Nylathria
Durlan était aussi soulagé que perdu. Soulagé d'avoir afin atteint Enkawa et d'être en sécurité, perdu par toutes ces révélations. Lui qui avait tant de fois voulu savoir qui était réellement Elecia, il ne savait plus quoi penser. Il savait qu'elle portait un lourd secret mais il était loin d'imaginer qu'elle fut une elfe rescapée du Fléau, et une princesse qui plus est. Elle qui n'avait de cesse de critiquer le mode de vie des nobles, il n'aurait jamais pensé qu'elle puisse en faire partie.
Il repensa à cette fameuse soirée où il l'avait surprise dans le lac. Elle avait l'air de ne faire qu'un avec la nature qui l'entourait et à présent qu'il savait ce qu'elle était, il comprenait mieux la beauté hypnotique de ce moment. Il revoyait les elfes arriver dans la salle du trône, tous possédaient cette majesté, cette grâce et cette beauté qui caractérisaient leur race. Sur l'instant, il n'avait pas compris pourquoi Elecia s'était mise à paniquer, et comme instinctivement elle s'était accrochée à lui. Il ne savait pas si elle s'en était rendu compte mais pour lui, ce simple geste signifiait beaucoup.
On leur avait attribué des chambres, les meilleures de tout le château et Elecia n'était pas sortie de la sienne depuis. De temps en temps, des femmes de chambres allaient la voir, certainement pour l'aider à se préparer.
–Qu'est-ce que c'est que cette horreur ? S'était exclamée la jeune femme alors qu'il se promenait dans les couloirs.
–C'est une robe Vôtre Altesse, avait balbutié une des domestiques, Son Altesse impériale vous l'envoie.
–Je sais ce qu'est une robe, je ne suis pas idiote. Je parlais du corset que vous tenez, c'est inhumain de porter quelque chose d'aussi serré ! À croire que mon cousin cherche à me tuer.
–C'est simplement la mode, Altesse, les hommes aiment les femmes à la taille fine.
–Non, les hommes aiment ce que les femmes ont entre les jambes.
Durlan avait souri en se rappelant ce qu'elle avait dit. La meilleure arme d'une femme se situe entre ses jambes. Il s'était ensuite rapidement éclipsé dans sa propre chambre, par peur que la jeune femme ne le voie et lui lance une de ses éternelles remarques acerbes, et il savait qu'elle ne se montrerait pas tendre au vu de son humeur massacrante.
On lui avait fait prendre un bain, taillé sa barbe et ses cheveux et on lui avait apporté de nouveaux vêtements. Une fois prêt pour le banquet, il congédia les domestiques et se regarda dans un miroir. Il avait l'impression de revoir le prince qu'il était. Son cœur se serra à cette pensée. Qu'allait-il devenir ? Il était certes en sécurité à Enkawa, sous la protection du roi Jungdu, mais il n'en restait pas moins un bâtard. Ce soir-là, il était certain que les nobles de la Cour d'Opale le verraient comme un paria. Il était né en haut de l'échelle mais Berengar l'en avait poussé et il avait honte de n'avoir pas su se rattraper avant de toucher le sol.
Il en était venu à aimer la vie auprès de Murzol, Torestrin et Elecia, il les considérait même comme sa famille, puisque son propre sang avait décidé de le rejeter. Quelques mois en arrière, il aurait tout fait pour rejoindre un allié de sa mère mais à présent, il n'était plus certain de vouloir cela. Maître Pesara lui dirait de suivre son cœur tout en écoutant sa raison, mais aucun des deux ne lui paraissait censé.
On frappa à la porte, ou plutôt on tambourinait à la porte. Sans même avoir vu ceux qui l'attendaient derrière, il savait déjà de qui il s'agissait.
–Son Altesse le bâtard royal est-Elle prête ?
Il reconnut immédiatement la voix de Murzol.
–N'entre pas ! S'exclama Torestrin. Il est peut-être à poil !
–T'as raison, il s'est peut-être trouvé une prostituée, répondit l'autre. Désolé mon garçon !
Durlan ouvrit la porte en riant et se retrouva face aux têtes d'imbéciles de ses deux amis.
