18

Je finis par descendre du bus en envoyant un message à Alice.

> T'es déjà arrivé ?

Mon sac glisse et je le remets sur mon épaule en lisant sa réponse, presque instantanée.

< Oui et non, je suis sûr le parking, j'arrive !

J'esquisse un sourire et commence à marcher vers le lieu pour le rejoindre, un peu ailleurs. Je retire mes écouteurs et les enroule pour les glisser dans la petite poche avant de mon sac, en relevant la tête pour voir s'il je l'aperçoit. Et oui. Je n'ai même pas vraiment besoin de chercher longtemps, et m'arrête net en le voyant s'approchant, les yeux vers le sol, concentré. Ses mains sont dans ses cheveux, qu'il remonte dans une queue de cheval plutôt basse. C'est là que je réalise la longueur : même attaché, ils lui arrivent en bas du dos. Son air concentré forme une légère ride entre ses sourcils étrangement féminin, contrastant avec sa mâchoire plutôt carrée à présent découverte, laissant uniquement une ou deux mèches se glisser à ses côtés. Ses yeux noirs commencent à se relever, et j'hésite à détourner le regard, chose qui me paraît dans l'immédiat proche de l'impossible. Il est tellement délicat, comme s'il était une rose aux pétales si fines qu'un moindre mouvement brusque de sa part pourraient les déchirer. Mais il y a autre chose, peut-être de la grâce, comme un danseur. Son regard finit par se plonger dans le mien, et il esquisse un petit sourire, ses lèvres rouges closes, ne voulant peut-être pas montrer ses dents. J'enrage intérieurement mais ne dit rien, et sourit en retour. Il me fait un signe de main et presse le pas pour me rejoindre.

« Hey ! »

Je baisse un peu les yeux et l'entraîne vers le lycée, sans lâcher mon sourire.

« Hey. Ça va ?

-Fatigué, mais ça va ! On n'est pas encore complètement installé, alors j'ai aidé mes parents hier soir à terminer de placer nos affaires.

-Oh, et ça a pris du temps ? »

Il rit un peu en hochant la tête.

« Ouais, beaucoup. Et on n'a même pas encore finit. Et toi ? ça va ? »

Je souris et ouvre mon sac pour attraper le sac de croissants.

« Écoute, ma soirée a été moins chargée que la tienne, mais ma tante sait que tu es arrivé et qu'on s'entend bien donc... »

Je lui tends le sachet.

« Tiens. Elle nous a pris le petit déj'. »

Il me regarde puis regarde le sac, alternant pendant plusieurs secondes, son étonnement passant à une parfaite surprise puis à de la pure joie. Un immense sourire se dessine et il lève les yeux vers moi, à priori touché par l'acte.

« Oh ! Mais elle est adorable ! »

Je ris doucement en hochant la tête.

« Mhm, je sais. Vas-y, prends-en un.

-ça tombe trop bien, j'ai pas mangé ce matin. »

Il en attrape un avec un immense air satisfait et tape un croc avec des étoiles pleins les yeux. Je savoure plus ça que la viennoiserie elle-même, bien qu'elle reste excellente. Je remarque qu'il n'a qu'un écouteur dans l'oreille, et lui pique l'autre.

« T'écoute quoi ? »

Il sourit et me laisse écouter. J'écarquille les yeux et le regarde, tandis qu'il hausse un sourcil.

« Tu connais ?

-3 doors down ? Pitié, je ne suis pas inculte ! Mon oncle adore ce groupe. Quand j'étais petit il me prêtait son walkman cassette, et un bon 70% des musiques étaient d'eux. »

Il semble surpris mais satisfait, et je garde l'écouteur, appréciant ses goûts musicaux.

« C'est rare de voir des gens avec de la culture, tu sais ?

-Je te retourne le compliment. »

Il rit doucement, l'air pensif. Je comprends qu'il y a quelque chose qu'il veut mais n'ose pas dire, et je pousse un petit soupire.

« Vas-y.

-...T'es pas obligé de me répondre, d'accord ?

-T'inquiète, je suis un grand garçon.

-Tu n'as pas de père ? »

Je garde un peu le silence, réfléchissant à comment répondre sans briser son moral. Il me semble si empathique, j'ai peur de lui faire broyer du noir.

« Non, pas vraiment. Il est mort avant que je le connaisse, mais mon oncle est un peu comme une figure paternelle. »

Je me mords un peu la lèvre, pensif, puis lève de nouveau les yeux vers lui.

« Tu vis avec ton oncle et ta tante, du coup ?

-Oui, mais déjà petit j'étais souvent chez eux. Quand ça allait pas, ou...enfin. C'est un peu compliqué. Et ça peut plomber l'ambiance très vite et trop tôt. »

Je lui souris et ôte son écouteur en allant jeter le sac kraft à présent vide. Elle est remplie des mêmes choses, à croire qu'elle ne se vide jamais : des cannettes de coca et une bouteille d'oasis, même si parfois c'est plutôt de l'Ice Tea. Des clopes écrasées, plusieurs à moitié fumées. Elles forment un chemin, de la poubelle jusqu'au trottoir, elles se sèment jusqu'à l'entrée du lycée et même à l'intérieur. Elles sont encore dans des mains, elles s'éteignent parfois sur des phalanges, elles laissent un brouillard grisâtre, épais et toxique, qui me prend à la gorge. Alice pose sa main sur mon épaule.

« Hey, ça va ? J'aurais pas dû poser la question, pardon... »

Et là, ça m'arrache un vrai sourire. « Pardon ». C'est fascinant comme mot, c'est un de ceux qui marquent et qui tuent. Un de ceux qui font naître, un de ceux qui font respirer. Un de ceux qui étouffent, parfois. Pardon. Si toxique mais si pur.

« Non, ne t'inquiète pas, rien à voir. Je suis juste un peu fatigué aussi. »

Il hésite un peu. Il ne me croit pas. Ce n'est pas grave. Il finit par hocher la tête et tourne son regard vers la foule à l'entrée du lycée. Les bribes de conversations qui se faufilent à nous comme pour nous intégrer, et pourtant on slalome entre les mots pour ne pas y répondre, parce qu'au fond ils ne nous sont pas destinés. Ou du moins, pas tous. Je commence à compter le nombre de fois où j'entends mon prénom, tandis qu'Alice regarde autour, surpris que je ne réponde pas. A personne. Il traîne un peu alors je finis par me tourner pour le regarder en haussant un sourcil, curieux de sa réaction.

« Tu viens ? »

Il sursaute un peu et hoche la tête en pressant le pas.

« J'arrive. »

Il hoche souvent la tête, et ça m'amuse aussi.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top