Prologue

Le soleil inonda la chambre, ses rayons se répercutant sur les chandeliers en cristal. Nylathria ouvrit les yeux, sortit immédiatement de son lit et se rua sur le balcon. Alors que la ville se réveillait doucement, le ciel perdait peu à peu ses teintes orangées, et aucun nuage ne venait obscurcir la lente montée du soleil. Cela promettait une belle journée.

Elle courut jusque vers sa large armoire en chêne blanc, l'ouvrit à la volée et trifouilla parmi les robes que dame sa mère lui imposait de porter lors de grands évènements et en sortit une chemise blanche, un corsage en cuir, un pantalon et des bottes. Elle les enfila rapidement puis releva ses longs cheveux blancs afin qu'ils ne la gênent pas. Elle n'avait vu aucun chevalier perdre un combat à cause de ses cheveux et elle ne voulait pas être la première, le jour où elle en serait un du moins. Puis elle se mit à quatre pattes par terre, retira le faux-sol de l'armoire et s'arrêta un instant pour regarder la magnifique épée en or blanc, l'or elfique. Elle l'avait volée à son père dans l'armurerie et avait été si discrète que personne ne savait encore qu'elle était la véritable voleuse. De toute façon, qu'est-ce qu'elle risquait ? Une punition ? Elle se débrouillerait pour en échapper, comme toujours.

Mais aujourd'hui n'était pas le jour où elle allait se battre avec cette épée. Lorsque je serai chevalier, se dit-elle, j'arriverai au combat sur le dos d'Olvaar avec mon armure en or blanc et Père sera fier de moi. Elle porta alors son dévolu sur la vieille épée d'entraînement qu'elle avait également volée à l'armurerie du poste des sentinelles, mais ça, son père le savait. Elle boucla sa ceinture et se dépêcha de sortir tant que seuls les domestiques étaient debout. Elle se faufila dans les couloirs et traversa le château sans se faire remarquer, telle une souris dans l'obscurité, comme chaque jour. Elle avait appris les moindres cachettes où elle pouvait se mettre si l'un de ses frères se révélait matinal. Elle était sûre de ne pas croiser son père qui, à cette heure-ci, était dans son bureau à régler les petits problèmes du peuple. Quant à sa mère... Mère dort à cette heure-là.

Elle arriva dans la salle du trône et admira quelques instants l'imposant siège en ivoire décoré des armoiries de la famille Balsandoral sur le dossier. Parfois, il arrivait que son père la prenne sur ses genoux lorsqu'il était assis dessus et elle restait avec lui à écouter les plaintes de telle ou telle personne. Elle narguait ses frères aussi, se sentant alors plus grande, mais ils ne lui disaient jamais rien parce qu'elle était la petite princesse de leur père. De toute façon, Lorsan deviendra empereur après Père, il aura tout le temps de s'asseoir sur ce siège, et Belanor se fiche de tout.

Elle sortit de sa rêverie et se dirigea vers la grande porte, passant sous le toit en cristal sur lequel les rayons du soleil s'abattaient, reflétant sur le sol en marbre une myriade de couleurs. Sur les hauts murs blancs, les statues des vieux empereurs des temps anciens la fixaient, l'épée entre les deux yeux. Tous étaient de puissants Guerriers du dragon, et ses ancêtres. Un jour, je serais comme eux.

« Nylathria, puis-je savoir où tu vas ? »

La jeune princesse s'arrêta sur le champ, immobilisée par la voix de dame sa mère. Elle était censée dormir ! S'était-elle trompée d'heure ? S'était-elle réveillée trop tard ? Pourtant, le soleil était aussi bas dans le ciel que la veille.

« Bonjour Mère ! S'exclama-t-elle en se retournant. Avez-vous passé une bonne nuit ? »

L'impératrice Alyndra était plus belle chaque jour. Ses longs cheveux blancs retombaient en cascade sur ses épaules et le long de son dos, ses oreilles pointues étaient toujours décorées de fins bijoux et sa tête d'un diadème délicat. Ce jour-là, elle portait une robe blanche si légère que lorsqu'elle marchait, la jeune fille avait l'impression de la voir flotter au-dessus du sol. La robe retombait finement sur ses épaules, dévoilant les marques noires de ses bras et son cou, significatives des elfes. Souvent Nylathria se disait que si elle n'avait pas aspiré à être un chevalier, elle aurait voulu être exactement comme sa mère, belle comme le jour, gracieuse, douce et ferme à la fois.

Malgré le grand sourire que lui adressait sa fille, Dame Alyndra n'était pas dupe. Elle savait parfaitement bien où elle se rendait tous les matins, elle n'aimait tout simplement pas qu'elle y aille aussi tôt et seule. Il pourrait lui arriver malheur sur le chemin.

