Ellran Edhil

Voilà des jours qu'ils étaient partis d'Irindor et des jours que Nylathria voyait l'elfe noir entre les arbres. Ses apparitions étaient furtives mais elle le voyait clairement. Il n'avait de cesse de la suivre. Mais il ne lui parlait plus, il se contentait de l'observer. Quelque chose avait changé, elle le sentait, mais elle n'arrivait pas à trouver quoi. Aurait-ce un rapport avec l'attaque d'Aragath ? En serait-il à l'origine ? Elle devait absolument savoir qui était cet homme. Peut-être y aurait-il quelque chose dans la bibliothèque d'Ellran Edhil qui pourrait l'aider.

Les deux soldats de l'Aube ne parlaient que très peu et restaient attentif à tout ce qu'il se passait autour d'eux. Nylathria ne connaissait même pas leurs prénoms. Et après réflexion, elle s'en fichait.

En passant la frontière qui séparait les Terres de l'Aube et le royaume de Feoyether, la jeune femme sentit un élan de magie s'insinuer en elle, même s'il restait moins fort que sur l'empire elfique. Shea Dorei, le bois sacré des demi-elfes, était beaucoup moins puissant et chargé en magie que l'O'retaesi depuis que les elfes avaient quitté l'endroit au profit de leurs cousins mais il était évident que de la magie elfique coulait dans la sève de ces arbres.

Nylathria se sentait plus à l'aise que sur les Terres de l'Aube, même si l'idée d'être entourée de demi-elfes ne l'enchantait pas. Au moins, ce peuple là aurait-il quelque respect pour elle et ses compagnons.

Elle avait beau essayer de penser à autre chose, se concentrer sur la magie qui l'entourait, Nyla n'arrivait pas à s'enlever l'elfe noir de l'esprit. Et à chaque fois qu'elle pensait s'être enfin débarrassée de lui, il apparaissait et venait de nouveau la hanter. Durlan voyait bien que quelque chose n'allait pas mais elle ne voulait pas lui parler de ce qui la rongeait, il avait bien assez de problèmes elle ne voulait pas lui imposer les siens.

Les disputes entre Murzol, Torestrin, Azlore et même Nieven parfois arrivaient à lui arracher un sourire, avant qu'elle ne pense à les étriper, mais elle restait focalisée sur l'histoire de Bhaklur et Adorellan. Plus elle y pensait et moins elle arrivait à comprendre. Pourtant, il n'y avait rien à comprendre, Bhaklur s'était tourné vers le Dieu sans nom, vers la magie noire et est devenu un elfe noir, corrompant sur son passage bien d'autre. Et son frère, Adorellan, l'avait combattu pour l'arrêter et faire revenir la paix. Mais quelque chose n'allait pas, même s'il s'agissait là de l'histoire qu'on lui a conté durant toute son enfance, elle avait un goût amer.

Ils mirent deux semaines pour apercevoir la capitale de Feoyether et une journée de plus pour l'atteindre. Les villes des demi-elfes ressemblaient énormément à celles de l'empire, en beaucoup moins impressionnantes. Il était bien connu que les demi-elfes souhaitaient tout faire comme leurs lointain cousins afin de jouir de leur réputation mais étrangement, tout ce qu'ils entreprenaient semblaient beaucoup moins majestueux que lorsque les elfes le faisaient. Cela a d'ailleurs animé une certaine jalousie, mais cette jalousie n'était pas assez ancrée pour surpasser l'admiration.

Mais les demi-elfes restaient tout de même un peuple fier, prônant son émancipation. Et lorsque les elfes ont disparu, ils se sont empressés de se déclarer comme étant le peuple le plus puissant du monde en raison des liens de sang qu'ils entretenaient avec les elfes. Le roi Ingsaran se vante même d'avoir un lien de parenté avec la famille impériale des Balsandoral et réclame, depuis le Fléau, les terres de l'empire. Mais elles ne lui ont jamais été données, les druides l'ont toujours refusé afin que le passage des elfes et leur tragédie reste à jamais visible de tous.

Nylathria connaissait son arbre généalogique presque par cœur et pourrait donner les noms de ses ancêtres nés durant le premier âge et cet ancêtre qu'Ingsaran prétendait avoir dans la famille Balsandoral n'existait tout simplement pas. Son ancêtre avait seulement été désigné par la famille impériale pour gouverner les demi-elfes, le jugeant plus apte que les autres à cette tâche. Mais les Balsandoral et les Inaxysis n'ont aucun lien de parenté. Mais ce sujet était tabou et il valait mieux ne pas en parler, surtout pas à la Cour.

–Alors c'est ça Ellran Edhil, commenta Murzol lorsqu'ils arrivèrent au niveau de la porte nord. Mouais, c'est Gaaldorei en moins bien et moins détruite.

–Restons poli, gronda Nieven, ce n'est pas le moment de heurter la fierté des demi-elfes.

Dans le dos de l'elfe, Azlore se pencha vers Murzol et fit une imitation grotesque. L'orque ne cacha pas son hilarité alors que Torestrin se retenait de rire en tirant sur sa pipe et Durlan en regardant ailleurs. Nylathria, elle, se contenta d'un sourire.

Beaucoup de monde entrait et sortait par la porte nord, des paysans et marchands pour la plupart, quelques soldats. Mais tous sans exception s'inclinèrent en voyant les deux elfes de ce petit cortège, et ils se prosternèrent si bas que Nylathria cru qu'ils ne s'arrêteraient jamais de descendre. Ils eurent le droit à toutes ces courbettes tout le long du chemin.

L'avenue principale desservait bien d'autres rues et filait tout droit vers le palais royal qui, perché sur sa colline, dominait la ville. Les habitants sortaient des magasins et des auberges, passaient la tête par leurs fenêtres et accouraient des rues adjacentes afin de voir ces deux elfes marcher dans les rues d'Ellran Edhil, ce qui n'était plus arrivé depuis des siècles. On les saluait, leur jetait des pétales de fleurs et autres bijoux, on les acclamait de toute part. Une petite fille vint la trouver, tout sourire, et lui donna un bouquet de fleurs. Elle la remercia et ordonna à sa monture d'avancer.

Le clou du spectacle fut l'arrivée d'Olvaar. Le dragon passa au-dessus de la ville en poussant un cri, provoquant d'autres ovations, sourires et des regards replis d'étoiles.

–À toi d'être acclamée, lui glissa Durlan.

–Je m'en serai bien passé, répondit-elle en parcourant la foule du regard.

–Oh allez Elecia ! S'exclama Murzol. Ne me dis pas que tu n'aimes pas recevoir autant de cadeaux !

