Les frontières de Feoyether
Durlan somnolait sur sa monture, épuisé à force de voyager. Il puisait dans ses dernières forces pour rester un tant soit peu éveillé afin de ne pas vider les étriers, mais ses paupières ne cessaient de papillonner. Songeant qu'une petite sieste ne lui ferait pas de mal, il cessa toute résistance et ferma les yeux. Il vit alors de nombreuses silhouettes se profilant devant lui et entendait quelques voix, mais une se démarquait des autres.
« T'es stupide, Durlan de l'Aube. »
Il se revoyait ce soir-là, sous l'emprise complète de l'alcool. Il regrettait ce qu'il avait fait mais une infime part en lui ne pouvait s'empêcher de sauter de joie. Et puis il revoyait le poing de la jeune femme s'abattre sur lui. Le lendemain en se réveillant, il découvrit qu'il n'avait pas seulement un lourd mal de crâne mais également un bel hématome sur la joue qui ne partit qu'au bout de quelques jours.
Il la revit ensuite lors de ce fameux soir dans le lac. Mais cette fois-ci, elle se tourna vers lui, lui tendant une main.
« Viens, fit-elle en lui souriant. Aurais-tu peur ? »
Il se laissa hypnotiser par ses beaux yeux clairs et s'avança dans l'eau pour la rejoindre. Plus il approchait, plus belle encore elle était. Elle pressa son corps nu contre lui et passa une main dans ses cheveux.
« Et ainsi, as-tu autant peur de moi ? Demanda-t-elle en approchant son visage.
–Non, souffla-t-il.
–Alors tu n'es qu'un idiot. »
Elle s'empara de sa dague et lui trancha la gorge, son sang colorant l'eau du lac illuminée par la lune.
Il sursauta et il se retrouva à terre l'instant d'après, son cheval cabrant, surpris. Son dos heurta le sol dur et sa tête cogna contre quelque chose. Alors que Murzol se moquait ouvertement de lui, il se frottait la tête en râlant.
« Je n'ai jamais autant ri que depuis que je suis avec toi, riait l'orque, tu nous auras tout fait ! »
Elecia passa à côté de lui et lui jeta un regard dédaigneux et grogna en le voyant à terre, comme s'il n'était qu'un enfant auquel on lui avait assigné la garde.
« Je pense qu'on devrait faire une petite pause, lança Torestrin.
–Le bâtard saura s'en remettre sur le chemin, cracha la jeune femme sans même se retourner. Faîtes-le remonter sur son cheval ou on le laisse aux loups, en espérant qu'une fois mort il se montrera plus supportable. »
C'était ainsi depuis cette soirée à l'auberge Brumeuse, soit elle l'ignorait, soit elle lui déversait toute sa haine, il se sentait d'autant plus coupable. Quel idiot je fais.
« Ne serait-ce que pour les chevaux ! »
Elle arrêta subitement sa monture et ne bougea pas durant quelques instants. Les trois hommes se regardèrent, aucun d'eux ne comprenant ce qu'elle faisait, ni ne voulant lui dire quoi que ce soit de peur de s'attirer ses foudres.
« On les fait boire et on repart à pied, déclara-t-elle finalement, ils pourront se reposer puisque nous ne serons plus sur leur dos et nous continuerons à avancer. »
Elle descendit alors et se dirigea vers le bruit qui leur indiquait un cours d'eau et disparut entre les arbres sans leur avoir lancé le moindre regard. Ils l'imitèrent rapidement, sans un mot, et la rejoignirent du plus vite qu'ils le pouvaient. Ils prirent tout juste le temps de faire boire leurs montures avant de reprendre leur route, Elecia toujours à l'avant et aussi silencieuse que d'ordinaire.
« On ne devrait pas tarder à arriver à Feoyether, fit Torestrin dans son dos.
–Bah, râla Murzol, j'espère qu'on traversera ce royaume de malheur rapidement, j'ai toujours détesté les demi-elfes, ils se prennent pour les plus puissants depuis la disparition des elfes. Et puis ils n'aiment pas d'autre peuple que le leur, je doute qu'on soit les bienvenus si nous en croisons.
–Tu ne peux pas les blâmer, ils ont du sang d'elfes dans les veines, ce sont donc les êtres les plus puissants à présent.
–Je le sais bien, je n'aime juste pas leur narcissisme et leur vantardise. »
Torestrin se mit à rire, s'étouffant presque avec la fumée de sa pipe.
