Olvaar
Son réveil fut l'un des plus doux qu'elle eut connu. Nylathria n'avait pas dormi dans un lit aussi confortable depuis des années, elle avait même oublié la sensation des draps en satin sur la peau. Lorsqu'elle ouvrit les yeux, réveillée par la lumière du soleil se reflétant sur la neige de la montagne, elle tomba nez à nez avec le visage paisiblement endormi de Durlan. Elle l'observa longuement, repensant à cette nuit qu'ils venaient de passer ensemble. Elle avait eu l'habitude de partager son lit avec d'autres hommes mais cette fois-ci, cela avait été différent.
Elle se redressa et ramena ses genoux contre sa poitrine, les enroulant de ses bras pour les serrer contre elle. Seul le souffle régulier du jeune homme venait perturber le silence régnant sur la chambre. Lorsqu'elle posa son menton sur se genoux, une mèche de ses cheveux vint obscurcir sa vue. Délicatement, elle la prit et la fit danser entre ses doigts. Elle n'avait plus l'habitude de les voir blancs, ni d'avoir les yeux violets ou ces stupides oreilles pointues. Elle les avait toujours détestées parce qu'elles ressortaient constamment de ses cheveux, ne plus les avoir pointues était le seul avantage à prendre une apparence humaine.
En parcourant la pièce du regard, ses yeux se posèrent sur le grand miroir. Elle s'empara de sa robe de chambre qui gisait au sol, l'enfila et se dirigea vers l'imposant objet. Elle n'arrivait plus à se reconnaître et avait l'impression d'avoir sa mère en face d'elle. Son cœur se serra à cette pensée. Et dire que Castien et Ysildea avaient réussi à sortir du château mais pas sa mère ou même l'un de ses frères. Elle se doutait qu'eux et leur père s'étaient vaillamment battu jusqu'à leur dernier souffle pour protéger leur famille mais elle aurait préféré retrouver Lorsan ou Belanor plutôt que cet égoïste de Castien. Au moins eux savaient qui elle était vraiment et respectaient ce qu'elle avait voulu être.
–Nyla ?
La voix encore endormie de Durlan la surprit et la sortit de ses pensées. À travers le miroir, leurs regards se croisèrent. Les cheveux bruns du jeune homme étaient en bataille et il comatait encore. Il avait l'air terriblement stupide ainsi, ce qui la fit sourire.
–La princesse est enfin réveillée ? Lança-t-elle. J'étais déjà en train de réfléchir à ce que je pouvais dire à tes funérailles.
Il rit doucement et s'assit dans le lit, le drap retombant sur son bassin.
–Tu aurais été bien embêtée, rétorqua-t-il, on t'aurait accusé de meurtre.
–Rien qu'on ne m'ait déjà reproché.
Alors qu'il la contemplait, elle s'avança vers le balcon pour tenter d'ignorer les battements de son coeur. Ce qu'elle ressentait lorsqu'elle était avec lui elle ne le contrôlait pas, et elle détestait cela. Son regard se perdit au loin dans la montagne, là où tout était blanc, recouvert de neige. Elle suivit une perdrix qui survolait les conifères de l'autre côté de la vallée.
–Tu te regardais dans le miroir tout à l'heure, reprit Durlan. Tu sais, j'aime bien te voir comme ça, je te trouve bien plus belle qu'avec ton apparence humaine.
Elle se retourna vers lui, un sourcil arqué.
–Donc maintenant que tu sais que je suis une elfe de la famille impériale, je suis devenue plus jolie c'est ça ? Plaisanta-t-elle. Je savais que tu étais prêt à tout pour retrouver ton titre princier mais tu pourrais au moins faire preuve d'un peu plus de tact.
–Ne commence pas à t'imaginer des choses ! Répliqua-t-il. Tu étais déjà magnifique avant mais maintenant tu...
–J'ai le charme elfique en plus ? Le coupa-t-elle. Cela a toujours fait des ravages sur vous, pauvres humains que vous êtes.
Elle s'approcha du lit et s'y assit, près de Durlan.
–Je suis certain qu'il y a eu des elfes hideux, fit-il.
–Désolé de te décevoir, bâtard royal, mais la nature est magnifique, alors ses enfants le sont tout autant.
Ses lèvres s'étirèrent en un large sourire et il releva un sourcil.
–La nature est modeste aussi, oreilles pointues.
Le sourire de Nylathria s'effaça instantanément. Apparemment, il avait compris qu'elle détestait ses oreilles et cela ne lui plaisait pas du tout.
–Appelle-moi encore une fois comme ça et je te promets de te faire manger ta langue, le menaçait-elle.
–C'est fou, depuis que je te connais tu n'as pas cessé de me menacer mais tu n'as jamais rien fait.
Comme pour lui prouver le contraire, elle lui donna un coup dans le ventre, le faisant se plier en deux.
–La prochaine fois je viserais plus bas, lança-t-elle victorieusement.
C'est à ce moment là que la porte s'ouvrit en grand. Ils se tournèrent tous les deux et Durlan remonta les couvertures pour se cacher alors que des femmes de chambre entraient. Lorsqu'elles se rendirent compte que Nylathria n'était pas seule, elles s'arrêtèrent et les regardèrent d'un air choqué.
–Excusez-nous Vôtre Altesse, fit l'une d'elles, nous ignorions que vous n'étiez pas seule.
Durlan avait tourné au rouge pivoine, ce qui la fit sourire.
–Ne vous inquiétez pas, vous ne dérangez pas.
Le jeune homme lui lança un regard traduisant autant sa colère que sa détresse, et elle était fière de l'avoir mis dans une telle position.
