de rassembler le plus de soldats possibles, provenant des quatre coins du monde, afin de vaincre l'ennemi. Les Terres de l'Aube, frappée par les attaques des orques et des trolls, se battront, ainsi que les Terres des Nains. Si je me suis rendue ici, à Feoyether, c'est en tant qu'émissaire et pour vous demander de vous battre aux côtés des elfes, des nains et des humains.

–Nous avons toujours respecté les elfes, commença un homme assez âgé, mais n'ont-ils pas été vaincu par cette ennemi lors du Fléau ? Forcés de fuir et de se cacher sur l'Opale pendant deux siècles ? Comment pouvons-nous avoir l'assurance que cette victoire sera la nôtre ?

Apparemment, le soutient des demi-elfes était loin d'être acquis. Ils étaient pourtant sûr que de toutes les armées, ce serait bien celle qui résisterait le moins. Il fallait croire qu'ils s'étaient trompés et qu'avec ces deux siècles loin des elfes, ils avaient gagné en confiance.

–Je ne peux vous l'assurer, répondit Nylathria, l'avenir est incertain pour chacun d'entre nous, tout comme notre passé est rempli d'ombres. L'empereur est convaincu que si tous les peuples s'alliaient, les elfes noirs ne pourraient rien.

–Depuis la création de notre peuple, intervint un autre conseiller, nous vouons un respect sans limites envers vous, les elfes, et quelques siècles plus tôt nous aurions accepté aveuglément. Seulement aujourd'hui, vous avez perdu de votre splendeur. Vos forces sont amoindries, l'empire est détruit, l'avenir de la famille Balsandoral est toujours incertain tant que l'empereur n'aura pas de fils, et vous n'avez plus qu'un seul dragon. Ce que nous voyons c'est que les elfes noirs sont, tout autant que nous, une branche de votre peuple et nous partageons le même sang. Il est dit qu'ils ont eux aussi des dragonniers, et bien davantage que vous n'en avez, leur armée est puissante, apparemment composée d'orques, trolls et humains qu'ils ont asservit, en plus d'avoir leur magie pour les protéger. Excusez-moi, Vôtre Altesse, mais vous devez avouer que la balance penche davantage en leur faveur.

Il vit Nylathria serrer les poings. Alors qu'elle s'apprêtait à répondre, Nieven se leva d'un seul coup, envahit par la colère.

–Vous ne songez tout de même pas à vous allier aux elfes noirs ? Explosa-t-il. Ce sont des horreurs de la nature, répudiés par la Mère elle-même. Se battre dans leur camp reviendrait à cracher publiquement sur Mère Nature. Nos ancêtres vous ont tout donné ! Ces terres sur lesquelles vous avez bâti vos cités nous appartenaient autrefois, nous vous avons enseigné notre magie même si elle s'est perdue, nous vous avons transmit notre culte et nous vous avons mit dans la lumière de la Mère, nous avons été les premiers à vous reconnaître comme un vrai peuple et non comme des bâtards, et nous vous avons donné votre liberté avec une aide économique et militaire jusqu'à ce que vous accédiez totalement à l'indépendance. Nous vous avons tout donné et à présent que les elfes vous demandent un service, vous hésitez quant à nous apporter votre aide ? Dois-je vous rappeler que si nous avons été massacrés lors du Fléau c'était uniquement parce que nos alliés, dont vous faîtes partis, nous ont abandonné et que nous nous sommes retrouvés seuls face à cet ennemi que nous ne connaissions pas.

Il marqua une pause, reprenant son souffle alors que les conseillers baissaient la tête, honteux. Nieven avait beau être strict parfois mais il aimait son peuple et le défendait avec passion, c'était une qualité qu'on ne pouvait lui imputer.

–Son Altesse ici présente se trouvait en ville lorsque c'est arrivé, reprit-il plus calmement, elle a vu nos dragons et nos dragonniers tomber du ciel comme des mouches, nos soldats se battre corps et âme pour la ville et le peuple se faire massacrer. Nous sommes retournés à Gaaldorei et il n'en reste que des ruines. La ville a été pillée, détruite, brûlée par ce peuple qui est, tout comme vous, une branche des notre peuple. Les elfes étaient la nation la plus puissante au monde et seule, elle n'a su faire face à l'ennemi. Si nous ne nous unissons pas, le sort de l'empire sera bientôt le votre et celui de tous les pays de ce monde, les elfes noirs ne feront aucun traitement de faveur et surtout pour vous. Le sang des elfes court dans vos veines et leur haine à notre égard n'a jamais été dissimulée, pensez-vous qu'ils accepteront de pactiser avec vous ? Et même s'ils le faisaient, qu'est-ce qui vous dit qu'une fois les humains, les nains et ce qu'il reste des elfes auront tous été massacrés, vous ne serez pas les suivants ?

