Le Fleur de Macadam

Lorsqu'ils passèrent la frontière de l'Empire pour entrer de nouveau sur les Terres de l'Aube, Durlan senti immédiatement la différence. Tout paraissait beaucoup plus banal. Il n'y avait plus aucune trace de magie, les arbres de l'Aube semblaient morts comparé à ceux de l'Empire, remplis de vie et de magie. Cette forêt enchanteresse les avait abandonnée. Il lança un dernier regard en arrière et il fut surprit de voir Selina lui dire au revoir. Il cligna des paupières et elle disparut. C'est simplement la forêt qui vous teste.

Savoir qu'il était de retour sur les Terres de l'Aube lui procura un frisson. Ici, il était bien plus en danger.

–Avec un peu de chance, Devon ne nous aura pas suivi sur l'Empire, avait dit Elecia.

Il espérait de tout cœur n'avoir jamais à croiser la route de ce Devon, il en avait même peur. Il n'était pas effrayé de retourner à Irindor, il en aura tout le loisir lorsqu'il sera en route avec le Sanglant, il avait peur que ses compagnons le laissent de bon cœur. Contre sa volonté, il s'était attaché aux trois chasseurs de primes, et même à Azlore qui n'était avec eux que depuis une semaine seulement.

Quelques mois en arrière, il était près à tout pour les quitter au plus vite et retrouver des alliés, à présent il n'en était plus aussi sûr. Grâce à cette vie il pouvait voyager aux quatre coins du monde, chaque jour était une nouvelle aventure. Sa vie à la Cour lui semblait terriblement lointaine et elle ne lui manquait pas. Il était devenu un nouvel homme, loin des humiliations et des insultes de Berengar, des nobles qui le toisaient comme s'il n'était qu'un cafard répugnant. Il se sentait libre, libéré de toute responsabilité, libéré des tourments.

–Alors Azlore, lança Murzol, qu'est-ce que tu sais faire avec ta magie ? Non mais parce qu'on ne sait rien de tout ça étant donné que la seule personne sachant pratiquer la magie que nous connaissons a décidé de nous le cacher !

Il avait volontairement haussé la voix afin qu'Elecia puisse bien l'entendre mais la jeune femme se contenta de l'ignorer.

–Pas grand-chose à vrai dire, avoua le garçon, mon maître m'a surtout appris à méditer, la médecine, les différentes langues présentes dans notre monde, l'Histoire des différentes Terres, royaumes et Empires. Je ne sais faire que de petites choses insignifiantes et très peu impressionnantes. Autant vous le dire maintenant avant que vous ne me demandiez de faire quelque chose de spectaculaire. Maître Ogshan était persuadé que l'apprentissage de la magie devait passer après celui des autres pratiques. Les druides retranscrivent l'Histoire après tout.

Azlore avait tendance à un peu trop parler et en dire beaucoup très rapidement et Durlan avait encore un peu de mal à s'habituer à son débit de parole. Mais c'était un gentil garçon qui mettait un point d'honneur sur le respect d'autrui et bien entendu sa méditation. Chaque soir, alors que les autres se ruaient se réchauffer autour du feu et manger, le garçon lui se mettait à l'écart et s'asseyait par terre durant de longues minutes, les yeux fermés et une étrange lumière verte émanant de ses mains.

–Si je ne le fais pas, avait-il dit, mon Don pourrait me consumer puisque je n'ai pas encore prononcé mes vœux, je ne suis donc pas protégé par la magie des druides.

Azlore s'était avéré être un garçon d'une extrême intelligence. Il lui arrivait de donner le nom de toutes les plantes qu'ils croisaient lorsqu'il s'ennuyait et Durlan trouvait cela intéressant. Alors que le bâtard appelait toutes les fleurs des fleurs, l'apprenti druide lui sortait des noms improbables. Pesara l'aurait adoré.

Il se senti soudainement triste. Il ne verrait plus jamais son professeur parce que Berengar avait encore une fois été aveuglé. Lady Eartha avait dû lui chuchoter quelques mensonges à son oreille et, comme à son habitude, le roi s'était emballé en suivant au doigt et à l'œil ce que lui racontait sa mère. Durlan était certain que la Reine Mère avait sa part de culpabilité, si ce n'était la plus grande. Il espérait au moins qu'ils avaient donné à Pesara des funérailles dignes de l'homme qu'il avait été.

–Attends, tu parles quelles langues ? Demanda Murzol.

–Tout d'abord la langue commune, ça me paraît évident, le Stuuzda, pratique lorsqu'il faut résonner un nain, le Lostrecarhi, même si les Géants sont possiblement éteints mais mon maître disait que c'est toujours utile, et le Dolñor, même si les orques n'aiment pas que leur langue soit parlée par des gens autres que leur peuple. Pour le langage des trolls, personne n'a jamais su le traduire, c'est pour ça que nous, les druides, leur avons apprit la langue commune, mais ils s'obstinent à ne pas vouloir la parler. Et quant à l'Elfique, eh bien, j'aurais bien aimé savoir le parler mais même les demi-elfes ne le comprennent pas, alors...

