La bonne magie
Nylathria était affalée sur l'immense lit, épuisée de leur voyage et de ses confrontations avec Berengar et Devon. Encore devait-elle survivre au banquet qui allait être donné en son honneur. Elle sentit un poids mort s'écraser sur le matelas à côté d'elle. Visiblement, Durlan était dans le même état qu'elle.
–Je crois que je vais rester sur ce lit pendant les trois prochaines journées, fit-il, voire même jusqu'à notre départ.
–Il est hors de question que tu me laisse toute seule à cette fichue soirée, rétorqua-t-elle, je t'y amènerais d'un grand coup de pied s'il le faut mais je ne subirais pas cela seule.
Le jeune homme se mit à rire et elle sentit sa joie à travers l'Étoile de la Nuit.
–Cette soirée promet d'être un fiasco, soupira Durlan.
–Au moins, nous serons deux à subir les regards des nobles, tenta-t-elle de le rassurer.
–Tu parles, lâcha-t-il, toi ils te verront comme la princesse revenue d'entre les morts. Moi je ne suis que le bâtard qui se cache derrière les jupes d'une femme.
Rien qu'au ton de sa voix, elle pouvait ressentir sa honte et sa tristesse.
–Tu es ici chez toi Durlan, commença-t-elle en se tournant vers lui, le peuple te l'a fait comprendre tout à l'heure. Et puis je suis sûre que certains nobles de la Cour t'apprécie, ou du moins ils détestent Berengar bien plus qu'ils ne te détestent toi. Moi je ne suis que l'inconnue sortie de nulle part qui a insulté leur roi.
–Tu les a vu ? Demanda-t-il en se redressant.
–Bien sûr que je les ai vus, ils t'acclamaient comme ils l'auraient fait avec un prince parce que, pour eux, tu en es toujours un. Peu importe ce que Berengar peut dire ou faire, ils t'aiment, ils te l'ont prouvé aujourd'hui.
Elle se rallongea nonchalamment et se mit à fixer le plafond.
–Et j'ai ressenti la joie que cela t'a procuré, souffla-t-elle le regard dans le vide, tu aimes cette vie-là, elle est faite pour toi.
–La seule vie qui est faite pour moi est à tes cotés.
Elle reporta son attention sur lui et se perdit dans ses yeux. Son cœur se gonfla et un léger sourire vint se dessiner sur ses lèvres. Mais avant qu'elle n'ajoute quoi que ce soit, trois coups résonnèrent dans la pièce. Dans un long râle, Nylathria se s'effondra une nouvelle fois sur le matelas, faisant rire Durlan. Des femmes de chambre et des valets entrèrent alors, les bras chargés de vêtement. Du coin de l'œil, la jeune femme voyait déjà l'ombre d'un corset et se prépara d'avance aux longues heures de souffrance qui l'attendaient.
–Veuillez nous excuser Vôtre Altesse, monsieur, fit la femme de chambre rondouillette, mais Sa Majesté nous envoie vous aider à vous préparer au banquet. Il vous fait également cadeau de robes Vôtre Altesse.
–Monsieur, continua un valet, Sa Majesté vous fait parvenir les vêtements qui vous appartenaient lorsque vous viviez au château.
–Remerciez Sa Majesté de notre part, répondit poliment Durlan en se levant.
Elle regarda le jeune homme se diriger vers les malles de vêtements qui visiblement étaient à lui et s'emparer de différents pourpoints.
–Vôtre Altesse ? L'interpella la femme rondouillette. Nous sommes en train de vous préparer un bain.
Elle se tourna ensuite vers Durlan.
–Monsieur, continua-t-elle, une chambre vous a été préparée afin que vous puissiez prendre vous aussi un bain et vous changer.
–Inutile, intervint Nylathria en regardant se levant, vu la taille de la baignoire nous pouvons parfaitement rentrer à deux dedans.
Les femmes de chambres qui préparaient le bain s'arrêtèrent immédiatement pour la regarder étrangement. Les valets aussi l'observaient comme si elle venait de dire la pire des infâmies.
–Mais madame, vous...
–Quoi ? Lança la princesse en croisant les bras sur sa poitrine. Vous avez peur pour ma vertu ? Ne vous inquiétez donc pas pour cela, je m'en charge. Je pense que nous pouvons nous débrouiller seul pour le bain, je vous ferais appeler pour le reste.
–Bien Vôtre Altesse.
La femme de chambre tapa dans ses mains et les autres grouillèrent vers la sortie, suivies des valets. Une fois seuls, Nylathria soupira et se dirigea vers la baignoire remplie d'eau bouillante et parfumée à la rose. Le tout lui faisait terriblement envie.