–Bah, c'était sûr qu'il n'était pas avec une putain, il a besoin de moi pour s'en trouver une bonne, plaisanta Murzol en se penchant vers Torestrin.
–Peut-être qu'il espère retrouver sa Selina, ajouta le nain. Ou alors Aliyah. Il y en avait une troisième, c'était quoi son nom déjà ?
–Tess. M'enfin moi je pense qu'il se réserve pour une certaine princesse elfe. Ou Guerrière du dragon, je sais plus moi, je suis complètement perdu !
Durlan se mit à rougir malgré lui et se tourna vers la porte pour la fermer, et surtout pour cacher sa gêne apparente.
–Arrêtez donc tous les deux, fit-il semblant de s'exaspérer, et comportez-vous bien. C'est la Cour royale, pas un bordel.
–Nous saurons vous faire honneur, Vôtre Altesse Sérénissime ! Lança Murzol en effectuant une grossière révérence.
Durlan leva les yeux au ciel en riant. Ses amis d'Irindor, Oger et Sagar, avaient l'habitude de l'appeler ainsi pour se moquer de lui. Il eut un pincement au cœur. Cette époque lui semblait bien lointaine.
–On attend Elecia ? Demanda-t-il pour changer de sujet.
–Non, on a essayé d'aller la voir mais elle se débat avec ses femmes de chambre, répondit Torestrin. Tu la connais, les corsets, robes et autres bijoux ce n'est pas son fort. Elle nous rejoindra certainement lorsqu'elle aura fait un meurtre. Voire deux vu son humeur.
Ils avancèrent dans le couloir, guidés par la musique provenant de la salle du trône. C'était bien la première fois qu'il voyait Murzol et Torestrin aussi bien habillés, et l'orque était terriblement boudiné dans ce pourpoint. Mais il ne releva pas, les deux étaient bien trop fiers de porter des vêtements aussi chics.
–Il n'empêche, reprit Murzol, je n'en reviens toujours pas pour Elecia... enfin Nylathria. Je ne sais même plus comment l'appeler ! On a vécu des années avec elle et elle n'a jamais rien dit ! Comment est-ce qu'elle a fait pour garder un truc aussi gros ?
–Tu l'as entendu, fit Torestrin, elle pensait être la dernière, elle cherchait simplement à se protéger.
–Mais quand même ! On vivait avec elle jours et nuits ! Vous croyez que Devon était au courant ? Après tout, son magicien est plutôt puissant dans son genre, peut-être qu'il avait deviné.
–Ça m'étonnerait, intervint Durlan, vu la tête que Devon a faite lorsqu'elle a mis le feu au Fleur de Macadam il n'était définitivement pas au courant.
–Torestrin ? Lança Murzol d'un ton beaucoup plus calme que d'ordinaire. Qu'est-ce qu'il va nous arriver à tous les deux ?
Il était évident que l'orque avait peur pour l'avenir, sa voix le trahissait.
–Comment ça ? Demanda le nain.
–Durlan et Azlore vont rester ici, le cousin d'Elecia va certainement vouloir qu'elle reste avec lui puisque c'est une princesse et nous ?
Torestrin baissa les yeux au sol, cherchant à cacher son inquiétude qui était similaire à celle de son compagnon.
–Je ne sais pas Murzol, je ne sais pas...
C'est dans le silence qu'ils arrivèrent dans la salle du trône où la quasi-totalité des invités s'amassaient déjà. Peu de gens remarquèrent leur entrée, et Durlan en était satisfait. S'il y avait bien un truc qu'il détestait c'était de se faire remarquer, surtout à présent avec sa situation délicate. Le Bâtard de l'Aube, ils t'appellent, à juste titre. Ils avancèrent jusqu'au buffet où Murzol et Torestrin s'empiffrèrent. Durlan, lui, était beaucoup trop anxieux pour manger quoi-que-ce-soit. Il prit tout de même un verre, pour s'occuper les mains et tenter de faire bonne figure, mais le cœur n'y était pas.