« N'essaie donc pas de détourner mon attention jeune fille et réponds à ma question, insista l'impératrice. »

Elle se redressa un peu plus alors que ses suivantes baissaient les yeux vers leurs jupes.

« Je vais m'entraîner avec Ardreth, avoua la princesse.

–Et où est-il ? Je ne le vois pas.

–Il m'attend au poste des sentinelles. »

Nylathria se ratatinait sur elle-même et tentait tant bien que mal de cacher son épée derrière elle, même si elle savait que sa mère l'avait vue.

« Nylathria, je t'ai déjà dit que je n'aimais pas te savoir seule dehors, surtout à cette heure-ci, on ne sait pas ce qu'il pourrait t'arriver. Un malheur peut arriver si vite et...

–Je sais Mère, vous ne pourriez pas supporter de me perdre, je connais la leçon. Mais je sais me battre et puis Olvaar ne laissera personne me faire du mal.

–Ton dragon ne pourra pas toujours te protéger. »

Les yeux violets de sa mère se firent plus doux, plus attendrissants alors qu'elle arrivait à sa hauteur. Elle enleva quelques mèches blanches du visage de sa fille et lui caressa tendrement la joue.

« Accepte au moins qu'un garde t'y accompagne, lui dit-elle. Lorsque tu seras avec Ardreth, il partira, je ne veux juste pas que tu traînes dans la rue toute seule.

–Alyndra, je suis sûr que tu te fais du souci pour rien ! »

Le visage de Nylathria s'illumina lorsqu'elle entendit la voix de son père. C'est gagné ! L'empereur avança vers elles et les suivantes de sa mère effectuèrent une révérence en parfaite synchronisation, prenant soin de remettre leurs jupes juste après pour paraître présentables devant l'empereur. Il déposa un baiser sur le haut de crâne de sa fille puis embrassa son épouse, restant volontairement à ses côtés pour toiser la jeune fille. Il essayait de rester impartial, la surplombant de toute sa hauteur, mais la princesse savait que son père serait de toutes les manières de son côté.

L'empereur Eroan était un homme avec une imposante carrure et aux longs cheveux blancs. Ses yeux violets étaient plus clairs que la normale et Nylathria avait hérité les siens de lui. Il avait ramené ses cheveux vers l'arrière, dévoilant ses oreilles pointues, et portait simplement une tunique blanche. Sa tête était cerclée de sa couronne en or blanc et améthyste.

« Eroan, tu sais qu'il n'est pas sûr qu'elle soit seule en ville, tentait de le convaincre Alyndra.

–Nylathria a bientôt onze ans et elle sait se battre mieux que quiconque, bien mieux que ses frères à son âge. Ne crois-tu pas qu'il est temps que tu la laisses s'envoler ? »

Alors que son père lui adressait un clin d'œil, l'impératrice se tourna vers son époux et le regarda sévèrement.

« Justement, elle n'a pas onze ans ! Continua-t-elle. Et peut-on me dire où est-ce qu'elle a trouvé cette épée ?

–Je la lui ai donnée pour ses entraînements. »

Le sourire malicieux sur les lèvres de la jeune princesse s'élargit. Son père mentait pour la protéger des foudres de sa mère, une fois encore. Les deux époux se regardèrent longuement, semblant communiquer par la seule voie de leurs pensées, jusqu'à ce que Dame Alyndra pousse un long soupir de capitulation.

« C'est d'accord, elle peut y aller seule, accepta sa mère en se tournant vers elle. Mais file vite avant que je ne change d'avis.

–Merci infiniment Mère ! »

Sans se faire prier, elle courra jusqu'à la grande porte, que deux gardes ouvrirent, et sortit dehors. Elle dévala ensuite les marches, traversa la cour où quelques soldats s'entraînaient, passa sous la grille relevée, sur le pont-levis abaissé et se retrouva dans les rues de la ville qui se réveillait peu à peu. Tous les bâtiments avaient été construits en granit blanc, commun à toutes les villes de l'Empire elfique. La capitale impériale, Gaaldorei, était la plus vaste de toutes et Nylathria avait beau passer des journées entières à arpenter les rues, elle en découvrait toujours de nouvelles.

Elle commença à se préparer à l'entraînement, tout en courant dans la ville. Elle sautait sur des caisses en bois, grimpait sur des échafaudages, en redescendait en se laissant glisser le long des cordes, perçait des sacs de pommes ou de farine sur son passage, coursait des chats errants qui se réfugiaient rapidement en hauteur tout en bousculant par mégarde les quelques passants assez matinaux et déterminés à regarder les étalages des magasins de si bonne heure, avant que la foule n'arrive.