La princesse jeta un coup d'œil vers l'orque qui ne cessait de charmer toutes les femmes qui croisaient son regard.

–Souris, fit Durlan, tu es l'attraction de la journée !

Nylathria grommela et poussa son cheval en avant. Plus vite elle serait arrivée au palais, plus vite elle pourra se coucher et plus vite elle pourra passer à un autre jour.

L'arrivée au château fut laborieuse, on n'avait cessé de l'intercepter pour lui offrir des cadeaux, la complimenter ou lui demander une bénédiction. N'avait-elle pas dit qu'ils la prendraient pour Mère Nature elle-même ?

Le palais était constitué de trois tours principales et de trois autres plus petites. Pour y accéder, il fallait passer une autre porte. Les maisons de la ville venaient se coller jusqu'aux murailles, comme s'il n'y avait pas assez de place. Dans la cour, tout un cortège s'était rassemblé et tous s'inclinèrent lorsqu'elle arriva. Elle se retint de lever les yeux au ciel. Elle stoppa sa monture et mit pied à terre. Elle avait l'impression que le moindre de ses gestes leur paraissait incroyable. Cette assemblée devait être la Cour du roi, mais il n'y avait aucun signe du souverain. Tous s'étaient rassemblés pour l'accueillir sauf la seule personne qui l'intéressait. Un homme aux cheveux blonds très clairs, presque blancs, se détacha du groupe et vint à sa rencontre.

–Vôtre Altesse impériale, commença-t-il, je suis le prince Hillanor, troisième fils de Leurs Majestés le roi Ingsaran et la reine consort Joydis. Je suis ravi de vous revoir à Ellran Edhil.

Il prit délicatement sa main et y déposa un rapide baiser avant de se redresser. Le prince Hillanor était le septième enfant d'une fratrie de huit. Le roi et la reine avaient eu trois fils et cinq filles. Nylathria essayait de se rappeler de tous les noms mais eu un peu de mal.

–Le plaisir et pour moi Vôtre Altesse, répondit-elle en faignant un sourire.

–Mon père vous attend dans la salle du trône, veuillez me suivre.

Il lui tendit le bras et elle hésita un instant à le prendre. Mais elle s'y résigna, ne voulant pas heurter la fierté des elfes, comme l'avait si bien dit Nieven, et seule la Mère sait à quel point elle était grande.

–Avez-vous fait un bon voyage ? Lui demanda le prince.

Elle serra les dents. Elle détestait ces discussions de politesse, seulement faîtes pour combler le vide. Autant ne pas parler si personne n'avait rien à dire au lieu de se forcer, mais l'étiquette en avait décidé autrement.

–Très, nous sommes tous épuisés, nous avons hâte que cette journée se termine.

–Ne vous en faîtes pas, chère cousine, vous aurez tout le loisir de vous reposer après l'entrevue avec mon père.

Elle avait oublié que la famille royale avait prit pour habitude de traiter les membres de la famille impériale comme leurs cousins. Cela l'exaspérait encore plus.

Ils arrivèrent finalement dans la salle du trône. La pièce était circulaire, de larges colonnes soutenaient un plafond sur lequel étaient peint les exploits de nombreux chevaliers de leur peuple. Le trône, situé en face de la porte principale, était en granit blanc et très peu haut comparé au trône des elfes, des Terres de l'Aube ou encore de celles de l'Opale. Le trône des nains pouvait être plus haut également mais elle ne craignait que ce ne fut qu'une illusion causée par la petitesse de leur roi.

Le reste de la famille royale les attendait bien patiemment, le roi sur son trône, la reine sur son siège à sa droite et leurs enfants autour. Les conseillers étaient là également ainsi que les membres de la Cour les plus proches de la famille royale.

En arrivant face au roi, le prince Hillanor fit une légère courbette et alla rejoindre ses frères et sœurs. Nylathria et ses compagnons s'agenouillèrent mais Ingsaran se leva immédiatement.

–Oh non, ne vous agenouillez pas devant moi Vôtre Altesse, fit le roi, ce serait à moi de me prosterner.

Le roi Ingsaran était un homme assez petit et fin, aux longs cheveux blonds et aux yeux bleus extrêmement clairs. Depuis la dernière fois qu'elle l'avait vu, il avait pris quelques rides.

–Je suis dans votre royaume, fit Nylathria, c'est tout à fait normal que je vous montre mon respect.

–Je ne suis pas digne de votre respect, madame, mais je suis honoré que vous me l'accordiez comme l'a fait autrefois votre très regretté père. Sa présence et celle de la famille impériale était un immense honneur pour moi mais le voir me faire une révérence avait remplit mon cœur de joie.

Si son père ne lui avait pas apprit à flatter l'égo des demi-elfes, elle aurait certainement levé les yeux au ciel et lui aurait lancé une réplique cinglante. Mais elle se retint.

–Vous vous souvenez certainement des mes enfants, reprit-il, mais je vais tout de même les présenter pour vos compagnons de route. Voici la princesse Elislyn, la princesse Vylria, le prince Edruil, la princesse Amelawyn, la princesse Elyeraine, le prince Torian, le prince Hillanor, qui vous a accompagné jusqu'ici, et enfin la princesse Inryll.

Tous se ressemblaient beaucoup, tout en ayant chacun quelque chose qui le différencie des autres.

–Et bien entendu, je vous présente ma reine, Dame Joydis.

La reine se leva gracieusement de son siège, vint rejoindre son époux et adressa une légère révérence à Nylathria. Ses cheveux étaient gris et ses yeux verts. Souvent, les demi-elfes n'héritent pas des yeux violets de leurs ancêtres elfes et possèdent ceux de leur parent humain. Leurs oreilles sont plus petites, leurs cheveux sont blonds ou gris, voire châtains pour quelques cas rares, et ils n'ont pas les marques noires caractéristiques des elfes.

–C'est un honneur que de vous revoir Vôtre Altesse, lui dit la reine de sa voix cristalline. Permettez-moi de vous dire que vous me rappelez énormément votre mère tout en ayant la passion dans le regard de votre père. Vous êtes d'une beauté époustouflante.

Comme tous les elfes. Elle se garda bien de le lui dire. Il valait mieux ne pas les mettre en colère.

–Je vous remercie Majesté. Vous n'avez pas changé depuis ma dernière visite, vous êtes, vous aussi, d'une beauté sans pareil.

Toujours flatter leur égo. Toujours.

–J'ai bien peur que le temps ne commence à me rattraper, fit Joydis, mais laissez-moi vous remercier pour votre compliment.

