La vérité des dieux
Durlan savait qu'il pouvait retrouver Nylathria au point d'observation. Ressortant de la montagne, ce balcon avait une vue imprenable de la vallée et la jeune femme aimait s'y réfugier. Elle regardait la nature suivre son cours, son dragon Olvaar faire des rondes dans les cieux, emmitouflée dans son manteau de fourrure. Et comme prévu, elle y était. Il resta de longues minutes à l'observer de loin. Ses longs cheveux blancs dansaient au gré du vent, dévoilant un visage pensif. En venant lui parler, il avait peur de la déranger, mais il se risqua tout de même à aller s'asseoir auprès d'elle.
–Ils veulent absolument que je parcoure le monde pour leur trouver de fichus alliés, fit-elle. J'ai beau leur dire d'aller se faire voir ils ne me lâchent pas.
–Et qu'est-ce qu'il se passe si tu refuses ? Demanda-t-il.
–Ils ne me laisseront jamais partir d'ici.
Elle laissa échapper un long soupir et resserra un peu plus son manteau autour d'elle.
–Tu pourrais t'enfuir sur le dos d'Olvaar, proposa le jeune homme. Ils ne pourraient pas te rattraper.
–Difficile de m'enfuir si je suis enfermée à double tour dans les oubliettes. Je vais devoir aller chercher ces foutus œufs de dragon et aller dans chacune des capitales du monde pour négocier des alliances dont je n'ai strictement rien à faire. « Seul un sang royal peut unir tous les peuples » m'ont-ils dit, et il fallait que ça tombe sur moi, comme si Jungdu n'avait pas assez d'enfants pour le faire à ma place.
–Aucun des enfants de Jungdu n'est lié à un dragon ou fait partit de la famille la plus ancienne du monde et d'un peuple qui a régné durant des millénaires.
–Je n'ai jamais demandé tout ça, ma vie en tant qu'Elecia était tellement plus simple.
Il l'observa longuement, tentant de déchiffrer son expression mais il avait en face de lui un vrai mur de glace. Alors il reporta son attention sur le paysage et ses yeux se posèrent sur le majestueux Olvaar. Toute son enfance il avait rêvé de voir un dragon de ses propres yeux. Combien de fois avait-il prié les Dieux pour devenir un elfe ? Combien de fois avait-il lu les histoires des plus grands Guerriers du dragon en espérant devenir l'un d'eux ? Et combien de fois lui avait-on dit que les dragons étaient tous morts en même temps que les elfes ?
Pourtant, Nyla et Olvaar étaient bel et bien là et le dragon était exactement comme dans ses songes. Aussi puissant que magnifique, aussi agile qu'effrayant.
–Et toi ? Reprit la jeune femme. Qu'est-ce qu'ils comptent faire de toi ?
C'était à son tour de soupirer. Il y avait des mois de cela, il avait rêvé de se trouver dans cette situation, en sécurité chez l'un des puissants amis de sa mère, mais à présent il n'était plus vraiment sûr de ce qu'il voulait.
–Le roi Jungdu m'a assuré que tant qu'il était en vie j'aurais une place à Enkawa, répondit-il d'un ton las.
–Mais... ?
–Mais ce n'est pas ce que je veux, murmura-t-il. Depuis que je vous ai rencontré, Murzol, Torestrin et toi, j'ai l'impression de vivre ma vie comme j'aurais dû le faire. Ne pas savoir de quoi demain sera fait, vivre dans l'inconnu, chaque jour étant un nouveau défi, ça me plaît. Je n'ai pas envie de rester ici à me faire lorgner par tous les nobles de la Cour comme un moins que rien, alors je ne compte pas rester ici. Ou du moins, si tu désires de moi.
Au fond de lui, il espérait corps et âme qu'elle accepte.
–Je vais devoir aller à Irindor pour parler à Berengar, lança-t-elle. Ce ne serait pas trop dangereux pour toi de t'y rendre, même avec moi ?
–J'ose espérer que tu sauras me protéger de lui, plaisanta-t-il.