On lui criait des choses comme « Fais attention où tu vas ! », ou encore « Cours gamin avant que je ne t'attrape par les oreilles et ne te les agrandisse ! », mais elle n'écoutait pas. Elle aimait tant courir ainsi dans les rues, devenant personne. Elle détestait son titre de princesse qui était la raison pour laquelle on était aussi circonspect quand on s'entraînait à l'épée avec elle, ou réticent à l'idée de faire d'elle un chevalier. Elle avait beau être un Guerrier du dragon, du moins elle le serait lorsqu'elle aura appris à monter Olvaar et à se battre sur son dos, tout le monde la voyait comme la fille de l'empereur et les nobles seigneurs insistaient toujours auprès de son père pour la marier à un de leurs fils lorsqu'elle sera en âge de donner des enfants. Je souhaite ne jamais fleurir si c'est ce qui m'empêche d'être chevalier.

Elle arriva rapidement à la porte du Nord, au poste de sentinelles dirigé par le commandant Ailmon, un vieil ami de son père. Les soldats la saluèrent d'une légère courbette, trop occupés pour faire plus, et c'était déjà trop pour elle. Personne ne fait la révérence à un chevalier, pourquoi est-ce qu'ils m'en accorderaient une ? Elle arriva dans la caserne toute essoufflée et trépignant d'impatience. Elle avait beau avoir mal aux jambes à force d'avoir couru, elle ne pouvait s'empêcher de sautiller sur place.

« Bonjour Votre Altesse, lança Ailmon.

–Bonjour commandant, Ardreth est là ? Demanda-t-elle en se balançant d'un pied sur l'autre.

–Il est parti dans la cour il y a quelques minutes, vous avez dû le louper.

–Merci ! »

Elle se rua à l'extérieur et fit marche arrière, regardant tout autour d'elle pour trouver son ami. Elle senti alors quelque chose lui tomber sur la tête et vis un caillou rouler par terre. Lorsqu'elle se retourna et leva les yeux, son visage s'éclaira d'un sourire lorsqu'elle vit son ami perché sur le toit des écuries.

« Bonjour princesse, s'exclama-t-il, vous êtes en retard ce matin, j'ai cru que vous n'alliez jamais venir.

–Ma mère m'a surpris en train de filer mais mon père m'a sauvé de justesse, sinon j'étais bonne pour de la harpe et du chant. Et arrête de me vouvoyer et de m'appeler princesse, ça m'énerve !

–Je suis sûr que tu chantes très bien en plus, il fit en ignorant la fin de sa phrase mais en exécutant tout de même sa demande.

–Je n'ai pas le choix, une princesse doit avoir une voix d'ange.

–Mouais, ce n'est pas ça qui te sauveras sur un champ de bataille. Allez, monte, on y va ! »

Il lui tendit la main et l'aida à monter sur le toit. Puis ils grimpèrent tous les deux sur les remparts et se mirent à faire la course, sillonnant entre les sentinelles en tour de garde. Nylathria poussa un peu plus sur ses jambes pour devancer son ami et arriver en première. Alors elle n'hésiterait pas à le narguer durant toute la semaine à venir. Ardreth, au lieu de sauter d'un bâtiment à un autre, se laissa volontairement tomber dans la rue, effectuant une roulade pour se rattraper, et s'engouffra à l'intérieur d'un magasin. La princesse ne cessa pas de courir mais ralentit, ne sachant pas où était son ami. Elle entendit une femme hurler des propos vulgaires, une poule sortit de sa cage en piaillant et enfin le fils du commandant s'extrayait de la boutique à présent sans dessus-dessous.

Elle le vit ensuite tourner dans une petite rue et, alors qu'elle le perdait de vue, elle s'arrêta pour trouver un moyen plus rapide d'arriver à leur arbre. La magie ! Elle n'avait pas vraiment été attentive lors des cours donnés par Lamruil, le sage de la Cour, mais elle connaissait deux ou trois tours essentiels à sa survie. Tout ce qu'il lui fallait, c'était trouver une manifestation de la nature. Elle se retourna dans tous les sens et vit finalement un buisson en contre-bas, mais elle était perchée beaucoup trop haut pour sauter sans se blesser. Elle analysa les alentours et remarqua que quelques pierres dépassaient du mur de l'enceinte. Parfait !

