Gaaldorei - partie 1
Olvaar passa au-dessus d'eux, poussant au passage un cri strident. Il semblait heureux depuis qu'ils avaient franchis la frontière de l'Empire, il était de nouveau chez lui. Notre maison. Nylathria avait eu du mal à se remettre de la soirée à Vum Malduhr, le grand roi Murdrek l'avait obligé à boire de l'hydromel, de la bière et d'autres boissons qui lui étaient inconnues. Et à force de boire, elle se retrouvât si éméchée qu'elle ne se souvenait même plus comment elle avait fait pour regagner son lit. Elle s'était réveillée le lendemain matin aux côtés de Durlan avec un affreux mal de tête. C'est l'esprit tout embué que le petit groupe avait reprit le voyage. Et bien entendu, Azlore n'avait pas bu et a eu donc le loisir de parler autant qu'il le voulait puisque personne ne semblait en mesure de lui dire quoi que ce soit, ce qui eut pour but d'accentuer sa migraine.
Le voyage dans les Mont d'Eatobel avait duré moins longtemps que ce qu'elle avait envisagé, et elle en était ravie. Dès l'instant où ils ont franchi la frontière, elle se sentit mieux, comme entière. La forêt l'appelait et à présent qu'elle avait accepté sa condition d'elfe, elle arrivait à ressentir toute la vie qui émanait de la nature. Les gardes qui les accompagnaient, et qui n'avaient pas dû voir l'Empire depuis des siècles, voire jamais, s'étaient émerveillés devant toute la beauté qui s'offrait à eux.
–C'est bizarre, lança Murzol, je ne vois plus les femmes nues.
–C'est normal tu es déjà venu, répondit Nylathria, la forêt te connait.
L'orque renifla bruyamment en regardant tout autour de lui, comme pour chercher ces fameuses hallucinations.
–Par contre moi je vois des personnes courir un peu partout dans les bois, fit Avedelis d'un air pas vraiment rassuré, des personnes que je connais.
–La forêt vous teste pour savoir qui vous êtes et si vous êtes une mauvaise personne.
–Qu'est-ce qui arrive si la forêt se rend compte qu'on est mauvais ? Demanda Azlore.
–Elle fait en sorte de te faire souffrir et de te perdre pour que tu ne puisses jamais lui faire de mal. Ne fais pas cette tête, la nature est cruelle bébé druide, tout le monde le sait.
Elle posa sa main sur le tronc d'un arbre et senti la sève couler à l'intérieur du tronc et des branches, elle vit tout ce qu'il avait vécu et enduré jusqu'ici.
–C'est quand même bête qu'on ne soit pas passé par les Terres de Nephtys avant de venir ici, bougonna Murzol.
–La magie des nymphes est très limitée lorsqu'elles ne sont pas sur le territoire, répondit Durlan, et puis elles ne savent pas se battre, elles n'auraient servi qu'à alimenter les piles de cadavres.
–Elles auraient pu servir après la bataille, fit Torestrin.
–S'il y a un après, répliqua Nylathria.
–Il y en aura un, assura l'un des gardes elfes d'un ton confiant, Mère Nature ne laissera pas ses enfants se faire massacrer.
–Elle l'a bien fait une fois, elle peut recommencer, rétorqua froidement la princesse.
Elle savait que la Mère, si jamais elle existait réellement, l'écoutait mais elle se contrefichait pas mal de la contrarier. Après tout, elle l'avait abandonnée.
–Cette fois si c'est différent, intima le soldat.
–En quoi est-ce que c'est différent ? Lança la jeune femme. Elle a bien laissé les elfes noirs vivre aussi longtemps, et c'est bien eux que nous allons affronter. Ils sont ses enfants autant que nous, ils se sont simplement détournés d'elle. Elle pourrait très bien chercher à les sauver de la magie noire et alors nous deviendrions ses ennemis puisque nous essayons de les tuer.
L'elfe ne sut quoi répondre et Nylathria se délecta de ce silence. C'est ce qu'elle avait cherché à faire, le faire taire. Soudainement, elle se sentit envahie par une force qu'elle n'avait pas ressentie auparavant. Le refuge de la magie elfique.
–Nous venons d'entrer dans l'O'retaesi, déclara-t-elle, la maison de la grande Mère Nature. C'est d'ici que nous provient toute notre magie. Alors Murzol, évite de pisser contre un arbre si tu tiens à te réveiller avec tes attributs demain.
Elle savait que l'orque ferait semblant de se sentir offusqué et elle ne se retourna même pas pour vérifier. Elle le connaissait assez bien pour savoir comment il réagissait à ses piques.
Enfant, Nylathria venait tous les ans lors de l'Isaskan. Durant cette journée, tous les elfes, peu importait leur provenance, se rendaient dans l'O'retaesi pour honorer Mère Nature, prier pour de nombreuses choses. C'était un jour de recueillement, et une tannée pour la jeune fille qu'elle était. S'il y avait bien une chose qu'elle détestait c'était de rester immobile devant un arbre durant des heures à essayer de parler avec une déesse qui ne les entendaient probablement pas.
Alors pour s'occuper, elle s'amusait à deviner quelles étaient les prières des gens qui l'entouraient. Elle savait que son père priait toujours pour le salut de l'Empire le maintien de sa puissance, il fallait croire que la Mère n'avait pas écouté, sa mère demandait à ce que ses enfants se portent bien et n'aient jamais de manque, là aussi la déesse avait fait la sourde oreille. Pour ses frères, il était toujours plus difficile de savoir. Lorsan devait demander à ce que son futur règne soit l'un de ceux bercé par la paix comme celui de leur père et que sous sa gouverne l'Empire continue de prospérer. Quant à Belanor... Belanor se fichait d'à peu près tout ce qui l'entourait, il devait certainement s'ennuyer autant que Nylathria lors de cette journée. Son oncle, le prince Elashor, devait prier pour que ses affaires prospèrent davantage, sa femme, Dame Ysildea, pour qu'on lui fournisse davantage de bijoux et robes et Castien devait espérer corps et âme posséder un dragon. La jeune femme se mit à sourire. Finalement, Mère Nature n'avait accédé à aucune de leurs demandes.