–Je ne suis pas ta gouvernante, rétorqua-t-elle sur le même ton joueur, tu as eu un maître d'arme à Irindor, non ? Alors tu ferais mieux de mettre en pratique ce qu'il t'a appris. Et ne me dis pas le contraire, tu as couché avec la fille du commandant des armées de l'Aube, tu avais tout intérêt à savoir te battre.
Durlan ne put retenir un rire. Elle avait ce don pour avoir le dernier mot en visant juste avec ses mots. Mais il reprit rapidement son sérieux.
–Il faudra bien que j'affronte Berengar un jour, continua-t-il, je ne pourrais pas fuir éternellement.
–Si ça peut te rassurer, sache que je ne le laisserai pas s'en prendre à toi.
Ces paroles lui allèrent droit au cœur. Pour lui, c'était une preuve qu'elle l'affectionnait, même si ce n'était qu'un peu, c'était déjà ça.
–Tu crois que je pourrais obtenir ta rançon auprès de Berengar aussi ? Plaisanta-t-elle.
–Tu n'arrêtes dont jamais de penser à l'argent ? Riait-il.
–Pour quoi faire ? Je suis une chasseuse de primes, et puis on ne devient pas riche avec des cailloux.
Le silence les enveloppa. Le regard de Durlan se posa de nouveau sur le dragon qui ne cessait de faire des aller-retours, de planer et de descendre en piqué pour remonter comme une flèche. Il n'en revenait toujours pas d'avoir l'honneur de voir l'une de ces bêtes de ses propres yeux, les Dieux avaient enfin été cléments.
–Quand est-ce que nous partons ? Demanda-t-il finalement.
–Demain.
Son cœur se serra. Dans moins d'un mois il serait de retour à Irindor. Il n'avait pas menti, il voulait réellement partir d'Enkawa mais savoir qu'il allait retourner dans la ville de laquelle il avait été chassé l'attristait. Berengar n'hésiterait pas un seul instant à le tourner en ridicule devant la Cour, il serait de nouveau vu comme un paria.
–Qu'est-ce qu'on a fait pour mériter tout ça ? Murmura Nylathria le regard dans le vide. Toi comme moi nous avons tout perdu du jour au lendemain et il semblerait que le destin ait décidé de nous faire davantage souffrir en nous mettant face à ce que nous souhaitons oublier.
–Les Dieux, que ce soit les miens, les tiens ou ceux d'autres peuples, n'ont jamais été connu pour leur pitié, répondit Durlan. Ils laissent des horribles choses se passer sans rien faire si ce n'est nous regarder.
Elle laissa échapper un petit rire.
–Les Dieux, fit-elle, une bien belle arnaque.
–Les elfes ne croient-ils pas en Mère Nature ?
–Si mais pour moi, il n'y a pas de Mère Nature ou d'autres dieux. Nous cherchons simplement à imputer nos malheurs à quelqu'un et quoi de mieux que des personnes fictives pour le faire ? Les Dieux ne sont là que pour apaiser notre solitude. Parle à une personne seule, sans toit au-dessus de la tête et avec à peine de quoi se nourrir, demande-lui ce qui la fait tenir et elle te répondra que les Dieux la regardent et sauront se montrer miséricordieux et généreux s'ils l'en trouvent digne. Mais lorsque cette illusion s'efface peu à peu, tu te rends compte qu'il n'y a personne au-dessus de ta tête qui veille sur toi. Tu es livré à toi-même et tu ne devras que compter sur la foi en ta propre personne pour vivre. Quand la mort frappe à ta porte, personne ne vient t'aider et lorsqu'elle t'emmène avec elle, personne ne t'accueillera dans un autre monde idyllique pour trouver la paix. Mais dis-moi, comment trouver la paix dans la mort si tu ne l'as même pas trouvée dans la vie. Tout cela n'est fait que pour donner aux gens une raison de se battre et de rester en vie. Va donc sur un champ de bataille et tu verras les soldats prier les Dieux et se battre pour eux. Mais eux, que leur ont-ils donné ? La guerre dans laquelle ils se battent et perdent leur vie. Les horreurs de ce monde.