–Comment ça tu parles le Dolñor ? S'offusqua l'orque. Comment je vais faire pour vous insulter sans que vous ne vous en rendiez compte ?

–Attends, tu nous insulte dans ta langue ? S'exclama Torestrin.

Et c'est reparti !

–Seulement quand vous me faite vraiment chier. Et puis ne fais pas celui qui est choqué, je suis sûr que tu dis des tas de trucs sur nous dans ta langue à TOI !

–Non mais c'est une plaisanterie ! Jamais je ne vous ai insulté, je suis beaucoup trop poli et respectueux pour le faire !

Murzol se mit à rire à gorge déployée.

–Toi ? Poli et respectueux ? C'est la meilleure ! Toi qui ne fumes cette foutue pipe seulement pour ne pas dire des choses que tu pourrais regretter.

–C'est n'importe quoi ! Je fume ma pipe seulement pour me détendre ! Et ne change pas de sujet, c'est de toi et tes insultes que nous parlions.

–C'est inutile de continuer à parler de ça, de toute façon il n'y a qu'Azlore qui comprend la magnifique langue qu'est le Dolñor.

–Moi je la comprends.

Tous les regards convergèrent vers Elecia qui n'avait même pas prit la peine de se retourner pour leur parler.

–Toi ? Tu parles ma langue ? S'étrangla Murzol qui était soudainement très inquiet.

–J'ai dit que je la comprenais, pas que je la parlais, rétorqua la jeune femme toujours dos à eux. Alors oui, je sais que tu m'as insulté de monstre sans cœur et Torestrin d'insecte grouillant, et bien d'autres choses.

–Insecte grouillant ?! Cria le nain. Mais pour qui tu te prends ? Tu penses être qui avec tes crocs jaunes et tes foutues oreilles grossières et pointues ?!

Alors qu'ils se disputaient, Durlan se mit à rire et s'éloigna afin d'éviter d'être encore une fois embarqué dans leurs histoires.

–Tu verras, lança-t-il à l'attention d'Azlore, tu t'y habitueras vite.

–Ils n'étaient pas censé s'apprécier ? Grimaça le garçon.

–Comme on dit, qui aime bien châtie bien. Je reste certains qu'ils étaient ensembles dans une autre vie, mais c'est une théorie qui reste à prouver.

Le garçon se mit à rire certainement en imaginant ces deux-là fous amoureux. Cette pensée arracha un sourire à Durlan. Ils continuèrent leur route ainsi, bercés par la dispute de Murzol et Torestrin. Il s'étonnait qu'Elecia ne dise rien et ne leur arrache pas les yeux ou la langue, il fallait croire qu'elle s'adoucissait. Azlore ne cessait de lui parler de son apprentissage et de lui donner quelques conseils pour reconnaître les aliments comestibles et soigner une blessure avec les bonnes plantes, tout en vérifiant que l'entendre parler n'agaçait pas Elecia. Le garçon avait parfaitement bien compris qu'il valait mieux la laisser tranquille et ne pas l'énerver.

–Il n'y a qu'un seul moyen pour que nous puissions régler ce problème, lança Murzol, s'arrêter à une taverne.

–Certainement pas, rétorqua sèchement Elecia.

–Nous ne sommes pas très loin du Fleur de Macadam, insista l'orque. Tu ne crois pas que ce serait bien de s'arrêter manger un vrai repas et dormir dans un bon lit avant d'aller affronter les foutues montagnes enneigées des Terres d'Opale ?

–J'ai dit non, continua la jeune femme, Devon est à nos trousses, peut-être même que nous sommes observés par un de ses hommes en ce moment-même, je ne vais certainement pas risquer ma vie et ma récompense pour que vous puissiez boire de la bière et coucher avec une putain.

–Il faut de toute façon que nous passions au village, ajouta Torestrin, il va nous falloir des fourrures et des manteaux bien plus chauds si nous voulons survivre dans les Monts Tongwei.

Le silence s'installa soudainement. Durlan devait le reconnaître, Torestrin avait raison. S'ils ne s'habillaient pas plus chaudement, ils allaient à coup sûr mourir de froid dans les montagnes de Terres d'Opale. Mais il n'osa pas faire part de ses pensées par peur de mettre Elecia en colère.

–On s'arrêtera uniquement en ville, déclara finalement la jeune femme. On achètera des manteaux et des vivres et nous repartirons aussitôt, je n'ai pas envie de me faire rattraper par Devon.