Mais même si l'Isaskan s'avérait être d'un profond ennui, l'O'retaesi lui avait toujours semblé être un endroit paisible et, sans savoir pourquoi, elle s'y sentait bien. Ou du moins, jusqu'à aujourd'hui. Elle avait une impression étrange, comme si des ombres l'observaient. Suivant son instinct, elle restait sur ses gardes.
–Comment se fait-il qu'il y ait des arbres brûlés ? Demanda Torestrin en touchant un tronc noir mort.
–L'O'retaesi a été brûlé par les elfes noirs lors du Fléau, expliqua Nylathria. C'est pour ça que les elfes ont eu du mal à se reconstruire. Nous puisons nos forces dans la nature et plus précisément du bois sacré, alors lorsque tout a été ravagé, notre magie était limitée.
–C'est incroyable, souffla Avedelis en touchant un arbre qui devait à peine avoir cent ans. La nature a repris ses droits sur ce qui avait été brûlé. Ce bois est magnifique.
–Les pouvoirs de Mère Nature sont infiniment grands, répondit l'un des soldats elfes.
Les yeux de la princesse se posèrent sur un Durlan fasciné par ce qui l'entourait, regardant avec la plus grande attention chaque arbre, fleur et autre buisson. Il émanait de cette forêt une force surnaturelle.
–J'ai étudié les chroniques des druides qui sont venus constater les dégâts après le massacre, reprit la druidesse, ils disaient qu'il ne restait plus rien que des souches calcinées. Toute la grandeur de l'Empire elfique s'est effondrée en une seule journée et qu'il y régnait une atmosphère oppressante et l'odeur de mort. Mais en voyant toute la beauté de ce bois, j'ai du mal à y croire.
–Et pourtant, ils n'ont pas menti, fit Nylathria. L'ennemi savait qu'en détruisant l'O'retaesi il réduirait considérablement nos forces. Mon père nous avait toujours dit qu'un simple feu, ou même le souffle d'un dragon, ne pouvait pas brûler le bois sacré parce qu'il était protégé par la magie. Il est facile de mettre feu à une forêt de Feoyether, des Terres de l'Aube ou encore des Terres de Nephtys, mais pas les nôtres. L'ennemi a utilisé de la magie noire, vous devriez le sentir Avedelis.
–En effet, je ressens comme une impression de lourdeur.
–Comment se fait-il que je ne ressente rien moi ? Demanda Murzol.
–C'est parce que tu n'es pas sensible à la magie, fit la jeune femme. Mais il arrive que quelques humains se sentent mal.
Tous les regards convergèrent vers Durlan qui, se rendant compte qu'on l'observait, leva les mains au ciel.
–Je n'ai rien à voir avec tout ça, se défendit-il.
Plus ils avançaient et plus l'impression étrange d'être surveillée se renforçait. Cela ne peut pas être seulement dû à la magie noire.
–Qu'est-ce que c'est que cette fleur ? S'exclama Azlore en courant vers une petite fleur bleue au cœur violet.
–Une oslante indigo, lança Nylathria en ne lançant qu'un rapide coup d'œil vers la fleur. Ses pétales sont d'excellents remèdes mais son pollen est mortel pour les humains.
Le garçon, qui s'apprêtait à toucher la petite fleur, retira immédiatement sa main s'écarta le plus loin possible sous le regard amusé d'Avedelis.
–Allez, avancez, s'exclama la princesse en sautant par-dessus un arbre calciné tombé au sol, Gaaldorei n'est plus très loin !
Alors qu'elle avançait, guidée par ses souvenirs, elle regardait sans cesse autour d'elle, cherchant cet inconnu qui pouvait les observer. Car elle était certaine qu'ils n'étaient pas seul. Elle se dit qu'il s'agissait sans doute d'un des espions de Devon qui avait réussit à retrouver leur trace lorsqu'ils ont quitté les Monts d'Eatobel. Mais elle restait toutefois méfiante, n'étant pas certaine de l'identité de cette personne.
Il s'écoula presque une demi-journée avant qu'ils ne puissent apercevoir les ruines de la capitale. Nylathria s'arrêta un instant. Les routes étaient toujours là, même si de l'herbe avait poussée entre les pavés fissurés, et les murailles blanches tenaient toujours debout, même si d'immenses trous et fissures la décoraient. Juste devant la montagne, les tours du château surplombaient cette ville fantôme. L'une d'elle était tombée, autre avait le toit qui manquait et toutes les fenêtres étaient brisée mais ce qu'il restait suffi à ranimer ses souvenirs.
Elle revoyait les sentinelles effectuer leurs rondes en haut des murs, les dragons planer au-dessus de la ville, jouant quelque fois ensemble. Elle se revoyait courir dans les rues avec Ardreth, poussant les habitants au passage, pour rejoindre leur arbre. Elle tourna la tête et le vit. Il était toujours là et n'avait pas cessé de pousser depuis son départ. Sans un mot, et suivie des autres qui, bouche bée, admiraient la cité de loin, elle se dirigea vers ce grand arbre et caressa du bout des doigts son écorce. Il était plein de vie, elle le sentait, et elle crut un instant qu'il fût heureux de la revoir.
Enfants, son ami Ardreth, le fils du commandant des sentinelles, et elle, adoraient se retrouver ici. Ils grimpaient tout en haut, s'agrippant toujours aux mêmes branches, et s'asseyaient sur la plus haute. Ils avaient passé bon nombre d'heures à simplement discuter tout là-haut à regarder le ciel, les nuages bouger, le soleil se lever et se coucher, et les dragons voler au loin. Elle fit le tour du tronc pour trouver les lettres qu'avait gravé son ami. N et A.
–Ainsi, ce sera notre arbre pour toujours, avait-il dit fièrement, un large sourire aux lèvres. Personne ne pourra jamais nous le voler !
Nylathria se rendit compte qu'elle souriait.
–N et A ? Lança Durlan dans son dos. La princesse frigide que tu es avait un petit amoureux ?
Elle se tourna vers lui et découvrit sa face stupide. Elle lui donna un coup de poing dans l'épaule et le contourna en levant les yeux au ciel.