Durlan n'avait jamais vu es choses de cette manière. Son éducation avait été basée sur la croyance des Dieux humains et tout au long de sa courte vie il les avait priés pour leur demander un monde meilleur. Et à bien y réfléchir, ses prières ne se sont jamais réalisées. Mais sa mère lui avait toujours dit que les Dieux étaient l'incarnation de l'espoir et que lorsqu'il se sentait seul, il pouvait leur parler car jamais ils n'allaient l'abandonner.
–Tu sais, commença-t-il, certaines personnes n'ont que les Dieux pour se réconforter. La personne qui n'a ni toit ni nourriture ne peut s'en remettre qu'à eux et si croire en eux la fait espérer d'une vie meilleure et lui permet de se relever et d'avancer, alors qu'elle y croit. Les soldats prient les Dieux pour se rassurer parce qu'ils savent que, eux, ne les abandonneront jamais, alors ils se battent pour eux. Si cela leur permet de combattre corps et âme et d'avoir cette volonté de vivre, qu'ils y croient. Et oui, peut-être qu'ils n'existent même pas et qu'on ne se raccroche qu'à des illusions, mais si on est capable de trouver son bonheur là-dedans alors je ne vois pas ce qu'il y a de mal. Les gens de foi consacrent leur vie aux Dieux auxquels ils croient et ils sont heureux ainsi. Le but de la vie ne serait-il pas de trouver le bonheur ? Nous sommes tous voués à mourir mais moi, je préfère partir vers la mort le sourire aux lèvres en me disant que j'ai été heureux.
Un fin sourire se dessina sur les lèvres de la jeune femme, presque imperceptible.
–C'est ça ce que j'aime chez toi, souffla-t-elle, tu vois toujours le bon côté des choses, tu es optimiste et c'est une belle qualité. Tu es une personne humainement magnifique Durlan de l'Aube et je suis contente que tu aies été aussi stupide le jour où on s'est rencontré. Sans ton idiotie, on ne t'aurait jamais capturé.
–Ça partait si bien, plaisanta le jeune homme, j'ai presque cru pendant quelques secondes que tu allais me complimenter sans m'insulter. C'est mal te connaître.
Il s'attendait à ce qu'elle rît ou même à voir un sourire sur son visage mais il n'en fut rien. Elle tourna simplement la tête vers lui et plongea son regard améthyste dans le sien, l'absorbant dans toute sa beauté.
–Je le pense vraiment, reprit-elle, je suis heureuse de t'avoir rencontré, même si cela ne se voit pas forcément. Et puis tu n'es pas aussi stupide que ce que je peux bien dire, tu es juste long à comprendre.
Ses paroles vinrent gonfler son cœur de joie. Il ne s'attendait pas à ce qu'elle lui dise quelque chose comme ceci, et il gardait une place toute particulière dans son cœur et dans sa mémoire à ces mots.
–Moi aussi je suis heureux que Murzol m'ait assommé ce jour-là, et que toi tu aies accepté de ne pas me ramener à Irindor. Et malgré ce que j'ai pu dire sur toi, tu es quelqu'un de bien lorsqu'on te connait. Tu as beau jouer les dures mais je sais que tu es prête à tout pour Murzol et Torestrin.
–Et pas pour toi ?
Cette fois-ci, un large sourire s'étira sur ses lèvres. En revanche, Durlan ne savait pas quoi répondre, par peur de paraître idiot.
–Je n'en sais rien à vrai dire, avoua-t-il.
Il lui jeta un coup d'œil rapide pour voir sa réaction, mais ce sourire ravageur restait plaqué sur son visage.
–T'es stupide Durlan de l'Aube.
Tout sourire, elle se releva et se tourna vers lui, lui proposant son aide pour se lever à son tour, aide qu'il accepta avec plaisir. Mais alors qu'il pensait qu'elle allait l'embrasser, elle se jouait de lui et ne fit que le frôler. Contente de le frustrer, elle s'en alla en riant.