Au loin, il remarqua un groupe d'elfes et parmi eux, l'empereur Castien et cette femme qui semblait lui être chère. Sans doute sa mère. Il s'était mis à détester l'empereur à la seconde où il a commencé à attaquer Elecia. Il le trouvait imbu de lui-même et quelqu'un de profondément irrespectueux. La fougue et la répartie de sa cousine lui avait permis de lui tenir tête durant leur échange musclé mais il lui semblait que le jeune homme se contrefichait pas mal de l'avis de la jeune femme. Découvrir qu'elle était finalement en vie ne lui avait définitivement pas plu.
–Il n'y a pas à dire, lâcha Murzol, les femmes elfes sont vraiment les femmes les plus magnifiques qu'il m'ait été de voir. Les cheveux blancs et les yeux violet ont plus de charme que je ne l'aurais pensé.
–Ne rêve pas trop mon cher Murzol, rétorqua Torestrin, elles ne s'abaisseront pas à quelqu'un comme toi ou moi. À la limite, Durlan est beau garçon et il a du sang royal, même si c'est un bâtard, elles pourraient envisager une nuit avec lui. Encore que.
–Qu'est-ce qu'elles iraient faire avec quelqu'un qui vivra à peine cent ans alors qu'elles en vivent un millier ? Ajouta Durlan.
–Oh tu sais, une nuit n'engage à rien, fit le nain. Sinon Murzol aurait des milliers de femmes.
–Et autant de bâtards ! S'exclama ce dernier.
Les trois hommes se mirent à rire alors que certains invités les regardaient étrangement. Il n'était certainement pas dans leurs habitudes de voir un orque et un nain à la Cour d'Opale, surtout des hommes aussi bourrins que ces deux-là.
–Son Altesse impériale la princesse Nylathria Balsandoral !
Tous les invités se tournèrent vers la jeune femme qui faisait son entrée. Vêtue d'une robe fine aussi blanche que ses cheveux, ses yeux violets et les marques noires sur ses bras et ses épaules ressortaient. Ses cheveux étaient restés lâchés mais étaient décorés d'une tiare en argent. Durlan mit quelques instants à reconnaître Elecia qui, éclairée par la lune, semblait irréelle. Lorsque leurs regards se croisèrent, il eut l'impression de se noyer dans ses yeux et que, l'espace de quelques instants, il n'y avait qu'eux.
Elle descendit les marches avec une telle grâce, personne n'aurait pu deviner qu'il s'agissait là d'une chasseuse de primes. Les invités retournèrent à leurs discussions, tout en gardant un œil sur cette mystérieuse princesse qui, après deux siècles, avait miraculeusement réapparue. La jeune femme évita habilement toutes les personnes qui s'avançaient vers elle pour lui parler et rejoignit ses compagnons. Murzol lui accorda un sifflement.
–Ça c'est de l'entrée ! S'exclama-t-il. Je t'ai à peine reconnue !
–Moi aussi, ce pourpoint te va terriblement mal, rétorqua-t-elle, on voit que tu as du ventre.
Murzol plaqua ses mains sur son ventre et tenta de le rentrer, mais il abandonna rapidement.
–Durlan, arrête de me regarder comme ça, continua-t-elle en se tournant vers lui, ce n'est pas la première fois que tu me vois comme ça.
Murzol et Torestrin se tournèrent vers le bâtard comme un seul homme, les yeux écarquillés.
–Comment ça tu l'as déjà vu comme ça ?! S'indigna le nain.
Durlan se mit à rougir de plus belle et regarda ses chaussures pour lesquelles il trouva un soudain intérêt.
–Je... c'est juste que l'autre soir, ses cheveux sont devenus blancs, c'est tout. Il n'y a pas de quoi s'affoler.
–Maintenant que j'y pense, ajouta Torestrin, on a déjà vu tes cheveux devenir blancs. L'autre jour lorsque tu t'es soignée. Et d'ailleurs, le fait que tu aies utilisé un arbre pour guérir me paraît logique maintenant que je sais que tu es une elfe, alors que je n'y comprenais rien jusqu'ici. Il y a plein de choses qui s'expliquent en fait, je me demande comment on a fait pour ne pas voir l'évidence.
–Vous étiez juste persuadés que les elfes étaient éteints, alors vous n'avez pas fait le lien, expliqua la jeune femme.
–Tiens, comme tu en parle, fit Murzol, si tu étais là lors du Fléau il y a deux cent ans, tu as quel âge ?!