–C'était mon ami, déclara-t-elle en marchant vers le reste du groupe qui s'était arrêté pour regarder le squelette d'un dragon dont la nature avait commencé à prendre possession.
–J'imagine qu'il n'a pas survécut, fit le jeune homme en jetant un coup d'œil vers l'arbre.
–Il est mort, tué par la flèche d'un elfe noir. Il s'est interposé pour me sauver.
–Je suis désolé.
–Ne le sois pas, ce n'est pas de ta faute, tu n'étais même pas né, tes parents, tes grands-parents et même tes arrières grands-parents non plus d'ailleurs. Voire encore une autre génération.
–C'est dans ces moments-là que je me rends compte à quel point tu es âgée, plaisanta-t-il.
Elle lui lança un regard mauvais. Elle détestait parler de son âge. Puisqu'elle passait sa vie avec des personnes qui ne vivraient pas plus de cent ans, voire cent cinquante pour Avedelis et Azlore, elle avait l'impression d'être une personne âgée.
–Nous vieillissons différemment, se défendit-elle en relevant le menton. Dis-toi que l'équivalent de mon âge humain est à peu près le tien. Cent ans chez nous est égal à dix pour vous, à peu de choses près. Et je parle pour l'âge d'une personne bien sûr.
–Donc ce qui veut dire que tu es l'équivalent d'une humaine de vingt à vingt-cinq ans ?
–C'est bien, se moqua-t-elle, tu comprends vite. Tu n'es pas tout le temps stupide, c'est une bonne chose !
–Nylathria ! Cria Azlore en la voyant arriver. C'était quel dragon celui-là ?
Elle regarda le squelette un instant et l'examina sous toute les coutures avant de poser une main sur le crâne. Elle vit alors tous les souvenirs que lui offraient ces ossements.
–Vous avez face à vous Nymor, la dragonne du Guerrier Erlathan. Avec mon grand-père et le Guerrier Sudryaal ils formaient la Triade.
–Ouah ! Souffla l'apprenti druide. Et tu les as tous connus ?
Malgré elle, Nylathria se mit à rire.
–Bien sûr, Olvaar adorait traîner dans les pattes de Nymor lorsqu'il était jeune, et j'adorais me mesurer à Sudryaal au combat à l'épée, c'était l'un des meilleurs Guerriers que nous avions.
Les yeux du garçon pétillaient et il l'écoutait avec une attention qu'elle ne lui connaissait pas, lui qui était si distrait d'ordinaire. Et c'est en levant les yeux qu'elle se rendit compte que tout le monde était suspendu à ses lèvres.
–Venez, si nous voulons les œufs il nous faut rentrer dans la ville, fit-elle en tournant les talons. Et arrêtez de me regarder avec ces têtes de carpes !
Elle entendit quelqu'un courir à sa suite puis vit Azlore se mettre devant elle, marchant à contre sens.
–Il y avait combien de Guerriers dragons ? Et ils étaient comment, les dragons ? Ils étaient tous blancs comme Olvaar ? Et tous aussi grands ?
Il en avait à peine fini avec ses questions que la jeune femme avait déjà affreusement mal à la tête.
–Nous étions huit Guerriers, répondit-elle, plus un qui avait perdu sa dragonne lors de la bataille d'Isve Taesi qui nous opposait aux nains. La guerre des neuf cent jours. Les dragons sont tous plus ou moins les mêmes, seulement quelques détails physiques changent comme la couleur des écailles, des griffes ou des yeux, la taille et la forme de la mâchoire, le nombre de cornes, la longueur de la queue. La taille varie suivant le sexe de l'animal, les mâles sont généralement plus imposants que les femelles, et la puissance du dragonnier. Plus sa lignée est puissante et plus le dragon sera grand.
–Ta lignée à toi, elle est comment ? L'interrogea le garçon. Elle est puissante.
–Bien sûr, se vanta-t-elle. Les Balsandoral sont l'une des plus anciennes familles elfes, le premier empereur Balsandoral a été couronné en 1542 du Premier Âge. Et nous étions des dragonniers avant de devenir la famille royale. Elorshin Balsandoral était le premier de la famille à avoir la marque du dragon, et s'était aux alentours de 480 du Premier Âge. La marque a sauté quelques générations mais elle est restée dans la famille depuis ce temps-là. Mon grand-père par exemple, l'empereur Othorion, était un Guerrier du dragon.
–C'est pour cela qu'Olvaar est aussi impressionnant, déduisit Azlore. C'est fascinant, j'adorerait écrire des chroniques sur votre peuple, je sais que les druides n'en ont pas assez, surtout sur le Premier Âge.
–Pour cela, il faudrait que tu prononce tes vœux, intervint Avedelis, et vu comment tu écoutes, je crains que ton apprentissage ne s'éternise.
Le garçon soupira et ses épaules s'affaissèrent.
–Si tu veux, murmura Nylathria, la bibliothèque du château est protégée par la magie, elle doit donc être en parfait état. Tu trouveras tout ce que tu veux sur notre histoire.
Azlore se redressa instantanément, des étoiles plein les yeux. Lorsque la jeune femme leva les yeux, elle se rendit compte qu'ils se trouvaient face à la porte, défoncée certes, de la ville. Devant elle se dressait la cité. Tous les bâtiments, autrefois impeccablement blancs, étaient recouverts de lierres et de ronces, il restait toutefois quelques traces de sang séché sur les murs, des arbres avaient poussé au plein milieu des rues, des maisons s'étaient écroulées et une tour de garde avait été détruite. Mais elle reconnaissait parfaitement bien la ville de son enfance.
–Et dire que ce fut la plus grande cité du monde, fit tristement Torestrin en prenant dans ses mains ce qui avait dû être un jouet pour enfant.
–Je ne me rappelais plus à quel point c'était magnifique, ajouta l'un des soldats.