–Je suppose que vous êtes là pour m'aider à m'habiller, reprit-elle avec un air de lassitude.
–C'est cela madame.
Nylathria se leva en soupirant. Elle détestait se faire assister, elle avait l'impression d'être empotée et de ne servir à rien.
–Souhaitez-vous que nous appelions vos valets, monsieur ? Demanda la plus grande.
–Non, ça ira je vous remercie, je vais m'habiller seul.
Durlan était plus que gêné par la situation. Mais la princesse ne s'en occupa plus lorsqu'elle vit ce que les femmes de chambres avaient avec elles.
–Qu'est-que c'est que cela ? Demanda-t-elle.
–Une robe, Vôtre Altesse impériale.
En plus de l'appeler par ce sobriquet ridicule, elle lui apportait une robe. De quoi alimenter sa colère.
–Je refuse de mettre cette chose, j'en ai eu assez d'hier, lâcha-t-elle. J'aimerais respirer de temps en temps. Alors, s'il vous plait, pourriez-vous ramener cette robe, là où vous l'avez prise, je mettrais un pantalon.
–Mais madame, c'est Sa Majesté l'empereur Castien qui a demandé à ce que vous portiez ceci.
Évidemment, il fallait que cela vienne de Castien, de qui d'autre ? Il était peut-être horrible de souhaiter la mort de quelqu'un, surtout une personne de sa famille, mais elle serait plus que joyeuse d'assister à ses funérailles.
–Vous direz à Sa Majesté que je ne veux pas de cette robe, répondit-elle en essayant de camoufler au mieux sa colère. Il ne va certainement pas décider de comment je m'habille, pour qui est-ce qu'il se prend ?
–Bien madame, capitula l'une des domestiques, que souhaitez-vous mettre dans ce cas ?
–Un pantalon, un corsage et une chemise suffiront. Ou alors un manteau cintré et long si mon cher cousin préfère, mais je refuse de me mettre en robe.
Elles lui adressèrent une révérence et s'en allèrent du plus vite qu'elles le pouvaient chercher de nouveaux vêtements. Une fois seuls, Nylathria se tourna vers Durlan qui avait déjà enfilé son pantalon.
–Tu es intenable, lança-t-il en riant, une lady se doit de mettre une robe, surtout si la lady en question est une princesse impériale.
–Mon titre princier, ils peuvent se le carrer là où je pense.
Durlan éclata de rire face à sa moue beaucoup trop sérieuse et elle ne put retenir un sourire.
Elle se regarda de nouveau dans le miroir. Elle avait l'air ridicule. Le manteau aux manches capes qu'on lui avait mit mettait en valeur sa taille et son décolleté et s'arrêtait aux genoux. Tout était horriblement blanc, avec malgré tout quelques améthystes et de la broderie. Le seul point positif qu'elle avait trouvé à cette tenue était le pantalon, elle pouvait enfin faire tous les mouvements qu'elle souhaitait.
Durlan se posta à côté d'elle et la regarda longuement, un sourire moqueur sur les lèvres.
–La ferme, fit-elle, anticipant toute parole de sa part.
Le jeune homme se mit à rire alors qu'elle quittait la chambre.
–Attends, je te trouve très bien dans cette tenue !
Il la rattrapa dans le couloir en courant et elle se tourna vivement vers lui.
–Très bien ? Explosa-t-elle. Je ressemble à une poupée là-dedans ! Tu m'expliques comment je fais pour me battre si besoin avec ses manches qui volent et les cheveux lâchés ?
–Normalement, il y a les gardes pour ça.
–Je ne vais certainement pas me cacher derrière une bande d'hommes qui savent à peine se battre.
–Elecia ? Durlan ?!
Ils se retournèrent tous les eux vers la provenance de la voix qu'ils avaient parfaitement reconnue. Au bout du couloir, Murzol et Torestrin avançaient vers eux, les yeux aussi ronds que des billes.
–Vous m'expliquez pourquoi vous venez de sortir tous les DEUX de la chambre d'Elecia ? S'écria Torestrin.
Elle n'avait aucune envie de leur répondre, elle était déjà assez énervée comme cela. Mais elle sentit le regard gêné du bâtard se poser sur elle.
–Ne me dîtes pas que vous avez passé la nuit tous les deux ? Ajouta Murzol un grand sourire sur les lèvres.
–Vous me faîtes tous chier ce matin ! Lança Nylathria avant de tourner les talons et de s'en aller.
Elle entendit les trois hommes la rattraper en courant mais elle accéléra le pas. Les talons de ses bottes lui faisaient atrocement mal aux pieds, elle les maudissait. Mais surtout, elle maudissait Castien de l'avoir obligé à porter de tels vêtements.
–Vôtre Altesse impériale, la stoppa un garde en lui offrant une légère courbette, votre présence est requise dans la salle du conseil par Leurs Majestés le roi Jungdu et l'empereur Castien.
Il jeta un coup d'œil par-dessus l'épaule de la jeune femme.
–Par contre, je suis navré mais seule votre présence a été demandée.
–Je me fiche bien de ce qui a été demandé, ces trois-là viennent avec moi. Après tout, j'avais demandé à ce qu'on me laisse partir et pourtant je suis toujours dans ce château de malheur à porter ces vêtements ridicules et atrocement inconfortables.