–Je suis beaucoup trop vieille pour toi, plaisanta-t-elle.
–C'est une vraie question, je veux savoir quel genre d'antiquité tu es.
Elle lui lança un regard mauvais.
–L'antiquité a seulement deux cent seize ans, répondit-elle.
–Seulement ? S'indigna Torestrin. Tu te rends compte qu'aucun de nous trois n'atteindra jamais cet âge-là ?
–En tout cas, tu es très bien conservée pour ton âge, se moqua Durlan.
–Ça c'est parce que je mange des enfants, répliqua-t-elle en souriant.
Durlan la trouvait encore plus belle qu'elle ne l'était. Il ne savait pas si c'était dû au charme des elfes ou à autre chose mais ce soir-là, elle rayonnait, ce qui était assez rare pour le souligner.
–Décidément, cette journée est de plus en plus surprenante.
À l'entente de cette voix, le sourire d'Elecia s'effaça immédiatement. L'empereur Castien s'arrêta à côté d'elle et n'accorda pas même un regard à Durlan, Murzol et Torestrin.
–Je te trouve splendide chère cousine, continua-t-il en lui baisant la main, bien plus que tout à l'heure.
Elecia retira rapidement sa main et lui jeta un regard mauvais. Il était plus qu'évident qu'elle ne le portait pas dans son cœur.
–Douce Nyla ! S'exclama une femme dans leur dos. Tu ne peux pas savoir à quel point je suis heureuse de te revoir.
La femme, que Durlan avait reconnu comme étant la mère de l'empereur, se jeta sur Elecia et la prit dans ses bras, pour le plus grand plaisir de la jeune femme. Elle s'écarta ensuite et prit son visage entre ses mains et la regarda sous toutes les coutures.
–La beauté de ta mère et la force de ton père, souffla-t-elle, tu es parfaite !
–À un détail près, fit Castien, il lui manque ses cornes. Comment se fait-il que tu ne les aies pas encore ?
–Occupe-toi de ton cul Castien, cracha la jeune femme, cela fera du bien à tout le monde.
–Attends, comment ça des cornes ? Intervint Murzol.
L'empereur et sa mère se tournèrent vers lui et semblèrent seulement le remarquer.
–Elle ne vous a pas dit ? Répondit Castien en souriant. Lorsqu'un Guerrier du dragon ne fait qu'un avec sa bête, il acquiert des cornes similaires à celles de l'animal, comme pour les unir un peu plus. Seulement, il semblerait que notre chère Nyla se soit tourné les pouces durant deux cent ans. Tu ne nous as toujours pas dit où était Olvaar.
Il se tourna vers sa cousine qui bouillonnait de rage.
–Ne t'inquiète pas pour lui ou pour notre lien, rétorqua-t-elle. Cela ne nous regarde que tous les deux. Mais tu ne peux pas le comprendre, et tu ne le comprendras jamais puisque Mère Nature ne t'a pas fait cet immense cadeau.
C'était au tour de l'empereur de serrer la mâchoire pour tenter de contrôler sa colère.
–Castien, Nylathria je vous en prie, s'interposa la tante d'Elecia, ce soir est un soir de fête, ne gâchez pas tout avec vos éternelles disputes.
Elle se tourna ensuite vers les compagnons de la jeune femme et leur accorda un sourire chaleureux.
–Je suis Dame Ysildea, la mère de l'empereur et veuve du prince Elashor, enchantée.
–Nous de même, répondit Durlan alors que ses deux amis le suppliaient de parler à leur place. Je suis Durlan de l'Aube et voici Murzol fils de Murzol et Torestrin fils de Bommurum.
–Durlan de l'Aube dîtes-vous ? Alors c'est vous le fameux bâtard royal que ma chère nièce a apporté ici. Quelle tragique histoire vous avez.
–Rien d'étonnant Mère, répliqua Castien, nous parlons tout de même au fils d'un vulgaire fermier.
Durlan était habitué à ce genre de remarques mais cela n'empêchait pas qu'il se sente tout aussi touché à chaque fois.