« C'est toi qui dis ça ? S'étrangla le nain. J'aurais tout entendu.
–Bah, tu rigoleras moins lorsqu'on se trouvera devant des demi-elfes.
–Elecia les écrasera. »
Les yeux de Durlan se posèrent sur la jeune femme qui gardait la tête haute, fixées sur son objectif.
« J'en ai rencontré, moi, des demi-elfes, fit Durlan en se mettant au niveau de ses deux compagnons. Le roi Ingsaran me connait, il ne vous fera rien.
–À nous peut-être pas mais à toi, ça reste à voir, lança Murzol. À tous les coups il va te renvoyer chez ton royal cousin et on pourra dire adieu à la récompense. Comme si les demi-elfes en avaient besoin.
–T'en sais rien, rétorqua Torestrin, la Couronne est peut-être fauchée.
–Le peuple le plus puissant du monde n'a pas de problèmes d'argent, ou alors ils mentent sur leur réelle puissance. »
De ce que Durlan se souvenait de la Cour du roi, elle lui avait semblée plutôt riche. Pas autant que la Cour de la reine Sirila, qui comptait bon nombre d'acrobates, de cracheurs de feu et d'étranges animaux, mais les demi-elfes n'avaient pas à se plaindre. Leur capitale, Ellran Edhil, était, disait-on, une pâle copie de ce qu'étaient les villes elfes. Durlan n'en ayant jamais vu ville, il ne pouvait l'affirmer.
Pesara lui avait raconté des contes et légendes elfes lorsqu'il était petit, ainsi que certaines de leurs traditions et leur mode de vie. Mais ces histoires étaient très limitées étant donné la disparition soudaine de ce peuple deux siècles auparavant. Néanmoins, enfant, il rêvait de devenir un Guerrier du dragon, porter ces magnifiques armures en or blanc, l'or elfique. Il s'imaginait arriver sur un champ de bataille sur le dos d'une de ces immenses créatures et terroriser ses ennemis.
Il connaissait les noms de quelques-uns de ces grands chevaliers, et leurs plus grands exploits. Le dernier empereur à être l'un d'eux était l'empereur Othorion Balsandoral qui, disait-on, avait des cornes si grandes qu'il pouvait s'en servir contre ses ennemis et les embrocher. Sur le dos de son dragon Diilaas, il parcourait les champs de bataille et y répandait feu et terreur. Mais il n'en restait pas moins un excellent empereur, les chroniques des druides racontaient qu'il était aussi brave que sage et clément. L'empereur Othorion était sans cesse accompagné de ses pairs, les guerriers Sudryaal et Erlathan ainsi que leurs dragons respectifs, Qeimral et Nymor. Tous trois formaient la Triade.
Il y avait également Lyklor et sa dragonne Shiri qui ont parcouru le monde ensemble et qui seraient même allés au-delà du Désert Rouge. Selon la légende, ils auraient trouvé un autre peuple et en voulant retourner chez eux pour raconter leurs aventures, Mère Nature les aurait punis pour s'être éloignés d'elle trop longtemps et les aurait condamnés à une errance éternelle dans le Désert Rouge. Puis il y avait Sharian qui, sur le dos de son dragon Xalran, avait visité tous les rois et reines du monde et avait ramené la paix. On raconte qu'il n'y eut plus aucune guerre jusqu'à la mort du chevalier et, à la seconde où il a poussé son dernier soupir, les humains se sont déclaré la guerre et les trolls ont tenté d'envahir les orques. Le dernier qu'il connaissait était l'empereur Morthil Balsandoral qui n'a fait que déverser la peur et le sang de quiconque se trouvait sur son passage. Son dragon, Tasag le Titan noir, était l'un des rares dragons à être plus sombre encore que la nuit, avec des yeux sanguinaires et une taille gargantuesque. Ils n'ont fait que semer la mort sur leur passage, brûlant des villes entières dans l'espoir de faire de ce monde un seul et même empire.
« Qu'est-ce que t'en pense toi Durlan ? »
La voix de Torestrin le sortit de ses pensées.
« À propos ?
–Bah des demi-elfes, on parle de ça depuis tout à l'heure ! S'exclama Murzol avant de se pencher vers son compagnon nain. Quand je te dis qu'il est louche des fois, il a des absences, on ne sait même pas où il va comme ça. C'est peut-être un de ces magiciens qui se mettent dans la peau d'animaux, comme Bezahr.
