Au nom de la nature
–Comment avez-vous pu les laisser s'échapper ?!
La voix de Berengar résonna dans la salle du trône et un silence l'accueillit. Devon le Sanglant avait osé se présenter devant lui sans Durlan pour lui annoncer qu'il lui avait filé entre ses doigts. Aux côtés du chasseur de primes, deux de ses mercenaires se tenaient en recul, peu fier d'eux-mêmes.
–J'aurais pu vous l'apporter s'il n'y avait pas eu Elecia, Majesté, répondit-t-il.
–Vous êtes en train de me dire que vous avez laissé cette femme vous battre ?
Le roi bouillonnait, les poings et la mâchoire serrés. Il ne savait pas ce qui le retenait de frapper ce fichu chasseur de primes incompétent.
–Vôtre Majesté, elle... elle a utilisé de la magie, je n'ai rien pu faire.
–De la magie ? S'étrangla Berengar. Vous ne n'avez jamais mentionné le fait qu'elle pratique la magie.
–Tout simplement parce que je l'ignorais, et mon mage aussi. Elle a bien caché son jeu.
–Ce serait donc une druidesse ? Ou une femme ayant le Don ?
–Non, Vôtre Majesté, mon mage l'aurait senti. Il m'a affirmé que la magie qu'elle a utilisée est une magie ancienne que même les druides ne savent contrôler. La magie elfique.
Le roi cessa de bouger. Les demi-elfes ne savent pas utiliser une telle magie, alors cela ne peut signifier qu'une seule chose.
–Êtes-vous certain de ce que vous avancez ? Demanda-t-il.
–Plus que certain, répondit Devon, mon mage ne se trompe jamais lorsqu'il s'agit de magie.
–Vous savez donc ce que cela signifie.
–Parfaitement bien.
L'air mutin du chasseur de primes l'agaçait au plus haut point.
–Au contraire, vous ne semblez pas comprendre les enjeux Devon ! S'énervait-il. Si ce que vous dites est vrai, nous avons affaire à la dernière elfe. Et puisqu'elle semble protéger Durlan, vous ne toucherez jamais votre récompense et je ne mettrais jamais la main sur lui !
–Je comprends votre colère et j'ai une autre nouvelle qui pourrait bien empirer les choses.
Que pouvait-il y avoir de pire ? Durlan allait rester en vie et tentera certainement de se venger. Et avec l'elfe à ses côtés, ils pourront s'allier avec les demi-elfes et lever une armée contre lui. Il perdrait alors sa couronne au profit de son bâtard de cousin.
–Dites toujours.
–Mes hommes ont perdu leur trace dans les Monts Tongwei, ils semblaient se diriger vers Enkawa. À l'heure qu'il est, ils ne devraient pas tarder à atteindre la ville.
Durlan avait bien des défauts mais il était loin d'être stupide. Se réfugier à la Cour d'un roi qui, en plus de cela, appréciait sa mère lui assurerait sa sécurité. Mais le pire était qu'il avait dû réussir son coup. Berengar ignorait comment est-ce qu'il s'était débrouillé pour convaincre des chasseurs de primes de l'y emmener, et en plus pour trouver la dernière elfe au monde, mais il devait bien avouer que les Dieux avaient visiblement fait leur choix entre eux deux.
–Berengar, il faut faire quelque chose, intervint lady Eartha.
–Et que voulez-vous que je fasse ?
–Négocier.
Le roi ne put retenir un rire.
–Vous ne pensez pas sérieusement que Jungdu acceptera de me livrer Durlan ? Fit-il en se tournant vers sa mère. Réfléchissez, il est hors d'atteinte, surtout s'il est avec l'elfe.
–Alors organisez son enlèvement, continua-t-elle, introduisez des hommes à Enkawa qui le ramèneront ici. Il ne peut pas rester en vie !
Son regard se posa de nouveau sur Devon qui les écoutait tranquillement parler.
–Vos hommes pourraient-il s'en charger ? Lui demanda le souverain. Je vous paierais bien entendu.