–Tu ferais mieux de tenir ta langue Castien, lança Elecia, si tu tiens à la garder. Berengar a peut-être retiré le titre princier de Durlan, il n'en reste pas moins le fils d'une princesse royale, et le petit-fils d'un roi, tout comme toi.
–Tu ne peux t'empêcher d'agresser les gens, n'est-ce pas ? Fit son cousin. Tu as toujours été ainsi, je me demande même si tu fais réellement partie de la famille royale.
Piquée au vif, la jeune femme avança de quelques pas, les yeux plantés dans ceux de Castien.
–Qu'est-ce que tu insinues par-là ? Bouillonnait-elle.
–Il est si aisé pour une femme de tromper son époux et de porter l'enfant d'un autre.
–Castien ! Gronda Dame Ysildea.
–Je pourrais tout à fait dire la même chose de toi, cracha Elecia. Excusez-moi ma tante mais ta mère n'a jamais aimé ton père, elle n'a jamais supporté de voir que mon père en aimait une autre qu'elle. Elle a toujours été jalouse de ma mère. C'est simple de s'éclipser de trouver un homme de la Cour ou même un soldat pour calmer sa frustration.
–Vous allez trop loin tous les deux ! Explosa Ysildea, vexée et honteuse. Nylathria nous reparlerons demain lorsque tu te seras calmée. Castien, nous avons d'autres invités à aller voir. Messieurs, je vous souhaite une agréable soirée, puissiez-vous la passer en d'autre compagnie.
Sur ces mots, ils tournèrent tous les deux les talons, non sans lancer un dernier regard noir à l'attention d'Elecia, et s'en allèrent, disparaissant dans la foule d'invités. La colère de la jeune femme était plus qu'apparente et elle semblait pouvoir exploser à tout moment. Murzol siffla.
–Je ne sais pas ce qu'il s'est passé entre vous deux lorsque vous étiez enfants, lança-t-il, mais ça a l'air d'être du sérieux.
–Selon lui, une femme ne peut pas devenir chevalier, répondit Elecia, et que mon statut de femme ne méritait pas d'être élevé au rang de Guerrier du dragon.
–Ça se voit qu'il ne t'a jamais vu combattre ! S'exclama Torestrin. Fous-lui une bonne raclée et il comprendra.
Le regard de la jeune femme se perdit dans la foule. Dans ses yeux, Durlan voyait tout un tas de sentiments qui s'entrechoquaient mais un dominait : elle était perdue. Le jeune homme pouvait comprendre ce qu'elle ressentait, elle a été poussée dans un monde qu'elle ne connaissait pas. En l'espace de quelques heures, tout s'était enchaîné.
–Ils viennent de rajouter de la nourriture !
Murzol et Torestrin se ruèrent vers les différents plats, visiblement affamés comme des loups.
–Est-ce que tout va bien ? Demanda Durlan alors qu'il se retrouvait seul avec Elecia.
Elle se tourna vers lui et plongea son regard améthyste dans le sien. La beauté de ses yeux le fascinait. Mais lorsqu'elle ouvrit la bouche pour lui répondre, Ils furent interrompus par un Azlore surexcité.
–Durlan ! Elecia ! S'écria-t-il sous quelques regards accusateurs. Heu... je veux dire, Vôtre Altesse impériale.
En se plantant devant la jeune femme, il lui accorda une révérence parfaitement bien exécutée.
–Pitié, s'exaspéra-t-elle, arrêtes-dont ce cirque ! J'en ai déjà bien assez de tous les domestiques et des nobles de la Cour.
–Qu'est-ce que tu voulais ? Lui demanda gentiment Durlan.
Azlore lissa sa nouvelle tunique de mage et sautillait d'un pied sur l'autre.
–J'ai un nouveau maître ! Annonça-t-il. Enfin c'est une femme mais je m'en fiche, c'est l'une des plus puissantes druidesses que le monde n'ait jamais connues. Il s'agit du mage Avedelis. Elle est vraiment passionnante, elle sait tellement de choses ! Enfin, maître Ogshan en connaissait beaucoup aussi, loin de moi l'idée de vouloir le dénigrer, mais elle dégage une telle puissance ! J'avais entendu parler d'elle et j'avais tellement hâte de la rencontrer, mais je n'aurais jamais imaginé qu'elle puisse devenir mon maître !