Murzol grogna mais n'ajouta rien de plus. Torestrin, lui, alluma sa pipe en silence. Durlan put enfin apprécier le calme de la forêt, ou du moins jusqu'à ce qu'Azlore se décide à parler. Encore.

Elecia s'imaginait tout un tas de façons d'arracher la langue de cet enfant druide qui l'insupportait de plus en plus. Couteau, dague, épée, à mains nues ? Ou alors elle pourrait faire fondre du métal et le lui faire boire. Elle pouvait tout aussi bien l'assommer mais son répit ne durerait que quelques heures. Il fallait quelque chose de plus radical, sans pour autant lui ôter la vie. Si elle pouvait obtenir une récompense pour ce garçon, elle ne cracherait pas dessus. Elle écarta alors l'option du métal.

Elle en vint à se demander comment Durlan pouvait supporter de l'entendre bourdonner près de ses oreilles à longueur de journée. Et puis elle se souvint qu'il était exactement pareil, à parler sans cesse. Mais Durlan avait apprit à se taire quand il le fallait, Azlore lui ne savait pas encore qu'il prenait des risques incommensurables.

Sa main droite se mit à lui faire mal, comme à chaque fois qu'il essayait de l'appeler et qu'elle refusait catégoriquement de lui répondre. Elle la massa doucement, essayant de faire partir la douleur.

Voyager sur les Terres de l'Aube était une tannée. Tout se ressemblait. Il n'y avait que des forêts, quelques clairières, des collines et parfois, des montagnes se profilaient au loin. Des montagnes remplis de conifères. Elle était toujours aussi en colère de n'avoir pas pu passer la frontière de Feoyether. Ces foutus demi-elfes étaient bien trop apeurés pour se battre contre cette fameuse menace. Elle s'en inquiétait plus qu'elle ne le devrait. Elle savait qu'il ne lui arriverait rien tant qu'elle restait en dehors du conflit. Tout ce qu'elle avait à faire c'était de récupérer la récompense et partir très loin des territoires humains.

Mais une voix au fond d'elle lui criait de ne pas partir, d'aider les humains. Pourquoi le ferait-elle ? Ils n'ont rien à lui offrir, du moins ils ne possèdent pas ce qu'elle désire le plus. Personne ne le possédait. Elle comptait laisser les humains se débrouiller entre eux et une fois la menace passée, elle allait tirer avantage du massacre. Voler les biens et trésors dissimulés sous les habitations, récupérer de la nourriture et quelques vêtements, les gens comme elle trouvaient toujours leur compte. Les vautours, on les appelait. Elle préférait se dire qu'elle était simplement pus intelligente que le reste du monde. Rester à l'écart et prendre ce que les gens laissent tomber sans jamais avoir à se blesser, c'était la chose la plus sûre à faire.

Durlan pouvait la traiter d'égoïste autant qu'il le voulait, cela ne l'atteignait pas. Elle savait que ce qu'elle faisait et sa façon de penser n'étaient pas bien vus par les gens comme lui, qu'ils ne considéraient pas cela comme honnête, mais elle s'en contrefichait. Le plus important, c'est qu'elle était encore en vie, et cela grâce à son égoïsme. L'altruisme ne sauve que la vie des autres, et si ces autres-là ont besoin de notre aide c'est qu'ils n'ont rien à apporter, alors pourquoi s'en soucier ?

Ils arrivèrent dans la petite ville de Roavin dans la fin d'après-midi. La plupart des magasins étaient encore ouverts et, après avoir attachés leurs chevaux, le petit groupe s'engouffra dans une petite boutique tenue par deux époux.

–Vous trouverez tout ce qu'il vous faut ici ! S'exclama la gérante après qu'ils leur aient annoncé avoir besoin de manteaux. Madame, nous avons reçu un nouvel arrivage ce matin-même de manteaux longs absolument sublimes !

Elle lui montra un ramassis de tissus qu'une dame aurait pu mettre. Elecia grimaça en voyant ce qu'elle lui mettait sous le nez.

–Ça ne sera pas pratique de se battre avec ça, lança-t-elle en fronçant son nez.

Le sourire de la gérante s'effaça immédiatement.

–Pourquoi voudriez-vous vous battre alors que vous avez quatre hommes pour vous défendre ? S'offusqua-t-elle en montrant les garçons qui discutaient plus loin avec son mari.

–Parce que je n'ai besoin d'aucun homme pour défendre, rétorqua la jeune femme, et que ce sont des incapables. Vous n'auriez pas simplement une cape un peu plus chaude ? Je n'ai pas besoin de tout un tas de freluches sur moi.

La gérante renifla en grimaçant et se dirigea vers l'arrière-boutique, revenant quelques minutes après avec une longue cape noire d'une épaisse fourrure de loup.