–Non je ne suis pas magicien, répondit Durlan, j'étais juste perdu dans mes pensées.
–Tu pensais à une femme, c'est ça ? »
L'orque s'approcha de lui en levant frénétiquement les sourcils, un large sourire sur les lèvres.
« Tout le monde n'est pas comme toi, Murzol fils de Murzol ! Rétorqua Torestrin.
–Comment ça, comme moi ? S'énerva l'autre.
–Tu ne te rends même pas compte que tu n'ouvres la bouche que pour parler de batailles, d'alcool ou de femmes.
–Alors ça c'est entièrement faux, pas vrai Durlan ? »
Quatre yeux convergèrent vers lui et il ne savait quoi répondre. S'il prenait parti pour l'un, il était sûr de se mettre l'autre à dos.
« Réglez ça entre vous, fit-il simplement.
–Il a raison, continua Torestrin, pour une fois qu'il dit quelque chose de censé, ne vient pas le mêler dans cette histoire qui ne regarde que toi et moi.
–Ah vraiment ? Tu m'insultes ouvertement et tu crois que je ne vais pas répliquer ? Je retournerais ce garçon contre toi, le nain.
–L'orque va se calmer parce qu'il oublie un peu trop rapidement que j'ai la taille parfaite pour atteindre ses couilles !
–Essaye donc un peu et je te fais voler avec une seule pichenette, tu vas retourner dans ta mine en un rien de temps ! »
Durlan leva les yeux au ciel et les laissa se disputer, s'éloignant pour ne pas être mis une fois encore entre les deux. Il observa autour de lui la nature qui l'environnait mais rapidement, son regard buta de nouveau sur Elecia. Voilà des jours qu'elle refusait de lui adresser la parole, du moins pour autre chose que pour le dénigrer. Je dois m'expliquer parce que si ça continue comme ça, j'ai peur de ne pas pouvoir me réveiller demain matin. Il s'avança alors vers elle, tirant sur les rênes pour faire avancer son cheval et en s'imaginant tout un tas de choses qu'il devait lui dire. Il y en a trop, elle n'acceptera jamais de m'écouter autant. Et pourtant il se lança.
« Elecia, est-ce que je peux te parler ? »
Elle lui accorda un rapide regard en coin avant de reporter son attention devant elle.
« Je ne veux pas te parler, bâtard, cracha-t-elle. »
Elle serra la mâchoire. Il devait lui parler et il le ferait, peu importe ce qu'elle lui dirait.
« Je ne te demande pas de parler, seulement de m'écouter. »
Elle tourna la tête vers lui. Si elle avait été surprise qu'il lui ait répondu, elle ne le manifesta pas le moins du monde.
« Pourquoi est-ce que je ferais ça ?
–Parce que c'est important. »
Elle laissa échapper un rire sarcastique.
« Important pour qui ? Pour toi ? Raillait-elle. Je me fiche bien de ce qui est important pour toi. Retourne donc avec Torestrin et Murzol et fais-les taire, je ne supporte plus de les entendre.
–Pas tant que je ne t'aurais pas parlé. »
Elle leva les yeux au ciel, exaspérée, mais elle n'ajouta rien. C'est maintenant ou jamais.
« Écoute Elecia, je suis désolé pour l'autre soir, commença-t-il. Je n'aurais jamais dû faire ce que j'ai fait, c'était stupide de ma part, mais j'avais beaucoup bu et...
–Tu étais bourré lorsque tu m'as reluquée dans le lac aussi ? L'interrompit-elle.
–C'était un accident, je ne voulais pas tomber sur toi mais...
–Tu es quand même resté pour regarder le spectacle. J'espère que ça t'a plu au moins parce que le plaisir est la seule chose que tu vas en tirer.
–Elecia je...
–Je sais, tu es désolé. Mais tu sais quoi ? Je m'en contrefiche de tes excuses. Est-ce que ça va annuler ce que tu as fait ? Non. Alors gardes ta salive et dégage, je ne te veux pas dans mes pattes.
–M'excuser est la seule chose que je puisse faire.
–Vous les hommes vous pensez qu'avec des excuses et deux ou trois mots gentils vous pouvez tout obtenir de nous. Mais tu sais quoi ? Ça ne marche pas avec moi. Si tu te sens coupable pour ce que tu as fait, soit, mais ne viens pas me lécher les bottes juste après. Tu n'es pas le premier à m'embrasser ou à me voir nue, et tu ne seras certainement pas le dernier. Alors rougis autant que tu veux, juste fais-le ailleurs que près de moi. »
Elle se détourna et accéléra la cadence afin de le distancer. Mais il n'en avait pas fini avec elle et la suivait de près.