Durlan et Elecia se lancèrent un regard amusé. Le garçon parlait beaucoup trop pour en dire si peu.
–Et en plus elle est demandée à la Cour d'Irindor par le roi lui-même ! Vous vous rendez compte ? Je vais pouvoir apprendre à une Cour royale.
Le cœur de Durlan se serra lorsqu'Azlore évoqua Irindor. Il allait se rendre là où lui avait grandit et où il ne pourra sans doute jamais remettre les pieds.
–Oh pardon Durlan, s'excusa immédiatement l'apprenti druide en remarquant son trouble, je sais que tu as vécu à Irindor, je n'aurais pas dû en parler devant toi. Je devrais apprendre à me taire, je suis tellement maladroit ! Désolé.
Le jeune homme lui sourit gentiment.
–Ne t'inquiète pas, tu es juste heureux et ça se comprend. Tu verras, Irindor est magnifique. Est-ce que tu sais pourquoi Berengar a appelé ton maître ?
–Apparemment, répondit le garçon, une lady de la Cour a été attaquée par de la magie noire lors d'un banquet. Une certaine lady Brenna d'Ancalen. Elle serait restée pas mal de temps inconsciente avant de se réveiller comme si de rien n'était. Le roi a demandé la présence d'un druide pour la soigner.
–Attends, le stoppa Durlan, tu as bien dit lady Brenna d'Ancalen ?
–C'est cela.
La seule Brenna qui fréquentait la Cour était loin d'être une lady, et il était certain que lady Eartha ne la laisserait pas en devenir une.
–Tu la connais ? Demanda Elecia.
–Oui, c'était la putain de Berengar. Mais je ne comprends pas comment elle a pu devenir une lady. Surtout qu'Ancalen m'appartenait jusqu'à ce qu'il me retire tous mes titres. J'ignore ce qu'il a encore fait mais je doute que cela plaise à sa mère.
–Je pourrais enquêter pour toi si tu veux, lui proposa Azlore, j'adore fouiner !
–Est-ce que c'est étonnant ? Se moqua gentiment Elecia.
–En tout cas, j'adorerais que tu me parles de la magie elfique ! S'exclama le garçon en ignorant sa pique.
La jeune femme se referma immédiatement.
–On verra, fit-elle simplement.
Azlore comprit qu'il avait touché un point sensible et s'en sentait terriblement gêné, jouant nerveusement avec les plis de sa tunique.
–Il faut que j'y aille, dit-il finalement, mon maître doit m'attendre.
Il tourna les talons et s'en alla rapidement. À peine Durlan se tournait-il vers Elecia qu'elle s'éloignait elle-aussi. Il se lança alors à sa poursuite, se frayant tant bien que mal un passage entre les invités. Il la retrouva sur un balcon donnant sur les Monts Tongwei.
–Tout va bien ? Lui demanda-t-il en arrivant à sa hauteur.
Penchée sur la rambarde, elle regardait distraitement l'horizon. Embrassée par la lumière de la lune, elle semblait en être la réincarnation. Elle soupira bruyamment et baissa les yeux vers sa main marquée qu'elle effleura doucement du bout de ses doigts.
–J'aurais aimé ne jamais redevenir Nylathria, murmura-t-elle tristement.
Il tourna la tête vers elle et l'observa longuement, tentant de traduire ses expressions. Il était si rare qu'elle se confie, il ne pouvait pas laisser passer cette chance.
–Pourquoi cela ? Fit-il doucement.
–Nylathria c'était la princesse qui nourrissait le rêve de devenir un chevalier, de mener des armées à dos de son dragon, comme ses ancêtres, et d'entrer dans la légende comme étant la première femme soldat et la deuxième Guerrière du dragon depuis des millénaires. Mais en une seule journée, elle a tout perdu. Elle a vu son seul ami mourir pour la protéger, elle a vu sa ville brûler et ne devenir que des ruines, elle a vu sa race s'éteindre et elle pensait être seule au monde et a essayé de se tuer. Elecia m'a sauvé.
Pour la première fois depuis qu'il la connait, Durlan perçut de la douleur dans sa voix. Tout perdre, ça il connaissait, mais sa perte à lui était bien moindre comparé à ce qu'elle avait vécu. Il se senti soudainement bien idiot de s'être plaint de sa situation.