–J'ai ça, mais c'est un vêtement d'homme, fit-elle. Êtes-vous sûre de ne pas vouloir quelque chose de plus... distingué ?

–Non, ça ira, je vous remercie.

Une fois tous les vêtements achetés, ils sortirent du magasin. La nuit commençait déjà à tomber, il leur fallait trouver un endroit le plus à l'écart possible de la ville pour y passer la nuit. Ils rejoignirent leurs montures et rangèrent tant bien que mal les épais manteaux qu'ils venaient d'acheter.

–Bien, on va partir, annonça Elecia en se tournant vers les autres.

Lorsque son regard se posa sur ses compagnons, elle remarqua que Murzol était absent. Elle regarda tout autour d'eux et le vit au loin tourner au coin d'une rue. Elle savait parfaitement où il se rendaient. Elle se mit à bouillonner et il lui fallut faire preuve d'un effort inouï pour ne pas exploser.

–Fais chier, murmura-t-elle avant de reprendre plus fort. Vous n'auriez pas pu l'en empêcher ?!

–Je ne l'ai même pas vu partir, se discrédita Azlore.

–J'ai essayé, avoua Torestrin, mais il n'en avait rien à faire.

Elecia laissa échapper un grognement. Si elle n'appréciait pas autant Murzol, elle l'aurait étripé.

–Azlore, commença-t-elle entre ses dents, tu gardes les chevaux, on t'apportera à boire et à manger.

Le garçon ne répondit pas, par peur de voir déferler un torrent de fureur. Elecia se lança à la poursuite de Murzol, suivie de près par Torestrin et Durlan. Elle haïssait l'orque pour lui avoir désobéit. Elle avait un mauvais pressentiment et elle restait persuadée que rester à Roavin était une très mauvaise idée.

Lorsqu'ils arrivèrent devant le Fleur de Macadam, ils furent assaillis par la musique provenant de l'intérieur et des hommes déjà ivres. Mais Elecia ne se dégonfla pas, même si elle les entendait l'appeler et les voyait la reluquer. C'était à cause des situations comme celle-ci qu'elle aurait tout fait pour être un homme.

Elle ouvrit la porte du bordel en grand et chercha Murzol du regard, très remontée. La salle était pleine à craquer d'hommes entrain de boire et de putains passant entre les tables ou s'asseyant sur les genoux de quelque chevalier ou paysan, à moitié nues. L'une d'elle s'approcha d'eux, jetant un sourire mielleux aux deux hommes dans son dos, mais Elecia lui fit comprendre qu'elle ne la tolérait pas d'un seul regard. Le sourire de la putain s'effaça mais elle retrouva vite une contenance, appelée par un groupe d'hommes un peu plus loin.

Le Fleur de Macadam était le bordel le plus réputé des Terres de l'Aube, voire du monde. Ses prostituées sont connues comme étant les meilleures et celles apportant le plus de plaisir aux hommes comme aux femmes. Et Murzol adorait les prostituées. Cela ne l'étonnait même pas qu'il ait filé en douce pour venir dans cet endroit.

Elle sentit alors une main se poser délicatement sur son épaule. Elle tourna la tête et vit Durlan essayer de la calmer. Elle détestait lorsqu'il la prenait pour l'une de ces ladys qui tombaient pour lui d'un seul regard. Elle dégagea rapidement son épaule en lui lançant un regard noir.

–Si je trouve Murzol avant l'un de vous deux, lança-t-elle, je lui fais la peau.

–Ça ne va pas être très compliqué, répondit Torestrin, je peux l'entendre d'ici.

En effet, elle entendit le rire gras et sonore de l'orque. Elle se dirigea vers la provenance du son et trouva Murzol assis à une table, entouré de trois putains, l'une étant sur ses genoux, la deuxième à se droite en train de lui donner la becquée et la troisième penchée au-dessus de la table en mettant en avant ses atouts. Il ne les vit pas arriver, son attention étant portée sur les trois femmes. Elecia s'empara alors de sa dague et la lança de sorte à ce qu'elle se plante sur la table. Et c'est ce qui arriva. Les trois prostituées sursautèrent en criant et Murzol se tourna enfin vers eux, l'air choqué, mais il y avait tellement de bruit environnant que personne ne les entendit. La jeune femme s'approcha d'un pas déterminé, montrant clairement son mécontentement.

–Lorsque je dis quelque chose, j'aimerai qu'on m'obéisse, fit-elle entre ses dents pour contenir sa rage.

–Allons Elecia, amusons-nous un peu ! Lâcha l'orque en riant.

Il se tourna vers une des putains et l'embrassa à pleine bouche, sous les gloussements des deux autres. Elecia tapa de ses deux mains sur la table, faisant de nouveau sursauter les quatre autres.