–Mes hommes ne sont pas habitués aux conditions de vie dans les montagnes des Terres d'Opale, répondit le chasseur de primes. Je crains qu'ils ne vous soient d'aucune aide.
–N'avez-vous donc pas des mercenaires venant de l'Opale ? S'énerva la Reine Mère.
Il se tourna vers elle.
–Madame, je suis navré mais les montagnes sont beaucoup trop dangereuses et sauvages, j'ai sacrifié assez d'hommes depuis que je travaille avec vous, je ne compte pas me retrouver seul à la fin de notre contrat simplement pour vos beaux yeux, aussi magnifiques soient-ils. Et notre problème majeur reste le même : Elecia. Elle a déjà tué trop de mes gars pour que j'aille la provoquer tête baissée.
–N'avez-vous donc point de mage ? Insista lady Eartha.
–Il refusera de se mesurer à la magie elfique, surtout la sienne.
Berengar fronça les sourcils. Cette magie n'était-elle donc pas la même pour tous les elfes, comme la magie l'est pour les druides ?
–Que voulez-vous dire par là ? Demanda le roi.
–Lors de cette fameuse soirée à l'auberge, elle a déganté sa main droite, ce qu'elle n'avait jamais fait avant, elle gardait toujours ne serait-ce qu'un bandage pour la cacher. Or ce soir-là, elle l'a montré et j'ai pu y voir une marque. Selon mon druide, il s'agirait de la Marque du dragon, ce qui signifie que nous avons non seulement affaire à la dernière elfe mais également, la dernière Guerrière du dragon. Sa magie est donc bien plus puissante.
–Et où se trouve son dragon ? S'impatientait Eartha.
–Nous ne pouvons dire s'il est encore en vie, mais si c'est le cas cela me donne une raison de plus de ne pas me frotter à elle.
Comment Durlan avait-il fait pour dénicher une femme pareille ? C'était improbable. Il devait lui parler, former une alliance avec elle, faire la paix mais si elle était du côté de Durlan, alors il devrait certainement renoncer à lui prendre sa vie. Avoir une elfe de son côté lui serait bénéfique, surtout avec l'arrivée de la menace. Elle avait réussi à lui survivre des siècles auparavant, elle pourrait certainement les aider à rester en vie.
–Vous nous êtes totalement inutile ! S'emporta la Reine Mère. Votre métier est de remplir un contrat et récolter de l'argent, vous êtes en train de vous payer notre tête !
–Pardonnez-moi madame mais je ne puis récolter de l'argent depuis ma tombe.
Elle lui lança un regard mauvais.
–Allez-vous-en ! Ordonna-t-elle. Hors de ma vue !
Après une révérence parfaitement bien exécutée, Devon le Sanglant et ses deux mercenaires s'en allèrent sans rien ajouter.
–Il va falloir agir au plus vite, continua sa mère, nous ne pouvons pas laisser Durlan en liberté.
–C'est la fille qui me préoccupe le plus, fit Berengar bien plus calmement que sa mère.
–Comment ça la fille ?
–Durlan seul est inoffensif, il n'a pas de titres, pas de terres, pas d'armée. Cette Elecia pratique la magie, a potentiellement un dragon et pourrait rallier les demi-elfes qui se précipiteraient de se prosterner devant elle. Dites-moi, Mère, lequel des deux est le plus dangereux ?
–Mais Durlan pourrait réclamer ton trône Berengar !
–Arrêtez donc de piailler ! S'exaspéra-t-il. Il n'aura plus rien à réclamer une fois que nous serons tous morts, tué par cette menace ! La fille y a survécu et elle a un dragon, nous avons besoin d'elle. Je m'occuperais de Durlan une fois tout cela terminé.
Lady Eartha faisait les cent pas dans la salle, le bruit de ses chaussures claquant sur le marbre agaçait profondément son fils.