Elle se recula longuement, prit une grande goulée d'air et se mit à courir pour prendre de l'élan, puis sauta une fois arrivée sur le rebord. Elle eut l'impression que le temps ralentissait et que, suspendue dans les airs, elle pouvait tout faire. Mais la réalité la rattrapa rapidement et elle se cramponna aux pierres, se cassant un ongle ou deux. Puis elle redescendit rapidement, d'encoches à encoches, et effectua un dernier saut, atterrissant lourdement sur les pavés. Elle se rua ensuite vers le buisson, mit une main sur une des branches et ferma les yeux pour ressentir toute la vie courir dans la sève, comme le lui avait appris Lamruil. Les marques noires sur ses bras, ses épaules et son cou s'illuminèrent et devinrent dorées, éclairant la ruelle sombre, et les runes sculptées à même sa peau se changèrent en de larges cicatrices luisantes. Elle ressenti alors toute la puissance de sa magie traverser chacun de ses membres.

Elle leva les yeux vers les remparts, beaucoup trop hauts pour elle, et se mit à penser que son ami devait déjà être loin. Elle devait à tout prix le rattraper si elle ne voulait pas perdre, et elle n'accepterait aucune défaite. Elle posa alors ses deux mains sur le buisson et celui-ci se mit à bouger, créant une plateforme sous ses bottes, la soulevant au-dessus du sol. Les bras tendus devant elle, et concentrée comme jamais, elle dirigea les branches grandissantes vers sa destination et rapidement, elle retrouva la trace d'Ardreth qui courait à en perdre haleine. Lorsqu'il la vit au-dessus de sa tête, aidée de feuilles et de branches, il se donna une impulsion pour courir bien plus vite mais c'était peine perdue, il ne pouvait rivaliser avec la magie, surtout lorsqu'elle venait d'une personne au sang royal.

Comme prévu, Nylathria arriva la première au grand chêne blanc, l'endroit où ils avaient l'habitude de s'entraîner tous le deux. En attendant son ami, elle regarda les branches anormalement grandes du buisson repartir dans l'autre sens pour retrouver leur taille originelle, puis se tourna vers l'arbre qui lui semblait infiniment haut. Ses feuilles rouges dansaient au gré du vent, formant un bruissement agréable et apaisant. Mais la respiration saccadée et les lourds pas de son ami vinrent perturber le silence de la nature.

« Tu as triché ! Il s'exclama en sueur et essoufflé.

–Ce n'est pas de la triche, j'ai simplement utilisé tous les moyens qui s'offraient à moi, le nargua-t-elle.

–Sauf que moi, je ne sais pas utiliser la magie ! Il riposta.

–Bien sûr que si, ton père t'a appris à faire apparaître du feu !

–Seulement pour que je ne me congèle pas sur place la nuit lorsque je serai en mission de reconnaissance.

–Alors ne dis pas que tu ne sais pas utiliser la magie parce que c'est faux, t'as simplement jamais voulu que je t'apprenne. »

Le garçon explosa de rire et la mine de la princesse se déconfit. Avait-elle dit quelque chose de drôle ? Elle n'en avait pas eu l'impression.

« Toi ? m'apprendre la magie ? Il riait. Tu n'écoutes jamais rien de ce qu'on t'enseigne, c'est un miracle que t'aies réussi à agrandir cet arbre ou ce buisson, je n'en sais rien de ce que c'était. Et puis tu as un avantage, T'as de la magie de dragon en plus.

–Olvaar n'était pas là, bougonna-t-elle.

–Et c'est quoi ça ? »

Ardreth s'avança vers elle, lui prit sa main droite et la retourna. Sur sa paume, la Marque du dragon était encrée dans sa peau, c'était le lien qui l'unissait à Olvaar, le dragon qui l'avait choisi lorsqu'elle n'était encore qu'un bébé. Son frère Lorsan lui avait dit une fois que ce jour-là, lorsque l'œuf de dragon s'était illuminé et avait éclos quand sa main l'avait touché, tous les seigneurs, chevaliers et Guerriers du dragon en avaient eu la bouche bée. Nylathria était la deuxième femme pour qui un œuf avait éclos depuis des millénaires d'existence des elfes, et elle en était fière.

« Tu es juste jaloux, lança-t-elle en ôtant brusquement sa main.

–Jaloux, moi ? De toi ? Il se mit à rire. C'est sûr que j'adorerais chanter en compagnie de ma mère et de ses dames, d'assister à des repas à n'en plus finir, de subir des cours d'histoire, de géographie et de magie ennuyants à mourir, de respecter l'étiquette à chaque fois que je suis en présence de gens important, de sourire à n'importe qui et de porter des tenues tout sauf confortables. Non vraiment, ta vie est extraordinaire. »

Elle leva les yeux au ciel et le poussa gentiment.

« Non, pas de ça bien sûr ! Même moi je déteste ça. Je parle du fait qu'un jour, je serai une grande Guerrière du dragon et que je me battrais sur le dos d'Olvaar tout en volant.