Nylathria avait hâte de quitter Enkawa qui jusqu'à présent, ne lui avait apporté rien de bon. C'est à toute vitesse qu'elle descendit les marches jusqu'à la cour, heureuse d'avoir retrouvé ses vêtements de voyage. Elle pouvait enfin faire tous les mouvements qu'elle souhaitait sans craindre que ses vêtements ne craquent. Une fois dehors, elle prit une grande goulée d'air. Il était si bon de ne pas porter de corset qui vous empêchait de faire à peu près tout ce que vous aimiez. Elle revivait.
Dans la cour, les chevaux étaient sellés et chargés et attendaient patiemment, tenus par la bride par quelques valets. Murzol et Torestrin se disputaient un peu plus loin afin de savoir qui allait monter le cheval le plus rapide et Azlore parlait tranquillement, un peu trop tranquillement, avec Avedelis. Mais il n'y avait aucun signe de Durlan. Avait-il changé d'avis ? Sans doute était-ce le cas. Après tout, il était fait pour la vie de château, Nylathria l'avait bien remarqué lors des différents banquets organisés par le roi Jungdu. Il n'osait pas se mélanger aux nobles mais il était évident qu'il en mourrait d'envie. Il avait été élevé ainsi, sa vie d'avant devait lui manquer et elle ne pouvait pas lui en vouloir pour cela. En revanche, elle allait terriblement lui en vouloir s'il ne venait pas lui dire au revoir et elle irait le chercher de force et lui faire payer cet affront. On ne traite pas une princesse comme on traite une putain après tout.
La jeune femme s'approcha de ses deux compagnons qui n'avaient toujours pas réussi à se départager. Leur dispute l'insupportait déjà.
–C'est moi qui le prendrais ce cheval, lança-t-elle.
Les deux parurent tout d'abord surpris par sa soudaine intervention, mais ils s'en remirent rapidement.
–Au moins ça règle le problème, fit Torestrin en sortant sa pipe.
–Mouais, on se fait arnaquer quand même dans cette histoire, bougonna Murzol.
–Vous n'aviez qu'à vous départager avant, vous commenciez à m'énerver alors j'ai pris la décision moi-même. Râlez et je vous coupe la langue à tous les deux.
L'orque se mit à rire de son infâme rire gras.
–On retrouve enfin notre bonne vieille Elecia, s'exclama-t-il. Excuse-moi mais jouer les princesses ça ne te va pas du tout.
–Au moins nous sommes d'accord sur quelque chose, répondit-elle.
Des voix parvinrent jusqu'à ses oreilles et elle tourna la tête vers les marches. Durlan les descendait accompagné de Jungdu, et tous deux étaient suivis de la reine, le prince, les princesses et des conseillers du roi. Les deux hommes s'immobilisèrent sur la dernière marche et échangèrent quelques mots. C'est alors qu'ils se tournèrent tous les deux vers elle.
–Vôtre Altesse, l'appela Jungdu, j'ai quelque chose pour vous.
Elle s'avança, sur la réserve, mais lorsqu'elle arriva à la hauteur des deux hommes, le souverain lui tendit une bourse pleine.
–Même si Durlan repart avec vous, votre travail de chasseur de prime a été brillamment exécuté, commença-t-il, ceci est la récompense que vous m'aviez demandée, quinze mille pièces d'or.
Elle s'empara de la bourse et la soupesa. Elle était assez lourde pour contenir autant d'or.
–Je vous remercie Vôtre Majesté, dit-elle, pour ça et pour nous avoir accueilli sous votre toit.
–C'est à moi de vous remercier, vous nous êtes d'une grande aide et vous avez redonné espoir à nos soldats, vous et Olvaar. Vous êtes une bénédiction des Dieux.
Elle lança un rapide coup d'œil vers Durlan qui souriait. Ce qu'il pouvait avoir l'air idiot parfois !
–Une bénédiction apporte moins de problèmes, répliqua-t-elle, je ne crois pas être digne d'être appelée ainsi.