Le garde ne savait qui répondre mais Nylathria s'en contrefichait. Ce qu'elle avait envie de dire, elle le disait. Sans attendre qu'il n'ajoute quoi que ce soit, elle reprit son chemin sans vraiment savoir où aller. Mais elle savait que le soldat allait la rattraper et la guider. Dans son dos, Murzol et Torestrin ne cessaient d'essayer de faire cracher le morceau à Durlan. Même s'il était évident qu'ils n'avaient pas seulement joué aux dames, leurs deux compagnons souhaitaient les entendre le dire. Mais Durlan tenait le coup.
Après avoir parcouru un nombre incalculable de couloirs et être passé devant beaucoup trop d'elfes et d'humains de la Cour qui semblaient l'aduler, ils arrivèrent enfin à la salle du conseil où on l'attendait. Castien, Ysildea et Lamruil étaient aux côtés du roi Jungdu, de la reine Jaliqai, du prince Jaghatai et de leurs conseillers. Azlore était également là entouré par deux druides, le mage de la Cour d'Opale Exveus et la mage Avedelis, le nouveau maître du garçon. À quatorze ans il a déjà le droit d'assister à un conseil ? Le pauvre.
–Merci d'avoir accompagné la princesse, messires Murzol, Torestrin et Durlan, lança Castien, vous pouvez à présent disposer.
–Ils restent, déclara Nylathria.
Son cousin la regarda de la tête aux pieds.
–Non seulement tu refuses de t'habiller comme une femme de ton rang mais en plus tu oses me défier.
–Oui, dit-elle simplement en le regardant dans les yeux avant de se tourner vers le reste de l'assemblée. Commençons-nous ?
Elle vit Castien serrer les poings et la mâchoire et sa mère poser une main rassurante sur son bras pour le calmer. Qu'il essaie de la toucher et elle lui fera mordre bien plus que de la poussière.
–Bien sûr, répondit le prince Jaghatai. Comme vous êtes fraîchement de retour parmi votre famille et que vous intégrez la Cour d'Opale, Dame Nylathria, nous avons pensé que vous mettre au courant de certaines choses serait plus que nécessaire.
Elle essayait de se rappeler le moment où elle avait dit qu'elle intégrait la Cour puis elle se souvint qu'effectivement, elle n'avait rien dit de tel. Et ce nom, Dame Nylathria, l'horripilait. Mais elle ne dit rien, elle avait déjà attisé les foudres de son empereur de cousin, elle ne voulait pas en rajouter.
–Vous n'êtes pas sans savoir que le peuple des humains est en danger par cette menace qui a malheureusement touché le peuple des elfes, continua le roi Jungdu, et qui a bien faillit l'éteindre. L'ayant vu de vos yeux, vous savez que nous ne pourrons pas y faire face si nous ne sommes pas préparés, et pour cela nous avons besoin d'alliés. Tout soldat nous sera nécessaire. J'ai reçu récemment un message du roi Berengar de l'Aube qui demandait à ce que l'Ordre des druides envoie l'un de ses mages pour soigner une dame de la Cour qui a été attaqué par ce qu'il appelle de la magie noire. Nous pouvons donc envisager une alliance avec l'Aube qui semble le royaume le plus touché par la menace.
–Vous ne pourrez pas les vaincre, déclara Nylathria.
Tous se tournèrent vers elle, le regard rempli d'incompréhension.
–En s'alliant nous serons plus forts, insista Jaghatai, je suis certain...
–Ôtez vos certitudes, répliqua la jeune femme, vous n'arriverez pas à les battre. Mon peuple possédait les meilleurs soldats du monde et nous avions sept dragons et leurs dragonniers, et nous n'avons pas réussit à l'emporter. Comment pouvez-vous croire que vous arriverez à vaincre ces foutus elfes noirs.
–Attendez Vôtre Altesse, l'arrêta Lamruil, venez-vous de mentionner les elfes noirs ?
–C'est insensé, s'exclama Castien, les elfes noirs ne sont qu'une légende.
–C'est ce que je croyais moi aussi, fit la princesse, jusqu'à ce que j'en vois de mes propres yeux.
–Ce ne sont que des histoires pour faire peur aux enfant Nyla ! Lança son cousin.
Était-ce étonnant qu'il ne la croie pas ? Ça ne l'était pas et pourtant la colère de la jeune femme s'intensifia.
–Je les ai vu le jour de l'attaque, se défendit-elle en tentant de garder son calme, l'un d'eu a même tué Ardreth. Les cheveux aussi blancs que nous, les mêmes marques noires sur les bras mais il avait le teint blafard et ses yeux et ses veines étaient aussi foncés que ce dragon qui a fondu sur nos Guerriers. Ce sont des elfes et ils ont bien plus de ressources que nous n'en aurons jamais.
Elle resta à regarder Castien quelques secondes avant de se tourner vers le souverain de l'Opale et ses conseillers.
–Je suis navrée mais il n'y a rien que vous ne puissiez faire, continua-t-elle. Si vous voulez survivre, partez. Prenez la mer et allez découvrir le monde, vous tomberez certainement sur de nouvelles terres où vous serez bien plus en sécurité qu'ici
–La Nylathria que je connaissais n'aurait jamais abandonné, lâcha Dame Ysildea, tu étais prête à tout pour te battre, devenir chevalier. Jamais tu n'as baissé les bras. Et qu'est-ce que nous retrouvons aujourd'hui ? Une vulgaire vagabonde qui fuit face au premier danger ? Tu déshonore ton nom.
Le regard que sa tante lui lança aurait pu lui briser le cœur si elle n'avait pas l'habitude d'être dénigrée.