–Tu es complètement inconscient ! Explosa-t-elle. Nous ne savons pas où est Devon et toi tu veux t'amuser ? Je te signale que sans Durlan, tu ne seras pas payé. Comment comptes-tu payer ces putains, tu m'expliques ?

–Calme-toi, je suis sûr que Devon est encore loin de nous, c'est pour ça qu'on est passé par l'Empire, non ? Et au pire, s'il débarque, tu useras de tes charmes comme toujours.

Lorsque le poing d'Elecia atterrit dans la figure de l'orque, la tête de celui-ci tapa contre le mur derrière lui. Les trois femmes prirent un air profondément choqué et se ruèrent sur lui afin de vérifier s'il allait bien, tout en gardant un œil sur Elecia pour s'assurer qu'elle ne leur ferait aucun mal.

–Pour qui est-ce que tu te prends, Murzol fils de Murzol ? S'écria la jeune femme. Je ne suis pas une de tes putes que tu peux insulter comme bon te semble ! Crois-moi, il n'y aura pas de prochaine fois. Et si tu oses recommencer, je t'arrache les boules avec les dents, suis-je claire ?

Voyant qu'il ne répondait pas, elle s'empara de la dague plantée dans la table et la pointa vers l'orque qui se redressa immédiatement.

–C'est bon, c'est bon ! Fit-il sans quitter la lame du regard. Je ne ferais plus rien qui puisse te mettre en colère, ceci est la dernière fois. Maintenant, je peux profiter de ma soirée ?

Elecia jeta un regard noir vers les trois femmes qui se ratatinaient sur place avant de ranger sa dague en grognant.

–On part avant le lever du soleil, le prévint-elle, sois prêt ou tu ne verras plus jamais le jour.

Il acquiesça avant de reprendre ce qu'ils faisaient. La jeune femme tourna alors les talons et chercha une table libre dans cette foule qui bondait la pièce, Torestrin et Durlan derrière elle. Elle en trouva finalement une, dans un coin un peu sombre de la salle, et s'affala sur une chaise, fatiguée. Torestrin commanda à manger et à boire et Durlan... Durlan ne faisait rien, comme à son habitude. Il ne savait rien faire d'autre que parler pour ne rien dire, l'emmerder profondément ou la regarder en espérant découvrir tous ses secrets ainsi. Elle détestait se sentir observer, et elle détestait encore plus les petites fouines dans son genre.

–Murzol ne souhaitait pas faire de mal, fit doucement le bâtard.

–Je sais, répondit-elle sèchement, mais il nous met tout de même en danger.

–Il a peut-être raison après tout, ajouta le nain, nous devrions profiter d'un peu de chaleur avant de nous engouffrer dans la foutue neige des Terres d'Opale.

Ce que je ne ferais pas pour de l'argent. Elle n'était même pas sûre de l'obtenir qui plus est. Il y avait de fortes chances que le roi refuse de prendre Durlan et qu'il les renvois. Si cela venait à arriver, Elecia ne ferait pus preuve d'aucune clémence, elle irait demander la rançon auprès de Berengar, que Durlan y perde sa vie ou non, elle avait perdu assez de temps.

On leur apporta leur repas et le tavernier leur demanda pourquoi ils avaient commandé quatre plats pour trois personnes. Elecia l'avait envoyé se faire foutre, ce qui avait amusé Durlan. Ils mangèrent en silence et une fois le repas terminé, Torestrin alluma sa pipe.

–Je vais apporter son repas à Azlore, déclara Elecia.

Les deux hommes la fixèrent d'un air surprit, presque choqué. Mais elle ne leur laissa pas le temps de lui répondre. Elle se leva, s'empara de l'assiette et de la choppe et se faufila entre les tables et les prostituées. Une fois dehors, elle put enfin respirer l'air frais de la nuit. Le soleil avait complètement disparu, laissant sa place à une lune à moitié pleine et quelques étoiles.

Elecia s'engouffra dans la rue, rejoignant l'endroit où ils avaient laissé Azlore. Elle trouva le garçon en train de penser son cheval.

–Si tu fais du mal à Brosme tu auras affaire à moi, bébé druide.

Il sursauta et se tourna vers elle.

–Excusez-moi, je ne voulais pas vous importuner.

Un sourire se dessina sur les lèvres de la jeune femme.

–Tiens, mange au lieu de dire des choses stupides, lança-t-elle.

Il lui accorda un sourire timide et se jeta sur la nourriture, visiblement affamé.

–Pourquoi m'avoir apporté à manger ? Demanda-t-il entre deux bouchées. Après tout, vous me détestez.

–Parce que si je peux obtenir une récompense pour t'avoir ramené, je ne vais pas cracher dessus. Mieux tu es traité, plus je suis payée. Et puis je te l'avais promis non ?