–Au contraire ! S'exclama une voix provenant du haut des marches. Mère Nature nous a fait un immense cadeau en vous mettant sur notre chemin.
Le sage Lamruil avançait vers eux, se tenant au bras d'un valet pour ne pas tomber dans les marches. La vieillesse ne réussissait personne, surtout pour quelqu'un qui approche doucement des mille ans. Le vieillard s'arrêta devant elle et lui sourit tendrement, comme il le faisait lorsqu'enfant, elle répondait mal à une question qu'il lui posait, ou lorsqu'elle se trompait dans quelque chose, c'est-à-dire dans à peu près tout sauf le combat.
–Vos parents auraient été fiers de vous, Nylathria, fit-il doucement.
–Non, mes parents auraient été fiers de celle que je devrais être, celle que vous voulez que je sois.
Le sourire du vieil homme s'élargit, creusant un peu plus son visage de rides.
–Savez-vous pourquoi votre père a toujours refusé de vous promettre à un seigneur ? Demanda-t-il. Ce n'était pourtant pas les prétendants qui manquaient.
La réponse à cette question, elle ne l'avait pas. Elle s'était toujours réjouie de ne pas avoir à se marier aussi tôt, mais ne s'était jamais demandé pourquoi son père refusait tous les seigneurs qui faisaient leur demande.
–Parce qu'il savait que vous étiez vouée à de grandes choses et ne voulait pas vous embarrasser d'un mari qui n'aurait voulu que prendre le dessus sur vous et s'emparer d'Olvaar, c'est tout du moins ce qu'il disait. Il savait pertinemment que vous ne pouviez pas rester assise sur un trône à faire bonne figure, votre destin était de parcourir le monde, l'épée à la main, et il en était fier. Fier de clamer que sa fille pouvait battre tous les seigneurs qui venaient demander votre main avec n'importe qu'elle arme, fier de dire que vous n'aviez pas peur de dire ce que vous pensiez sans craindre qui que ce soit, fier de la jeune fille que vous étiez.
Son cœur se serra. Parler de ses parents lui était encore difficile, même après toutes ces années. Sa blessure ne s'était jamais refermée.
–Et pourtant, c'était le vilain petit canard de la famille !
Nylathria leva les yeux au ciel. Castien avait le don d'arriver au bon moment avec les bons mots.
–Bonjour à toi aussi Castien, lança-t-elle sans camoufler sa colère.
L'empereur arrivait avec toute sa Cour, même l'impératrice avait fait le déplacement.
–Ton départ me brise le cœur chère cousine, continua-t-il.
–Ne plus te voir allège le mien, rétorqua-t-elle.
Il souriait pour faire bonne figure devant la Cour mais elle voyait bien qu'il bouillonnait au fond de lui. Mais elle ne s'en soucia pas et se tourna vers l'impératrice.
–Par contre je regrette de ne pas avoir passé plus de temps avec vous Gaelira, reprit-elle, vous êtes de bien meilleure compagnie.
–Je partage vos regrets. La prochaine fois que nous nous voyons nous aurons certainement davantage de temps, et mon état de santé me permettra de faire beaucoup plus d'activités.
L'impératrice la prit chaleureusement dans ses bras, et la princesse ne sut comment réagir. Elle détestait le contact avec les gens, plus encore lorsqu'elle ne connaissait pas la personne en question. Mais elle ne dit rien et tenta de rendre son étreinte avec le plus de chaleur possible.
–J'espère que ce sera un garçon, fit la princesse en baissant les yeux vers le ventre bien arrondi de l'impératrice.
En réalité, elle n'avait pas cherché à être gentille, elle savait parfaitement que si l'enfant était une fille, Castien n'allait pas du tout être heureux de cet évènement. Alors pour la sécurité de Gaelira, il valait mieux que ce soit un garçon.
–Nous prions tous chaque jour la Mère pour que ce soit le cas, répondit la future mère.
–J'ai bien peur qu'Elle ne puisse faire grand-chose. Seul le hasard décide de ce genre de choses, et espérons qu'il soit de votre côté.