–La personne que vous avez retrouvée est certes bien différente de celle que j'étais mais je n'ai pas eu d'autre choix que de changer si je tenais à survivre. Être Nylathria m'aurait apporté beaucoup trop de problèmes. Et pendant toutes ces années où j'ai dû survivre avant de vivre, j'ai appris à rester en vie et à réfléchir de sorte à ne jamais prendre le chemin vers la mort. Et là, si vous décidez de vous battre vous êtes certains que vous retrouverez Mère Nature bien plus tôt que vous ne le pensez. Fuyez, c'est le seul conseil que je puisse vous donner.
Elle tourna les talons et croisa le regard de Durlan, qu'elle ne put déchiffrer.
–Nous pourrions avoir plus de dragons ! S'exclama Castien.
–Et comment ? Demanda Nylathria en se retournant.
–En tant que dernière Guerrière du dragon, tu es la seule à pouvoir toucher les œufs de dragons cachés sous Gaaldorei. Il te suffirait d'aller les chercher et de les ramener ici, on se chargera de tester toutes les personnes nées après le Fléau pour trouver de nouveaux Guerriers.
Le rire de la princesse résonna dans la pièce.
–Dis-moi que tu ne le penses pas sérieusement, fit-elle. Même si je t'amenais les œufs et que certains venaient à éclore, il faudrait des années pour que les dragons ne grandissent et soient aptes à être montés, et des années encore pour les dragonniers apprennent à monter et à utiliser la magie des dragons. Vous serez tous morts bien avant.
–Nous devons tout de même récupérer les œufs, ajouta Lamruil de son calme habituel, ils font partie de notre peuple.
–Et nous, nous devons absolument trouver des alliés, termina Jungdu.
Le sage Lamruil s'approcha lentement de Nylathria, le regard empli de douceur.
–Nylathria, commença-t-il, vous seule pouvez toucher ces œufs. Et en tant que dernière héritière de l'empereur Eroan Balsandoral, les peuples vous écouteront. Vous serez accompagnée de vous compagnons, un nain, un orque et un humain qui autrefois était un prince. Aucun roi ne saurait vous fermer ses frontières.
La jeune femme pesa le pour et le contre à toute vitesse dans sa tête. Si c'était là le seul moyen de partir de cet endroit, alors elle accepterait.
–J'accepte seulement si vous me promettez de me laisser tranquille une fois ma quête terminée, répondit-elle, je refuse de me battre.
–Et pourtant, c'est votre destin, je le sens, et Mère Nature saura vous guider jusqu'à lui.
Elle s'approcha un peu plus du sage.
–Je me fiche bien du destin, il ne m'a apporté que de la souffrance.
Elle se tourna ensuite vers le reste de l'assemblée. Les conseillers de l'Opale discutaient entre eux, sans quitter la jeune femme du regard. Ils devaient certainement se dire qu'elle n'avait pas les épaules pour la tâche qu'on lui incombait, et ils avaient raison.
–Puis-je y aller à présent ? Demanda-t-elle.
–Il y a une dernière chose que nous devions voir avec toi, répondit Castien, Olvaar. Nous devons nous assurer qu'il est en bonne santé, Lamruil a besoin de le voir et notre peuple aussi. Il s'agit du dernier dragon encore en vie, le voir ranimerait l'espoir.
–Olvaar va parfaitement bien, je le sentirais s'il était blessé, fit-elle entre ses dents.
–Nous devons nous en assurer, insista Dame Ysildea.
–Je vous en prie, ajouta Maa Jaliqai, ce serait une chance inouïe que de voir de nos propres yeux un dragon, et ces magnifiques bête-là sont porteuses d'espoir.
Deux cent ans avaient passés depuis qu'elle avait rejeté Olvaar et elle se sentait terriblement coupable de ne pas l'avoir rappelé avant, mais la blessure était encore trop grande, elle n'avait pu s'y résigner.
–Il est sans doute redevenu sauvage, affirma-t-elle.
–C'est impossible, objecta le sage Lamruil, vous êtes liés.
–Il doit me détester, je refuse de mourir de cette façon.
–Vous savez pertinemment qu'il ne pourrait jamais vous faire le moindre mal, ni vous haïr. Je suis certain qu'il attend depuis toutes ces années que vous le rappeliez.
Ils n'allaient définitivement pas la lâcher, du moins pas tant qu'elle ne leur donnerait pas ce qu'ils voulaient. Mais elle refusait de le faire.
–J'ai dit non, soutenait-elle.
–Très bien alors tu ne partiras pas d'ici, la menaça Castien. Nous ne pouvons te laisser vagabonder sans être certains que le dernier dragon est encore en vie.
Si quelqu'un avait encore le moindre doute, il n'en avait plus à ce moment précis, elle était en colère, elle enrageait même. Il lui faisait du chantage pour obtenir ce qu'il voulait et, même s'il lui était difficile de l'avouer, elle n'était pas en position de force. Tout ce qu'elle pouvait faire, c'était accepter malgré ses réticences.
–La bourse aura intérêt à être remplie d'or, capitula-t-elle.
Sans attendre une quelconque réponse, elle tourna les talons et sortit de la pièce, suivie de près par Durlan, Murzol et Torestrin.
–Il n'est pas commode ton cousin, fit ce dernier, moi il ne m'inspire pas confiance.
Elle n'avait même pas l'envie de répondre, elle était bien trop occupée à ruminer. Elle détestait avoir ce sentiment de ne rien contrôler, d'être soumise. Elle ignorait où aller pour faire sa petite démonstration ridicule mais elle s'en fichait pas mal. Si elle pouvait se perdre dans le château, elle ne rechignerait pas puisque cela lui permettrait d'éviter cet affreux spectacle.