–Je crois que ton comportement va leur donner de quoi parler durant au moins deux semaines, plaisanta Durlan derrière le paravent.
–Qu'ils parlent, répondit la jeune femme en se déshabillant, tant que je ne les entends pas ils sont en sécurité.
Elle posa ses vêtements crasseux sur un siège et se glissa dans l'eau. En s'asseyant, elle poussa un soupire d'aise. Elle avait l'impression que tous ses problèmes étaient en train de s'envoler. Elle appuya sa tête contre la baignoire et ferma les yeux pour profiter de ce moment. Elle entendit Durlan s'approcher et ôter ses vêtements avant de la rejoindre.
–Prête à remettre un corset ? Lança-t-il d'un ton joueur.
Nylathria grimaça.
–Comment oses-tu gâcher ce moment ? Répliqua-t-elle en rouvrant les yeux. Laisse-moi donc profiter de ce moment de liberté.
Il l'observa un instant avant de s'emparer d'un savon.
–Allez viens, fit-il, tourne-toi.
Elle le regarda sans grande conviction avant d'obéir bien sagement. Elle n'avait même pas eu envie de l'envoyer paître. Alors qu'il entreprenait de lui frotter le dos, elle se mit à jouer machinalement avec l'Étoile de la Nuit, le regard dans le vide.
–Tu sais, commença-t-elle, je pensais ce que je disais tout à l'heure. Cette vie-là, c'est la tienne. J'ai vu à quel point cela t'a fait plaisir de retrouver tes anciennes affaires, de retrouver le prince que tu étais. Ta place n'est pas dehors à risquer ta vie et à en prendre d'autres.
Elle l'entendit soupirer puis il s'approcha d'elle. Elle sentait son souffle sur son épaule alors que, du bout de ses doigts, il s'était mis à suivre le tracé des marques sur ses bras.
–Tu l'as dit toi-même, répondit-il doucement, cette vie-là appartenait à celui que j'étais. Je n'en veux plus. Du moment que je suis avec toi j'ai tout ce qu'il me faut, si tu veux de moi bien sûr.
Elle se mit à rire et il déposa un rapide baiser sur son épaule.
–À ton avis idiot, répliqua-t-elle, pourquoi est-ce que je t'ai donné l'Étoile du Jour ? Pas pour faire joli.
–Peut-être que tu as pensé que cela m'irait bien au teint.
–Tu es vraiment stupide, Durlan de l'Aube.
–Je sais.
Elle s'appuya sur le bord de la baignoire et posa son menton sur ses mains pendant que Durlan continuait à lui frotter doucement le dos.
–Je peux te poser une question ? Demanda-t-il.
–Mmmh ?
–Est-ce que les marque que vous avez sur les bras ont une signification ? J'ai remarqué qu'aucun de vous n'avait les mêmes.
La jeune femme jeta un coup d'œil à ses bras avant de reporter son attention sur le mur.
–Non, elles ne veulent rien dire, nous naissons tous avec comme vous les humains vous naissez avec des grains de beauté ou des tâches de naissance. Les plus fanatiques d'entre nous te diront qu'il s'agit de dessins faits par Mère Nature elle-même pour qu'elle puisse différencier ses enfants.
–Et les runes ? J'ai vu que Nieven n'en avait pas mais Castien oui.
Elle fit courir ses doigts sur quelques-unes de ses runes.
–Seulement les membres de la famille impériale en ont, et ceux qui sont soi-disant destinés à devenir des héros. Lors du baptême d'un enfant au sang impérial, le sage, à l'aide de la magie, entrevoit son avenir et ce pour quoi il est destiné. Il grave alors dans notre peau ce destin avec ces runes dont nous ne connaissons pas la signification, du moins, jusqu'à ce qu'on vive ce pour quoi nous sommes nés. Pour les autres, le sage est appelé pour baptiser l'enfant et demande à la Mère s'il est destiné à de grandes choses. S'il ne voit rien alors l'enfant ne portera pas de runes.
–Ce qui veut dire que Lamruil a vu toute ta vie, il savait ce qui allait se passer, interpréta Durlan. S'il voit vos vies alors il sait comment cette guerre contre les elfes noirs va se terminer. Et il savait pour le Fléau.
Nylathria soupira tristement.
–Lorsqu'un homme devient un sage il prête un serment, scellé par une rune gravée sur son front. Ce serment l'oblige à ne jamais révéler ce qu'il a vu, ce serait défier les lois de la nature. Si Mère Nature souhaite que les choses se passent ainsi alors elles doivent se passer. Le sage ne peut que nous guider vers notre destin. Mais le sage ne voit pas toute notre vie défiler devant ses yeux, seulement un évènement qui nous rendrait héroïque ou qui provoquerait notre chute, quelque chose d'assez gros pour que nous puissions n'être connu que pour cela. Lamruil ne savait peut-être pas pour le Fléau, mais si cela avait été le cas il n'aurait rien pu dire.