Ils avancèrent jusque sur la place du marché dont il ne restait plus que quelques échoppes et la fontaine remplie de mousse et de lichen où trônait la statue de l'empereur Gaeleath, le bâtisseur de Gaaldorei. Elle revoyait cette place bondée tous les matins. Du haut du balcon de sa chambre, lorsqu'elle y était confinée pour quelque bêtise qu'elle ait pu faire, elle aimait regarder tous ces gens aller et venir faire leur marcher, discuter entre eux. Parmi toutes les têtes blanches des elfes, il arrivait que quelques marchands humains ou nains se démarquent. Elle était trop loin pour apercevoir leurs visages mais elle aimait se les imaginer.
Ils remontèrent la rue principale qui menait au palais impérial, ou du moins ce qu'il en restait, et la princesse regarda attentivement toutes ces maisons effondrées et vides que les habitants avaient dû quitter en toute hâte, s'ils avaient réussi à le faire. Elle ne s'étonnait pas de voir quelques squelettes décorés de toiles d'araignées et dont les rats avaient fait leur résidence. Au moins cette ville n'était pas habitée que par des fantômes et des souvenirs.
Le petit groupe, après plusieurs dizaines de minutes de marche à travers la ville, arriva au pont qui menait au château. Celui-ci était en plutôt bon état par rapport au reste de la ville, même s'il manquait quelques morceaux par-ci par-là. Ils le traversèrent avec tout de même cette peur qu'il ne s'effondre, auquel cas ils finiraient tous dans la rivière, un peu plus bas, et Nylathria n'avait pas tellement envie de vérifier si sa profondeur était suffisante pour leur permettre de rester en vie. Le doux bruit de la cascade au loin parvenait à ses oreilles. Elle avait passé des heures à simplement regarder l'eau s'écouler.
À sa plus grande surprise, le pont-levis était abaissé et la grille remontée. Elle ne s'en plaignait pas, cela lui évitait d'avoir recours à la magie. Ils avancèrent jusque dans la cour qui était jonchée de débris provenant des murs ou des tours qui se sont effondrées. Elle s'était beaucoup entraînée au combat ici-même, avec des soldats, ses frères ou encore son père lorsqu'il n'était pas occupé avec les affaires de l'Empire. Elle vit une ombre passer au-dessus d'eux et leva les yeux au ciel juste à temps pour voir Olvaar passer.
Toujours sans un mot, et perdue dans ses souvenirs, elle gravit les marches à moitié détruites et envahies d'herbe et se trouva face à l'immense double porte, dont l'un des battants était tombé. Lentement, elle entra dans la salle du trône, le cœur battant. La pièce était comme dans ses souvenirs, à quelques détails près. Un chêne avait poussé au beau milieu de la salle et avait brisé le toit en cristal dont les morceaux étaient répandus sur le sol. Les murs étaient fissurés mais les statues des empereurs des temps anciens étaient toujours debout et presque intactes. L'une d'elle avait perdu son nez et une autre n'avait qu'une partie de son épée. Elle contourna l'arbre et se dirigea vers le trône. Il ne restait plus grand-chose des marches mais le siège était bel et bien là, aussi imposant qu'avant et exposant fièrement les armoiries des Balsandoral.
Un oiseau s'envola en quelques battements d'ailes lorsqu'elle se planta devant le trône. Elle y revoyait son père, assit fièrement sur cet immense siège, exposant toute sa prestance. À sa droite, sa mère, l'impératrice, qui, avec ses robes légères, semblait flotter gracieusement au-dessus du sol. Ses frères, Lorsan et Belanor étaient à la gauche de leur père, l'aîné toujours avec sa posture parfaite et le cadet à essayer de faire de même, sans grand succès. Elle, elle se plaçait toujours à côté de sa mère et tentait de paraître aussi royale qu'elle, mais il était évident qu'elle n'était pas aussi gracieuse et élégante. Oui, elle imaginait parfaitement bien ce portrait de famille, et cela la faisait sourire tristement.
–C'est tout simplement magnifique, souffla Avedelis, les yeux rivés vers ce qu'il restait du plafond en cristal.
–C'est bien mieux que ce que je m'étais imaginé, ajouta Durlan.
–Ça na rien à voir avec la grossièreté des bâtiments des nains. Tout est si détaillé, si parfait, termina Torestrin en admirant l'une des statues.
À ses pieds gisait le casque en or blanc d'un soldat de la garde royale. Elle se baissa et le prit dans ses mains, l'admirant de plus près. Il avait une forme bien particulière, protégeant à la fois le nez et les joues, et était décoré d'arabesques semblables aux marques noires sur ses bras, le tout aussi solide que léger. Puis elle le déposa sur le trône et s'en détourna.
–On se retrouve ici dans une heure, déclara-t-elle. Faîtes un tour, allez où vous voulez sans rien dégrader, faîtes votre vie mais si dans une heure vous n'êtes pas là, je ne vous attendrais pas.
Elle n'attendit pas de réponse et tourna les talons pour s'engouffrer dans le couloir à sa droite. En ne prononçant qu'un seul mot, elle alluma les braséros encore debout, éclairant son chemin. Les murs en granit étaient envahis par le lierre et quelques fleurs. Par moment, un arbre ou un buisson avait réussi à détruire le sol de lui-même pour pouvoir pousser. Elle passait devant bon nombre de pièces. Le lustre en cristal de la salle à manger était tombé sur les tables et le sol, il en restait quelques morceaux et des bougies. Les chaises avaient été renversées, certaines cassées, l'une des tables avait été brisée en deux et l'imposant siège de son père n'avait plus de dossier.
Les tapis du grand salon avaient été troués par les mites, ainsi que les assises des canapés. Il ne restait plus grand-chose des cheminées, ni des tables. Les grandes fenêtres n'avaient plus de vitres, laissant libre cours à la végétation, au vent et à la pluie d'entrer. Le plafond moisi s'écaillait, les tableaux et tapisseries gisaient au sol. Et lorsqu'elle entra dans le petit salon, celui où sa mère se trouvait souvent avec ses suivantes, son état était tout aussi déplorable.
En s'aventurant un peu plus, elle retrouva le bureau de son père et la salle du conseil. Elle n'avait jamais eu le droit d'assister à l'une de ces réunions mais Lorsan lui répétait qu'elles étaient ennuyantes à mourir et que c'était là ce qu'il redoutait le plus en prenant la couronne. Et ces pièces-là n'avaient pas échappé au massacre, elles étaient tout aussi ravagées que les précédentes.