–De toute façon, il fit en haussant les épaules, qu'on soit sur un dragon ou sur ses pieds, la guerre c'est la guerre. C'est ce que me répète mon père et il a raison. Un bon soldat reste un bon soldat, peu importe ce qu'il fait et où il est. »

Elle le regarda longuement. Ardreth n'avait seulement qu'un an de plus qu'elle et pourtant, à ce moment précis, elle l'aurait cru plus vieux. Depuis tout petit, il a toujours été bien plus grand qu'elle et le fait qu'il s'entraîne depuis l'âge de ses six ans a fait qu'il a rapidement développé une carrure imposante. Mais son visage est resté doux, du moins il l'a toujours été lorsqu'ils étaient ensemble. Ses cheveux blancs étaient coupés courts, ça le gênait moins quand il se battait il disait, et ses yeux étaient d'un violet profond, presque noirs. Elle n'avait jamais vu aucun autre elfe avec les yeux aussi sombres, mis à part son père, le commandant Ailmon. Ils contrastaient avec les siens, si pâles qu'ils auraient pu être blancs.

« Ça te dis qu'on remette ça ? Il la défia. Le premier en haut du chêne sans utiliser de magie gagne. Partante ?

–Toujours, fit-elle avec un large sourire. »

Il courut alors vers le grand arbre et Nylathria se précipita à sa suite en riant. Elle devait gagner cette course-là également, pour lui montrer qu'elle n'avait besoin d'aucune magie pour être la plus forte. Elle s'empara d'une large branche et utilisa toute la force de ses bras pour grimper dessus. La première était toujours plus difficile. Elle montait de plus en plus haut, plaçant ses pieds à des endroits stratégiques afin d'avoir un bon appui pour se lancer plus haut, comme elle l'avait des centaines de fois. Elle aurait pu le faire les yeux fermés.

Mais elle ne perdait pas de vue son adversaire qu'elle scrutait du coin de l'œil. Il avançait vite et si elle ralentissait la cadence, il allait la dépasser et prendre l'avantage, elle ne pouvait pas le lui permettre. Alors elle tenta un coup risqué et misa sur sa légèreté en sautant d'une branche à une autre, bien plus haut. Elle réussit à se rattraper et fut alors en tête. Elle l'avait déjà fait, sauter d'un point à un autre, lors de son entraînement pour devenir un Guerrier du dragon. Elle devait être capable de sauter du dos de son dragon à un autre et atterrir avec souplesse. Elle ne l'avait jamais testé sur le dos d'Olvaar, puisque de toute façon, Père la considérait trop jeune et inexpérimentée pour le monter, surtout que son dragon était encore jeune lui aussi. Mais un jour, ils ne feront plus qu'un et seront la terreur de leurs ennemis.

Après de longues minutes de montée intense, Nylathria arriva la première, avec seulement deux secondes d'avance sur Ardreth. Mais elle ne se garda pas de se vanter.

« Alors, tu vois que je suis la plus forte de nous deux, le nargua-t-elle.

–Je n'ai pas dit mon dernier mot, princesse. »

Ils rirent un instant puis se mirent à admirer le paysage. De là où ils étaient, ils pouvaient voir par-delà la frontière de l'Empire elfique. Après l'O'retaesi, la forêt source de la magie des elfes, se dressait une autre terre, le royaume de Feoyether, la terre des demi-elfes. Du moins c'est ce qu'elle pensait, elle n'avait pas vraiment suivi le cours de géographie.

« Dis Nyla, murmura Ardreth en admirant le paysage somptueux qui s'offrait à eux, est-ce qu'un jour tu crois que je pourrais monter avec toi sur Olvaar ? On pourrait parcourir le monde et découvrir toutes les terres, même celles qui se situent après le Désert Rouge.

–Bien sûr, Olvaar t'aime beaucoup, je suis sûre qu'il acceptera que tu viennes avec nous. Mais tu crois qu'il y a vraiment quelque chose après le Désert Rouge ?

–Je ne sais pas, j'aime bien le penser. Peut-être qu'il y a d'autres gens qui veulent découvrir nos terres, comme nous nous voulons parcourir les leurs.

–Un jour, s'exclama-t-elle, j'entreprendrais un grand voyage et j'irais dans le moindre recoin du monde, avec toi. Et une fois qu'on aura tout vu, on ira trouver un autre monde à découvrir. Après tout, on a mille ans pour ça. »

Un sourire triste se dessina lentement sur les lèvres de son ami, ce qui la rendit infiniment morose. Elle n'aimait pas le voir ainsi.

« Même si je le voulais, mon père ne voudra jamais, il fit. Je vais devenir un chevalier et je devrais combattre pour ton père, puis pour ton frère après lui, et peut-être son fils après. Mon destin est à l'armée.