Le sourire d'Azlore s'élargit un peu plus.

-Par contre, je vais vraiment finir par te détester si tu continue de me vouvoyer, continua-t-elle

–Désolé, c'est une habitude, je ne voulais pas vous... te mettre en colère.

Elecia se mit à rire doucement et regarda le jeune druide en devenir engloutir la nourriture, manquant plus d'une fois de tâcher sa tunique. Dans certaines de ses expressions, elle lui rappelait quelqu'un, quelqu'un de son passé, quelqu'un qui n'était plus. Son cœur se serra en y repensant puis elle ferma les yeux et chassa ces souvenir qui tentaient de refaire surface.

–Merci beaucoup ! S'exclama Azlore en lui tendant son assiette vide.

Elle reprit le tout et lança un regard vers les chevaux.

–Occupes-toi bien de Brosme, fit-elle.

–Je ne manquerai pas de lui apporter les meilleurs soins !

Elecia tourna les talons pour masquer son sourire et rejoignit le bordel. En arrivant devant le bâtiment, elle se surprit à ne pas vouloir y entrer. Elle préférait de loin être seule plutôt que de passer sa soirée là-dedans. Elle posa alors l'assiette et la chope sur un tonneau et s'appuya contre le mur, les yeux rivés vers le ciel. Quelques étoiles brillaient et éclairaient cette étendue sombre. Enfant, elle adorait s'allonger dans l'herbe et regarder les étoiles avec son père ou son ami, elle pouvait y passer des nuits entières.

–Le ciel est beau ce soir.

Le regard de la jeune femme se posa sur Durlan, planté à ses côté le regard levé vers le ciel.

–C'est la pire chose qu'on m'ait dite pour commencer une discussion, lâcha-t-elle.

Durlan se mit à rire et baissa son regard vers le sol.

–Et tu voulais que je dise quoi ? demanda-t-il en souriant.

–Rien. Tu as gâché mon silence.

–Ouais je sais, je ne suis qu'un idiot.

Elle perçu une pointe de tristesse dans sa voix, mais elle ne releva pas. S'il avait les idées noires, ce n'était pas son problème et s'il y avait bien une chose qu'elle détestait c'était écouter les gens se plaindre de leur vie.

Elecia observa les alentours. La ville était calme, ses habitants s'endormaient peu à peu. Seul le bordel et une taverne un peu plus loin amenaient de l'agitation dans le silence de la nuit. Son regard se posa alors sur une silhouette qu'elle crut reconnaître et qui arrivait vers le Fleur de Macadam. Elle se figea alors et fixait cette silhouette le cœur battant. Elle posa une main sur le bras de Durlan et l'attira à elle.

–Qu'est-ce que...

–La ferme et embrasse-moi, il ne faut pas qu'il te voie !

–Mais qui...

Elle prit son visage dans ses mains et plaqua ses lèvres contre les siennes. Durlan laissa échapper un râle. Elle passa une main dans ses cheveux et le força à rester contre elle. Elle ouvrit les yeux et regarda l'homme qui approchait. Il n'était pas tout seul. Elle interrompit leur baiser, mais leurs visages restaient si proches qu'elle sentait le souffle saccadé du jeune homme caresser son visage.

–Plaque moi contre le mur, murmura-t-elle, tourne la tête vers la droite et fais semblant de me déshabiller.

–Qu'est-ce qu'il se passe ? chuchota-t-il.

–Devon. Maintenant fais ce que je te dis idiot.

Il n'attendit pas une seule seconde. Il fondit vers sa bouche et la plaqua contre le mur. Elle détacha ses cheveux pour cacher leurs visages et passa une main sous son pourpoint tandis qu'il faisait glisser sa chemise sur ses épaules. Elecia intensifia leur baiser alors que Devon passait tout prêt alors que Durlan commençait à desserrer son corsage. Puis Devon entra dans le bordel, alors Elecia repoussa Durlan.

–Il faut partir au plus vite, fit-elle en regardant tout autour d'eux, essoufflée et le cœur battant.

Elle se tourna de nouveau vers le jeune homme et plongea son regard dans le sien. Elle eut soudainement horriblement chaud.

–Retourne avec Azlore, continua-t-elle, et préparez les chevaux. Je vais chercher Torestrin et Murzol à l'intérieur. Fais attention, les hommes de Devon peuvent être n'importe où.

Il hocha la tête, il avait visiblement perdu sa langue. Mais elle ne s'en formalisa pas et se rua à l'intérieur, rabattant la capuche de son manteau sur sa tête. Elle s'arrêta sur le pas de la porte, autant pour chercher Torestrin que Devon. Elle trouva rapidement le nain mais aucun signe du chasseur de prime. Elle se faufila sans la foule en essayant de paraître la moins suspecte possible, et trouva Torestrin en train de fumer sa pipe à l'endroit exact où elle l'avait laissé.