Elle monta au premier étage mais ne s'y attarda pas, il ne s'agissait là que des chambres réservées aux invités. Le deuxième, lui, était réservé à celles des nobles permanents de la Cour et le troisième, à la famille royale. La tour nord était réservée aux appartements de l'empereur et ceux de l'impératrice. Aussi loin qu'elle pouvait se souvenir, ses parents n'avaient jamais fait chambre à part, alors cette seconde chambre était inutile. Lorsan occupait la tour ouest et, étant donné que Belanor avait choisi d'établir ses appartements dans la tour est puisqu'elle était plus sombre, toutes les chambres de l'ouest servaient essentiellement aux amis et fidèles gardes du prince héritier, et même parfois aux quelques concubines qui venaient en secret. Nylathria en avait surpris une un soir et Lorsan lui avait fait jurer de ne jamais rien dire à leurs parents, l'empereur détestait ce genre de pratiques.
–Mère Nature nous a fait cadeau de l'amour, disait-il, ne gaspille pas ton temps avec des filles de joie qui ne peuvent t'en donner et qui ne sauront concevoir que des bâtards.
Toutes ces femmes que le prince faisait venir étaient pour la plupart des humaines provenant des trois différentes Terres, peu étaient les elfes prostituées, l'honneur de la race était en jeu et les elfes étaient des êtres beaucoup trop fiers pour se donner ainsi.
Elle se dirigea vers la tour sud et monta tout en haut pour retrouver ses propres appartements. En haut des escaliers, la porte était entre-ouverte. Elle se faufila alors dans la pièce et resta quelques instants sans bouger à simplement admirer ce qui l'entourait, le cœur lourd. Tout était resté à sa place, avec de verdure et quelques feuilles mortes échouées sur le sol en plus. Elle ne savait quoi penser, tant de souvenirs se bousculaient dans sa tête. Sa mère qui brossait et coiffait ses cheveux, toutes les deux assises devant la coiffeuse, son père qui, assis avec elle sur le lit, lui racontait de histoires de chevalerie, Lorsan et Belanor qui, avant chaque banquet, venaient se moquer d'elle puisqu'elle portait des robes qu'elle trouvait ridicules.
–Vôtre Altesse, avait dit une fois Belanor en effectuant une basse révérence aussi théâtrale que grotesque. Madame est d'une beauté ravageuse ce soir, vos frères auront tout intérêt à rester près de vous.
–C'est vrai, avait acquiescé Lorsan, le sourire aux lèvres. De plus, il est évident qu'une si frêle créature ne saurait se défendre seule si le moindre mal arrivait.
–Vous n'êtes que des idiots ! S'était-elle exclamée. Je sais très bien me défendre toute seule !
Elle se souvenait s'être rapprochée d'eux et avoir gardé un œil sur sa dame de chambre qui écoutait la conversation de loin.
–J'ai pensé à prendre mon poignard, avait-elle susurré en soulevant légèrement ses jupes, je l'ai attaché à mon mollet comme vous m'avez dit de le faire.
Lorsan avait explosé de rire.
–Chère sœur, nous t'avons dit de le faire lorsque tu sors à l'extérieur, pas pour un banquet où des dizaines de gardes veilleront sur toi.
–Je m'en contrefiche, c'est pour au cas où un seigneur viendrait avec son fils pour prétendant demander ma main à Père.
–Et qu'est-ce que tu comptes faire avec ce petit couteau ? S'était amusé Belanor.
–Leur faire comprendre que je ne suis pas à vendre.
Nylathria se mit à sourire face à ce souvenir. Jusqu'à présent, elle ne s'était pas rendu compte à quel point ses frères lui manquaient. Même s'ils l'avaient agacée de nombreuses fois, elle aimait ces courts moments où ils riaient tous les trois. Elle s'assit sur le lit dont le bois avait été rongé et les draps mangés par les mites, et plongea sa main sous le traversin où elle cachait le collier qu'elle avait volé à sa mère.
–Ces colliers sont fait pour unir deux cœurs, lui avait-elle dit. Offre celui que tu ne porteras pas à l'homme qui pourrait braver des montagnes et décrocher le soleil pour toi. Donne-le à celui qui saura faire battre ton cœur, comme moi je l'ai fait.
La chaîne et le médaillon étaient en or banc et si fins qu'elle avait l'impression que le simple fait de le tenir entre ses doigts pouvait les briser. Au centre, une pierre de lune brillait de mille feux.
–Je suppose que c'était ta chambre.
La voix fit sursauter la jeune femme qui manqua de lâcher les bijoux. Durlan se tenait dans l'encadrement de la porte et admirait la pièce.
–Quel idiot tu fais ! Jura-t-elle. Tu m'as fait peur !
–Désolé, je ne voulais pas.
–Encore heureux ! Il ne manquerait plus que ça.
Il laissa échapper un petit rire en s'approchant, toujours en détaillant la chambre. Elle fourra les colliers dans sa poche et se dirigea vers la coiffeuse en se demandant comment cela se faisait-il que les bijoux n'eussent pas été pillés. Tout était là comme elle l'avait laissé.
–C'est incroyable que tout soit encore là, fit Durlan en s'emparant d'un bracelet, comme s'il venait de lire dans ses pensées. Des pilleurs auraient pu venir se servir.
–Je suppose qu'ils n'avaient pas assez de courage pour affronter les fantômes, répondit doucement Nylathria en éparpillant tous les bijoux.
Elle soupira longuement. Elle avait toujours détesté en porter, elle sentait toujours encombré quand sa mère la forçait à mettre un collier ou encore de simples boucles d'oreilles. C'est en voyant toutes ces reliques que quelque chose fit tilte dans son esprit. Elle releva la tête et se retourna, regardant l'armoire.
–Si rien n'a été touché alors...