–Mais Castien aurait dû savoir que tu étais en vie puisque ton destin ne s'était pas encore réalisé.
–Certains meurent sans avoir réalisé la chose héroïque. Parfois, Mère Nature modifie le cours des choses. Mes frères sont morts avant d'avoir pu réaliser leur destin, mon père aussi. Peut-être que leur destin était de défendre leur peuple et mourir durant le Fléau, personne ne le saura jamais.
–Et comment est-ce que tu sauras que tu as fais ce pour quoi tu es née.
–Lorsque j'ai posé la question à mon grand-père il m'avait répondu une chose. Tu le sauras.
Elle se revit alors sur les genoux de son grand-père à regarder ses cicatrices de guerre et ses runes violettes, signe que son destin s'était réalisé.
–Votre culture est si riche, souffla Durlan, je pourrais passer des heures à t'écouter parler.
Elle se retourna pour lui faire face, faisant déborder un peu d'eau, et lui sourit.
–Nous existons depuis le Premier Âge, fit-elle, nous avons simplement eu plus de temps que vous pour inventer toutes ces conneries.
Durlan se mit à rire puis replaça une mèche de ses cheveux derrière son oreille. Nylathria posa alors ses lèvres sur les siennes et se rapprocha un peu plus de lui, collant son corps nu contre le sien. Mais ils furent rapidement interrompus par des coups à la porte. La jeune femme râla de nouveau sans s'écarter de Durlan.
–Vôtre Altesse ? Monsieur ? Sa Majesté nous envoie en urgence. Il vous fait dire de vous presser, le banquet a été avancé.
La princesse leva les yeux au ciel.
–Je te parie combien qu'il l'a fait exprès ? Murmura-t-elle.
–Nous ferions mieux de sortir de là-dedans. S'ils nous voient tous les deux nus dans ce bain ils vont nous claquer entre les doigts.
–J'ai deux siècles de plus que vous, rétorqua-t-elle, ils ne pensent tout de même pas que je me suis tournée les pouces pendant tout ce temps.
Durlan se leva et s'empara d'un linge pour se sécher avant d'en lancer un autre vers Nylathria, qui l'attrapa au vol.
–Généralement, les femmes restent vierges jusqu'à leur mariage, lui fit remarquer le jeune homme.
–C'est ce qu'on dit, répliqua la princesse en essuyant l'eau, mais c'est vrai pour très peu de femmes. Et pour celles pour qui c'est le cas, elles ne savent pas ce qu'elles ratent.
Ils enfilèrent tous les deux une chemise puis Durlan se dirigea vers la porte pour ouvrir aux femmes de chambres et aux valets. Trois femmes se précipitèrent vers la princesse, s'armant de tout un tas de vêtements. On lui fit mettre des chaussettes hautes maintenues par un ruban attaché en-dessous du genou, puis vint l'épreuve du corset durant laquelle elle se tint au dossier d'une chaise alors que la femme de chambre le resserrait de plus en plus. Puis on laça un vertugadin autour de ses hanches avant de lui faire enfiler deux jupons différents. On l'aida ensuite à mettre une robe à manches longues et au col carré couleur émeraude spécialement choisie par le roi lui-même.
–Qu'est-ce que c'est que cela ? Demanda Nylathria en voyant une des servantes s'approcher avec quelque chose qu'elle n'avait jamais vu auparavant.
–Il s'agit d'une coiffe en gable madame.
–C'est ce que les femmes de la Cour portaient sur la tête lorsque nous sommes arrivés, ajouta Durlan.
–Il est hors de question que je cache mes cheveux avec cette chose, lança la princesse, vous les attachez si vous le voulez mais vous ne me mettrez pas cela sur la tête.
D'une légère courbette, la femme de chambre reposa la coiffe alors que les autres s'afféraient à relever la partie haute de ses cheveux, qu'elles décorèrent d'un diadème. Puis on releva son cou et ses oreilles avec des bijoux d'or et de saphirs et on l'aida à enfiler des chaussures à talons en cuir. En se voyant dans le miroir, elle avait l'impression d'être une toute autre femme, et elle détestait ce reflet. Les femmes de chambre se retirèrent rapidement, en même temps que les valets, en leur rappelant qu'ils étaient attendus.
–Alors, heureuse ?
Durlan s'était planté derrière elle, dans son pourpoint blanc et doré, et la regardait d'un œil joueur. Nylathria se contenta de lui adresser un regard noir.