« Est-ce qu'un jour tu vas me faire l'honneur de me dire pourquoi tu me déteste tant ? Explosa-t-il. Tu n'as aucune raison de le faire ! Après tout, c'est grâce à moi que tu vas obtenir une grosse récompense qui va te rendre riche. N'est-ce pas là tout ce dont vous vous préoccupez vous les chasseurs de primes ? De l'or ? »
Elle s'arrêta soudainement et il l'imita. Pourtant elle ne le regardait pas, son regard restait rivé sur les arbres.
« Durlan, viens-là. »
Il fronça les sourcils mais ne releva pas. Il avait une chance d'avoir une vraie discussion avec elle, il ne devait pas la laisser passer. Il réduisit la distance qui les séparait. Elle se tourna vivement vers lui et abattit son poing sur son entrejambe.
« Maintenant tu vas la fermer, lança-t-elle alors qu'il se tordait de douleur, si tu ne veux pas que je t'arrache la langue et que je l'envoie à ton cher cousin en espérant en obtenir quelques pièces. Au moins, ainsi elle me sera utile. Si je t'entends encore une fois m'adresser la parole, je n'aurais aucune pitié pour toi, récompense ou non. Suis-je claire, bâtard ? »
Il ne put qu'hocher la tête en signe d'approbation. Elle reprit sa route alors qu'il se remettait doucement et que leurs deux compagnons se foutaient de lui.
« Je t'avais dit de ne pas la faire chier, s'exclama Murzol, mais tu n'écoutes jamais !
–Au moins nous sommes d'accord sur ce point, renchérit Torestrin.
–Plus tu joues avec le feu, plus t'as de chance de te brûler. »
Ses deux compagnons le dépassèrent en riant ensemble. Qui aurait cru qu'ils se disputaient quelques minutes auparavant ? Durlan se redressa avec difficulté, et reprit la route sans essayer de rattraper les autres. Il avait beaucoup trop honte de son comportement. Pourquoi avait-il fait cela ? Il savait pertinemment que provoquer Elecia était la pire chose à faire et pourtant il l'avait fait. T'es stupide, Durlan de l'Aube. Il frappa nerveusement un caillou et l'envoya valser dans les buissons, effrayant un animal sauvage.
Il avança ainsi durant plus d'une heure, sans adresser la parole à qui que ce soit. Murzol et Torestrin avaient bien essayé de l'intégrer à leurs conversations mais il n'arrivait pas à répondre, ne cessant de penser à ce qu'il avait dit. Quel idiot il avait été de croire qu'il aurait pu avoir une réelle discussion avec la jeune femme en l'attaquant ainsi. Mais il ne savait jamais comment lui parler et surtout, il n'arrivait pas à anticiper ses réactions et en avait même peur parfois.
Murzol et Torestrin s'arrêtèrent d'un seul coup et Durlan faillit percuter l'orque. Il évita son imposante carrure mais fut rapidement stoppé par une force invisible. Il essaya une, deux fois d'avancer mais il était bloqué, comme si on l'empêchait d'aller plus loin, alors qu'Elecia, elle, continuait tranquillement sa route.
« Heu... Elecia ? »
La voix de Torestrin traduisait toute son inquiétude et la jeune femme n'eut d'autre choix que de se retourner.
« Qu'est-ce qu'il y a encore ? S'énerva-t-elle en faisant volte-face.
–On ne peut pas avancer, répondit Torestrin.
–Comment ça vous ne pouvez pas avancer ? Demanda-t-elle en fronçant les sourcils, soucieuse.
–Bah puisqu'on te dit qu'on ne peut pas avancer ! Explosa Murzol. Il faut que je te le dise en Dolñor pour que tu le comprennes ?
–C'est comme s'il y avait un genre de mur invisible, ajouta bien plus calmement Durlan en posant une main sur la chose. »
Elecia arriva en trombe vers eux, visiblement agacée par la situation, et tenta de toucher le mur dans la même façon que l'avait fait le jeune homme, mais sa main se perdit dans le vide.
« Comment se fait-il que tu puisses passer ?! S'exclama l'orque avant de lâcher une insulte dans sa langue natale.