Elle se précipita vers le meuble et ouvrit en grand les deux portes, se faisant assaillir par la poussière. Toutes ses robes avaient été mangées par les mites, pour certaines il ne restait pratiquement plus rien. Au moins elles ont plu à quelqu'un. Elle tâta le fond jusqu'à trouver la fameuse encoche pour enlever le faux-sol. Elle sentit Durlan s'accroupir à côté d'elle, curieux. Elle posa la planche par terre et arrêta tout mouvement en voyant le fourreau blanc. Son cœur se gonfla. Elle est toujours là ! Délicatement, elle s'en empara, attrapa la garde aux détails époustouflants et sortit la lame. Elle avait toujours trouvé cette épée magnifique et l'or blanc jouait énormément.
–Elle est splendide, souffla le jeune homme en admirant l'arme.
–Je l'avais volé dans l'armurerie de mon père parce que je la trouvais splendide, expliqua la princesse. L'or blanc a des propriétés que tu ne retrouveras dans aucun autre matériau. Il est aussi léger que solide, rien ne peu briser une lame en or blanc, et il ne connait pas la rouille. Et on dit qu'il a des propriétés magiques aussi mais ça, je n'y crois pas vraiment.
–Et vous fabriquiez tout dans cet... or ?
–Ce n'est pas réellement de l'or, pas comme celui que tu trouves dans les mines des nains. C'est plus comme un métal indestructible que seul notre peuple a su dompter. Certains forgerons humains arrivent encore à le travailler mais ils se font rare. Les elfes l'ont appelé ainsi pour la richesse du mot. Mais oui, toutes nos armes, nos armures, nos bijoux et même certains meubles étaient faits en or blanc.
–J'ai lu que vos dragons pouvaient être équipés d'armures, continua Durlan, ce n'était pas trop gênant.
Nylathria sourit. Durlan était de nature curieuse et pour une fois, cela ne la dérangeait pas.
–Justement, c'est là tout le principe de l'or blanc, il est bien plus léger ce qui n'alourdissait pas les dragons. Sinon, ils n'auraient jamais décollé.
La jeune femme rengaina l'épée et l'accrocha à sa ceinture, remplaçant son épée en métal. Petite, elle rêvait de pouvoir se battre avec ce glaive. Elle s'imaginait en tant que chevalier, se battant sur le dos d'Olvaar, épée à la main.
–Qu'est-ce que c'est que cela ? Demanda Durlan.
Elle ne l'avait même pas vu se relever, perdue dans ses pensées. Le jeune homme avançait vers une sorte de berceau en or blanc.
–C'était là où dormait Olvaar lorsqu'il était petit, répondit-elle. En grandissant, il a commencé à passer ses nuits au promontoire avec les autres dragons, il doit d'ailleurs y être. Viens, je vais te montrer.
Elle le prit par la main et l'emmena sur le large balcon circulaire de la chambre, tous deux séparés par de larges arches. Elle le fit s'avancer jusqu'à la balustrade qui tenait encore debout par la volonté de la Mère, et pointa la montagne.
–Tu vois cette sorte de plateau qui ressort de la montagne ? Demanda-t-elle avant de reprendre une fois qu'il ait hoché la tête. À l'intérieur, creusée dans la roche à la manière des nains mais effectué beaucoup plus élégamment, se trouve une grotte gigantesque pouvant contenir une vingtaine de dragons, voire peut-être même plus. Ils s'y réfugiaient la nuit pour dormir et se protéger du mauvais temps. On appelait cela le promontoire. Seuls les dragonniers y avaient accès sans avoir peur de se faire rôtir.
Elle s'appuya sur la rambarde sans penser qu'elle pouvait s'écrouler sous son poids et garda les yeux rivés sur la montagne.
–C'est mon grand-père qui m'y avait emmené pour la première fois, continua-t-elle avec un sourire sur les lèvres, Olvaar et moi n'avions que trois ans, il tenait sur l'épaule de mon grand-père et savait à peine voler sans craindre de se prendre un mur. Presque tous les dragons y étaient, ils s'installaient pour la nuit et moi j'étais fascinée de les voir aussi grands et aussi majestueux. Je voyais déjà Olvaar atteindre cette taille et moi sur son dos, nous aurions le monde à nos pieds. J'avais des rêves plein la tête. Le soir, je me mettais juste ici et je regardais les dragons rentrer, Olvaar juste à côté de moi, et tous les deux on s'inventait nos futures aventures. Lorsque dragon et dragonnier sortaient ensemble, je les regardais s'envoler, émerveillée, en me disant que je serais la prochaine.
Durlan l'avait écouté attentivement, son regard vacillant entre elle et le promontoire. Ce n'est qu'à ce moment précis qu'elle se rendit compte qu'il avait posé sa main sur la sienne.
–Ce devait être incroyable, murmura-t-il.
–Ça l'était. J'adorais ma vie ici, même si les banquets de mes parents me barbaient et que j'aurais préféré mille fois m'entraîner à me battre plutôt qu'à faire des révérences et sourire à des inconnus qui n'avaient de cesse de me complimenter. Tous les matins, je partais aux aurores alors que tout le monde dormait pour rejoindre mon ami Ardreth, le fils du commandant des sentinelles. On se retrouvait au poste de garde de son père et on jouait ensemble, on s'entraînait avec les gardes ou alors nous sortions en faisant la course dans toute la ville pour savoir lequel de nous deux allait arriver en premier à notre arbre. Et puis on grimpait aux branches et on discutait de tout et de rien. Parfois d'autres enfants de notre âge nous rejoignaient, il arrivait même à Olvaar de venir. Et puis je rentrais, Mère me passait une soufflante parce qu'elle détestait que je sorte sans son autorisation. Parfois, Père venait me sauver mais il était généralement occupé avec les affaires de l'empire. Après manger, Mère m'obligeait à suivre des cours d'histoire, de géographie, de bienséance et de magie. J'avais passé un accord avec elle, je passais deux heures tous les jours avec Lamruil à apprendre et puis elle me laissait rejoindre les soldats dans la cour du château pour que je m'entraîne. Il arrivait que l'un de mes frères me rejoigne, voire les deux lorsque c'était un jour chanceux. Et je recommençais tous les jours avec l'espoir de devenir un chevalier et la plus grande Guerrière du dragon.
–Finalement, nous ne sommes pas si différents toi et moi, oreilles pointues.