–Je ne ressortirais pas vivante de cette soirée, lança-t-elle avant de se diriger vers le couloir. Berengar veut définitivement se débarrasser de nous.
Les couloirs du château étaient vides, mis à par un ou deux domestiques ils ne croisèrent personne. De la musique leur parvenait de ce que Nylathria déduisait comme étant la salle du trône. Durlan lui tendit son bras et elle le saisit, relevant le menton et optant pour une attitude fière. Elle ressortit l'Étoile de la Nuit qui s'était glissé dans son décolleté, ce qui ne manqua pas d'attirer l'œil du jeune homme.
En les voyant arriver, un portier donna un coup avec son bâton sur le sol pour qu'on leur ouvre la porte, et un héraut les annonça.
–Son Altesse impériale la princesse Nylathria Balsandoral et monsieur Durlan de l'Aube.
Les invités se tournèrent vers le couple, les dévisageant, ne manquant pas de les reluquer pour trouver le moindre petit défaut. Ils avancèrent dans l'allée qu'on leur avait fait, dans le silence. Nylathria remarqua Murzol et Torestrin qui, dans un coin de la salle, avaient fait une réserve de nourriture. Elle sentait Durlan se tendre alors elle resserra sa prise sur son bras pour lui apporter un semblant de réconfort. En arrivant devant le trône sur lequel Berengar les avait regardé arriver, les deux jeunes gens lui accordèrent une révérence. L'Étoile du Jour ressortit du pourpoint de Durlan, ce que le roi ne manqua pas mais ne le releva pas pour autant.
–Vôtre Altesse, commença-t-il en se levant et en descendant les marches, nous sommes tous honorés de recevoir une personne telle que vous, moi bien plus que tous. J'espère que l'Aube saura vous convaincre de rester un peu plus longtemps.
Nylathria se retint de lui lancer une réplique acerbe. Au lieu de cela, elle se contenta de sourire.
–L'honneur est mien, Majesté, répondit-elle, je ne saurais comment vous remercier.
–Profitez simplement de cette soirée dont vous êtes l'invitée d'honneur. Reprenez la musique !
La fête reprit donc son cours. Berengar se planta en face d'elle et lui prit la main pour y déposer un rapide baiser.
–Vous êtes tout simplement sublime ce soir, fit-il le sourire aux lèvres, cette couleur vous sied à merveille.
–Vraiment ? Le vert est pourtant la couleur des Terres de l'Aube, pas de l'empire, rétorqua-t-elle. Je me suis trouvée confuse en ne voyant aucune robe blanche ou violette. Mon impérial cousin ne serait pas des plus heureux de me voir porter une autre couleur que celles de l'empire.
–Un peu de changement ne fait de mal à personne. Par ailleurs, je n'ai pas pu m'empêcher de remarquer vos colliers à tous les deux. SI tu crois qu'un bijou saura te protéger de moi Durlan. L'espoir fait vivre dira-t-on, et puis, le vert n'est-il pas la couleur de l'espoir ? Je vous souhaite une agréable soirée.
Alors qu'il tournait les talons pour rejoindre un groupe de nobles, Nylathria, poings serrés, fit un pas vers lui pour le rattraper mais Durlan l'empêcha d'aller plus loin.
–Laisse, murmura-t-il en l'approchant de lui, il n'en vaut pas la peine.
La jeune femme serra la mâchoire et tenta de se calmer. À chaque fois que Berengar parlait il avait ce don pour humilier Durlan et cela l'insupportait.
–Durlan !
Une jeune femme se précipita dans leur direction et prit Durlan dans ses bras. Nylathria reconnu immédiatement lady Grayce.
–Je suis heureuse de voir que tu vas bien, fit-elle en s'éloignant et en lissant les pans de sa robe, j'ai eu tellement peur qu'il t'arrive quelque chose et que les hommes de Berengar te trouvent. J'ai prié jour et nuits pour que cela n'arrive pas. Quand j'ai entendu que tu étais tombé sur des chasseurs de primes qui te protégeaient j'ai su que mes prières n'avaient pas été vaines. Si Berengar t'avait exécuté je ne lui aurais jamais pardonné, je n'ai toujours pas digéré la mort de Pesara.
–Je suis désolé que tu aies dû endurer sa mort Grayce, répondit Durlan, je sais que tu l'appréciais beaucoup.
–Pas autant que toi, je n'ai pas cessé de penser à toi et à t'imaginer dans les pires circonstances. Et quand Berengar a payé Devon le Sanglant pour te retrouver j'ai cru que c'était la fin. Mère a même pensé à payer des mercenaires des Terres d'Ambre pour tenter de te mettre en sécurité et t'amener à Lakar.
–C'est gentil à vous deux, je vous remercie.