–Certainement parce que vous sentez aussi bon que des trolls, rétorqua la jeune femme. Les demi-elfes sont des êtres fiers, ils ne veulent certainement pas des puants sur leur territoire. »
Murzol se sentit une aisselle d'une manière qu'il pensait être discrète mais Durlan le surprit et dû réfréner un rire.
« Plus sérieusement, fit Torestrin, le fait que tu puisses passer et pas nous est impossible.
–Et c'est quoi ce truc au juste ? Demanda l'orque.
–De la magie elfique, déclara Elecia.
–Je pensais que les demi-elfes ne savaient pas comment la maîtriser, lança Durlan. »
Sa remarque lui valut un regard noir de la part de la jeune femme, néanmoins, elle ne lui dit rien.
« Le garçon n'a pas tort, ajouta Murzol, t'es sûre de toi ?
–Certaine, c'est un bouclier, ils ont dû le dresser tout autour de leur royaume pour empêcher quiconque n'étant pas un demi-elfe d'entrer.
–Donc tu es une demi-elfe, supposa l'orque.
–Est-ce que tu vois des oreilles pointues ? Ou des cheveux gris ou blonds ? »
Il ne lui répondit pas.
« C'est bien ce qui me semblait, continua-t-elle. Et pour répondre à la question qui vous brûle les lèvres depuis tout à l'heure, non je ne sais pas pourquoi moi en particulier je peux passer. Et je ne sais pas non plus pourquoi les demi-elfes ont décidé de s'isoler du reste du monde. Maintenant suivez-moi, nous devons trouver un autre moyen d'aller à Lakar. »
Alors qu'elle commençait à s'en aller, Durlan eut une illumination.
« La menace, souffla-t-il. »
Pesara lui en avait parlé une ou deux fois, c'était une chose pour laquelle les conseillers royaux étaient très inquiets. Son professeur n'avait pas pu lui en dire beaucoup mais il savait que cette menace, aussi inconnue soit-elle, semblait en vouloir aux humains. Il leva les yeux vers ses compagnons qui le regardaient étrangement, et il surprit même une once d'inquiétude dans le regard d'Elecia, mais elle ne fut que brève.
« De quoi tu parles mon garçon ? Demanda Torestrin.
–Les demi-elfes veulent certainement se protéger de la menace.
–La seule menace que je vois ici c'est Elecia, lâcha Murzol, et elle me fait franchement peur lorsqu'elle est en colère.
–Quelle menace ? Demanda la jeune femme en ignorant l'autre, visiblement intéressée. Est-ce que tu sais ce que c'est ? »
Les trois hommes furent surpris par son soudain intérêt. Dans sa voix ne résidait plus aucune trace de la haine qu'elle éprouvait à l'encontre de Durlan.
« Je ne sais pas mais Pesara m'en a parlé une ou deux fois. Le conseil royal de l'Aube s'y intéresse de près depuis quelques mois, ou peut-être une année, je ne sais plus. Ils ne savent pas exactement ce que c'est mais ils savent que cette chose en veut aux humains. Il y a eu des rapports d'attaques de certains villages de l'Aube par les trolls, des petites offensives qui n'ont jamais fait plus d'une dizaine de morts. Pesara pensait qu'il s'agissait de tests, que l'ennemi souhaitait savoir comment la Couronne allait réagir. Le conseil a d'abord pensé que les trolls organisaient une autre rébellion mais des orques ont été vus avec eux durant la dernière attaque, ainsi qu'un homme aux longs cheveux blancs et aux yeux entièrement noirs. Les villageois l'appellent le Démon. Les demi-elfes partagent leurs frontières avec deux royaumes humains, ils cherchent certainement à se protéger. »
À la seconde où il évoqua l'homme aux cheveux blancs, Elecia se tendit encore plus qu'elle ne l'était déjà.
« Ça pue ton truc, fit Murzol, et ça file les jetons.
–C'est bien beau mais ça nous fait chier, ajouta plus calmement Torestrin. On fait quoi ? »
Les trois hommes se tournèrent vers Elecia qui avait repris une contenance, ou du moins, son air stoïque habituel.
« On a deux solutions, déclara-t-elle. Soit nous passons par les Terres des trolls, soit nous traversons l'ancien Empire des elfes pour passer par les Terres d'Arkil.
–Moi vivant on ne passera pas chez ces trolls de malheur, s'écria Murzol.
–Et les Terres d'Arkil ne sont que des marécages, en sortir vivant serait un miracle, continua le nain.