–Ça va te paraître idiot, lança-t-il, mais si tu ne veux plus être Nylathria alors va-t'en. Sois Elecia et vis ta vie comme tu l'entends. Si tu veux devenir un chevalier, deviens-le, si tu veux rester un chasseur de prime, fais-le. S'il y a bien quelque chose que j'ai appris sur toi à force de te côtoyer c'est que tu ne suis aucune règle et que tu fais ce que tu veux, peu importe les répercussions que ça aura sur les autres, tant que toi tu es heureuse. Reste comme tu es.
Un fin sourire se dessina sur les lèvres de la jeune femme.
–J'aimerai bien que ce soit aussi simple, dit-elle, mais maintenant qu'ils savent que je suis en vie ils vont vouloir me garder avec eux. Je suis la dernière Guerrière du dragon encore en vie, je leur suis précieuse, et mon dragon encore plus. Je ne toucherais jamais la rançon et Castien refusera de me rendre ma liberté. Je suis prise au piège.
–Alors tu abandonnes ? La défia-t-il. La grande Elecia, une des chasseurs de primes les plus connues au monde baisse les bras ? Finalement, tu n'es pas celle que je pensais.
–T'es qu'un idiot Durlan, déclara-t-elle.
–Assez idiot pour t'aider. Si tu veux, on vole l'argent que tu désires et je te fais sortir du château en catimini, je suis devenu un professionnel.
Elle se mit à rire doucement, le rire le plus mélodieux qu'il n'avait jamais entendu. Mais son sourire s'effaça rapidement, laissant place à une pointe de tristesse.
–Ils ne me laisseront jamais devenir chevalier, ou même partir sans me courir après, souffla-t-elle. Je suis une princesse après tout, Castien va essayer de me marier à un seigneur pour former une alliance.
–Qui t'a dit une chose pareille ? Je ne peux pas croire que cela vienne de ton esprit.
Elle ne répondit pas tout de suite, perdue dans ses pensées.
–Cela n'a plus d'importance à présent, fit-elle.
–Je ne sais pas qui t'a dit une chose aussi stupide mais c'est un idiot finit. Castien ne peut t'obliger à rien, tu lui as dit toi-même. Tu as l'ascendant sur lui, tu peux lui prendre son trône et tu as un dragon. Qu'il essaie de te marier et tu pourras riposter. Et si jamais il te force à aller jusqu'à l'autel, c'est moi qui t'épouserai.
Pourquoi avait-il dit une chose pareille ? Il se sentait terriblement idiot. Le rouge lui monta aux joues et il se mit à regarder le sol, par peur de croiser son regard.
–Le dernier qui m'a proposé une chose similaire est mort dans la même journée, lança-t-elle. Et vous êtes tous les deux aussi idiots l'un que l'autre de penser que je pourrais accepter de me marier, même si c'est avec l'un de vous.
Elle se tourna vers lui et capta son regard. Toute sa douleur et sa tristesse s'étaient envolées pour laisser place à son éternelle expression stoïque.
–Mais tu as raison sur une chose, je dois rester comme je suis et Nylathria fait partie de moi. Elle est moi. Et par respect pour mes parents et mon peuple, je ne devrais pas la renier. Ça ne veut pas dire que je vais devenir la petite princesse parfaite, ne compte pas sur moi là-dessus. Mais je ne laisserai certainement pas ces abrutis me dire qui je suis.
Elle tourna les talons et se dirigea à l'intérieur mais elle se stoppa en cours de chemin et se retourna vers lui.
–Durlan ?
–Oui ?
–Tu peux m'appeler Nyla.
Elle lui adressa un sourire si fin qu'il eu du mal à le voir, mais il était bien là, avant de s'en aller pour de bon. Il resta un bon moment seul à regarder le paysage et à méditer les paroles de la jeune femme. Puis le froid se mit à le faire frissonner alors il rentra et regagna le banquet. Il n'osait pas se mêler aux autres invités par peur de se faire rejeter. Il n'était qu'un bâtard après tout.