Grayce lui accorda un sourire timide mais plein de tendresse, avant de porter son attention sur Nylathria.
–Pardonnez-moi Vôtre Altesse, lança-t-elle en effectuant une révérence, je ne vous ai même pas prêté attention. J'espère que vous saurez me pardonner mon impolitesse.
La princesse se retint de rire.
–Ne vous inquiétez pas, je ne vous en veux pas le moins du monde pour votre impolitesse, je suis horriblement mal placée pour le faire.
Elle releva ses grands yeux et sourit légèrement.
–Je ne devrais peut-être pas vous le dire, commença-t-elle timidement, mais merci d'avoir remis Berengar à sa place tout à l'heure, il y a bien longtemps que cela aurait dû être fait. Ma mère a même dit à mon père que vous étiez la meilleure personne qu'elle ait rencontrée jusqu'ici.
Nylathria jeta un rapide coup d'œil vers Durlan qui levait l'un de ses sourcils.
–Je n'ai fait que dire ce que je pensais, dit-elle.
–J'aimerais avoir le courage de le faire moi aussi.
–Nyla te donnera quelques cours si tu le souhaite, plaisanta Durlan.
–Oh non ! Je ne voudrais pas vous déranger pour si peu, je... veuillez m'excuser, ma mère me fait signe de venir la voir. Elle va certainement me présenter à un énième futur prétendant. Bonne soirée.
Elle s'éclipsa aussi rapidement qu'elle était venue, toute en légèrement et discrétion.
–Grayce a un peu de mal avec les gens, lui fit Durlan, et est très à cheval avec l'étiquette. Elle pense qu'en la suivant à la lettre, elle serait plus discrète.
–C'est stupide, lança la princesse, elle a du sang royal, tout le monde la remarque et va essayer de lui parler pour se rapprocher du roi.
–Sa naïveté fait son charme.
Un valet passa devant eux et leur tendit un plateau rempli de coupes de vin rouge. Nylathria en prit un avec grand plaisir. Si elle pouvait noyer la douleur provoquée par son corset trop serré avec de l'alcool, elle le ferait volontiers. Elle croisa le regard d'un petit groupe de nobles qui ne cessaient de les regarder en hésitant, ne sachant pas s'ils pouvaient approcher. Elle devina immédiatement qu'ils voulaient parler à Durlan mais avaient peur de la confronter.
–Va voir ces gens là-bas, lui glissa-t-elle, je crois qu'ils veulent te parler.
–Tu ne veux pas venir ? Lui demanda-t-il.
–Je crois que c'est à cause de moi qu'ils n'osent pas t'approcher. Vas-y, renoue avec tes anciennes connaissances, je vais passer mon temps avec Torestrin et Murzol qui doivent certainement se disputer dans un coin de la salle.
Il lui sourit avec une sincérité qui fit gonfler son cœur avant de se diriger vers le groupe. À présent seule, Nylathria ne savait pas vraiment où aller. Elle se fraya un chemin à travers la foule à la recherche de visages familier. Les gens ne cessaient de la regarder et de parler à voix basse lorsqu'elle passait. Elle détestait cela mais ne dit rien, ne voulant pas provoquer plus de problèmes parce qu'elle savait qu'ils se répercuteraient du Durlan. Il avait assez souffert, il avait lui aussi le droit à un peu de répit.
–Vôtre Altesse ?
Une voix qu'elle ne reconnaissait pas venait de l'appeler. Elle s'arrêta et chercha la personne. Finalement, elle vit une jeune femme très élégante avancer vers elle et lui accorder une révérence.
–Je suis lady Selina de Besanmur, je suis ravie de faire votre connaissance.
–Attendez, vous avez dit Selina ?
La jeune femme semblait ne pas savoir comment réagir.
–C'est exact, peut-être avez-vous entendu parler de moi, j'ai connu Durlan ici à la Cour, mon père était un des conseillers du roi Hunter.
Durlan avait tant de fois parlé d'elle que la voir en vrai lui paraissait étrange. Mais elle avait l'air d'être quelqu'un de bien, du moins c'est ainsi que la décrivait le jeune homme.
–Je sais qui vous êtes, fit la princesse en souriant, Durlan a beaucoup parlé de vous.
Selina sembla surprise.
–Vraiment ? Moi qui pensais faire une bonne première impression...
–Comment cela ?
–Et bien... une femme qui s'est donnée à un homme auquel elle n'était pas mariée n'est pas... considérée comme pure.
En voyant la gêne de la jeune femme, Nylathria se mit à rire.
–Ai-je vraiment l'air d'une femme pure ? lança-t-elle.
–Vous paraissez si parfaite...