Personne ne sut répondre. Pendant toute la durée de son discours, Durlan se mit à envier Nieven pour toutes cette confiance qu'il avait en lui, en son peuple et en ses croyances. Il respirait la passion et pas une fois il n'a flanché. C'était admirable. Nylathria et Nieven échangèrent un regard entendu, la jeune femme aussi avait parut surprise par toute cette ardeur. Nieven se rassit lentement, observant ses interlocuteurs et guettant la moindre réaction.

–Qu'aurons-nous en échange de notre aide ? Demanda le prince Torian après un long silence. Après tout, nous avons déjà accepté de baisser notre bouclier pour vous laisser passer, nous vous avons donc déjà aidé.

–Une nouvelle alliance avec les elfes, répondit Nylathria, l'empereur commencera la reconstruction de l'empire, ainsi qu'une alliance avec les humains. Les termes de ces alliances ne sont pas à voir avec moi. Mais surtout, avec une victoire vous serez certains de rester en vie.

–Le problème, Vôtre Altesse, c'est que vous n'avez rien de concret à me proposer, lança le roi Ingsaran. Or, c'est ce que je veux.

–Je n'ai jamais prétendu avoir quelque chose de concret Majesté, répliqua Nylathria. Castien pourra vous en donner, le roi Jungdu et le roi Berengar aussi. Je sais qu'il s'agit d'un grand sacrifice mais nous pouvons trouver un arrangement. Les nains vont venir à Irindor pour la mise en place de la stratégie. Si le roi Murdrek juge qu'il ne vaille pas la peine de se battre alors il retournera dans son royaume. Faîtes de même, écoutez ce que les souverains de l'Aube, de l'Opale et de l'empire ont à dire et faîtes-vous un avis à ce moment-là. Mais quoi que vous choisissiez, je vous en supplie ne tournez pas vos armes contre nous, Mère Nature ne le supporterait pas.

Nylathria était loin d'être une fervente croyante mais jouer la carte de la religion sur un peuple très croyant était plutôt bien joué.

–Combien d'hommes auriez-vous besoin ? Demanda le roi.

–Autant que vous pourrez en fournir.

Ingsaran se gratta le menton, signe qu'il réfléchissait, laissant la salle dans le silence.

–Lord Durlan ? Lança-t-il finalement.

Durlan hésita à lui dire qu'il n'avait aucun titre de noblesse mais ne fit rien, la situation était bien assez tendue.

–Oui Majesté ?

–Votre cousin, le roi Berengar, de combien d'hommes dispose-t-il ? Et qu'est-il prêt à sacrifier pour sauver son royaume ?

Cette question était un piège, Durlan le savait. Ingsaran s'attendait certainement à ce qu'il lui donne un prix assez élevé pour que le roi des demi-elfes puisse l'exiger auprès de Berengar comme paiement pour l'aide apportée. Même après ce qu'il lui avait fait, Durlan ne saurait le trahir.

–J'ignore les chiffres exacts, Majesté, mais l'armée de l'Aube est puissante. Berengar, même s'il n'est roi que depuis moins d'une année, il est prêt à se battre parmi ses hommes. L'ennemi ne l'effraie pas.

–On dit que l'un d'eux s'est infiltré dans la Cour par le biais d'une lady, l'une de ses amantes. Si nous nous rendons à Irindor, qu'est-ce qui nous assure que nous ne serons pas attaqués par cette femme qui, apparemment, est possédée par un elfe noir.

Durlan réfléchissait à une réponse qui n'attiserait pas la peur mais n'en trouva aucune qui lui convienne. Après tout, personne ne pouvait prévoir ce que Brenna pouvait ou non faire.

–Rien, répondit Nylathria à sa place, mais vous n'avez pas non plus l'assurance que moi je ne vous attaque pas.

Tous les regards remplis d'incompréhension convergèrent vers elle.

–Veuillez nous excusez Vôtre Altesse, fit l'un des conseillers, nous ne sommes pas sûrs de bien comprendre.

–Pourtant c'est simple. Je suis moi aussi en contact avec un elfe noir, déclara-t-elle, celui-là même qui nous a attaqué lorsque nous sommes retournés à Gaaldorei il y a quelques semaines. Celui-là est moins violent que celui qui a pris possession de lady Brenna mais il y a toujours un risque. Pourtant, je suis toujours maîtresse de mon propre corps, jamais il n'a tenté de faire du mal à qui que ce soit à travers moi. Je me porte garante de lady Brenna et je vous assure que jamais elle ne s'en prendra à vous. Mais nous ne sommes en sécurité nulle part. Lady Brenna n'avait rien à voir avec toute cette histoire et pourtant, elle se trouve à présent en première ligne. Ce qui lui est arrivée peut arriver à l'un d'entre vous. En temps de guerre, messieurs, nous ne pouvons être sûrs de rien.