–Je serai un chevalier moi aussi, déclara-t-elle. Et les généraux de mon père peuvent bien dire ce qu'ils veulent, je suis une femme pas une incapable, je peux me battre aussi bien qu'eux.

–Tu crois qu'ils te laisseraient faire ? Il se tourna vers elle tout en se tenant aux dernières branches. Tu es une princesse après tout, ils vont certainement vouloir te marier à un seigneur pour former des alliances. Mon père m'a dit que c'était certainement ce qui t'attendait. »

Nylathria se renferma sur elle-même. Elle n'aimait pas qu'on lui parle de mariage, elle détestait ça même. Jamais elle n'a voulu devenir la femme de quelqu'un, rester à la maison et avoir plein d'enfants, jamais elle ne le voudrait. Elle avait besoin de se battre.

« Je tuerai mon fiancé avant qu'il n'ait le temps de m'admirer, lança-t-elle.

–Ne dis pas des choses comme ça Nyla, tu pourrais avoir des problèmes. Et tuer n'est pas un jeu d'enfant.

–Ça le deviendra si j'ai un ennemi en face de moi, et quiconque essaie de m'épouser est un ennemi. Et puis je peux bien dire ce que je veux, je suis de sang royal, personne ne peut rien me dire.

–T'es bête.

–C'est toi qui es idiot. Tu laisserais quelqu'un m'emmener loin d'ici toi ?

–Pour que je sois seul ? Jamais de la vie. Et si ton père veut absolument que tu te maries, c'est moi qui t'épouserai. »

Elle tourna vivement la tête vers lui et le dévisagea, ne sachant pas s'il plaisantait ou non.

« T'es qu'un idiot Ardreth, elle répliqua, je t'ai dit que je n'épouserai personne.

Un silence s'installa et tous deux méditèrent sur cette conversation. Pourquoi est-ce qu'il avait dit qu'il voulait l'épouser ? Il a dû dire ça pour m'embêter, et il est stupide de paraître aussi sérieux. Le vent souffla dans ses cheveux et elle ferma les yeux pour profiter du calme que lui offrait la nature. Ses oreilles se mirent à frétiller, quelqu'un l'observait. Alors elle rouvrit les paupières et croisa le regard de son ami.

« Quoi ? Beugla-t-elle.

–Rien, on devrait y aller, on dirait qu'il va pleuvoir. »

Elle regarda le ciel qui s'était assombri. Un immense nuage gris allait passer au-dessus d'eux pour déverser ses larmes. Ils entreprirent donc de descendre soigneusement afin d'éviter toute blessure. Et une fois les pieds à terre, ils retournèrent à la garnison de la porte Nord dans le silence. Les rues s'étaient remplies et étaient à présent bondées de monde. Tous les magasins étaient ouverts, des marchands criaient à qui voulait l'entendre que leurs produits étaient les meilleurs de tout l'Empire. Certains venaient de d'autres terres, elle reconnut deux humains des terres d'Ambre grâce à leur peau foncée et leurs oreilles courtes d'humains, des demi-elfes vendaient leurs services et même un nain s'était aventuré jusqu'ici pour vendre ses armes grossières. Il est stupide, songea-t-elle, nous avons des armes en or blanc, qui voudrait de la ferraille de nain ? Il devrait aller chez les humains.

Ils arrivèrent rapidement dans la cour d'entraînement et ils montèrent jusque sur les remparts pour trouver Ailmon afin qu'il leur donne leur leçon journalière.

« Père, nous sommes de retour, annonça Ardreth. »

L'homme ne répondit pas, fixant un point à l'horizon, tout comme les quelques soldats autour de lui.

« Voyez-vous ça ? Demanda-t-il finalement. »

Ardreth et Nylathria se regardèrent un instant sans vraiment comprendre de quoi il parlait.

« C'est... un nuage ? Proposa le garçon.

–Non, déclara fermement son père, un nuage n'avancerait pas aussi rapidement, surtout avec très peu de vent comme aujourd'hui. Non, c'est autre chose. »

Nylathria se pencha par-dessus les remparts, regardant au loin en plissant les yeux en essayant de mieux voir. Ce qu'ils avaient pris pour un nuage gris était maintenant d'un noir intense, anormal. Elle n'avait jamais rien vu de tel. Elle continua à fixer la chose alors qu'elle se rapprochait dangereusement. Puis un bourdonnement lui siffla dans les oreilles. Ce n'est pas un bourdonnement, ce sont des cris de guerre ! Elle s'éloigna des murs le cœur battant. Ailmon avait lui aussi compris de quoi il s'agissait.

« Ardreth, ramène la princesse au palais, immédiatement ! Aboya le commandant. Archers en position ! Fermez les grilles et la porte !