Elle tourna vivement la tête vers lui, le regard assassin. Il avait recommencé à l'appeler ainsi.
–Tu souhaites mourir, c'est ça ? Lança-t-elle.
–Pas le moins du monde.
–Si, c'est ce que tu veux.
–Pourquoi je le voudrais ?
Il souriait et cela l'énervait profondément. Elle avait oublié à quel point il pouvait se montrer insupportable, mais c'était pour cela qu'elle l'appréciait au fond.
–Parce que, malgré mon avertissement, tu continue à m'appeler comme cela.
–Oreilles pointues ?
Alors qu'il riait, elle se redressa et s'empara de ses bras, le poussant contre la rambarde. Là il ne riait plus. Elle s'approcha un peu plus de lui, un sourire malicieux sur les lèvres.
–Je pourrais te balancer par-dessus la rambarde, le provoqua-t-elle.
–Tu n'oserais pas, répondit-il, une pointe d'inquiétude dans la voix.
–Vraiment ?
Elle arqua un sourcil et le fit basculer un peu plus en arrière, sans toutefois le lâcher.
–D'accord, c'est bon ! Capitula-t-il. J'abandonne, je ne t'appellerais plus jamais oreilles pointues !
Fière d'elle elle s'écarta et le ramena vers lui. Il prit une grande goulée d'air, visiblement soulagé, ce qui la fit rire. Elle fit quelques pas en arrière, sans cesser de le regarder.
–Tu avais raison, lança-t-elle, je ne l'aurais jamais fait.
Le jeune homme releva immédiatement la tête.
–J'aurais pu continuer à t'emmerder ?! S'indigna-t-il.
–Ne joue pas trop avec le feu tout de même. Allez, rejoignons les autres, on a des œufs à récupérer !
Elle fila hors de la chambre sans l'attendre, mais balaya tout de même une dernière fois la chambre du regard. Elle redescendit jusque dans le corridor royal, puis descendit au deuxième étage, puis au premier. Durlan ne réussit à la rattraper seulement lorsqu'elle atteint le rez-de-chaussée. Ils passèrent une nouvelle fois devant la salle du conseil, le bureau de son père, les salons et la salle à manger avant d'atteindre la salle du trône où le reste du groupe les attendait. Avedelis et Azlore ne cessaient d'observer l'arbre qui avait poussé en plein milieu de la pièce, les quatre gardes admiraient les statues des empereurs des temps anciens et Murzol et Torestrin débattaient sur un énième sujet.
–Puisque tout le monde est là, nous allons descendre dans les cryptes, déclara Nylathria.
–Attends, tu viens de dire les cryptes ? Releva Murzol en tirant une tête de plusieurs pieds de long.
–Aurais-tu peur des petites bestioles Murzol ? Se moquait la princesse.
–Non mais je sais que vous enterrez les cendres des empereurs, Guerriers du dragon et autres princes dans ces cryptes alors...
L'orque avait donc peur des morts, qui l'eut cru ?
–Nous n'irons pas dans cette partie-là des cryptes, ne t'inquiète pas. Tu ne pensais tout de même pas que nous fêtions la naissance d'un dragon sur les tombes de nos défunts.
–Chaque peuple a ses bizarreries ! Se défendit-il en levant les mains au ciel.
–Les orques... Souffla d'un ton las un des elfes.
–Et oh ! Il va se calmer l'elfe ! S'énerva Murzol. Parce que moi je te montre ce qu'est un véritable orque sinon !
Nylathria leva les yeux au ciel alors que Torestrin essayait tant bien que mal de calmer l'orque, puis elle se dirigea dans le couloir de gauche, les autres la suivant bruyamment. Ils passèrent devant l'impressionnant bâtiment qu'était la bibliothèque royale, puis ce qui était le bureau de Lamruil avec l'infirmerie. Tout était dans le même état que de l'autre côté du palais, envahit par la nature. Ils arrivèrent dans une immense cour donnant sur les jardins qui avaient perdu leur splendeur passée. Autrefois rien ne dépassait, l'herbe était impeccablement taillée, les arbres et buissons également, les fleurs illuminaient les jardins de toute leur splendeur. Aujourd'hui, il était évident que tout avait été laissé à l'abandon, l'herbe était tellement haute qu'il n'y avait plus aucune trace de quelconques fleurs ou bancs. Au loin, elle aperçut le haut du toit d'un des kiosques.
Mais cette cour donnait également accès aux cryptes. Un petit bâtiment blanc à trois tout en hauteur se dressait devant eux. La double-porte était en granit et était visiblement scellée par la magie, mais son manque d'attention durant les cours de Lamruil se fit ressentir, elle n'arrivait plus à retrouver la formule. La princesse se tourna alors vers les quatre soldats.
–Est-ce que l'un de vous se souvient de la formule pour ouvrir les cryptes ? Demanda-t-elle.
Le plus grand des quatre fit un pas vers elle.
–Je l'avais apprise par cœur, annonça-t-il.
–En espérant que tu la connaisses toujours.
Il s'avança jusqu'au bâtiment et posa sa main sur la porte, récitant la fameuse formule en langue elfique. Une aura bleue entoura la porte qui, quelques instants plus tard, s'ouvrit dans une longue plainte. Après avoir remercié le soldat, elle s'engouffra dans le corridor qui sentait le renfermé et l'humidité à plein nez. Elle se dirigea vers l'endroit où étaient entreposées les torches mais elle ne trouva que du bois pourrit. Par chance, Avedelis en trouva dans les hautes herbes des jardins. D'un seul mot, Nylathria les alluma.
Leur chemin étant enfin éclairé, ils purent descendre les étroites marches, coincées entre deux murs en pierre humides et remplis de mousse. Ils n'eurent d'autre choix que de poser leurs mains sur cette mousse hideuse pour avoir un point d'appui et éviter de glisser. La descente était interminable, Nylathria ne se souvenait pas qu'il y avait autant de marches. Mais finalement, après de longues minutes de descente, ils arrivèrent dans ce grand hall à une hauteur sous plafond pharamineuse. De grandes arches et des peintures écaillées décoraient les murs et les plafonds, et le sol était d'un marbre en très bon état, ce qui ne manqua pas d'étonner la jeune femme.