Le prince Edruil se tendit à côté d'elle, inquiet par cette révélation, alors qu'Ingsaran ne paraissait pas plus surprit que cela, toujours plongé dans sa réflexion.

–C'est d'accord, finit-il par dire, je me rendrais avec mon armée à Irindor dès que vous partirez pour les Terres d'Ambre. Mais si je ne suis pas convaincu, je retournerais sur Feoyether et je lèverais de nouveau le bouclier à mes frontières. Vous avez néanmoins ma promesse sur une chose : je ne m'allierai pas avec les elfes noirs. Mais cela ne veut pas forcément dire que je m'allierai à vous.

–Bien entendu Majesté, fit Nylathria en lui faisant un signe de tête respectueux, je vous remercie.

–Quand comptez-vous repartir ? Demanda le prince Hillanor.

–Bientôt, répondit Durlan, nous ne devons pas perdre de temps.

–Bien, lança Ingsaran en se levant, la séance est levée.

Tous les conseillers se levèrent et firent une révérence à leur roi qui quittait la salle, suivi de ses fils. Nylathria, Durlan et Nieven furent les suivants à s'en aller, récoltant eux aussi quelques courbettes au passage.

–Je vous remercie Nieven pour avoir prit notre défense, lança Nylathria une fois dans le couloir.

Les deux hommes échangèrent un regard surprit.

–C'est normal Vôtre Altesse, répondit l'elfe, je ne faisais que défendre mon peuple et Mère Nature, cela m'a semblé normal même si je n'aurais pas dû intervenir aussi violemment.

–Non, c'était bien, le complimenta-t-elle. Parfois, il faut secouer les gens pour qu'ils comprennent. Je vais voir Murzol, Azlore et Torestrin, vous venez ?

–Avec plaisir, fit Nieven.

Elle se tourna vers Durlan qui hésitait.

–J'ai quelque chose à faire avant, je vous rejoins juste après.

Nylathria fronça les sourcils mais n'en demanda pas davantage. Elle fit signe à Nieven de la suivre et il regarda les deux elfes s'éloigner. Il tourna alors les talons et partit dans la direction opposée pour pouvoir sortir du palais.

La jeune femme lui avait un jour dit que son dragon aimait rester à l'extérieur des villes et se mettre en hauteur afin d'observer les alentours et pouvoir réagir plus rapidement. Il n'avait plus qu'à trouver une colline ou une montagne où l'animal pouvait se reposer. Sur son chemin, il croisa quelques nobles qui se prosternèrent devant lui. Il n'avait plus l'habitude de recevoir autant d'hommages mais cela lui plaisait. Cela lui rappelait son ancienne vie.

Personne ne lui demanda où il allait lorsqu'il sortit du palais, chose qui différait d'Irindor, et put circuler librement dans les rues. Les gens lui souriaient, lui demandaient de bénir leurs nouveau-nés ou de prier pour leur parent malade, on lui proposa gratuitement bon nombre de nourriture et de tissus, on lui disait que c'était des cadeaux de mariage. Il accepta quelques mets, pour ne pas paraître impoli, mais refusa les tissus, vêtements et autres bijoux.

Durlan trouva rapidement la porte sud, qui menait dans les hauteurs, et se mit à chercher la moindre trace du dragon. Il s'arrêta au pied de la montagne et regarda vers son sommet. S'il y avait bien un endroit où il pouvait être, c'était celui-là. Il emprunta alors le semblant de chemin qui sillonnait entre les conifères et entama son ascension en priant pour qu'il ne se soit pas trompé et qu'il ne doive pas redescendre bredouille et chercher ailleurs.

Quand il arriva enfin au sommet, il eu l'immense joie de voir l'animal, tout autant majestueux, couché à regarder l'horizon, vers l'ouest. En l'entendant arriver, le dragon tourna la tête vers lui et sembla chercher Nylathria.

–Je viens seul, fit-il, j'espère que cela ne te dérange pas. J'aurais quelques questions à te poser.

Olvaar sembla intéressé et se tourna complètement vers lui, lui indiquant qu'il l'écoutait. Durlan n'osait pas trop s'approcher, de peur qu'il ne se montre hostile.

–C'est à propos de Nyla, commença-t-il, elle est étrange depuis ce matin. Elle parait sans cesse ailleurs et ne lâche pas la pierre de jade que lui a donné l'elfe noir. Elle me dit que tout va bien mais je sais que quelque chose cloche mais je n'arrive pas à savoir quoi. Et puis tu la connais, si j'insiste trop elle va se braquer.

Le dragon lança un râle qui ressemblait étrangement à un rire.