–Et dire que je pensais que Jungdu était notre allié, ruminait-elle, je me suis bien trompée, ce n'est qu'un traître de plus. Et toi qui lui a envoyé un message pour sauver ta putain ! Que va-t-il penser ? Tu peux dire adieu à ton druide maintenant que Durlan est avec lui.
–Mère, cessez de voir le mal partout, Durlan n'interdira jamais le départ d'un druide pour sauver Brenna, il l'a toujours apprécié. C'est après vous et moi qu'il en veut, pas elle.
Le regard qu'elle lui lança traduisait sa colère. Elle s'approcha de lui, bien remontée.
–Si tu tiens à garder ta couronne, tue-le.
Berengar détestait lorsqu'elle était ainsi, butée. Il avait juste envie de la planter là et la laisser ruminer toute seule. Au moins, elle ne bourdonnerait pas dans ses oreilles.
–Vous avez entendu ce que Devon a dit, rétorqua-t-il, on ne pourra pas l'approcher tant que la fille est avec lui.
–Et qu'est-ce que tu comptes faire pour l'en éloigner et l'avoir dans notre camp ? L'épouser ?
Il n'avait pas encore pensé à cette option mais les alliances par mariage étaient les plus fortes. Tout ce qui appartenait à sa femme deviendrait sien, ce qui voulait dire qu'il aurait des droits sur le dragon. Plus personne n'oserait mettre en doute sa légitimité grâce à la bête.
–Pourquoi pas, répondit-il.
Les yeux de sa mère s'agrandirent.
–C'était de l'ironie Berengar, tu ne peux décemment pas y songer ! Vos héritiers ne seraient même pas humains !
Il en avait assez de l'entendre lui faire la morale, alors il tourna les talons et s'en alla.
–Berengar, reviens ici ! Ordonna sa mère. Cette discussion n'est pas terminée !
Il se contenta de l'ignorer et quitta la salle du trône. Mais arrivé dans le couloir, quelqu'un l'y attendait.
–Brenna ? Fit-il, surpris. Qu'est-ce que tu fais ici ?
La jeune femme avait l'air aussi déçue qu'en colère. Que leur arrivait-il à tous aujourd'hui ? Ils avaient décidé de lui gâcher la journée ?
–C'est vrai ? Souffla-t-elle. Tu veux épousez l'elfe ?
Elle avait écouté. Il détestait lorsqu'elle faisait cela et il le lui avait dit de nombreuses fois mais elle ne semblait ne pas comprendre. Entre les mauvaises nouvelles de Devon, sa mère qui lui prenait ans cesse la tête pour tout et pour rien et là, Brenna qui comptait faire de même, il était épuisé.
–Tu n'avais pas à écouter aux portes, lança-t-il froidement.
–Répondez-moi !
Il fut surpris du ton qu'elle avait employé, elle ne lui avait jamais parlé ainsi auparavant., mais il reprit rapidement une contenance.
–Je n'en sais rien Brenna ! S'énerva-t-il. C'est une option parmi tant d'autre et tu es suffisamment bien placée pour savoir que nous avons besoin de toute l'aide possible. Et puis mon futur mariage ne te concerne en rien.
Comme le jour où elle s'est réveillée, une aura sombre entourait la jeune femme. Et pourtant, il percevait une certaine fébrilité dans son regard.
-Vous allez me laisser tomber ? Fit-elle.
Il ignorait si le ton qu'elle avait employé traduisait davantage de la colère que de l'inquiétude.
–Tu sais que tu auras toujours une place au château, lui répondit-il doucement.
–Mais seulement en tant que putain, cracha-t-elle, la maîtresse officielle du roi.
Il n'arrivait pas à la reconnaître, cette discussion lui semblait surréaliste.
–Brenna tu sais que...
–Que je suis la fille bâtarde d'une prostituée et d'un seigneur, que je ne suis rien de plus qu'une fille de joie de plus à être passée dans votre lit, que je ne serais jamais rien d'autre que ça. Mais vous savez quoi ? Vous avez fait de moi une lady alors je peux faire ce que bon me semble. Je pourrais épousez n'importe qui, vous le savez, vous avez bien vu comment tous ces seigneurs me regardaient. Si je venais à me marier, comment réagiriez-vous ?