–Et nous avons cru comprendre que nous devions vous féliciter, ajouta Ingsaran, pour vos fiançailles.

Nylathria eu un temps d'arrêt avant de se rappeler qu'en effet, elle était supposée se marier avec Durlan.

–Allez-vous nous présenter le futur Grand-Duc ? Lui demanda le roi.

La jeune femme se tourna vers Durlan et lui fit un signe de tête pour l'inviter à les rejoindre.

–Vos Majesté, commença-t-elle alors que le jeune homme arrivait à ses côtés, voici Durlan, le fils de la princesse Gweirith Vecralon de l'Aube.

–Ravi de faire votre connaissance, fit Durlan en effectuant une parfaite révérence.

–Nous de même, répondit le roi. Alors vous épousez un humain, vos enfants seront donc des demi-elfes, quoi de mieux pour former des alliances par mariage entre nos deux familles ?

Le sourire de Nylathria s'effaça. Elle n'avait jamais pensé à cela. Elle savait qu'un jour ou l'autre, Durlan voudrait avoir des enfants et elle n'avait jamais été très emballée à cette idée mais Ingsaran venait de lui donner une autre raison de ne pas en avoir. Qu'ils essaient de vivre parmi les humains ou les elfes, ces enfants ne seraient jamais à leur place, trop elfes pour les humains et trop humains pour les elfes. C'était d'ailleurs pour cette même raison que les elfes avaient décidé, bien des millénaires auparavant, de céder une partie de leurs terres aux demi-elfes, afin qu'ils puissent enfin trouver leur place.

–Enfin, reprit Ingsaran, nous ne sommes pas rendus là ! J'ai très hâte d'assister à votre mariage ! Du moins, une fois que tout ceci sera terminé.

–En parlant de cela Vôtre Majesté, fit-elle, nous devons absolument...

–Voyons Vôtre Altesse, vous venez à peine d'arriver. Prenez le temps de vous installer et de vous préparer pour le banquet de ce soir, en espérant qu'il vous plaira.

–Mais le temps presse et nous...

–Cela pourra attendre demain, une journée de plus ou de moins ne changera en rien la situation. Et puis vous ne comptiez pas partir dès demain j'espère.

–Non mais...

–Parfait ! S'exclama le roi en frappant dans ses mains. Qu'on emmène la princesse et ses compagnons dans leurs appartements.

Il se pencha ensuite vers elle avec un air de confidence.

–J'ai ouïe dire que vous ne faisiez pas chambre à part, lança-t-il discrètement, êtes-vous sûrs que cela n'est pas disons... dangereux avant le mariage ?

Du coin de l'œil, Nylathria vit Durlan tenter de cacher au mieux sa gêne, ce qui lui arracha un sourire.

–Ne vous inquiétez pas Majesté, répondit-elle d'un ton léger, tout est parfaitement sous contrôle.

–Si vous le dites, mais sachez qu'une chambre a été préparée pour le futur Grand-Duc.

–Nous vous remercions.

Durlan et Nylathria firent une révérence avant de retourner vers leurs compagnons et suivre un valet. Tous les membres de la Cour s'inclinèrent sur leur passage. C'était aussi une fâcheuse habitude des demi-elfes, honorer les elfes à chacune de leur apparition, qu'il s'agisse d'un parfait paysan comme de l'empereur lui-même.

Une fois dans les couloirs, loin du regard de la famille royale et de ses proches, le petit groupe put se dérider.

–Tout est sous contrôle, lâcha Murzol en essayant d'imiter Nylathria. Tu parles, vous ne contrôlez rien du tout. Je suis sûr qu'en quelques mois vous l'avez plus fait que le roi et la reine en je ne sais combien d'années de mariage !

Nylathria leva les yeux au ciel alors que Durlan rougissait, baissant la tête pour se cacher au mieux.

–Murzol ! Gronda Nieven. Veuillez ne pas insulter le couple royal de la sorte.

–Détends-toi Nieven ! S'exclama l'orque en lui infligeant une tape dans le dos, surprenant l'elfe. Qu'est-ce que tu veux qu'ils nous fassent de toute façon ? Nous sommes les plus proches amis de Son Altesse impériale, la grande et vénérée princesse Nylathria et du futur Grand-Duc. Même s'ils le voulaient, ils ne lèveraient pas la main sur nous de peur de froisser les elfes.

Le valet fit un léger signe de tête vers l'orque, lui lançant un rapide regard noir. Mais Murzol ne le remarqua pas, trop occupé à rire.

–Je te conseillerai tout de même de ne pas les insulter, ajouta Torestrin en nettoyant rapidement sa pipe, nous sommes quand même dans leur royaume.

–En tout cas, c'est incroyable ! Intervint Azlore. Vous sentez toute la magie qu'il y a ici ?

Murzol et Torestrin échangèrent un regard.

–C'est vrai qu'il y a un peu de magie ici, répondit Nieven, mais elle était bien plus puissante à Gaaldorei du temps où nous y vivions encore.

–Cela devait être impressionnant ! S'extasia l'apprenti druide.

–Azlore, fit Murzol, tu parles à des gens qui avaient des dragons pour animaux de compagnie.

–Les dragons ne sont pas des animaux de compagnie ! S'offusqua Nieven. N'avez-vous donc aucun respect ?

–Mon cher, si nous en avions ne serait-ce qu'un peu, ça se saurait.

Nylathria jeta un coup d'œil vers les soldats de l'Aube, toujours collés à leurs basques. Elle s'approcha discrètement de Durlan alors que les hommes devant eux ne cessaient de se disputer.

–Je pensais à quelque chose, murmura-t-elle. SI nous partons en douce d'ici une fois que nous aurons les hommes d'Ingsaran, les soldats de Berengar ne pourraient pas nous suivre, nous serions donc tranquilles. Plus de chaperons.

Durlan regarda par-dessus son épaule avant de reporter son attention sur elle, une étincelle de malice dans les yeux.

–Cela pourrait se faire, s'ils ne savaient pas où nous allons.

–Il suffirait de tout faire pour qu'ils ne nous rattrapent pas. Nous arriverions à Lakar bien avant eux et lorsqu'ils essaieront d'entrer au palais, nous dirons que nous ne les connaissons pas et nous ferons comprendre à la reine Sirila que Berengar te veut du mal et que ces deux-là n'ont pour seule mission que de t'attaquer dans la nuit.

–Tu es vicieuse Nyla, lança-t-il avec un léger sourire sur les lèvres.

–Je sais et c'est ainsi qu'on survit petit prince.