–Il faut qu'on dégage, lança-t-elle, Devon est ici.

Le nain se redressa immédiatement.

–Où est Durlan ? Demanda-t-il, paniqué.

–Dehors, je lui ait dit de rejoindre Azlore et de faire attention, le ramener ici aurait été trop dangereux. Dans les rues il peut au moins se cacher dans le noir. Où est Murzol ?

–Je l'ai vu monter à l'étage.

–Fais chier. Viens !

Elle l'invita à le suivre et se fraya un chemin entre ls tables tout en restant vigilante. Elle ne voyait toujours pas Devon et commençait à croire que ce n'était qu'une hallucination. Je sais ce que j'ai vu, je ne suis pas folle. Ils se précipitèrent au premier étage et entrèrent dans toutes les chambres dans l'espoir de retrouver leur compagnon, ce qui provoquait des cris de surprise et de colère de la part des putains et des clients. Finalement, ils réussirent à trouver Murzol.

–On dégage d'ici, tout de suite ! S'exclama Elecia en prenant les vêtements de Murzol pour les lui lancer.

Les trois prostituées se cachèrent sous les draps, scandalisées d'avoir été dérangées.

–Qu'est-ce qu'il se passe encore ? Râla l'orque. Pas moyen d'être tranquille même une heure !

–Devon est ici alors tu prends ta bite et ton couteau et on décampe immédiatement, s'énerva la jeune femme.

Lorsqu'elle mentionna le nom du chasseur de primes, l'orque se redressa d'un seul coup et se rhabilla aussi vite qu'il le pouvait.

–Par contre, tu m'expliques pourquoi t'es décoiffée et à moitié à poil ? Lança Murzol.

Elecia baissa les yeux vers ses vêtements et s'empressa de resserrer son corsage et remettre sa chemise correctement.

–On n'a pas le temps, dépêche-toi !

Elle tourna les talons et se dirigea vers le couloir, suivie de l'orque.

–Et l'argent ! S'exclama une des putains. On n'a pas été payées !

–Si on vous payait, ce serait pour avoir gloussé comme des dindes et pour avoir montré ouvertement vos attributs, rétorqua Elecia, rien qui mérite quelques pièces.

Sur ces mots, elle claqua la porte, passa devant Murzol et Torestrin et se précipita en bas, dévalant à toute vitesse les escaliers. Mais elle n'avait pas encore posé le pied sur la dernière marche qu'elle se stoppa net. Plus personne ne parlait, il n'y avait plus aucune musique ni éclats de voix. Son cœur s'emballa lorsqu'elle vit Devon, tout souriant, qui tenait Durlan par le bras. Derrière lui, ses hommes avaient l'épée à la main, prêts à réagir.

–Bonjour mon amour.

Le sourire mielleux de Devon lui procura un frisson de dégoût. Depuis la dernière fois qu'ils s'étaient vus, ses cheveux noirs parsemés de tresses et sa barbe hirsute avaient poussés et il avait beaucoup plus de tatouage. Un pour chaque victime.

–Devon, le salua-t-elle.

Son sourire s'agrandit pour ne devenir que malice.

–Regardes dont qui je viens de trouver, le fameux Bâtard de l'Aube, continua-t-il en faisant parcourir la lame de sa dague sur le cou de Durlan. Et comme par hasard, tu es toi aussi ici. Je me demande bien pourquoi tu ne te dirige pas vers Irindor, c'est pourtant là-bas que se trouve la récompense.

Elecia serra les poings et la mâchoire. Elle ne pouvait pas le laisser partir avec son or.

–Sais-tu combien de pièces d'or compte m'offrir le roi Berengar ? Trente milles.

La jeune femme ne fit rien paraître de sa surprise, mais elle ne comprenait pas pourquoi lui devrait avoir trente milles pièces d'or au lieu de dix.

–Tu vas pouvoir te payer tout un tas de prostituées, lança-t-elle.

Devon se mit à rire.

–Mais il n'y a qu'une femme que je désire dans mon lit, toi. Reviens avec moi Elecia, formons à nouveau le couple de chasseurs de primes que nous étions. Imbattables et crains de tous. Ça ne te manque dont pas ?

–Partager ma vie avec un psychopathe ne fais pas parti de mes projets.

–Moi ? Un psychopathe ? Voyons mon amour, n'oublie pas toutes les choses que tu as faites. Je parierais tout mon argent que tu es pire que moi.

Elle descendit les dernières marches de l'escalier sous le regard de tous les clients présents dans la pièce et s'avança jusqu'à Devon et Durlan. Elle regarda le chasseur droit dans les yeux et baissa sa capuche. Elle savait qu'il n'était pas indifférent à ses charmes, et elle comptait bien en user. Du coin de l'œil, elle vit Durlan rougir.

