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Si dans la classe, l'ambiance était déjà plutôt agitée naturellement, Alice n'a rien arrangé. Elle n'est pas encore là que tout le monde parle d'elle, matin, midi, et soir. C'est un véritable cauchemar. Certaines filles disent que « si ça se trouve c'est une gothique. » ce à quoi des garçons très intelligents enchaîne « ce n'est pas grave, elle sera peut-être sexy quand même. » comme si être gothique était quelque chose d'immonde qu'il fallait pardonner et pas accepter. D'autres parlent un peu du fait qu'elle est à moitié étrangère, et disent qu'ils sont prêts à l'aider. Lorsqu'une fille clame ça, c'est cool, lorsqu'un garçon clame ça, il faut se méfier. Surtout ceux d'ici. Ce ne sont rien d'autre que des chiens en chaleur, et il n'y a jamais de nouvelle dans ce lycée depuis des décennies, alors même si elle n'est qu'un peu jolie, elle se fera draguer. J'ai presque peur pour elle.

Amélia m'a dit de l'aider, mais si ses premières rencontres sont avec des mecs, elle me mettra sûrement dans le même panier et ne voudra pas me parler. Remarque, je viens de massacrer les potes de Jackson, elle ne voudra sûrement pas me parler dans tous les cas. Je ferais de mon mieux, bien sûr, mais je ne vais pas m'acharner.

Je m'étire et traîne ma carcasse jusqu'au hall d'entrée du lycée, où errent beaucoup de garçons qui me ressemble. D'ailleurs, l'un passe un bras autour de mes épaules, comme si ça faisait cinq ans que l'on se connaissait.

« Baxter ! »

Il semble aboyer mon nom, qui sonne déjà d'origine si faux à mes oreilles. Je me mords la langue pour ne pas lui faire remarquer que je suis sous son bras et qu'il n'a pas besoin de crier, et écoute simplement ses mots sûrement très doux :

« C'est vrai que t'as cassé la gueule de Jackson !? »

C'est surprenant, moi qui m'attendais à ce qu'il parle de mes résultats en art plastique. Quelle vie pleine de rebond.

« Ça dépend.

-De ? »

Je garde le silence quelques secondes. Je n'ai pas besoins de chercher mes mots, j'ai besoin de comprendre son expression. De la curiosité ? Non, quelque chose de plus cruel. Il attend quelque chose de moi, et je n'arrive pas à savoir quoi. De la répartie ?

« Ce que t'appelle casser la gueule. Je trouve qu'il s'en est bien sorti. »

Ce dernier est assis sur une table, et me fusille du regard. L'occasion est trop belle.

« Comment va ton pote, Jackson ?

-Alors déjà j'ai un prénom, tocard.

-Cool, moi aussi. »

Le garçon avec un bras autour de mes épaules siffle :

« C'est presque sexy comme tension.

-Lâche moi. »

Je me dégage, dents serrées, et il lève les mains au ciel pour montrer qu'il ne veut pas d'embrouille.

« OK, reste cool Baxter. »

Ils me voient comme un animal sauvage qui est prêt à sauter à la gorge de tous ceux qui s'approchent un peu trop. Ils me voient comme un monstre. Une sorte de hyène affamée, prête à tout renverser. J'aime bien. Je ne vais pas le leur dire.

« Je peux te poser une question ? »

Je sais que la situation s'annonce mal. Parce que c'est Jackson qui a prit la parole, et qu'il est descendu du bureau. Parce qu'il s'approche de moi, et que les gars autour commencent à bouger en ma direction. Parce qu'il n'y a personne que moi. Mais ce n'est pas forcément une faille.

« Ne te fais pas prier. »

Il me tourne autour, comme un serpent prêt à mordre.

« C'est vrai ce qu'on dit sur ta mère ? »

N'importe quel héro se serait défendu là. Une question d'honneur, pour nous-même et notre génitrice. Porteuse de vie, notre mère. Mais ce n'est plus ma mère. Ce n'est que ma génitrice. Ma némésis. Mon croque-mitaine. Et je suis très loin du héros. Alors je me retourne, et lui fais une frayeur en le plaquant violemment contre un mur, observant du coin de l'œil ses amis réagir. Je le regarde de près, analysant chaque trait, décrivant chaque expression, chaque millimètre de peau qui s'étire pour cacher sa peur de s'en prendre une, avant de sourire.

« Oui, Jackson. Oui, c'est vrai. Pourquoi tu voulais savoir ?

-Je... »

Il n'ajoute rien, et ne cesse de regarder mon visage de haut en bas. Qu'est-ce que j'aimerai savoir à quoi il pense, là de suite. Remarque, il ne doit pas penser à grand-chose. Un des garçons derrière pose sa main sur mon épaule, comme pour me dire de me calmer, et je fais volte-face, lâchant brusquement Jackson.

« Et si on se calmait, tous ?

-Quelle bonne idée. D'où elle vient ? C'est votre frousse qui parle ? »

Je ricane et replace mon sac à dos sur mon épaule, tout en me dirigeant vers la sortie.

« Putain mais quel courage. »

Ils m'insultent dans mon dos. Est-ce que c'est parce que je suis trop loin devant ? Peu importe, je prends ça comme signe de supériorité, et ça me va tout à fait. Ils n'ont rien à me dire, rien à m'apprendre, rien à ajouter. Ils ont voulu jouer, j'ai avancé, ils ont perdu, j'ai gagné, ce n'est plus un coup de chance, c'est écrit. Où, je n'en sais rien, peut-être dans les gènes de la vie, peut-être dans le destin ou une connerie dans le style, mais c'est là, et ça ne change pas. Rien ne change, rien ne changera. C'est toutes ces petites choses qui font que ma vie est faite ainsi, et pas autrement. Pourtant, ce n'est pas ces victoires qui me font gagner. Je dirais même que je perds plus souvent que je ne respire. C'est un sentiment constant, un bourdonnement dans mes tympans quotidien, qui empire au fil des jours. Il me manque quelque chose, et je ne sais pas quoi. Ça pourrait me rendre fou, si je ne l'étais pas déjà.

Un message d'Amélia m'annonce qu'elle est partie faire des courses avec Gale, et que ce serait gentil de fermer les fenêtres car il y a une alerte orage. Je soupire en sortant mes écouteurs, direction le bus. En levant les yeux, je vois les nuages épais et gris, qui tapissent le ciel comme un bouclier de coton. Quelques gouttes s'écrasent sur le bitume alors que je rentre dans le transport.

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