La chambre qui leur avait été attribuée était plutôt spacieuse et bon nombre de domestiques allaient et venaient sans cesse, leur demandant régulièrement s'ils avaient besoin de quelque chose. Même Durlan se sentait gêné. Finalement, Nylathria explosa.

–Pour la dixième fois, non nous n'avons besoin de rien seulement du calme pour nous reposer. Êtes-vous en capacité de nous donner cela ?

Les domestiques s'excusèrent un million de fois avant de partir et d'enfin les laisser seuls. Nylathria s'écroula sur le lit à la seconde où la porte se ferma.

–Il faut qu'on parte d'ici le plus vite possible, murmura-t-elle en fermant les paupières.

–Ingsaran ne semble pas décidé à nous laisser partir aussi facilement, fit Durlan en s'asseyant à côté d'elle.

–Je ne vais pas lui laisser le choix, on doit encore aller à Lakar et retourner à Irindor. Et après cela, nous serons enfin libérés de cette foutue mission.

Le jeune homme ne répondit pas tout de suite, semblant perdu dans ses pensées.

–Tu ne comptes toujours pas te battre ? L'interrogea-t-il.

–Je n'ai rien à gagner là-dedans, répondit-elle en fixant le plafond, et j'ai beaucoup trop à perdre. J'ai déjà vécu cela et j'ai tout perdu, je ne veux pas le revivre une deuxième fois. J'ai beau être forte, je ne sais pas si je le supporterai.

De nouveau, Durlan laissa planer le silence. Nylathria savait parfaitement que lui, il voulait se battre pour son peuple et elle le comprenait. Si elle avait été plus âgée lors du Fléau, elle serait montée sur Olvaar et se serait battu aux côtés des autres Guerriers du dragon pour défendre sa cité. S'il comptait se battre, elle ne l'en empêcherait pas.

–Bon, nous devons nous préparer ! Lança-t-il en posant une main sur sa cuisse. J'ai cru comprendre qu'un banquet nous attendait ce soir.

La jeune femme râla longuement. Elle méprisait ces soirées, en particulier parce qu'elle devait porter une robe, sourire aux gens et répondre à leurs questions.

–Tu veux que j'appelle une femme de chambre pour t'aider à t'habiller ?

–Surtout pas ! S'exclama-t-elle en se redressant. Je peux très bien me débrouiller toute seule.

–Même pour mettre le corset ?

Il arqua un sourcil. Nylathria posa son regard sur cet engin de torture qui l'attendait bien sagement sur le siège et grimaça.

–Tu m'aiderais, fit-elle, si tu sais l'enlever tu arriveras à le mettre.

Elle lui lança un regard malicieux, se leva et s'avança jusqu'à la baignoire qui avait été remplie. L'eau avait déjà commencé à refroidir. Ils prirent tous les deux un bain tout en parlant. Durlan lui demandait de raconter des légendes du son peuple et de lui conter la vie des héros mythique. Elle le fit avec grand plaisir parce qu'elle aimait le voir aussi intéressé et attentif. Parfois, il lui faisait penser à un enfant avide de connaissances. Cela la faisait toujours sourire.

Une fois le bain prit, l'épreuve de l'habillage commença. Après avoir enfilé sa chemise, elle demanda à Durlan de lui lancer son corset. Il le faisait avec attention et s'y prenait bien, soucieux de lui faire mal. Au moins avait-il plus de tendresse que les femmes de chambre d'Irindor ou Enkawa. Elle se mit à regretter leur passage à Vum Malduhr. Là-bas, le roi Murdrek ne lui avait pas demandé de se transformer en dame. Il lui avait même dit préférer les femmes en vêtements d'homme.

Une fois le corset en place, elle choisit l'une des robes qu'on lui avait apportées, celle qui lui semblait la plus simple. Celle-ci était bleu nuit avec quelques détails dorés et les manches, longues et amples, étaient blanches. Ses épaules étaient dégagées et son décolleté bien plus plongeant qu'elle ne le croyait. Elle décora son cou d'un collier en or. Elle entreprit ensuite de coiffer ses cheveux bancs à présent propres et fit simplement quelques tresses qu'elle joignit à l'arrière de sa tête. Sa mère lui faisait souvent cette coiffure-ci lors d'évènements important. Puis elle plaça un diadème doré sur son front.

–Qu'est-ce que c'est que cela ? Demanda Durlan en se penchant par-dessus son épaule et en indiquant des bijoux.

–Ce sont des bijoux que l'on place sur le haut de l'oreille, répondit-elle en s'en emparant d'un. Généralement, les demi-elfes les mettent pour rallonger les leurs, ils sont très complexés par leur petitesse.

–C'est vrai que tes longues oreilles pointues sont jolies, se moqua-t-il en lui adressant un sourire joueur.

Elle lui lança un regard noir dans le miroir et plaça les bijoux sur ses oreilles dégagées. Quitte à complexer les demi-elfes, autant le faire complètement.

–Comment tu me trouves ? Lui demanda-t-il en s'éloignant et en écartant les bras.

Elle le lorgna un instant. Il portait un pourpoint typique de la mode des elfes, bleu ciel et argent et dont le col remontait haut dans le cou et étant ouvert jusqu'en haut de son torse. Il s'ouvrait également au niveau de la taille et s'évasait jusqu'au genoux. Il s'était rasé de frais, pour ne pas dénoter, et elle se rendit compte que ses cheveux bruns étaient nettement plus longs, lui arrivant aux épaules. En tant que soi-disant futur Grand-Duc, il avait dû lui aussi mettre un diadème en argent, l'or étant réservé aux personnes de sang impérial dans les traditions elfiques. C'est pourquoi sa mère n'avait jamais pu porter de bijoux en or. Et pour finit, l'Étoile du Jour décorait son cou.

–Tu es splendide, lui dit-elle. Si tu n'avais pas les yeux et les cheveux si foncés et les oreilles si courtes, on pourrait te prendre pour un elfe.

–Je le prends pour un compliment.

–Ça l'était.

Elle finit de lacer ses chaussures et s'avança jusqu'à lui, passa ses mains autour de sa nuque et planta son regard dans le sien.

–On ne restera pas longtemps, l'informa-t-elle.

–Ça me va, au moins je t'aurais pour moi seul pendant plus de temps.

Il déposa un rapide mais tendre baiser sur ses lèvres.

–Au fait, comment va ton dos ? Lui demanda-t-elle.

–Je vais bien, ne t'inquiète pas. Il n'y a plus que les cicatrices.

–Si tu le dis. Bon, nous devrions y aller, ce serait dommage de faire attendre nos hôtes.

–Tu vas déjà les insulter en leur montrant tes oreilles gigantesques.