–Nous pouvons le vérifier, murmura-t-elle suavement.

–Qu'as-tu à m'offrir si je gagne ? Fit l'autre.

–Moi-même. Gagne et je reviens avec toi, nous redeviendrons la Belle et le Sanglant.

Lentement, elle ôta le gant de sa main droite, dévoilant la marque qui y était dessinée et la mit dans son corsage, sortant la pointe de flèche que Devon lui avait offerte lorsqu'ils avaient commencé à se fréquenter. Elle lui mit sous le nez, un sourire malicieux sur les lèvres, et s'approcha un peu plus jusqu'à frôler son oreille de ses lèvres.

–Personne ne me vole mon butin, murmura-t-elle.

Elle lança la pointe de flèche qui atterrit entre les deux yeux d'un des hommes de Devon. Celui-ci eut à peine le temps de réagir qu'Elecia le frappait au visage, le faisant tomber à sa renverse.

–Prends ça, dit-elle à Durlan en lui confiant une dague, et défends-toi mieux que devant les chevaliers de ton cousin.

Elle dégaina son épée et serra son emprise sur le manche. Les clients et putains se ruaient vers la sortie, complètement affolés par les évènements. Dans son dos, elle entendit Murzol faire son cri de guerre et reconnu le bruit que faisait un crâne lorsque sa masse le percutait. Un homme fondit sur elle et en quelques mouvements, elle prit le dessus et l'acheva. Elle fit de même avec un autre, et encore un autre. Mais plus elle en tuait, plus il en arrivait.

Elle regarda autour d'elle et fit les feux des différentes cheminées. Elle regarda ensuite sa main droite dégantée. Faire cela était une très mauvaise idée, une erreur même, mais si elle ne le faisait pas ils ne s'en sortiraient pas. Elle décapita un mercenaire puis se concentra sur la chaleur des flammes. Elle les sentait l'envahir, prendre possession d'elle. Un seul mot et ils auraient la vie sauve.

Krær !

Les quatre feux s'intensifièrent immédiatement et brûlèrent bon nombre d'hommes, passant autour de ses compagnons pour les protéger.

–Sortez ! Hurla-t-elle à leur intention. Je ne vais pas tenir !

Torestrin, Durlan et Murzol se ruèrent vers la porte et s'engouffrèrent dans la fraîcheur de la nuit. À son tour elle courra jusqu'à l'extérieur et n'arrêta pas sa course. Dans son dos, les feux rétrécirent et déjà les hommes de Devon encore en vie courraient à leur poursuite, sous les ordres de ce dernier.

–Ne vous arrêtez pas ! Cria Murzol. Plus vite !

–Facile à dire pour quelqu'un qui n'a pas les jambes aussi courtes !

Torestrin se faisait rapidement distancer, Elecia ne pouvait pas le laisser se faire prendre par Devon, quitte à utiliser sa magie. Elle s'approcha d'une plante et posa ses deux mains dessus, essayant de calmer les battements frénétiques de son cœur ainsi que sa respiration.

–Elecia bordel qu'est-ce que tu fais ?!

L'instant d'après, les branches et les feuilles se mirent à bouger et à s'agrandir, formant un épais mur pour barrer l'accès à la rue. Derrière, les hommes de Devon abattaient déjà leurs épées dessus pour essayer de s'y frayer un chemin. Elle venait de leur faire gagner un peu de temps. Elle reprit sa course et rattrapa ses compagnons. Bientôt, ils virent Azlore qui ne comprenait pas pourquoi ils se précipitaient ainsi.

–Détache les chevaux ! Hurla Durlan.

Ni une ni deux le garçon s'exécuta avec une rapidité folle, aidé par sa magie pour aller plus vite. En quelques secondes, ils atteignirent leurs montures et grimpèrent en selle, tous essoufflés et à bout de forces. Elecia éperonna Brosme et le força à partir au galop. Elle se retourna pour vérifier que les autres suivaient mais une flèche passa juste à côté de son oreille. Des archers ! Une autre flèche atterrit près du sabot de son étalon. La jeune femme releva les yeux et vit un archer en train de les suivre, sautant de toit en toit. Elecia prit à son tour son arc, encocha, banda et décocha à une vitesse inouïe. La flèche atterrit dans l'abdomen de l'archer qui tomba de son toit et s'écrasa sur le sol.

Elle risqua un autre regard en arrière et vit Devon au loin, les yeux rouges de rage.

–ELECIA !

Son hurlement résonna dans toute la ville et la fit frissonner. Ils réussirent malgré tout à quitter Roavin sains et saufs, mais bel et bien suivis par le plus grand des traqueurs. 

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