Au tournant d'un couloir, ils croisèrent un groupe de femmes nobles, des elfes, qui se dirigeaient vers eux. L'une d'elles se détacha du petit groupe, les mains tendrement posées sur son ventre arrondit, et se dirigea vers la princesse, le sourire aux lèvres.
–Vous devez être la princesse Nylathria, fit la jeune femme, je suis Gaelira, l'épouse de Castien.
Nylathria était bien trop en colère pour réagir d'une manière polie.
–J'avais entendu dire que mon insupportable cousin avait une impératrice mais je ne vous avais pas encore vue, je me demandais s'il s'agissait là d'un de ses innombrables mensonges. Mais apparemment il a décidé de vous cacher.
–Oui, rougit l'impératrice, Dame Ysildea demande à ce que je me repose énormément à cause de la grossesse.
–Donc je suppose que l'enfant est de Castien.
Gaelira ne savait si elle était sérieuse ou non.
–Bien sûr, répondit-elle comme offensée.
Qu'elle ait froissé l'impératrice, cela importait peu à Nylathria. Rage et étiquette ne faisaient pas bon ménage.
–Vous m'en voyez navrée, lança-t-elle.
La future mère laissa échapper un rire nerveux avant de reprendre un air plus doux, croisant ses mains sous son ventre.
–Je sais ce que vous pensez de Castien, commença-t-elle, et il ne vous apprécie pas beaucoup non plus vu comment il m'a parlé de vous lorsque vous êtes arrivée. Mais je vous assure qu'il a toujours été très doux et gentil avec moi. Peut-être devriez-vous envisager d'apprendre à connaître le nouvel homme qu'il est devenu ?
Nylathria hésitait entre rire et pleurer. Certainement que pleurer de joie était la meilleure option qui se présentait à elle.
–Je vous remercie pour l'intérêt que vous portez à la relation entre mon cousin et moi mais je vous assure que je ne pourrais jamais m'entendre avec un homme qui dénigre autant les femmes et qui se croit supérieur. Si vous arrivez à vous en contenter ce n'est pas mon cas. Je ne souhaite en aucun cas vous offenser et je comprends parfaitement que vous puissiez vouloir le bonheur de votre époux mais voyez-vous, moi son bonheur m'importe peu. La seule personne qui m'importe c'est moi-même et je me porte beaucoup mieux lorsque je suis loin de lui.
–Me voilà blessé en plein cœur ! S'exclama Castien dans son dos.
Évidemment, il fallait qu'il arrive à ce moment précis. Qu'avait dit Lamruil déjà ? Mère Nature saurait la guider jusqu'à son destin. Et bien elle avait de drôle de manières de la mener jusqu'à sa destinée, en espérant que Castien n'en fasse pas partit.
L'empereur se dirigea vers sa femme et passa un bras autour de sa taille. Celle-ci lui sourit tendrement et serra un peu plus fort contre lui.
–Je vois que tu as eu l'honneur de faire la connaissance de la fameuse princesse Nylathria Balsandoral, Guerrière du dragon effrayée par cette partie-là d'elle-même.
La jeune femme se mordit l'intérieur de la joue pour retenir ses pulsions. Si cela ne tenait qu'à elle, elle lui aurait décroché une droite.
–Je ne la trouve pas aussi affreuse que tu le décrivais, répondit Gaelira.
–C'est parce que tu ne la connais pas encore.
–Après tout, elle réussit à te supporter, lança la princesse, je ne suis qu'une partie de plaisir.
Le sourire de Castien s'effaça lentement.
–Mon amour, tu devrais retourner te reposer, fit-il sans quitter sans cousine des yeux, Nylathria doit faire quelque chose de très important.
–Cela a été un plaisir Vôtre Altesse, déclara l'impératrice, j'espère vous revoir bientôt.
–Plaisir partagé Vôtre Majesté, répondit Nylathria en faignant un sourire.
Gaelira s'en alla suivie de toute sa cour alors que les deux cousins ne se quittaient pas des yeux.
–Suivez-moi, lâcha-t-il froidement.
Entourés de gardes, ils avancèrent jusqu'à l'extérieur du palais où la neige avait recouvert l'entièreté du sol. Plus ils marchaient et plus le cœur de Nylathria battait fort dans sa poitrine. Elle avait refusé de se l'avouer jusqu'ici mais elle avait peur, et cela faisait des lustres qu'elle n'avait pas ressentit une pareille émotion.
–Tout va bien ? Murmura Durlan près d'elle.
–Non, avoua-t-elle.
Elle ignorait pourquoi elle lui le lui avait dit mais elle n'avait pas le cœur à le regretter. Comme timidement, leurs mains vinrent se frôler et ce simple contact rassura la jeune femme l'espace de quelques instants. Mais ce soulagement s'évapora lorsqu'ils passèrent les portes du château et arrivèrent dans une clairière jonchée de neige. Elle regarda tout autour d'elle, des gardes attendaient déjà. Castien savait qu'elle allait accepter, elle était prête à tout pour retrouver sa liberté et toucher son argent et il le savait.
Petit à petit, les conseillers et la famille royale de l'Opale les rejoignirent, puis des elfes et des humains de la Cour. Tous venaient admirer le dragon porteur d'espoir. On les avait prévenus, ils avaient tous fait le chemin pour voir un spectacle qu'elle n'était même pas capable de donner. Un point se forma dans son ventre, elle ne pouvait pas le faire. Tous ses souvenirs se bousculaient dans sa tête : l'armé au loin avec le cor de guerre, l'attaque, la mort d'Ardreth, la course jusqu'au château, le vol catastrophique avec Olvaar, le renvoi de la bête et enfin la solitude.
