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« Stanley, c'est toi mon cœur ? »
Je m'étire, faisant craquer mon dos, et soupire.
« Ouais.»
J'entends ses talons claquer un peu sur le sol, en ma direction. Je baisse la tête, et met ma capuche et mes cheveux devant les yeux, comme pour me cacher le plus possible. Je retire mes chaussures, mon sac à dos à moitié en train de tomber, et prend appui sur la commode à côté.
« Stanley, qu'est-ce que tu as fait encore ? »
Sa voix est douce, pourtant je n'ose ni relever la tête, ni prononcer le moindre son. Je n'ai pas besoin elle sait déjà tout. Elle passe sa main dans mes cheveux, renversant ma capuche, et la glisse sous mon menton pour me faire lever la tête, tandis qu'elle remarque les dégâts. Son pouce effleure le probable bleu qui somnole sur ma mâchoire. J'ai l'impression que mon œil n'est pas dans un meilleur état, et sens le sang couler de ma lèvre depuis déjà cinq bonnes minutes.
« Assis-toi, je vais chercher de quoi soigner ça. »
Elle n'ajoute rien, et c'est peut-être le pire. Elle n'est pas déçue, elle a juste mal pour moi, et je n'aurais jamais les mots pour lui dire que ce n'est rien, car jamais elle ne me croira. Et puis, même si c'est égoïste, au fond, j'ai un peu envie qu'elle s'inquiète, qu'elle me soigne. Au moins, je me sens au centre de l'attention. Ça me paraît encore plus ridicule de l'avouer, mais ça me permet d'être sincère. Elle revient et retire ses talons d'une main pour être à pied nus, les laissant derrière elle. Elle m'assoit sur une chaise et tamponne un peu une ou deux coupures.
« Amélia ?
-Mhm ?
-Tu m'en veux ? »
Elle s'arrête quelques instants, et reprend en soupirant.
« Non, bien sûr que non. Je me demande juste ce qu'il faudrait faire pour que tu puisses avoir une scolarité sans toute cette violence... »
Elle garde le silence de longue seconde, et jette le coton plein de sang, avant de me jeter un petit regard en biais, se raclant la gorge.
« Il s'appelait comment ?
-Je ne sais pas. Mais son nom de famille était Jackson.
-Mhm. »
Je n'ajoute rien, et la regarde d'un œil amusé tandis qu'elle tourne autour du pot, sachant pertinemment quelle question elle voulait poser mais essayant de paraître mature tout de même.
« Tu as gagné ?
-Bien sûr.
-ça c'est mon garçon ! »
Elle secoue un peu mes cheveux d'un air fier, qu'elle m'adresse pour un rien, mais que je savoure toujours autant. Amélia est la sœur de ma mère. Son mari, Gale, est le frère de mon père. C'est ma famille la plus proche, et ceux avec qui je m'entend le mieux. Encore heureux, remarque, parce que c'est avec eux que je vis.
« Il rentre quand Gale ?
-Pas de suite, ça c'est sûr. Et on ne dira rien sur le fait que tu t'es battu, sinon il va piquer une crise. »
Elle me fait un clin d'œil qui m'arrache un sourire, et sort quelques pensements qu'elle commence à coller sur mes plaies.
« Aller, parle-moi Stanley.
-De ?
-Pourquoi tu t'es battu ? Qu'est-ce qu'il s'est passé ? »
Je soupire. Elle est concentrée sur mes plaies qu'elle recouvre avec attention, et je la regarde faire, fasciné. La moitié de son visage, côté droit, est défiguré par une méchante brûlure qui semble avoir avalé son visage comme un masque. Ses cheveux blonds cachent un peu la cicatrice. Son œil bleu est épargné, et il finit par me regarder.
« Et bien ?
-Tu sais, des raisons débiles...Il m'a pris de haut, je me suis levé, il m'a frappé et j'ai répondu.
-C'est tout ?
-...Il a voulu me tabasser en sortant de lycée. Et là j'ai pris un peu cher. Mais lui plus.
-Tu en as parlé ?
-Non.
-Je commence à me poser des questions sur le fait de porter plainte, Stanley. »
Je baisse les yeux quelques secondes, et finit par les relever vers elle.
« Non.
-Tu réalises que ça peut prendre des dimensions énormes ? Imagine qu'il te choppe à un moment où tu ne t'y attends pas ?
-Je m'y attends toujours. Sauf quand je suis ici. Ne t'inquiète pas pour moi.
-Ce n'est pas juste de me dire ça quand je soigne tes plaies. »
Elle se lève avec la trousse, et prend dans une poignée les papiers de pensements qui trainent pour les jeter avant de ranger le reste du matériel. Et c'est vrai qu'elle a raison, ce n'est pas juste. Je ne suis pas juste. Mais qu'est-ce que je suis sensé dire, ou faire ? Oui je prends quelques coups, mais jamais aucun d'entre eux ne pourra m'abattre. Je crois. J'espère.
Elle détourne la conversation en lançant, toujours dans la cuisine :
« Il paraît qu'il va y avoir une nouvelle tête dans votre classe ?
-Oui, comment tu sais ?
-Un message du principal pour les parents d'élèves de votre classe. Les parents sont étrangers et viennent d'avoir un accident, donc c'est un peu compliqué apparemment. Je crois qu'elle s'appelle Alice ?
-C'est une fille ?
-Il faut croire. T'es déçu ?
-Pourquoi je le serais ?
-Je ne sais pas, je te le demande. »
Ce n'est pas faux. Mais bien évidemment, je me fous bien que ce soit une fille, un garçon, les deux ou rien. Je secoue la tête.
« Non, je m'en fous.
-Tu seras sympa avec elle ? SI elle a besoin d'aide, ou d'argent, tu me préviens ?
-Bien sûr. C'est écrit quand elle arrive ?
-Le principal a dit que c'était dans la semaine...Mais s'ils ont eu un accident, elle pourrait arriver plus tard. »
Ce n'est pas faux non plus. Je la rejoins pour voir ce qu'elle fabrique, et la surprend avec deux poivrons dans la main.
« Tu prépares le repas ?
-Ben oui, il va bien falloir manger.
-Il n'est même pas dix-huit heures, Amélia.
-Ah ? »
Elle lève la tête vers l'horloge qu'elle n'arrive pas à lire et j'en profite pour récupérer les légumes.
« Repose toi, je m'en chargerais.
-Tu es sûr ?
-Toujours. »
Elle sourit, et retourne dans le salon, sous mon regard attentif. Il lui arrive de planter, comme un bogue dans le cerveau. Elle peut se mettre à admirer un mur durant des heures, à parler de quelque chose et dériver complètement, ou à faire des trucs à des heures complètement aléatoire, comme la cuisine à dix-sept heures trente. C'est lié à son accident, le même qui a dévoré une partie de son visage. Un mystère chez les médecins, comme la plupart des troubles psychiatrique. Nous n'avons jamais été une famille normale, à croire que l'on est maudit. Remarque, on s'aime et on prend soin les uns des autres, alors c'est une malédiction plutôt douce. Je finis par détourner mes yeux pour les porter vers l'escalier qui mène à l'étage, et grimpe jusqu'à ma chambre. Je m'assois sur le lit, et m'affale simplement, les yeux mi-clos.
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