Avant que la souveraine ne puisse répondre, Dame Ysildea s'avança et coupa court à leur discussion, baisant rapidement les deux joues de sa nièce.
–Fais bon voyage, lui dit-elle, et prends garde lorsque tu seras à Gaaldorei, personne ne sait ce qu'il y rôde depuis le Fléau.
Simplement des fantômes. Elle ne dit rien de tel et se contenta de sourire et d'acquiescer. La seule chose qu'elle voulait, c'était partir de cet endroit de malheur au plus vite et ne plus jamais revenir. Jetant un regard vers Durlan, elle lui fit comprendre qu'elle voulait partir et il comprit immédiatement.
–Nous vous remercions pour tout, lança-t-il.
Le roi Jungdu lui répondit par un signe de tête et les deux jeunes gens tournèrent les talons et se mirent en selle. Pour son plus grand désespoir, Castien avait assigné des soldats de sa garde pour les accompagner. Elle avait déjà accepté la mage Avedelis, mais les gardes étaient de trop. Elle ne put malheureusement rien dire, ils allaient lui éviter de retourner à Enkawa.
Sans un regard en arrière, elle ordonna à sa monture d'avancer et c'est à la tête du petit cortège qu'elle passa le portail du palais. Dans la rue principale, le peuple s'était rassemblé pour les acclamer et les voir partir. Nylathria se retint de grommeler et de lever les yeux au ciel. Elle trouvait tout ceci ridicule mais si cela leur faisait plaisir de hurler son nom à en perdre la voix, qu'ils le fassent. Mais pas de trop, sa patience avait des limites. Pour son plus grand plaisir, tout le monde se tût lorsqu'Olvaar passa au-dessus de leur tête, poussant un grand cri strident. La princesse se mit à sourire devant les visages effrayés des paysans et fit avancer son cheval au galop.
Ils chevauchaient déjà depuis plusieurs heures et les montagnes paraissaient interminables. Nylathria en avait assez de ce froid qui vous prenait aux tripes, de cette neige si épaisse qu'elle vous ralentissait et de ces tempêtes qui vous empêchaient de voir à plus de quelques mètres seulement. Son regard restait rivé sur les deux gardes devant elle. Quatre les accompagnaient en tout, et tous portaient une armure en métal blanchi, bien loin des belles armures en or blanc des chevaliers elfes avant le Fléau. Ces quatre-là faisaient pâle figure et si son père était encore en vie, il se moquerait sans doute d'eux. La voilà la grandeur des elfes !
–Vôtre Altesse !
Nylathria ne réagit pas tout de suite, avant de comprendre que c'était elle que l'on appelait. Lorsqu'elle se retourna, elle vit Azlore arriver à sa hauteur, fièrement monté sur son cheval.
–Azlore, par tous les Dieux appelle-moi par mon prénom, fit-elle d'un ton exaspéré.
–Oui pardon, mais tout à l'heure, Murzol et moi on s'est fait réprimandés par l'un des gardes parce qu'on vous a appelé par votre prénom. Enfin non, Murzol vous a appelé Elecia et on s'est mis à débattre sur comment on devait vous appeler. Lui il maintenait qu'il fallait vous appeler Elecia et moi Nylathria, surtout que Durlan vous appelle Nyla maintenant. C'est alors que le garde est arrivé et nous a dit « Son Altesse impériale la princesse Nylathria Balsandoral, voilà quel est son nom et comment vous devriez l'appeler. Que je ne vous reprenne pas à appeler Son Altesse aussi vulgairement ». Bien évidemment, Murzol s'est emporté et l'a menacé de tous les noms. Moi j'ai fui juste avant qu'il m'intègre dans la dispute, ou du moins c'est ce que Torestrin m'a dit de faire, alors je suis venu vous voir.
Le Garçon avait parfaitement bien imité la voix du soldat, ce qui fit sourire la princesse. En revanche, il avait trop parlé, comme toujours.