–Je suis incapable de le faire, fit-elle à l'intention de Lamruil. Je ne sais même pas comment l'appeler !
–Bien sûr que vous le savez, la rassurait-il d'un ton bienveillant qui le caractérisait.
–Non, je ne sais plus, et de toute façon il est certainement beaucoup trop loin, il ne m'entendra pas !
–La marque vous relie, il vous entend peu importe quelle distance vous sépare. Respirez Nylathria, repensez à ce que je vous ai appris lorsque vous étiez enfant.
Elle regardait partout autour d'elle, tout le monde avait les yeux rivés sur elle. On attendait beaucoup d'elle mais elle ne pouvait rien leur donner. Puis son regard s'accrocha à celui de Durlan qui lui sourit tendrement. Elle essayait de calmer les battements de son cœur, en vain. Elle revoyait les gens qui couraient dans tous les sens, sa main qui quittait celle de son ami, la flèche transpercer le garçon et le regard de l'elfe noir. Toute sa vie elle s'est efforcée d'oublier tout ceci et ce jour-là elle leur faisait face, seule contre tous ses souvenirs qui l'ont traumatisée.
–Bon alors Nyla, s'exclama Castien, je ne compte pas faire définitivement partie du paysage.
–Sans doute que vous devriez, rétorqua Durlan.
Nylathria se tourna vers le jeune homme qui avait eu un soudain élan de confiance. Elle se mit à sourire en voyant la mine décomposée de son impérial cousin. Décidément, ce bâtard était plein de surprises.
–Concentrez-vous Nylathria, reprit Lamruil. Pensez à Olvaar, imaginez-le, ressentez-le. Il est quelque part dans ce monde et n'attend plus que vous.
Elle le fixa un instant ne sachant pas si elle devait le prendre pour un fou ou non. Puis elle ferma les yeux et tenta de visualiser l'animal. Elle le revit lors de leur dernier échange, elle se souvenait de la sensation qu'elle éprouvait lorsque sa main passait sur ses écailles, lorsqu'elle le voyait déployer ses ailes et s'envoler, se disant qu'un jour elle pourrait atteindre les nuages avec lui. Elle essayait de se souvenir de sa voix dans sa tête, ses grands yeux bleus et ses immenses cornes qu'elle avait autrefois rêvé d'avoir pour se pavaner devant la Cour auprès des autres Guerriers du dragon.
C'est alors qu'un cris strident retenti dans les montagnes, puissant et lointain. Le cœur de la jeune femme loupa un battement et sa respiration se bloqua. Il est là... Alors que les membres de la Cour reculaient par précaution, elle cherchait cette silhouette blanche dans le ciel. Et elle la vit, cette silhouette, arrivant rapidement vers eux. Elle était tétanisée et osait à peine respirer
–Va-t'en je t'ai dit ! Je ne veux plus jamais te voir !
Sa propre voix résonna dans son esprit. C'était là la dernière chose qu'elle lui ait dite. Il allait lui en vouloir et ce serait à son tour de se faire rejeter, humilier devant toute la Cour d'Opale. De quoi donner à Castien l'occasion de la railler.
Le dragon approchait de plus en plus et Nylathria n'entendait plus que les battements assourdissants de son cœur. Elle ne savait quoi faire. L'animal se posa tout en douceur sur la neige et son regard se planta dans celui de son dragonnier. Il était bien plus grand que dans ses souvenirs. Tout en muscle et en finesse, la bête était la plus magnifique qu'il lui ait été donné de voir. Il replia ses longues ailes et s'approcha d'une démarche féline, ne faisant que peu de bruit. Autour d'eux, le temps avait semblé s'arrêter.
–Je suis ravi de te revoir Nylathria.
La voix d'Olvaar résonna dans sa tête. C'était la même que dans ses souvenirs. Elle ne savait pas quoi lui dire, ni comment réagir face à lui.
–Tu dois m'en vouloir, souffla-t-elle, je suis navrée de t'avoir abandonné.
–Cela ne m'a pas empêché de t'observer de loin, je ne t'ai jamais quitté.
Son cœur se gonfla face au ton doux qu'il employait. Il approcha un peu plus son museau et ses yeux bleus traduisaient sa joie.
–Merci d'avoir veillé sur moi.
–Je n'ai jamais fait rien de plus que te regarder, tu t'en aies sortie merveilleusement bien toute seule.
–Elle parle toute seule ? Demanda Murzol dans son dos.
–Non, Olvaar lui répond, seul un dragonnier peut entendre les paroles de son dragon, expliqua Lamruil.
Le dragon porta son attention sur le petit groupe derrière elle et posa son regard sur l'orque qui se figea instantanément, les yeux grands ouverts.
–Je les aime bien, fit-il, tu as trouvé de bons partenaires.
Nylathria se tourna à son tour vers eux. Murzol n'avait toujours pas bougé d'un pouce, Torestrin n'osait plus toucher à sa pipe, Durlan était entre l'admiration et la peur et Azlore se faisait clairement dessus.
–Bon, maintenant que vous avez eu vos retrouvailles larmoyantes, s'exclama Castien en s'approchant, nous devons vérifier qu'Olvaar tienne le choc.
Le dragon gronda en se tournant vers lui.
–Lui non plus n'a pas changé pourtant ça n'aurait pas été du luxe.
La jeune femme ne put réprimer un rire, ce qui agaça son cousin.
–Vous êtes en train de vous foutre de moi toi et ta bête, c'est ça ? S'énerva-t-il. Je vais vous mettre des chaînes à tous les deux on verra qui rira.