–Parfaite ? Moi ? C'est que vous ne me connaissez pas. Demandez à n'importe qui qui ait pu me côtoyer et il vous rira au nez si vous lui dites une chose pareille. Clamez-le seulement dans cette salle et la majorité des nobles présents vous considéreront comme folle. Après tout, je suis vulgaire, impolie et j'ai ouvertement menacé un roi pour protéger un bâtard.
Selina s'approcha un peu plus en vérifiant qu'on ne les écoutait pas.
–Si vous voulez mon avis, vous avez bien fait, murmura-t-elle. Lorsque je vivais ici, il n'y avait pas une seule journée qui passait sans qu'une insulte à l'attention de Berengar me vienne à l'esprit, mais je n'ai jamais pu en dire aucune. Durlan encaissait et j'essayais de le réconforter comme je le pouvais. Il a de la chance d'être tombé sur quelqu'un comme vous, c'est une personne en or qui ne mérite pas l'acharnement qu'il a subi. En vous voyant aujourd'hui, je me suis sentie tellement stupide parce que ce que vous avez dit, cela fait des années que j'y pense mais je n'ai jamais eu le courage de le clamer haut et fort. Durlan est en sécurité avec vous.
Nylathria observa Selina un instant. Elle tenait beaucoup à Durlan c'était certain. Elle était tout son opposé. Gracieuse, élégante, respectueuse des bonnes manières, et d'une bonté sans égale. Peut-être aurait-il été plus heureux avec une femme comme elle.
–Je me dois de vous féliciter par ailleurs, ajouta Selina.
–Pour ? Demanda la princesse en sortant de ses pensées.
–Pour vos fiançailles. Je suis heureuse que Durlan ait trouvé quelqu'un qui lui convienne.
–Oh, et bien... Merci. Je ne sais pas si je lui conviens vraiment, notre relation n'a pas vraiment commencé sur une note positive.
–Vraiment ? Fit Selina visiblement très intéressée. Racontez-moi, il arrive toujours des choses insensées à Durlan, je veux absolument savoir ce qu'il a fait cette fois-ci.
–Nous l'avons trouvé, mes compagnons de route et moi, alors qu'il était en train de se défendre contre des hommes de Berengar. On l'a aidé en se débarrassant des soldats puis on l'a assommé et ligoté jusqu'à son réveil. Il a essayé de négocier avec nous pour qu'on ne le ramène pas à Irindor en nous promettant quelque chose en quoi je ne croyais absolument pas. C'est un terrible négociateur, il n'aurait jamais pu devenir l'émissaire de Berengar. Mais allez savoir pourquoi, je l'ai pris en pitié et j'ai accepté de l'emmener à Lakar. J'ai vite regretté, il pose beaucoup trop de questions. Je ne compte même plus toutes les fois où j'ai pensé à l'égorger durant son sommeil ou lui ficher une flèche entre les deux yeux.
Selina fit éclater un rire cristallin.
–Sa curiosité peut s'avérer être une qualité, dit-elle.
–Elle est excessive, rétorqua Nylathria en riant, c'est un défaut.
–En tout cas, ajouta Selina d'un ton plus sérieux, merci de l'avoir prit en pitié et de ne pas l'avoir ramené ici. Berengar aurait fait exposer sa tête à côté de celle de Pesara
–Je n'ai pas fait grand-chose à vrai dire, répondit la princesse, mis à part lui voler un cheval et l'écouter parler à longueur de journée.
Selina laissa planer le silence, regardant les nobles discuter et danser. La musique de l'orchestre résonnait dans ses oreilles.
–Lorsque Devon le Sanglant est arrivé à la Cour, commença-t-elle, il a parlé de vous. Il disait que vous étiez impitoyable, prête à tout pour de l'argent et que vous ne vous souciiez de personne à par vous-même. Il vous a décrit comme une horrible personne mais il avait toujours une pointe de fierté dans le regard lorsqu'il dépeignait votre personnage. Et je crois que votre intervention de tout a l'heure n'a fait que confirmer ces dires. Et pourtant, vous avez sauvé Durlan et vous êtes en train de sauver le peuple des humains en rassemblant les armées des quatre coins du monde. Vous pouvez être une horrible personne, comme tout le monde, mais vous avez un bon fond. Durlan a un don pour voir le bon côté des choses et des gens, il a dû voir que vous étiez une bonne personne et lorsque vous êtes arrivés tous les deux, je l'ai vu à son regard qu'il ne voyait pas le monstre décrit par Devon le Sanglant. Alors si, vous avez fait beaucoup, vous avez sauvé une vie.