Elle lui asséna une tape sur l'épaule, ce qui le fit rire. Il savait parfaitement bien qu'elle détestait ses oreilles et il aimait en jouer.

–Elle ne sont pas si gigantesques que cela, ce sont les tiennes qui sont minuscules.

Elle tourna les talons et se dirigea vers la porte. Durlan la rattrapa rapidement en riant et lui offrit son bras. Tous deux, ils parcoururent les couloirs du palais. Quelques souvenirs de son dernier passage ici lui revenaient en mémoire. Elle se voyait arpenter ces mêmes couloirs en compagnie de sa mère qui lui répétait sans cesse de bien se tenir et de ne pas faire allusion au fait qu'elle maniait l'épée, ou de son frère Belanor qui se moquait d'elle parce qu'elle se débattait avec ses jupes. Elle se souvenait avoir passé un peu de temps avec la dernière fille du roi et de la reine, la princesse Inryll, puisqu'elles étaient les plus proches en âge mais Inryll ne cessait de parler d'histoires d'amour avec des chevaliers, de robes et de bijoux alors que Nylathria préférait les épées et les combats.

Lorsqu'ils arrivèrent dans la salle de réception, tous les membres de la Cour se prosternèrent. Nylathria manqua de lever les yeux au ciel.

–Vôtre Altesse ! S'exclama le roi Ingsaran alors que les gens reprenaient leurs discussions. Plus je vous vois et plus votre beauté surpasse toute autre chose.

–Même Mère Nature ?

Il marqua un temps d'arrêt et elle se retint de rire. Elle venait de le piéger et le voir réfléchir à toute allure pour trouver une échappatoire au plus vite était hilarant.

–Veuillez me pardonner, se reprit-il, votre beauté égale celle de la Mère.

–Je suis un peu déçue, il y a quelques minutes j'étais la plus belle femme au monde et voilà qu'on m'égale.

–Égaler la Mère est un grand honneur, lui fit-il remarquer.

–Bien entendu.

Du coin de l'œil, elle vit Durlan détourner le regard pour se retenir de rire. Apparemment, elle n'était pas la seule à rire de la gêne du roi.

–Veuillez m'excuser, lança le souverain, je vois qu'on me fait signe. Passez une agréable soirée.

–Nous vous remercions, répondit Durlan en retenant son sourire.

Ingsaran leur fit un signe de tête et s'en alla. Il était évident que personne ne l'avait appelé, il voulait seulement se sortir de cette discussion au plus vite. À leur gauche, un petit groupe s'était rassemblé autour de Nieven, plus chic que jamais. En revanche, il n'y avait aucun signe des deux soldats de l'Aube.

–Le pauvre, commenta Durlan en regardant le roi, ce devait être horriblement gênant pour lui.

–Mais c'était terriblement drôle pour nous.

–Tu n'as aucune pitié.

Rapidement, bon nombre de nobles venaient les voir et s'enchaînaient, tant pour les féliciter pour leurs fiançailles que pour les complimenter. Tout ceci donnait à Nylathria une forte envie de vomir et elle se sentait oppressée. Elle voulait simplement que tout ceci se termine. De temps en temps, Azlore venait les voir pour leurs raconter quelques ragots et leur dire ce qu'il avait apprit sur la magie. Les demi-elfes n'étaient pas connus pour leur excellence dans la magie elfique, cela faisait des siècles que son savoir s'était perdu chez ce peuple mais ils n'avaient de cesse de se vanter d'avoir la magie de la Mère dans le sang. Si ça peut leur faire plaisir...

Murzol et Torestrin restaient près du banquet, comme à leur habitude, et l'orque n'avait de cesse d'accoster des dames et tenter de les charmer. Mais les demi-elfes étaient bien trop fiers pour s'abaisser aux orques. Murzol n'allait certainement pas découvrir leur culture.

–Je ne comprends pas, lança-t-il en se plantant devant le couple, j'ai tout tenté, même la technique des cicatrices ! Elle marche à tous les coups normalement mais là non, je ne comprends pas !

–Tu te fais vieux mon ami, rétorqua Torestrin en tirant sur sa pipe, tu te rouilles.

La fumée dérangea certaines personnes autour d'eux qui regardaient le nain d'un très mauvais œil.

–Le demi-elfes sont très difficiles, fit Nylathria, trop pour toi.

–Bah, j'aurais plus de chances à Lakar.

–Sans aucun doute ! Se moqua Durlan.

La soirée fut longue, beaucoup trop longue, et le nombre d'invités qui l'assaillaient ne lui permettaient pas de filer en douce pour se réfugier dans sa chambre. On la complimentait toujours plus, tantôt sur sa beauté, tantôt sur sa robe, tantôt sur ses bijoux ou encore ses cheveux. Des dames lui demandaient quelques détails croustillants à propos de sa relation avec Durlan et notamment comment il avait fait sa demande.

–C'était très simple, répondit-elle, rien de bien extravagant.

–Allez, ne soyez pas si avare Vôtre Altesse !

Elle se creusa les méninges pour trouver quelque chose qui faille l'affaire. Puis elle se souvint de ce que lui avait raconté sa mère sur la demande de son père et comme il lui avait faite. Avec cela, elle rajouta le semblant de déclaration qu'il y avait eu à Enkawa.

–Nous étions encore à Enkawa, commença-t-elle. C'était le soir où j'ai enfin avoué qui j'étais et ce que j'étais réellement. Nous nous connaissions déjà depuis quelques mois et on se... tournait autour dira-t-on. Ce soir-là, juste après le banquet, il est venu me voir dans mes appartements, tout gêné et je lui ai proposé de partager une coupe de vin avec moi sur le balcon. Nous avons observé les toiles tous les deux, je lui racontais que pour mon peuple, elles représentaient toutes les âmes parties rejoindre la Mère, et lui me disait que pour son peuple, il s'agissait de milliers de lanternes créées par les Dieux pour qu'ils puissent voir dans le noir.

Elle faisait ce qu'elle pouvait pour créer quelque chose d'un tant soit peu romantique pour que toutes ces mégères ne viennent plus la gêné. Et elle faisait un effort monstrueux pour se souvenir de ce que Lamruil lui avait enseigné des Dieux humains dans son enfance.

–Il m'a ensuite dit que sa mère pensait qu'il s'agissait des gens que nous aimons et qui nous aiment en retour qui nous envoyaient ces étoiles pour réchauffer nos tristes nuits froides et réchauffer notre cœur. C'est là qu'il m'a dit que ces étoiles, ce soir-là, il les avait envoyées pour moi.

Elles lâchèrent toutes un soupir de contentassions et sourirent toutes comme des idiotes.