–Tu es épuisant Azlore, lança-t-elle, un vrai moulin à parole. Avedelis a du courage de devoir te supporter jusqu'à ce que tu prononces tes vœux.
–Je vous jure que j'essaie de travailler tout ça !
–Qu'est-ce que tu voulais ? Demanda la jeune femme.
–Aller le plus loin possible de la dispute entre Murzol et le garde. Et puis je me disais, c'est quand même fou le destin. Moi qui croyais qu'après Enkawa nous n'allions plus jamais vous revoir, voilà que nous faisons encore du chemin ensemble ! En tout cas, je suis content de ne pas vous avoir quitté pour de bon, je dois bien avouer que je vous aime bien tous les quatre, et puis j'ai une dette envers vous, vous m'avez sauvé après tout. Et je peux vous demander quelque chose ?
–Seulement si tu me tutoies, répondit Nylathria. Le vouvoiement me donne cinq cent ans de plus.
–D'accord. Alors voilà, je me demandais si vous... tu accepterais de m'enseigner la magie elfique. Maître Avedelis m'a dit qu'aucun des druides encore en vie ne savait la pratiquer, si je suis le premier je pourrais rentrer dans l'histoire ! Et je dois bien avouer que je ce que vous avez fait le jour où nous nous sommes rencontrés, et aussi au Fleur de Macadam, m'a impressionné. J'aimerai savoir faire la même chose
–Je t'ai surtout dit que seuls les elfes pouvaient pratiquer cette magie, intervint Avedelis qui était arrivée à leur hauteur. Parfois je me demande si tu m'écoutes vraiment Azlore.
La druidesse était très jeune, la plus jeune de son Ordre sans doute, et la seule femme. Nylathria essayait de se souvenir des cours que lui avait donné Lamruil mais de ce qu'elle trouvât dans sa mémoire, rien ne lui disait qu'une autre femme avait intégré l'Ordre des druides avant elle. Cette jeune femme, à la beauté ensorcelante, portait toujours ses cheveux roux attachés et cette tunique de mage, décoré du sautoir de l'Ordre, un soleil et une lune entremêlés et soutenus par des feuillages.
–Pardon maître, s'excusa le garçon, il arrive que je sois déconcentré.
–Un peu trop souvent, lança la druidesse avec un léger sourire sur le coin des lèvres.
–Azlore ! Gronda Murzol dans leur dos. Viens dire à ce merdeux aux oreilles pointues qu'on va lui régler son compte s'il n'arrête pas son cirque maintenant.
L'apprenti druide lança un regard désespéré vers les deux femmes avant de faire faire demi-tour à sa monture, laissant la mage et la princesse seule.
–J'ai hâte d'entrer dans l'empire elfique, commença Avedelis, et de voir à quoi ressemble Gaaldorei. Mais ce dont j'ai le plus hâte, c'est de voir l'O'retaesi de mes propres yeux et sentir toute sa magie.
–Vous ne deviez pas allez à Irindor ? Demanda Nylathria.
–La lettre du roi Berengar précisait que lady Brenna s'était réveillée comme si de rien n'était, c'est plutôt bon signe, alors je peux me permettre de faire un petit détour. Entrer à Gaaldorei, cela n'arrive que peu de fois dans une vie, surtout de nos jours. J'ai toujours été fascinée par votre magie.
–Elle est semblable à la vôtre.
–Pas tout à fait, vous puisez votre énergie de la nature elle-même et des quatre éléments, comme si Mère Nature était sans cesse derrière vous.
–Les quatre gardes qui nous accompagnent vous diront que c'est le cas.
–Pas vous ?
–Je ne crois en rien, seulement en moi-même.
–C'est une bonne façon d'aborder les choses.
Enfin quelqu'un qui ne lui faisait pas la morale et qui, à défaut de ne pas partager son point de vu, n'essayait pas de lui imposer le sien. Cette druidesse était plus sage que ce que Nylathria l'aurait pensé.