Il repensait à Azlore et le fait qu'il se rendrait à Irindor. Il lui était difficile de se l'avouer mais la capitale de l'Aube lui manquait, la vie là-bas lui manquait. Grâce à Azlore, il aurait l'occasion de donner des nouvelles à ses amis restés là-bas. Que devaient-ils penser ? Il adorait se rendre en ville le soir et retrouver Oger et Sagar dans leur auberge habituelle pour plaisanter et boire ensemble. Il avait passé de bons moments avec eux.
Le banquet se termina tard dans la nuit et Durlan était épuisé mais lorsqu'il entra dans sa chambre, toute fatigue s'envola. Le visage d'Elecia lui revint en mémoire et cette nouvelle femme qu'elle était devenue. J'aurais aimé ne jamais redevenir Nylathria. Il la comprenait que trop bien. Animé par une impulsion, il sortit de ses appartements et se dirigea vers ceux de la jeune femme. Qu'est-ce que je suis en train de faire ? Cette question tournait en boucle dans sa tête et il n'arrivait pas à y trouver une réponse censée.
Arrivé devant sa porte, il hésita un instant. Il ne devrait pas être là, et elle devait certainement en train de dormir. Il allait la déranger et la seule chose qu'il allait obtenir serait une remarque cinglante et une porte qui lui claque au nez. Mais sans savoir pourquoi, il frappa tout de même. Les secondes qui suivirent durent les plus longues de toute sa vie. Il attendait, le cœur battant, qu'elle ouvre. Elle n'ouvrira pas. Alors il tourna les talons et s'en alla.
–Durlan ?
Il se stoppa net et se retourna. Dans l'encadrement de la porte de sa chambre, elle le regardait, vierge de tout artifice et portant une robe de chambre dont le tissu ne laissait que peu de place à l'imagination.
–Qu'est-ce que tu veux ? Reprit-elle.
Il resta quelques instants les bras ballants à essayer de se trouver une excuse valable. Mais la vérité était qu'il n'en avait aucune. Lui-même ne savait pas pourquoi il était venu.
–Non, rien, je suis juste stupide.
Il baissa les yeux et commença à partir.
–Durlan de l'Aube, lança Elecia, je t'interdis de partir tant que tu ne m'auras pas dit ce que tu voulais.
Il se sentait stupide et les mots ne lui venaient pas. Il l'observa et fut, une fois de plus, envoûté par sa beauté.
–J'allais juste faire quelque chose d'idiot, fit-il sans que ses yeux ne puissent quitter les siens.
–Fais toujours, répondit-elle suspicieuse, mais ne me fais pas bouger de mon lit pour rien.
Il hésita quelques secondes. Il ne pouvait pas faire ça, elle allait se mettre en colère et lui faire subir des choses qu'il préférerait ne pas imaginer. Et puis merde !
Il se précipita vers elle et, prenant sa tête entre ses mains, plaqua ses lèvres contre les siennes. Elle lâcha un petit cri de surprise mais ne fit rien de plus. Son cœur tambourinait dans sa poitrine, il avait peur de s'écarter et d'ouvrir les yeux, il ne voulait pas l'affronter. Mais elle mit fin à leur baiser et il croisa son regard. Il s'attendait à y voir de la colère, à ce qu'elle le frappe mais elle ne fit rien de tout cela.
–Tu vois, souffla-t-elle, ce n'était pas si dur.
Il sonda ses yeux et son visage dans l'espoir d'y voir une quelconque ironie.
–Mais...mais la dernière fois je... je pensais que tu n'avais pas aimé et que...
–Je n'ai jamais rien dit de tel.
–Tu m'as quand même frappé.
Elle rit doucement et s'approcha un peu plus de lui.
–T'es qu'un idiot Durlan de l'Aube.
Sa voix n'était qu'un murmure, à peine audible. Elle déposa un rapide mais tendre baiser sur ses lèvres avant de s'éloigner jusqu'à sa chambre, sans le quitter du regard. Ouvrant un peu plus la porte, elle l'invita à rentrer. Le cœur battant et les mains tremblantes, il entra sans pouvoir se détacher de ses yeux hypnotiques. Alors qu'elle refermait la porte, elle l'attira à elle et l'embrassa avec fougue. Un baiser scellant une nuit d'amour.
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