Le cri d'Olvaar l'arrêta net et le regard si confiant de l'empereur se métamorphosa immédiatement. Il recula de quelques pas, effrayé, alors que le dragon le défiait du regard. La princesse n'essaya même pas de cacher pas son hilarité.
–Il semblerait que c'est nous qui allons continuer à rire, lança-t-elle.
Castien ne lui répondit que par un regard noir.
–Vôtre Altesse ? S'avança le sage Lamruil. Pourrais-je examiner Olvaar ?
Elle se tourna vers le dragon qui accepta que le vieillard s'approche et le touche. Il lui tourna autour, vérifiant chaque parcelle de son corps.
–Des muscles développés, une mâchoire puissante, un cou fin, la griffe est acérée, il a les doubles cornes ce qui est plutôt rare mais positif, aucune cicatrice, une queue très longue, de larges ailes, énumérait-il. Nous avons-là un magnifique dragon, et plutôt grand pour un dragon blanc. Mère Nature nous a véritablement béni.
–On va dire que j'ai de bons gênes
Nylathria se mit à sourire. Sa peur s'était envolée pour laisser place à de la fierté.
–Il ne reste plus qu'à le monter, déclara Lamruil en s'éloignant.
Mais le sourire de la jeune femme ne resta pas longtemps sur ses lèvres.
–Il en est hors de question, fit-elle, j'ai déjà accepté de l'appeler pour vous, notre accord s'arrêtait là.
–Vôtre Altesse...
–Il n'y a pas de Vôtre Altesse qui tienne, s'emporta-t-elle, vous aviez promis de me laisser tranquille après ça.
–Nyla calme-toi, murmura Durlan en s'approchant d'elle et en approchant sa main de la sienne.
Elle se retourna violemment vers lui et se dégagea de son emprise.
–Non Durlan, non je ne vais pas me calmer. J'ai déjà fait de gros efforts depuis que nous avons débarqué ici, maintenant j'en ai assez.
–Vous êtes une Guerrière du dragon, insista la mage Avedelis, monter votre bête est essentiel.
Pour qui elle se prenait celle-là ? Être le maître d'Azlore ne signifiait pas qu'elle avait le droit de se mêler à ce qui ne la regardait pas.
–Je n'ai jamais prétendu être une Guerrière du dragon, lança-t-elle. Ce n'est pas contre toi Olvaar mais je n'ai jamais demandé tout cela. Il y a quelques jours je vivais tranquillement ma vie et depuis que vous êtes tous rentrés dedans, tout se passe de travers. J'aurais dû prendre mes jambes à mon cou quand j'en avais encore l'occasion !
–Nyla, ce n'est pas bon pour nous de rester aussi éloignés. À notre âge nous devrions ne faire qu'un, tu devrais avoir tes cornes.
Elle savait qu'Olvaar non plus n'avait jamais demandé une chose pareille mais lorsqu'elle était en colère, elle se fichait pas mal de qui elle pouvait blesser.
–Je me contrefiche de ces cornes ! Explosa-t-elle. Je n'en veux pas tout comme je ne veux pas être une elfe ! Et vu comment la dernière fois était catastrophique, je ne veux plus jamais voler.
–Ce sera différent cette fois-ci, je te le promets.
–J'ai dit non ! Tu peux t'en aller.
Le dragon ne réagit pas face au ton froid qu'elle avait employé, il se contenta de la regarder tourner les talons avant de déployer ses ailes et de s'envoler.
–Je te comprends, la rassura tant bien que mal Murzol, jamais je ne pourrais monter sur un truc pareil. Rien que de le voir je me suis fait dessus.
Elle aurait pu rire si elle en avait eu le cœur. Depuis son arrivée à Enkawa, tous les souvenirs qu'elle avait enterrés lui explosaient à la figure, il fallait à tout prix qu'elle y remette de l'ordre.
–Je confirme, tu es une honte pour la famille Balsandoral ! Lança Castien plus loin. Et même pour tout le peuple des elfes !
Cette fois-ci, elle enrageait réellement. Mais avant qu'elle ne puisse s'emparer de la dague qu'elle avait caché dans l'une de ses bottes, Durlan l'arrêta et l'obligea à le regarder.
–Ne fais rien que tu ne pourrais regretter, souffla-t-il. Il n'en vaut pas la peine.
Elle se dégagea et recula de quelques pas, essayant de se calmer. Elle en avait assez d'être jugée pour le moindre de ses gestes, le moindre de ses mots. Elle voulait s'en aller. Une bourrasque lui fit perdre soudainement l'équilibre et elle eu à peine le temps de se rattraper que quelque chose venait la prendre par les épaules. Une seconde plus tard, ses pieds ne touchaient plus le sol. Paniquée, elle se débattait mais les griffes qui l'enserraient renforcèrent leur prise.
–Repose-moi Olvaar ! Cria-t-elle.
–Nous devons le faire.
Voyant le sol s'éloigner de plus en plus, son cœur s'emballa et elle cherchait par tous les moyens une meilleure prise. Elle ferma les yeux, trop effrayée pour regarder par terre. Le vent fouettait son visage, envoyait valser ses cheveux et ses vêtements.
–Lâche-moi !!!
C'était bien la peur qui parlait, elle voulait simplement retrouver la terre ferme. Tous ses souvenirs s'entremêlaient et elle se revit deux siècles plus tôt dans la même position, à hurler de terreur. Elle avait l'impression de fuir une nouvelle fois, de se sentir lâche et qu'elle perdait de nouveau ceux qu'elle aimait.
–LÂCHE-MOI !