–Je me demandais si tu avais vu ou senti quelque chose qui aurait pu l'inquiéter.

Le regard de l'animal se fit plus sérieux, ce qui ne manqua pas d'inquiéter davantage le jeune homme. Mais Olvaar fit bouger son immense tête de gauche à droite, dans un geste très humain. Alors c'était autre chose.

–Je te remercie pour ta réponse, je vais enquêter de mon côté alors. Je vais te laisser.

Alors qu'il tournait les talons, Olvaar émit un grondement sourd qui le fit se retourner. Le dragon se décala légèrement et se mit à regarder l'herbe à côté de lui, comme s'il l'invitait à s'asseoir. Durlan eut peur de mal interpréter mais il s'avança tout de même et s'assit à côté de lui, au bord de la falaise, les pieds dans le vide, grimaçant à cause de ses cicatrices qui tiraillaient son dos. Ils restèrent longuement ainsi, dans le silence, à regarder l'horizon et le paysage. Au-delà des murs de la ville, tout semblait sauvage, similaire au territoire de l'empire elfique. La nature avait quelque chose d'apaisant.

–Tu sais, lança-t-il finalement, je rêvais de devenir un elfe lorsque j'étais gamin rien que pour pouvoir monter un dragon. Lorsque mon professeur m'a annoncé qu'ils avaient tous disparut bien longtemps auparavant, j'ai pleuré toute la nuit parce mon rêve de dragonnier s'était brisé. Lorsque je t'ai vu pour la première fois, d'abord j'ai eu très peur je dois l'avouer, mais l'enfant que j'étais a rapidement prit le dessus. J'étais émerveillé et je n'avais qu'une envie, annoncer à mon professeur que les dragons n'étaient pas éteints.

Du coin de l'œil, il lui semblait que le dragon souriait.

–Gaaldorei devait être magnifique avec tous ces dragons qui la survolaient. J'aurai aimé voir cela de mes propres yeux. Bien sûr, Nyla m'a raconté comme c'était mais ce n'est pas la même chose. Et avec les œufs que nous avons récupérés, je me dis que j'aurais peut-être la chance de voir quelque chose de similaire de mon vivant.

Olvaar tourna la tête vers lui et se mit à regarder l'Étoile du Jour.

–Ah oui, reprit-il riant et en prenant le collier entre ses doigts, bon c'est certain que je le verrais de mon vivant grâce à Nyla.

L'animal lâcha un râle affectif.

–Je me demande ce que tu as pu faire durant toutes ces années. Je me doute que tu as dû veiller de loin à Nylathria mais est-ce que tu as voyagé ? Ailleurs que sur ce continent je veux dire. Par exemple, au-delà du Désert Rouge, de l'Océan de l'Oubli et encore de l'Océan de Cobalt. Peut-être ne sommes-nous pas seuls, j'aime bien croire qu'il y a d'autres êtres sur cette terre. Tu dois bien rire à m'entendre parler tout seul et tu dois me prendre pour un fou parce que je sais pertinemment que je ne peux pas entendre ta voix mais je continue à te poser des questions. Tu vas sans doute en parler à Nyla et elle va se moquer de moi.

De nouveau, le dragon lança un semblant de rire et Durlan lui lança un regard malicieux.

–Vous êtes pareils elle et toi, hein ? Vous ne manquez pas une seule occasion de vous payer ma tête.

Olvaar poussa un cri qui le fit sursauter et perdre son sourire. Il se voyait déjà tomber de la falaise et s'écraser au pied de la montagne. Le dragon semblait fier de son coup et il reconnu dans son regard la malice de Nylathria.

–S'il te plait, ne dit pas à Nyla que j'ai eu la peur de ma vie.

L'animal lança un râle amusé et se leva sur ses quatre pattes, le surplombant de plusieurs mètres. Le regard de Durlan s'attarda sur son dos et, l'espace d'un instant, il se vit dessus en train de survoler la ville. Mais il chassa rapidement cette pensée, Olvaar n'était pas un vulgaire cheval qu'il pouvait emprunter à Nylathria.

Le dragon lui adressa un signe de tête respectueux, déploya ses ailes et prit son envol. Durlan le regarda s'éloigner et faire des rondes au-dessus de la ville, exposant toute sa majesté. Son cœur se gonfla en en imaginant des dizaines d'autres qui joueraient ensemble, se poseraient sur les bâtiments pour récupérer leur dragonnier, disparaissant dans les nuages pour redescendre en pic vers les plaines. Il se voyait sur le dos de l'un d'eux à voler aux côtés d'Olvaar et Nylathria.

Il resta un peu plus longtemps sur cette falaise à rêver de cette vie qu'il ne vivrait jamais. Mais cela l'aida à le transporter loin de tous ses problèmes et à sourire. 

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