–Ce que c'est romantique ! Commenta l'une.

–J'aurais aimé que mon époux soit tout aussi charmant que votre fiancé, ajouta une autre.

–Je pensais que les hommes comme lui n'existaient que dans les contes.

Nylathria était fière d'elle et elle remercia sa mère de lui avoir raconté cette histoire. En réalité, c'était son père, l'empereur qui avait souhaité faire connaissance avec sa future épouse afin de la connaître avant de l'épouser. Il l'avait emmené sur le plus haut balcon du palais, là où il y avait une vue imprenable sur l'empire et sur l'O'retaesi et lui avait parlé des étoiles. C'est bien lui qui lui avait dit que ces étoiles étaient envoyées par nos proches pour nous réchauffer le cœur. Sa vision des choses avait conquis sa mère. La Mère soit louée, mon père était un romantique !

Plus tard qu'elle ne l'avait espérée, elle rejoignit ses appartements seule. Durlan était encore occupé avec Murzol et Torestrin et Nylathria n'avait aucune envie de rester un peu plus là-bas pour l'attendre. Elle entreprit alors d'enlever tous ses apparats et enfila une chemise de nuit mise à sa disposition. Pour se réchauffer, elle enfila par-dessus une robe de chambre. Elle se posa devant la coiffeuse et se regarda un instant. Elle trouvait ses oreilles trop longues, ses cheveux trop blancs, ses yeux trop violets et ses marques trop foncées. Elle se détestait lorsqu'elle était ainsi.

Ses yeux s'accrochèrent sur l'Étoile de la Nuit. En l'effleurant, elle sentit la joie qu'éprouvait Durlan à cet instant. Il était heureux et à l'aise dans ce genre d'évènement, il avait grandit avec cette vie-là. Elle ne pouvait s'empêcher de se dire qu'elle n'était pas à la hauteur et qu'elle ne méritait pas son amour. Elle n'avait que de l'amour à lui donner, pas d'argent, ni de propriété ou encore une vie stable, une vie de famille.

Cette demande qu'elle avait monté de toute pièce, elle savait que Durlan aurait été capable de la faire ainsi, et même de faire mieux. En était-elle digne ? Pas le moins du monde.

–Tu es là ? Je te cherchais partout.

Elle sursauta en entendant la voix de Durlan. Perdue dans ses pensées, elle ne l'avait pas entendu arriver.

–Oui, répondit-elle, j'ai filé dès que j'ai pu. Je n'en pouvais plus.

Il s'approcha en défaisant son pourpoint et vint déposer un baiser sur le haut de son crâne.

–J'ai laissé Murzol dans un sale état, fit-il, il noyait sa peine dans l'alcool. Je l'ai ramené dans sa chambre avec Torestrin et Azlore lui a donné quelque chose pour dormir. Et toi, qu'est-ce que tu as fait de ta fin de soirée ?

–On m'a demandé comment tu m'avais fait ta demande.

Le sourire de Durlan s'effaça pour laisser place à une grimace.

–J'en ai inventé une de toute pièce, reprit-elle. Donc je suis heureuse de t'annoncer que tu m'as fait ta demande à Enkawa, sous les étoiles et que tu m'as avoué ton amour en me disant que ta mère pensait que les étoiles étaient envoyé par les gens qui nous aimaient pour nous réchauffer et nous rassurer dans la nuit et que ce soir-là, tu avais envoyé toutes ces étoiles pour moi.

Durlan leva un sourcil et s'approcha en souriant.

–Où est-ce que tu as eu cette idée-là ?

–C'est simplement la demande en mariage de mon père à ma mère. Je l'ai légèrement adaptée pour nous deux.

–Remarques, tu n'as pas menti sur toute la ligne. C'était bien à Enkawa.

–C'était simplement un peu moins romantique.

–C'est de ta faute, tu me stressais et tu m'as traité d'idiot.

Nylathria se mit à rire.

–C'est seulement parce que tu en es un.

Elle se leva, l'embrassa longuement et alla se coucher. Rapidement, Durlan la rejoignit et elle s'endormit paisiblement dans ses bras.

Elle se trouvait dans une chambre, une chambre qui lui était familière, à regarder par la fenêtre. Dehors, le paysage ne lui était pas inconnu. L'empire elfique.

–Naevis !

Elle se retourna et vit un homme entrer dans la chambre, fermant soigneusement la porte derrière lui.

–Es-tu folle ? S'exclama-t-il. Un mariage avec Ralnor ?

Elle soupira longuement. Elle savait que son choix serait difficile à accepter pour son frère.

–Vurzan, commença-t-elle, tout est sous contrôle rassure-toi.

–Jusqu'à ce qu'il découvre qui nous sommes réellement. Que crois-tu qu'il feras lorsqu'il apprendra que tu es une elfe noire ? Les elfes n'ont jamais montré une once de pitié pour nous, tu ne seras pas une exception.

–Il m'aime autant que je l'aime ! Se défendit-elle. Il ne me fera jamais de mal.

–Son éducation lui a apprit à haïr notre peuple sous prétexte que nous vénérons un dieu différent. Les elfes pensent que nous sommes le mal incarné et qu'il faut nous anéantir. Il nous tuera à la seconde où il apprendra.

–Ralnor est incapable d'une telle chose, il sait que je ne suis pas un monstre, que nous ne sommes pas des monstres. Il a vu que nous sommes capable d'amour et que nous n'avons rien détruit ici. Il me connait, il sait que jamais je ne pourrais lui faire de mal, à lui ou à quelqu'un d'autre.

Vurzan effectuait des aller-retours dans la chambre. Elle s'approcha de lui, posa ses mains sur ses épaules et l'obligea à la regarder.

–Je vais devenir impératrice, fit-elle doucement, ainsi je pourrais aider notre peuple à sortir de cette île immonde où nous avons été envoyés. Je suis certaine que Ralnor n'est pas comme ses ancêtres, il saura m'écouter et prendre les bonnes décisions.

–J'espère que tu sais ce que tu fais, je ne supporterais pas de te perdre à cause de lui. Que le Seigneur t'accompagne petite sœur, j'espère qu'il saura te protéger d'eux.

Il déposa un tendre baiser sur son front avant de la prendre dans ses bras.

Tout devint soudainement flou. Elle se trouvait à présent dans une autre pièce, les appartements de l'impératrice. Elle savait les reconnaître entre mille. Des pas se rapprochaient, plusieurs personnes arrivaient et son cœur battait la chamade. Elle avait peur.