Lui obéissant, Olvaar lâcha sa prise et Nylathria commença sa lente chute dans le vide. Elle hurlait à pleins poumons et tentait de s'agripper à quelque chose mais ses mains ne se refermèrent que sur de l'air. Elle ferma les yeux, résignée à rencontrer la mort. Elle laissa échapper une larme, elle n'avait pas envie de mourir.
C'est alors qu'elle atterrit sur une surface dure. Le sol. Elle ne ressentait aucune douleur, aucun engourdissement. Serait-ce la mort ? Mais lorsqu'elle bougea sa main, elle fut surprise de toucher des écailles. Le vent l'agressait toujours mais elle pouvait enfin se tenir. Son corps tout entier était crispé sur ce qu'elle reconnu comme étant le dos de son dragon. Elle savait qu'ils volaient et elle refusait d'ouvrir les yeux, par peur de ne voir que du vide.
–Ouvre les yeux et regardes !
–Non mais tu es malade ?! S'écria-t-elle.
–Tu ne peux pas manquer la beauté de ce monde !
Elle s'accrocha un peu plus et se risqua à ouvrir un œil, puis le deuxième. Ce qu'elle vit lui parut surréaliste. Ils plainaient au-dessus des montagnes illuminées par les rayons du soleil qui donnaient une teinte bleutée à la neige. Dans la vallée, la rivière suivait son cours et plus loin à l'horizon, un glacier suintait. Un aigle passa en-dessous d'eux juste avant qu'ils ne traversent un nuage. Perdant toute raison, elle se redressa et regarda tout autour d'elle, ne se souciant plus de tomber.
–C'est magnifique, souffla-t-elle.
Le rire d'Olvaar résonna dans son esprit, un rire qui lui redonna le sourire.
–Je te l'avais bien dit !
Plus les minutes passaient et plus Nylathria prenait confiance en elle. La peur s'était dissipée pour laisser place à un sentiment bien différent : un mélange de joie et d'adrénaline. Elle se sentait vivante. Dans un élan de confiance, elle prit appui sur ses mains et se releva sur ses pieds.
–Qu'est-ce que tu fais ?
–J'ai toujours vu les Guerriers faire ça à Gaaldorei, laisse-moi essayer !
–Si tu tombes, je ne te rattraperai pas cette fois !
–Bien sûr que tu le feras, si tu tiens à rester en vie il faut que je le sois moi aussi.
Elle se redressa complètement sur ses jambes en tentant de garder l'équilibre. Puis elle avança, posant délicatement un pied devant l'autre, jusqu'au cou de l'animal sur lequel elle commença à basculer. Ne voulant pas jouer avec le feu, elle se rassit, enroulant ses bras autour du cou d'Olvaar, et regarda le paysage défiler. Toutes ses peurs s'étaient envolées et elle se rendit compte que le dragon avait raison, cette fois-ci c'était différent.
Puis, lentement, Olvaar redescendit et lorsqu'il se posa à terre, Nylathria se laissa tomber dans la neige, savourant le contact avec la terre ferme. Elle vit la tête inquiète de Durlan au-dessus d'elle, cherchant à voir si elle allait bien. Il jetait régulièrement des coups d'œil vers le dragon afin de s'assurer que celui-ci n'allait pas le croquer ou quelque chose comme ça, mais l'animal semblait sourire.
–Tu vas bien Nyla ? S'inquiéta le jeune homme.
La princesse croisa son regard et se mit à rire.
–Je crois qu'il va falloir que je me change, plaisanta-t-elle.
Le visage de Durlan se détendit et il se mit à rire avec elle, oubliant un instant le dragon à côté d'eux qui poussa gentiment la jeune femme avec son museau.
–Tu sais que je vais te détester pendant au moins un siècle pour m'avoir fait une telle chose Olvaar ? Lança-t-elle.
–Cela en valait largement la peine.
Durlan l'aida à se relever et elle enleva toute la neige sur ses vêtements et dans ses cheveux alors qu'un peu plus loin, Castien repartait accompagné de sa mère et de toute sa cour, visiblement bien remonté. Le jeune homme s'éloigna un peu pour la laisser avec Olvaar, tout en gardant un œil sur eux.
–Je l'aime bien ce garçon, fit l'animal, mais s'il te fait quoi que ce soit j'en ferai mon repas.
–S'il me fait quoi que ce soit, rétorqua-t-elle, c'est moi qui m'en chargerais.
Ils se mirent à rire tous les deux puis la jeune femme se tourna vers lui pour lui faire face. Elle posa ensuite sa main sur la mâchoire du dragon et posa son front sur son museau. Elle avait l'habitude de le faire lorsqu'ils étaient plus jeunes.
–Merci de ne pas m'en vouloir malgré les horribles choses que j'ai pu te dire, souffla-t-elle, j'ai été odieuse et toi tu n'as jamais cessé de m'aimer, je le ressentais.
–Tu étais guidée par la colère et la douleur, je ne pourrais jamais t'en vouloir d'avoir subit le destin.
Elle le serra un peu plus fort contre elle. Le lien qui les unissait était plus fort que jamais et à présent qu'ils étaient de nouveau réunis, il ne cesserait de s'accroître jusqu'à ce que leurs cœurs ne fassent plus qu'un. Être Nylathria n'avait finalement pas que des désavantages.
–Nyla ?
–Oui ?
–Tu crois qu'ils accepteront de me donner un bœuf, je n'ai pas envie de chasser.
Le rire de la jeune femme résonna dans la clairière. Elle était au moins sûre d'une chose : deux siècles avaient beau s'être écoulés, Olvaar n'avait pas changé et elle s'en trouvait ravie. Elle venait de retrouver son plus fidèle allié.
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