–Et on dit qu'il y règne des créatures sanguinaires, chuchota l'orque comme s'il s'agissait du plus grand secret au monde.
–Je croyais que seuls les nagas y habitaient, et ils ont disparu il y a des années, fit Durlan. Les Terres d'Arkil sont abandonnées.
–C'est ce que tu crois mon garçon, mais je connais des gens qui s'y sont aventurés et je ne les ai jamais revus.
–Ça c'est simplement parce que tu es un être détestable Murzol, lança Elecia. »
L'orque ouvrit la bouche pour répondre, montrant ses crocs, mais il se ravisa en voyant la jeune femme croiser les bras sur sa poitrine.
« Il va falloir se décider, ajouta-t-elle.
–On pourrait prendre un bateau jusque sur les Terres d'Ambre, proposa Torestrin. Je doute que les ports de l'Empire elfique voient beaucoup de galères marchandes mais nous pourrions essayer sur les Terres de Nephtys. »
À la seconde où ce nom sorti de la bouche du nain, les yeux de Murzol s'illuminèrent.
« Ça c'est une bonne idée ! S'exclama-t-il. Je suis sûr que les nymphes seront ravies de nous voir, et moi aussi...
–On n'est pas là pour assouvir tes besoin sexuels Murzol, objecta Elecia. Si on va voir les nymphes, je suis sûre qu'aucun de vous trois ne prendra ce foutu bateau avec moi et je ne compte pas laisser ma récompense à ces nymphomanes. »
Durlan appréciait toujours autant être traité comme un vulgaire objet que les chasseurs de primes iraient échanger au marché.
« Alors qu'est-ce qu'on fait ? Répéta Torestrin. Je vous rappelle que Devon est à nos trousses, nous devons bouger.
–Les Terres d'Opale, souffla Durlan. »
Les trois autres se tournèrent vers lui, le regardant comme s'il venait de dire quelque chose d'insensé.
« Les Terres d'Opale sont à l'opposé des Terres d'Ambre, prendre un bateau là-bas serait une perte de temps, répondit le nain.
–Je ne parle pas d'y prendre un bateau, fit le jeune homme, mais de me laisser là-bas. Nous allons jusqu'à Enkawa et vous négociez avec le roi Jungdu pour une belle récompense.
–Pour qui est-ce que tu nous prends ? Explosa Elecia en s'approchant dangereusement de lui. Nous ne sommes pas tes guides attitrés. Pourquoi est-ce qu'on se ferait chier à t'emmener jusqu'à Enkawa alors qu'on pourrait très bien te ramener à Irindor, au moins on est sûr d'avoir notre récompense. T'es juste en train de nous balader parce que tu tiens à ta misérable vie de bâtard. Mais n'oublies pas que pour le moment, ta vie est entre nos mains. »
Son visage n'était plus qu'à quelques centimètres du sien et ses yeux étaient remplis de colère. Durlan en avait le souffle coupé.
« Elle n'a pas tort, ajouta Murzol, on prend déjà assez de risques pour toi, faire demi-tour alors que Devon et ton cousin nous poursuivent serait trop dangereux.
–Qu'est-ce que tu veux au juste, Durlan de l'Aube ? Demanda Elecia. »
Il ne pouvait quitter son regard, il se sentait comme hypnotisé par quelque chose qui n'avait rien d'humain. Il réfléchit un instant à sa réponse, désespéré.
« Rester en vie. »
Il n'avait pas eu l'intention d'être aussi sincère mais c'était là la seule chose qui lui était venue à l'esprit. Les trais de la jeune femme se détendirent peu à peu pour retrouver un air indifférent. Elle le regarda encore un instant avant de tourner les talons et rejoindre sa monture.
« En longeant la frontière de l'Empire elfique on aura moins de chances de tomber sur les hommes de Devon, lança Elecia en grimpant sur sa selle, ils pensent que cette terre est maudite et s'y aventurent le moins possible. Il faudra tout de même rester sur nos gardes et avancer le plus vite possible. »
Durlan se sentit soudainement soulagé. Il ignorait ce qui avait pu la convaincre mais il s'en fichait pas mal, tout ce qu'il savait c'est qu'il allait rester en vie.
« Qu'est-ce que tu fais Elecia ? Demanda Torestrin. »
La jeune femme tourna sa monture vers Durlan et plongea son regard dans le sien
« Je donne une dernière chance au bâtard. En route ! »
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