Nylathria ne su quoi répondre. Il était vrai qu'elle était touchée par ses paroles mais une partie d'elle n'arrivait pas à y croire. Elle savait quel genre de personne elle était, et qu'elle n'avait sauvé la vie de Durlan seulement dans l'espoir de récupérer la récompense promise. Elle ne se voyait pas comme une bonne personne. Elle était égoïste, impolie, vulgaire, bornée, impatiente, sournoise et sans pitié. Rien de tout cela ne pouvait faire d'elle quelqu'un de bien. Devon avait sans doute raison dans sa description, elle était horrible. Comme instinctivement, elle porta sa main à l'Étoile de la Nuit et se mit à penser à Durlan. Elle ne le méritait pas, ce qu'il lui fallait c'était quelqu'un comme Selina qui pourrait lui apporter le bonheur et lui donner des enfants, être une épouse aimante et une bonne mère, pas une femme souhaitant la mort d'à peu près tout ce qui l'approchait de trop près.
Elle n'eut pas le temps de répondre quoi que ce soit, quelqu'un posa sa main sur son bras. Nylathria sortie de ses pensées, surprise par ce geste, et se tourna vers la personne qui venait d'arriver.
–Nylathria, fit Avedelis, pourrais-je vous parler un instant ?
–Bien sûr.
La druidesse avait les traits tirés et semblait épuisée, ce qui n'étai définitivement pas bon signe.
–Je vais vous laisser dans ce cas, lança Selina, c'était un plaisir d'avoir pu parler avec vous Vôtre Altesse, j'espère vous revoir bientôt.
–Avec plaisir, répondit-elle poliment.
La jeune femme exécuta une légère révérence et s'éloigna rejoindre un petit groupe. Une fois seules, la princesse se tourna vers Avedelis.
–Que se passe-t-il ? L'interrogea-t-elle.
–Je suis avec lady Brenna depuis notre arrivée, déclara la druidesse, elle est la raison pour laquelle je suis ici. Apparemment, elle a été possédée par de la magie noire qui s'active lorsqu'elle se met en colère. Berengar m'a affirmé que le coupable était un elfe noir et que cet homme a transféré sa magie dans le corps de lady Brenna. J'ai essayé durant plusieurs heures toutes sortes de sortilèges et de remèdes mais rien n'y fait, son corps rejette absolument tout et elle se met de plus en plus en colère. Je ne sais plus quoi faire et je refuse d'utiliser la magie noire pour contrer celle-ci, je ne vais pas noircir mon cœur pour quelque chose dont je ne suis même pas certaine.
–Je vois où vous voulez en venir Avedelis et c'est un non catégorique, fit Nylathria.
–Je vous en supplie, il ne s'agit pas là de magie noire traditionnelle, mais de la magie noire elfique. Peut-être que si vous utilisez votre magie cela aura plus d'effet que la mienne.
–Comment voulez-vous que je fasse ? Je ne sais faire que de simples sorts qu'on apprend à un enfant !
–Fais-le, murmura une voix en langue elfique.
Elle détourna le regard et ses yeux s'accrochèrent à une silhouette qui se détachait de la foule. Il s'agissait du même elfe noir qui lui avait donné la pierre à Gaaldorei, le même qui semblait autant vouloir l'aider que l'anéantir. Mais une chose lui parut étrange : personne d'autre qu'elle ne semblait le voir.
–Nylathria, tout va bien ? Lui demanda Avedelis en essayant de savoir ce qu'elle regardait.
La princesse reporta son attention sur la druidesse.
–C'est d'accord, je vais le faire mais je ne peux pas vous garantir que cela va réussir.
Avedelis parut surprise de ce soudain changement d'avis mais ne s'en formalisa pas et l'invita à la suivre. Les deux femmes se frayèrent un chemin parmi les invités jusqu'à atteindre la porte. Certains nobles les regardaient partir d'un œil noir, mais Nylathria n'y fit pas attention. Une fois dans le couloir, la druidesse accéléra le pas et la princesse maudit la robe qu'elle portait pour limiter ses mouvements.
–Nyla ! Avedelis ! Que se passe-t-il ?
Les deux femmes se retournèrent alors que Durlan courrait droit vers elle, ne comprenant pas ce qui était en train de se passer.
–J'ai besoin de Nylathria pour aider lady Brenna, répondit Avedelis.
–Je viens avec vous, déclara Durlan.
–Bien, cela fera toujours quelqu'un en plus pour tenir Brenna si elle nous fait une autre de ses crises.