Des soldats débarquèrent dans la pièce, fracassant la porte contre le mur. Instinctivement, elle se recula jusqu'à heurter le mur. Il n'y avait aucune échappatoire. Deux gardes s'emparèrent d'elle sans qu'elle n'oppose aucune résistance. Elle n'avait aucun moyen de s'en sortir, se débattre ne ferait qu'aggraver son cas.

Un homme dont le front était décoré d'une couronne arriva alors, entouré d'autres soldats. L'empereur. Son visage trahissait une profonde colère. Elle ne l'avait jamais vu ainsi et cela l'effrayait.

–Ralnor, je t'en supplie...

–Tais-toi ! S'écria l'empereur. Comment ai-je pu être aveugle à ce point ? Ta beauté n'était là que pour m'ensorceler, monstre ! Tout ce que tu cherchais à faire c'est me détrôner pour couronner l'un de tes bâtards.

–Adorellan et Bhaklur sont tes fils ! Je t'en supplie ne leur fait aucun mal, ils sont innocents. Ils n'ont jamais rien demandé de tout cela !

–Il suffit ! Le sort de tes bâtards n'a pas encore été décidé. Le tien en revanche est scellé et je suis venu t'y amener.

–Laisse moi au moins voir mes fils !

L'empereur laissa exploser un rire profondément cruel. Elle ne le reconnaissait pas, l'homme qui se tenait devant elle n'était pas celui qu'elle aimait.

–Pour que tu les corrompes un peu plus ? Non, tu ne les reverras plus jamais. Tu finiras dans une prison, dans les ténèbres puisque c'est là qu'est ta place. Tu seras exécutée publiquement dans trois jours.

Toutes ses forces la quittèrent et ses jambes se dérobèrent sous son poids. Elle fut retenue de justesse par les gardes. Elle n'arrivait pas à y croire, elle ne voulait pas y croire. L'homme dont elle est tombée amoureuse ne lui aurait jamais fait de mal, peu importe qui elle était.

–Pourquoi Ralnor ? Pleurait-elle. Je pensais que notre amour était bien plus fort qu'une histoire de croyances et de races, je pensais que tu m'aimais autant que moi je t'aime. Dès l'instant où je t'ai vu, j'ai oublié tout ce que ton peuple avait fait au mien et je t'ai jugé non pas pour les erreurs qu'on pu faire tes ancêtres mais pour l'homme que tu étais. Jamais je ne t'ai reproché d'être un elfe et j'ai été stupide de croire que tu ferais de même.

Il s'approcha dangereusement d'elle, les yeux injectés de sang.

–Comment as-tu pu croire que je pouvais aimer un monstre tel que toi ? Cracha-t-il. Mon amour pour toi était issu de ta sorcellerie. Maintenant que mes yeux se sont ouverts, je vois quel genre d'atrocité tu es.

Elle n'arrivait plus à s'arrêter de pleurer. Après toutes ces années, elle pensait le connaître. Peut-être s'était-elle aveuglée elle-même en pensant qu'il était meilleur que ses semblables et que son cœur était bon.

–Laisse-moi au moins voir mon frère, murmura-t-elle.

Il se redressa, un sourire carnassier sur les lèvres.

–Bien entendu.

Il fit signe à l'un des gardes qui s'avança avec un sac en tissu imbibé de sang dans les mains, qu'il balança à ses pieds. C'est alors qu'une tête en sortit, une tête qu'elle reconnaissait entre mille. Elle se mit à hurler en le voyant, des larmes ruisselant sur son visage. Elle sentit un grand vide dans sa poitrine, Ralnor venait de lui arracher son cœur.

–Emmenez-la.

Les gardes la soulevèrent et la traînèrent hors de la chambre. Elle continuait de pleurer et de crier, l'image de son pauvre frère à l'esprit. Et d'ici quelques jours, elle subirait le même sort alors que sa seule erreur avait été de croire en l'amour.

Nylathria se réveilla en sueur et le cœur battant. Elle n'arrivait plus à penser correctement. Les images de son cauchemar revenaient en boucle dans son esprit sans qu'elle ne puisse les chasser. Elle étouffait dans cette chambre. Elle se leva, s'empara de sa robe de chambre et sortit.

Elle ne savait pas où aller mais elle devait absolument prendre l'air. Elle erra longuement dans les couloirs sans croiser personne, à ressasser ce qu'elle avait vu. Ce cauchemar paraissait si réel mais il ne l'était pas. L'empereur Ralnor aimait profondément l'impératrice et n'aurait jamais pu lui faire de mal. Son frère, Vurzan, avait été tué par des fanatiques dirigés par le prince Bhaklur qui s'était tourné vers la magie noire et qui voulaient éradiquer la famille impériale. Ce n'était que son esprit qui lui jouait des tours.

Elle arriva dans les jardins où trônait fièrement un arbre sacré, moins gros que ceux sur les terres de l'empire mais il avait le mérite d'être là. Elle s'assit par terre et posa sa tête sur le tronc, fermant les yeux pour profiter du vent et de la fraicheur de la nuit. Mais les images de son cauchemar ne cessaient de défiler dans son esprit.

–Vous avez fait un cauchemar ?

Elle ouvrit immédiatement les paupières, ne reconnaissant pas cette voix. Ses yeux tombèrent sur une femme gracieuse aux longs cheveux blancs et aux yeux noirs. Une elfe noire ! Elle se releva d'un seul coup et chercha la garde de son épée, mais sa main ne fit que brasser de l'air. Ses réflexes firent rire la femme.

–Nul besoin de chercher votre arme, je ne vous ferais aucun mal, lança-t-elle avec un large sourire sur les lèvres.

–Qui êtes-vous ? Demanda Nylathria.

–Je suis Edelra Drobaedial, une des tes lointaines cousines.

–Impossible.

–Vraiment ? Riait la femme. Mon père était pourtant Vurzan Drobaedial, le frère de notre chère et regrettée impératrice Naevis.

–Vurzan n'a jamais eu de fille, ni d'épouse.

De nouveau Edelra se mit à rire et Nylathria craignait que quelqu'un n'arrive.

–L'Histoire est remplie de mensonges petite princesse, rétorqua-t-elle, Bhaklur est d'ailleurs certain qu'il peut te montrer la vérité mais je trouve qu'il s'y prend mal.

–Bhaklur ?

Le cœur de la jeune femme loupa un battement. C'était impossible. La femme releva un sourire et la regarda longuement.

–Ce n'est pas vrai, il ne t'a même dit qui il était. La situation est pire que je ne la croyais.

–Attendez, qui est Bhaklur ? Et qu'elle est cette vérité dont on me parle depuis si longtemps ?

La femme soupira et s'assit gracieusement s'un l'un des bancs, faisant attention à sa robe qui moulait un peu trop son corps.