À droite se trouvaient les tombeaux, c'est donc la porte de gauche qu'ils ouvrirent. Ils se trouvèrent dans une nouvelle pièce où le temps semblait s'être arrêté. Rien n'avait été endommagé. Les statues de dragons sur les murs étaient intactes, tout comme les plafonniers et le tapis sur le sol. Nylathria n'en revenait pas, c'était insensé ! Plus de deux siècles avaient passé et cet endroit n'avait pas changé. Mais elle n'avait pas le temps de s'en préoccuper, récupérer les œufs était son objectif premier. Ou du moins, celui que Castien avait jugé comme étant le plus important.
Elle se dirigea vers l'immense porte qui trônait la pièce. Deux immenses dragons de pierre l'encerclaient et une tête de dragon décorait la pointe. Tout était derrière. Mais lorsqu'elle posa ses mains sur les poignées pour les ouvrir, elles s'animèrent d'une aura jaune et une puissante onde de choc traversa la pièce et envoya valser ses compagnons. Elle releva la tête. La porte était scellée, Lamruil avait dû le faire avant de partir en catastrophe.
–Tout le monde va bien ? Demanda Avedelis.
–Oui mais qu'est-ce qu'il vient de se passer ? Fit Durlan en se relevant, se frottant le crâne.
Nylathria soupira bruyamment.
–Lamruil a scellé la porte, annonça-t-elle.
–Vous n'avez pas une formule pour enlever le sort ? Demanda Azlore.
–Malheureusement c'est plus compliqué que cela, fit la jeune femme en se tournant vers le groupe. Cette salle a été configurée par la magie et lorsqu'un sage prononce une certaine formule, la salle se ferme et ne s'ouvrira que pour un Guerrier du dragon. C'est pour cela qu'ils avaient besoin de moi les enfoirés ! Je suis la seule qui peut ouvrir cette fichue porte.
–Mais alors, pourquoi est-ce qu'elle a refusé de s'ouvrir ? Demanda Torestrin.
–Parce que je dois prouver que mon cœur est pur et que je viens sans viles intentions.
–C'est le cas non ? Fit Durlan en s'approchant d'elle. Comment est-ce que tu dois prouver cela ?
Elle le regarda longuement, le cœur battant. Elle n'avait aucune envie de faire cela, parce qu'elle savait que cela allait la blesser.
–Je dois faire face à la possibilité d'une autre vie et d'un destin différent. Pour faire plus simple, vous allez tous voir ce qu'aurait dû être ma vie sans un certain évènement. Et je suis certaine que cet évènement est le Fléau.
–Alors fais-le, non ? Lança Murzol. Il nous faut ces œufs.
Elle ne répondit pas et son cœur se serra. Elle avait peur de ce qu'elle allait voir, peur que cela lui fasse du mal. Elle avait mis tellement de temps à se forger sa carapace mais elle ignorait si elle allait être assez résistante à cette vision.
–Qu'est-ce qu'il se passe ? Lui demanda tendrement Durlan.
–Je n'ai pas envie de savoir ce qu'aurait dû être ma vie, répondit-elle, je ne veux pas voir tout ça, je... cela ne m'intéresse pas, ma vie est très bien comme elle est, je n'ai pas envie de me sentir coupable ou de ruminer jusqu'à la fin de mes jours en me disant que si j'avais fait une toute petite chose, ma vie aurait été différente et peut-être meilleure. Je me contrefiche de savoir que j'aurais pu être une autre personne, une version parfaite de moi-même parce que je sais que je ne pourrais jamais devenir cette femme. J'ai mis tellement de temps à m'accepter, et même encore aujourd'hui je fais un travail monstre et je prends sur moi en me disant que non, je ne suis pas une mauvaise personne, que tout ce que j'ai fais c'était pour mo propre bien et que j'ai fais ce que tout le monde aurait fait. J'ai mis des années à vivre avec le drame du Fléau et toute cette culpabilité, ce que je vais voir ne va faire que briser tout ce que j'ai construit.
Sans qu'elle ne s'y attende, Durlan la prit dans ses bras et même si elle fut surprise au premier abord, elle se laissa aller contre lui. Elle en avait besoin parce qu'elle avait terriblement peur.
–Je n'ai pas envie que tu voies la version parfaite de moi-même, souffla-t-elle, parce que tu ne verras plus que mes imperfections.
–Je me fiche bien de tes imperfections, murmura-t-il, elles te rendent magnifique. Je ne veux pas que tu sois parfaite, tu serais terriblement ennuyante. Qui me traitera d'idiot si ce n'est pas toi ?
Malgré elle, elle se mit à rire. Ses mots l'avaient apaisée. Il avait beau se montrer stupide parfois, il pouvait s'avérer être la meilleure personne pour vous remonter le moral et vous redonner un peu d'espoir. Reprenant une contenance, elle s'écarta et jeta un coup d'œil par-dessus l'épaule de Durlan. Murzol faisait bouger ses sourcils d'une manière très explicite, Avedelis avait ce semblant de sourire sur le visage, Torestrin avait sa pipe au bec et Azlore sautillait presque sur place alors que les gardes regardaient ailleurs.
–Je vais le faire, déclara-t-elle, mais uniquement parce que je compte bien être payée grassement pour cela. Et le premier qui se fout de moi, je l'enferme dans les cryptes pour qu'il y pourrisse. Suis-je claire ?
Tous acquiescèrent et elle se tourna vers la porte. Elle s'avança lentement, souffla un bon coup pour calmer les battements de son cœur et posa sa main droite sur la reproduction parfaite de la marque du dragon.
–Je suis Nylathria, clama la jeune femme en langue elfique, fille d'Eroan et Guerrière du dragon. Je me présente à vous en toute impunité pour vous réclamer l'ouverture de cette porte et l'accès à tous ses secrets.
La porte s'illumina alors d'une lumière aveuglante. La princesse mit sa main libre en visière pour se protéger les yeux.
–Si ta main est blanche et tes intentions pures alors tu sauras faire face aux nœuds du temps.
La lumière de la porte s'estompa progressivement et celle-ci se transforma en miroir.
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