–Nyla, viens ! Lui cria son ami alors qu'autour d'eux les soldats se pressaient sur les remparts, arcs à la main. »

Elle était tétanisée, ses jambes ne répondaient plus et l'ombre noire se rapprochait de plus en plus. Sur la terre comme dans le ciel, elle avançait, assombrissant tout sur son passage. Ce n'est que lorsqu'Ardreth lui prit la main et la tira vers lui qu'elle prit conscience qu'elle devait absolument partir. Elle croisa le regard paniqué du garçon et sans plus attendre, ils se mirent à courir. Ils entrèrent dans la tour, se firent bousculer par des soldats en armure d'or blanc, descendirent à toute vitesse l'escalier en colimaçon qui menait à la cour, qu'ils traversèrent au plus vite. En haut des remparts, Ailmon hurlait des ordres à ses hommes pour renforcer les défenses de la ville.

Son ami l'entraîna hors de la caserne alors qu'un cor résonnait et faisait trembler les rues. Les habitants se mirent à paniquer, à crier et courir dans tous les sens. Nylathria se retrouva ballottée dans tous les sens et rapidement, sa main quitta celle du garçon.

« Ardreth ! L'appela-t-elle.

–Nyla ! Lui répondit-il au loin. »

Elle l'entendait mais ne le voyait pas et la panique commençait à prendre possession de son corps. Son cœur tambourinait dans sa poitrine et ses jambes se mirent à trembler. Un chevalier n'a jamais peur, tenta-t-elle de se convaincre. Mais elle était loin d'être un chevalier. Elle poussait les personnes sur son chemin et se fit bousculer encore plus. Elle manqua de tomber et se rattrapa sur un inconnu qui ne manqua pas de la rejeter. Elle se sentait faible et impuissante parmi cette foule en panique. Sa respiration devenait de plus en plus saccadée lorsqu'elle réalisa que l'ennemi était sans doute déjà à leurs portes.

Comme une lumière dans la nuit noire, Ardreth réapparu soudainement et lui reprit la main, fonçant tête baissée dans la cohue. Elle ne savait plus où ils se trouvaient mais elle lui faisait confiance, elle savait qu'elle serait saine et sauve tant qu'il était avec elle. Un immense craquement se fit soudainement entendre, lui arrachant un sursaut. Ils sont là, ils ont brisé une porte ! Mais laquelle ? Nylathria avait beau tendre son cou, elle ne voyait définitivement rien.

C'est alors qu'une ombre noire passa au-dessus de la ville et lorsqu'elle leva les yeux vers le ciel, ils tombèrent sur un gigantesque dragon noir déployant ses ailes au-dessus d'eux. Aucun de nos Guerriers du dragon n'a de dragon noir. À la seconde où cette pensée lui traversa l'esprit, les sept Guerriers et leurs dragons arrivèrent en flèche et se jetèrent sur le monstre noir. Mais celui-ci était bien plus grand que n'importe laquelle de leur bête.

Les deux enfants continuèrent à courir à en perdre haleine et un sentiment de soulagement la traversa à la seconde où elle vit le palais. Nous y serons en sécurité. Mais sa joie ne fut que brève lorsqu'un troll se planta devant eux, hurlant un cri de guerre avant de se ruer vers eux. Ardreth sorti son épée et se mit en garde, Nylathria eu à peine le temps d'en faire autant que les deux se battaient déjà. Mais rapidement, d'autres arrivèrent et la princesse su immédiatement que s'ils n'avaient pas d'aide, jamais ils ne pourraient s'en sortir vivant.

« Enfuis-toi Nyla ! Hurla son ami en évitant la masse du troll. »

Elle ne savait que faire, aider son ami ou fuir comme une lâche ?

« VA-T'EN ! »

Ses pieds se mirent à courir tous seuls dans l'autre sens, elle n'arrivait plus à réfléchir. Un chevalier se serait battu. Mais encore une fois, elle n'avait rien d'un chevalier. Elle se retourna vivement pour s'assurer que son ami allait bien mais c'est à ce moment-là qu'une flèche le transperça en plein cœur. Le garçon se tourna vers elle, les yeux écarquillés. Son cœur à elle s'était serré et les larmes la menaçaient de s'écouler.

« NOOOOON ! »

Son hurlement résonna dans la rue et Ardreth tomba au ralenti sur les pavés, se vidant doucement de son sang, le regard vide. Sur un toit, un elfe aux yeux aussi noirs que son armure banda de nouveau son arc, prêt à lui tirer dessus. Elle n'avait pas le temps de pleurer son ami, elle devait sauver sa propre vie. Alors elle se remit à courir, pourchassée par les trolls. Elle tenta de se repérer mais entre les soldats ennemis, ceux de son père, la population et les cadavres, elle ne voyait rien. Elle trébucha sur un corps encore chaud mais dénué de vie. Elle n'eut pas le temps de crier qu'elle était déjà debout, animée par son instinct de survie. Elle devait absolument rejoindre le palais si elle voulait vivre.