–Bhaklur est l'homme qui t'a donné cette fameuse pierre à Gaaldorei et celui qui te parle régulièrement. Et c'est aussi ton aïeul. Et quant à la vérité, c'est tout simplement ce qu'il s'est réellement passé avec Ralnor, Adorellan, et Bhaklur. Je t'ai montré une partie de l'histoire, à toi d'en déduire le reste.

Nylathria restait silencieuse un instant, ressassant son cauchemar. Non, cela ne pouvait pas être la vérité, jamais l'histoire n'aurait pu être déformée à ce point.

–C'est impossible que ce se soit réellement passé, lança-t-elle. Dans mon cauchemar, Vurzan et Naevis ressemblaient à des elfes or vos yeux sont noirs.

Un nouveau rire.

–Autrefois, les seules différenciations qu'il y avaient entre nos deux peuples était la religion et la pratique de la magie qui étaient légèrement différente. Mais Ralnor, sur son lit de mort, nous a tous maudit et condamné à l'obscurité pour que nous ne venions plus jamais affronter les elfes. Nos yeux ont changé pour s'adapter.

–Mensonges, répliqua Nylathria, le Fléau s'est passé en journée et j'ai vu des elfes noirs.

–Tu te rappelles de ce nuage noir qui arrivait à toute vitesse sur Gaaldorei ? Ce n'était pas seulement nos armées. Tu ne t'en souviens peut-être pas mais tout s'est assombri lorsque nous sommes arrivés, simplement parce que nous voulions admirer le spectacle et regarder les elfes souffrir comme nous avons souffert durant des millénaires.

Elle ne voulait pas y croire, elle ne le pouvait pas.

–Où est Bhaklur ? Demanda-t-elle. Je veux lui parler.

–Certainement avec Adorellan, sur la Terre des trolls, à organiser le plan d'attaque. Du moins, Bhaklur est obligé d'assister à ces réunions, même s'il souhaite que cette guerre ne finisse pas en bain de sang.

–Comment ?

–Grâce à toi. Il pense que tu peux rétablir la vérité, ôter notre malédiction et nous donner l'opportunité de revenir.

Ensemble, nous pourrions faire régner la paix de la grande Mère et rétablir la vérité. Ces paroles tournaient en boucle dans sa tête. Tout n'avait été que mensonge, depuis sa naissance. Lamruil lui avait apprit à détester les elfes noirs parce qu'ils étaient des êtres monstrueux. Mais toutes ces croyances s'envolaient.

–Pourquoi moi ? Souffla-t-elle. Je n'ai rien d'une héroïne, je ne veux pas me battre, je refuse de m'engager dans cette guerre.

–Tout comme Bhaklur. Il espère ne pas avoir à prendre les armes, il place tous ses espoirs en ta personne. Tu es son héritière, tu es une guerrière du dragon, comme lui, et sans doute que ce qu'il te demande de faire est ce fameux destin inscrit sur tes bras.

Edelra marqua une pause et se leva. Elle commença à se balader, toucher du bout des doigts les fleurs jusqu'à poser sa main sur l'arbre.

–On dit que les membres de la famille impériale sont tous voué à un destin héroïque, et c'est pour cela que ces runes sont gravées sur vos bras. Que crois-tu réaliser d'héroïque en restant un chasseur de primes ? Si c'est ce que tu veux faire toute ta vie, pourquoi est-ce que ces runes sont là ? Ce qu'elles veulent dire est supposé se réaliser, ne crois-tu pas que c'est l'occasion parfaite ?

Elle ne pouvait pas lui donner tort et Nylathria savait au fond d'elle que c'était possible.

–Mais si Bhaklur veut me voir rétablir la vérité, pourquoi est-ce que c'est vous qui m'avez montré ce cauchemar ?

–Parce que Bhaklur est trop lent. Le temps presse et il réfléchit beaucoup trop alors qu'il devrait agir. Je ne fais que l'aider.

–Et pourquoi l'aidez-vous ? Vous aussi vous croyez que je peux rétablir la vérité ?

–Mon cousin est intelligent, bien plus qu'Adorellan qui fonce tête baissée. Il n'a pas réfléchi lorsqu'il s'est emparé de cette Brenna ni quand il a décidé d'attaquer Aragath. Il cherche juste à se venger, il est exactement comme son père, il se laisse vite envahir par ses émotions. Bhaklur est comme sa mère, il croit en la paix et la communion de nos deux peuples. J'ai quelque part envie d'y croire aussi mais pour cela, il faut que les elfes cessent de nous haïr et sachent enfin ce qu'il s'est réellement passé. Il faudrait que nous recommencions tout à zéro et je pense que tu pourrais apporter un regard nouveau. Mais peut-être que nous nous trompons et que tu n'es pas celle que croyons. Si c'est le cas, sache que je ne montrerai aucune pitié et je me rangerais du côté d'Adorellan.

Elle s'arrêta et l'observa longuement, comme si elle cherchait quelque chose.

–La prochaine fois que tu vois Bhaklur, reprit-elle, demande-lui de tout t'expliquer. Alors tu pourras faire ton choix et le destin du monde en dépendra.

Une onde apparut derrière elle et l'engloutit avant de disparaître. Sans qu'elle ne comprenne comment, elle se retrouvait seule. Seule avec ses pensées et les paroles d'Edelra. Tout ceci semblait beaucoup trop vrai pour n'être que des mensonges, mais ce que Lamruil lui avait enseigné l'était également. Elle ne savait plus quoi penser.

–Vôtre Altesse, vous allez bien ?

Elle sursauta et croisa le regard de l'un des soldats de l'Aube. Depuis combien de temps était-il là ? L'avait-il vu parler avec Edelra ? Elle espérait que non.

–Oui tout va bien, répondit-elle en resserrant les pans de sa robe de chambre autour d'elle. Je n'arrivai pas à dormir c'est tout mais je vais retourner dans mes appartements.

–Désirez-vous que je vous y accompagne ?

–Non, ça ira merci. Je vous souhaite une bonne nuit.

–Bonne nuit Vôtre Altesse.

Elle jeta un dernier regard vers l'arbre cœur. Cette discussion s'était passée sous l'œil de Mère Nature et Edelra a pu toucher le tronc sans se blesser alors qu'on lui avait toujours dit que la Mère punissait ceux qui se tournaient vers la magie noire et refusait qu'ils touchent à ses arbres. La Mère essaierait-elle de lui faire passer un message ? Et si tout ceci était la vérité ? Elle devait absolument parler à Bhaklur, le plus tôt sera le mieux. 

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