Berengar serra les poings, il détestait la voir ainsi, il en avait assez de l'entendre.
–Tu n'es pas dans ton état normal, murmura-t-il, je refuse de te parler.
Il tourna les talons et s'en alla sans lui jeter le moindre regard.
–Ne venez pas réclamer votre propriété lorsque vous l'aurez perdue ! S'exclama Brenna dans son dos. Vous pensez que je vous appartiens mais cela n'a jamais été le cas, je n'ai jamais été vôtre. Un jour, lorsque j'en aurais assez de supporter vos sautes d'humeur, votre égoïsme et votre foutu caractère, je m'en irais telle une femme libre, ce que j'ai toujours été. Mais si je pars, je ne reviendrais pas !
Le roi s'arrêta mais ne se tourna pas vers elle, ne voulant pas affronter son regard.
–Je t'ai dit que je ne te parlerais pas tant que tu laisses la colère te guider. C'est ce que cette chose désire de toi, elle puise dans ta rage. C'est à elle que tu dois prouver que tu es une femme libre, pas à moi.
–Au contraire, depuis que cette chose, comme vous dites, est avec moi j'ai enfin ouvert les yeux. Je vois enfin quel genre d'homme vous êtes, je vois la bêtise de l'humain et des autres races. La nature ne nous mérite pas, nous la maltraitons et nous ne sommes pas digne de fouler la terre qu'elle nous a offert. C'est un cadeau que nous devrions lui rendre.
Berengar fronça les sourcils. Ce n'était définitivement pas Brenna qui parlait. Il se tourna vers elle et découvrit avec effroi que ses beaux cheveux blonds étaient devenus blancs et ses yeux noirs.
–Ce n'est pas toi Brenna, reprends-toi ! Sois plus forte que cet homme !
Des gardes déboulèrent dans le couloir, alarmés par les cris de leur souverain, mais il leur indiqua d'un seul geste de ne pas bouger.
–La nature est la maîtresse de toute chose et vous la souillez avec vos guerres, vos engins et vos bâtiments, s'exclama Brenna avec une voix qui n'était pas sienne. Vous ne méritez pas de vivre pour toutes les souffrances que vous avez infligées à la Grande Mère, et nous la défendrons corps et âme !
–Appelez le médecin, souffla le roi à l'un de ses gardes, qu'il vienne et vite.
L'homme acquiesça et se précipita vers le bureau du médecin mais une force l'en empêcha et il se retrouva projeté à plusieurs mètres en arrière. La main devant elle, Brenna prononçait des mots dans une langue inconnue.
–Brenna, arrête ça ! Hurlait Berengar. Ce n'est pas toi.
–Nous sommes en marche, roi Berengar, répondit-elle, et nous saurons venger les souffrances de la nature !
Sur ces mots, Les cheveux et les yeux de la jeune femme reprirent leur couleur normale et elle s'effondra, inconsciente. Le roi réussit à la récupérer juste avant que sa tête ne cogne contre le marbre et la regarda attentivement. Elle semblait endormie d'un sommeil paisible.
–Appelez le médecin ! Ordonna-t-il. Tous les médecins que vous trouverez !
Il enleva quelques mèches blondes de son visage et remarqua une étrange marque noire dans son cou. Il la regarda attentivement, cela ressemblait à une rune.
–Dîtes à lord Braeden de renvoyer un message au roi Jungdu, un druide doit arriver au plus vite ! Et dîtes-lui que je veux la fille elfe !
–Bien, Vôtre Majesté.
Autour d'eux, les gardes courraient dans tous les sens, certains exécutant ses ordres, les autres retenant les nobles trop curieux de la Cour.
–J'espère que l'elfe saura quoi faire, souffla-t-il, ou nous sommes perdus.
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