Elle entrevit une lueur d'espoir lorsqu'elle aperçut au loin le pont-levis menant au château, mais celui-ci était relevé. C'est alors qu'un troll débarqua devant elle, la surprenant.

« Krær ! »

Lorsque le mot sorti de sa bouche, la créature prit feu sous ses yeux, hurlant à la mort. Mais elle n'avait pas le temps de s'en soucier, elle devait rester en vie. Elle bondit et se mit à courir vers le palais mais elle senti quelque chose l'attraper par les épaules et ses pieds décolèrent du sol. Elle se débattait en criant mais elle reconnut rapidement les deux grandes pattes blanches et ces longues griffes noires. Olvaar !

« Amène-moi au palais ! Lui cria-t-elle.

Impossible, c'est trop dangereux, tu risquerais de mourir ! »

La voix du dragon résonna dans son esprit. Il devait absolument la ramener là-bas !

« Ma famille y est, je dois être avec eux !

Ta vie passe avant ! »

Le dragon prit de l'altitude et elle put voir l'étendue des dégâts. Les habitant et les soldats de son père tombaient comme des mouches et les murs blancs de la ville étaient tâchés de sang. Elle entendit le cri strident d'un dragon et vit au loin la bête s'écrouler sur le sol, détruisant quelques bâtiments au passage et écrasant son cavalier. Les troupes de l'ennemi lui semblaient infinies et revenaient toujours en surnombre.

« Lâche-moi, repose-moi par terre ! Hurla-t-elle en se débattant. Je dois aider ma famille !

Tu vas te faire tuer, je dois te mettre en sécurité ! »

Elle avait envie de pleurer et de le frapper alors que des ennemis avaient réussi à entrer dans l'enceinte du palais. Les gardes de père vont les défendre, ce sera bientôt fini ! Mais même si son cœur souhaitait que ce fusse vrai, sa raison lui hurlait qu'il ne s'agissait là que d'un songe. Le pire de tous.

Ils survolèrent des maisons en feu, entendirent des habitants agoniser alors qu'ils s'en allaient loin du désastre. Nylathria perdit la notion du temps et ignorait combien de temps s'était écoulé entre les évènements. Une éternité.

Lorsqu'Olvaar jugea qu'ils étaient assez loin de Gaaldorei pour que sa dragonnière soit en sécurité, il la lâcha et se posa près d'elle.

« Pourquoi est-ce que tu as fait ça ?! Pleurait-elle. J'aurais pu les aider ! J'aurais pu les sauver...

Comment ? Tu es trop jeune, nous sommes trop jeunes et...

–Assez ! Aboya-t-elle. Ils sont morts par ta faute ! J'étais à deux doigts de les rejoindre ! »

Elle avait besoin de se défouler sur quelqu'un, de déverser toute sa haine. Elle était vivante et en sécurité alors que son peuple était en train de se faire massacrer, et elle ignorait pourquoi.

« Nylathria réfléchis...

–NON ! Je ne veux plus te voir, tu as tout gâché ! »

Le dragon blanc fit un pas vers elle, lui adressant un râle plaintif mais elle lui tourna le dos, en larmes.

« Va-t'en je t'ai dit ! Je ne veux plus jamais te voir ! »

Il resta un instant derrière elle en espérant qu'elle changerait d'avis mais elle partit dans sa propre direction. Il déploya alors ses ailes et s'envola loin d'elle, tout en se faisant la promesse de toujours garder un œil sur elle.

Nylathria se laissa tomber au pied d'un arbre et continua de pleurer, la tête dans ses genoux, hantée par les hurlements de son peuple agonisant. Ardreth était mort. Ailmon était certainement mort, tout comme son père, sa mère, ses frères et le reste de sa famille. Elle n'avait plus personne, ni même Olvaar. Elle était seule au monde.

Des heures passèrent jusqu'à ce que plus aucun bruit ne provienne de la ville. Il n'y avait plus personne en vie alors l'ennemi était parti. Elle ne pria même pas pour qu'ils ne la retrouvent pas dans la forêt, elle se fichait pas mal de mourir aujourd'hui, puisqu'elle mourrait avec son peuple. Elle se roula en boule entre les racines de l'arbre pour se réchauffer et pleura jusqu'à ce que plus aucune larme ne s'écoule de ses yeux. Elle n'avait plus de famille, plus de peuple. Elle était devenue personne. 

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