Sur ces mots, la druidesse tourna les talons et s'en alla. Nylathria et Durlan se précipitèrent à sa suite, la princesse soulevant sa robe encombrante afin de tenir le rythme. Rapidement, ils arrivèrent à l'infirmerie, la traversèrent pour se rendre dans une pièce adjacente. À l'intérieur, Azlore les accueilli en se relevant immédiatement de son siège, étant tout aussi fatigué que son maître. Sur un lit, une jeune femme était assise et attendait, le regard dans le vide. Entendant les nouveaux arrivant entrer, elle releva les yeux et les planta dans ceux de Nylathria, qui y remarqua une lueur inquiétante. Il était évident que ce n'était pas normal. Plus elle avançait et plus la princesse ressentait cette impression de malaise, comme si quelque chose essayait de l'étouffer.
–Lady Brenna, fit doucement Avedelis en s'approchant d'elle, je vous présente Nylathria Balsandoral, c'est la fille de l'empereur Eroan. C'est une elfe et elle pratique une magie différente de la mienne, j'ai pensé que...
–Balsandoral ?! S'écria Brenna d'une voix qui n'avait rien de normal. Elle ne doit pas m'approcher !
Elle se plaqua contre le mur, haletante, ses yeux écarquillés ne quittant pas Nylathria.
–Brenna ? L'appela Durlan en s'asseyant sur le lit. Brenna, est-ce que tu te souviens de moi ?
La jeune femme reporta son attention sur lui et le détailla longuement.
–Durlan ? Souffla-t-elle. Comment peux-tu être ici ? Berengar ne t'a pas tué ?
–Non, pas encore. Mais dis-moi, pourquoi est-ce que Nylathria ne peut pas t'approcher ?
–C'est lui, murmura-t-elle en s'avançant vers lui, il ne veut pas que je m'approche d'un Balsandoral. Il dit qu'ils sont dangereux et que ce sont des monstres. Il dit qu'ils veulent notre mort à tous. Il dit que ce sont des horreurs de la nature et qu'ils ne nous veulent que du mal.
Avec ses cheveux décoiffés et ses poches violettes sous les yeux, elle avait l'air d'une folle.
–Nylathria ne te fera jamais de mal, tenta de la rassurer Durlan, elle n'est pas dangereuse.
–Qui est-il ? Demanda la princesse.
–Je ne sais pas et je ne veux pas savoir mais il est dans ma tête, il me parle tout le temps. Il veut que je tue Berengar et tous les rois et princes que je croiserais. Il me demande de vous tuer tous parce que vous êtes dangereux et que vous me voulez du mal.
–Brenna, commença Nylathria en s'approchant du lit, dites-lui que je suis de son côté. J'ai de quoi le prouver.
Elle fourra ses mains dans son décolleté et sortit de son corset la pierre de jade qu'elle montra à la jeune femme terrorisée. Elle la regarda longuement et sembla se calmer.
–Il est parti, souffla-t-elle, il ne parle plus.
–Quelle est cette pierre ? Demanda Avedelis.
Nylathria ignora sa question et, alors que Brenna se levait pour lui faire face, semblant fascinée par ses yeux, elle lui tendit la main. La voix lui soufflait de le faire. Mais lorsque leurs doigts se touchèrent, les yeux de Brenna devinrent blancs et ses veines noires, et Nylathria sentit toutes ses forces se vider.
–Tu ne peux nous aider ! Hurlait Brenna en langue elfique d'une voix qui n'était pas la sienne. Personne ne le peut ! Vous mourrez tous pour vos crimes, aucun de vous ne survivra, seuls les vrais enfants de la Mère. Vous ne méritez pas de fouler sa terre !
Les yeux de Brenna reprirent leur couleur normale et les deux jeunes femmes s'écroulèrent au sol. Durlan rattrapa Nylathria de justesse et Azlore s'occupa de Brenna qui avait perdu connaissance. La princesse s'accrochait comme elle le pouvait au jeune homme, les yeux rivés sur la jeune femme inconsciente.
–Qu'est-ce qu'il s'est passé ? Demanda Avedelis. Qu'est-ce qu'elle t'a dit ?
Les mots ne purent traverser ses lèvres, ils restaient coincés dans sa gorge.
–Nyla, tout va bien ? Souffla Durlan en la rapprochant de lui pour mieux la soutenir.
–Nous ne sommes pas tous comme lui, fit l'elfe noir en langue elfique, tu ne deviendrais pas comme lui.
Nylathria leva les yeux vers lui et le fixa longuement. Il ne semblait pas lui vouloir le moindre mal et pourtant, l'un de ses semblables venait de menacer les vies de chaque personne vivant sur cette terre.
–Mais qui êtes-vous à la fin ? Murmura la princesse.
–À qui est-ce que tu parles Nyla ? S'inquiéta Durlan.
L'elfe noir s'approcha, alors que personne ne semblait le voir, et se planta en face d'elle, le sourire aux lèvres.
–Tu le sauras bientôt.
Et il disparut.
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