–Me permettrez-vous d'étudier un peu Olvaar ? Lui demanda Avedelis. Sans lui faire de mal bien entendu. C'est simplement que nous avons tellement entendu parler des dragons en étant certains qu'ils n'existaient plus, à présent que j'en ai un à ma portée j'aimerais bien renforcer les écrits de l'Ordre. Nous sommes après tout le lien entre hier, aujourd'hui et demain.
–Si Olvaar le souhaite, vous pourrez l'étudier. Mais faîtes attention, la patience n'est pas tellement son fort.
–On dit que le dragon et son dragonnier sont une seule et même personne, cela ne m'étonne donc pas.
Nylathria ne savait pas si elle devait rire ou se sentir vexée, mais la remarque lui passa au-dessus.
Ils réussirent à trouver une grotte, qui n'était pas déjà habitée, pour y passer la nuit. Alors que le petit groupe s'était réuni autour du feu de camp, Nylathria se leva et se dirigea à l'entrée de la grotte, où était allongé Olvaar. Le dragon scrutait l'extérieur sans quitter l'horizon des yeux malgré la tempête de neige.
–Quelque chose d'intéressant ? Demanda son dragonnier.
–Tout est calme, trop calme peut-être.
La jeune femme s'assit contre lui, bénéficiant de sa chaleur. Entre eux, tout était redevenu comme avant, comme si rien ne s'était passé. Elle ressentait le lien qui les unissait jusqu'au fond de ses tripes.
–Personne ne sort lorsqu'une tempête aussi violente fait rage, pas même les sauvages.
–Peut-être les jeunes femmes dont les cheveux deviennent subitement blancs.
Nylathria et Olvaar se tournèrent en même temps vers Durlan qui lançait un regard malicieux vers la princesse, qui se retenait de sourire. Le dragon ne comprenait rien mais elle, elle avait parfaitement bien compris de quoi le jeune homme parlait.
–Je peux ?
D'un signe de tête, la jeune femme l'autorisa à s'asseoir avec eux, mais Durlan resta à une certaine distance, par sécurité, ce qui la fit rire.
–Tu peux t'approcher, se moqua-t-elle, Olvaar ne va pas te manger.
–J'ai déjà pris mon repas.
Durlan risqua un regard vers la bête qui s'amusait de sa crainte en approchant sa tête de lui et en soufflant.
–Il va me rôtir là ? Murmura le jeune homme, les yeux rivés vers le dragon.
–Seulement si je le lui ordonne, répondit malicieusement Nylathria.
Les yeux écarquillés du bâtard se posèrent immédiatement sur elle.
–Tu ne ferais pas ça tout de même ? S'inquiéta-t-il.
–Aurais-je une raison de le faire ?
Elle aimait le faire mariner ainsi et jouer de sa peur. En fait, elle aimait savoir qu'elle avait l'avantage.
–Non mais des fois ça ne tourne pas rond dans ta tête alors...
Elle s'empara d'un petit caillou et le lui balança.
–Aïe ! Mais écoute, combien de fois tu m'as menacé depuis qu'on se connait ? Je ne les compte même plus !
–T'es stupide Durlan de l'Aube, lança-t-elle en esquissant un sourire.
–Je sais.
Finalement, il s'approcha et déposa un doux baiser sur ses lèvres, ce qui fit grogner Olvaar.
–Là il va me rôtir, lança le jeune homme en s'écartant et en levant les yeux vers le dragon.
–Il cherche juste à te faire peur, où est passé ton courage ?
–Je ne suis pas assez stupide pour être suicidaire.
La princesse porta son attention vers l'extérieur en souriant. Alors qu'Olvaar posait sa tête par terre, elle senti le regard de Durlan se poser sur elle. Elle sentait qu'il hésitait à faire quelque chose. Alors elle prit les devant et s'approcha de lui et posa sa tête sur son épaule, tous les deux installés contre le dragon. Elle pensait au voyage qu'ils venaient seulement d'entreprendre et qui, apparemment, consistait à ressortir tous ces fantômes du placard, pour Nylathria et Durlan tout du moins. Maudite soit Mère Nature, maudits soient tous les dieux, et maudit soit ce foutu destin.
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