J'avance dans les couloirs en désignant une salle encadrée de fenêtres, révélant quelques adultes à l'intérieur.

« Bon, alors, la vie scolaire est là. Je te préviens, nos surveillants sont particulièrement inutiles, mais si tu t'entends avec la CPE, tu devrais bien t'en sortir.

-Tu t'entends bien avec elle ? »

Je hausse les épaules.

« Je crois, oui. En tout cas je crois qu'elle m'apprécie. Là, tu as un...couloir. Un autre. La forme du bâtiment est étrange, donc tu vas peut-être vite te perdre. »

Il sourit en observant autour.

« Et vite me retrouver ?

-Et bien...peut-être pas. Mais je pourrais t'aider si tu veux. »

Je marche un peu.

« Bon, de toute façon cet étage ne t'intéresse pas vraiment, c'est surtout pour les salle de physique et d'étude des terminales. Donc de Jackson. Donc je te conseille de ne pas traîner par ici seul. »

Il hoche la tête et me suit à travers un escalier, les yeux écarquillés.

« C'est immense...

-Oui, hein ? Mais on s'y habitue vite, je promets. »

J'avance sur quelques mètres et ouvre une salle.

« Là c'est la salle de musique. Il n'y a jamais personne, on n'est pas vraiment des musiciens par ici, mais bon. Piano, guitare, batterie et basse. Tu sais faire un instrument ? »

Il acquiesce en s'approchant.

« Du piano et de la guitare.

-Stylé !

-C'est grâce à mes parents, ils font de la musique alors ils m'ont apprit. »

Je souris et le regarde effleurer les touches du piano ;

« Tu t'entends bien avec eux ?

-Avec mes parents ? Pas toujours, mais en grande partie oui. Et toi ? »

Je pose ma tête contre l'encadrure de la porte.

« Mhm, on est sur une pente glissante.

-Tant que ça ?

-Je risque d'un peu tirer une balle dans l'ambiance.

-Essaie ? »

Je souris avec un petit soupire, en regardant son visage s'apprêter à changer.

« Je n'ai pas de parents. »

Il se fige net, et fait une moue un peu triste.

« Oh.. »

Il se mord un peu la lèvre, comme s'il cherchait à trouver des mots à placer. Je l'arrête net, pour lui éviter ce malaise.

« Ce n'est pas grave. Je n'ai jamais connu mon père, et ma mère et

moi c'était... « Vipère au poing », tu vois ? »

Il appuie sur une touche, et au vu du sursaut, par accident.

« Aussi violent.. ?

-Je ne sais pas, je n'ai pas lu le livre. C'était surtout pour t'impressionner. »

Il rit doucement en hochant la tête.

« Et bien je suis impressionné. »

Je souris, victorieux.

« Tu veux rester là, ou.. ? »

Il secoue la tête et quitte le piano pour sortir, tandis que je continue l'expédition. Il écoute attentivement, posant quelques questions, mais je sens que dans l'ensemble il...oublie. Je devine déjà les prochains jours où il se perdra, jours qui se changeront en semaines, voir en mois. Au moins, il a une idée globale de la forme du bâtiment sans toute la foule habituelle, ce qui n'est sûrement pas si mauvais. Dans un des couloirs, il s'arrête net devant un panneau d'informations. Je ne le remarque pas de suite, et finit par faire demi-tour pour aller le chercher.

« Qu'est-ce qu'il t'arrive ? »

Il relève les yeux, et j'essaie d'attraper le papier. Il l'écarte, sourcil froncé.

« Baxter...C'est pas ton nom ?

-Si, les jours pluvieux. Qu'est-ce qu'il y a ? »

Il regarde un peu la feuille, comme s'il hésitait à me la montrer. Je soupire et la récupère d'un geste sec, en lui piquant des mains. Il se fige et je remarque du coin de l'œil qu'il me fixe, comme en attente de ma réaction. C'est une des affiches concernant le décès de ma mère...caricaturé, avec inscrit au-dessus « fils de pute » au stylo rouge. Très mature.

« Et ça t'inquiète pour moi, ça ?

-Non. Enfin...Un peu. C'est pas très gentil, disons.

-... « fils de pute », c'est plutôt dédié à ma mère. Et ce n'est pas complètement faux. »

Je la raccroche au mur, sous son air étonné.

« Donc tu laisses faire ?

-ça va les tenir occupé encore une petite semaine à chaque fois que je passe devant. Au moins ils ne s'en prendront pas à d'autre sujet. »

Il ouvre la bouche puis la referme, plusieurs fois, avant de plisser les yeux. Le coin de ses lèvres s'étire en un petit sourire.

« C'est moi l'autre sujet, c'est ça.. ? »

Je souris un peu aussi en reprenant mon chemin.

« ça te laissera le temps de t'habituer un peu au lycée.

-Je suis un grand garçon tu sais.

-Oui mais avec Jackson sur le dos. Même Iron Biby aurait du mal.

-C'est qui ?

-L'homme le plus fort du monde. Aux dernières nouvelles. »

Il accélère le pas pour me rattraper, sa curiosité piquée.

« Oh, ça t'intéresse ? Les histoires de muscles ?

-Pas du tout, c'est les records du monde qui m'intéressent. »

Il sourit.

« Et donc tu connais les noms par cœur ? C'est qui l'homme le plus grand ?

-Robert Pershing Wadlow.

-...et la femme ?

-Rumeysa Gelgi.

-D'accord...les plus petits ?

-Jyoti Amge et Chandra Bahadur Dangi. »

Il cligne un peu des yeux, impressionnés.

« T'as retenu les prénoms ? »

Je hoche la tête avec un sourire, amusé de sa réaction.

« Je les ai appris.

-Mais pourquoi ? »

Je hausse les épaules. La réponse me semble évidente, mais à priori non.

« Parce que ça me fascine.

-Et tu apprends par cœur tout ce qui te fascine ?

-Mhmm...pas tout, mais oui, ça peut. Tu ne le fais pas toi ?

-Non. Non, vraiment pas. »

Je garde un peu le silence, me sentant assez bête. Il marche à côté et me donne un petit coup d'épaule avec un sourire amical.

« ça ne veut pas dire que c'est une mauvaise chose..euh.. »

Il me regarde quelque seconde, et tourne au rouge, comme s'il venait de se souvenir de quelque chose dont il avait honte.

« ..je viens de réaliser que je ne t'ai même pas demandé ton prénom en fait.. »

J'explose de rire. Il n'avait pas tort, mais son air gêné ne peut me faire garder mon sérieux. Il rit un peu aussi.

« Hey ! Te moque pas ! C'est quoi du coup !? »

Je me calme et sourit.

« Stanley, je m'appelle Stanley...Tu peux m'appeler Stan si tu veux. »

Il hoche la tête, reprenant une couleur à peu près normale en me rendant mon sourire. Il tend la main, et je l'attrape.

« Bon, et bien enchanté, Stan.

-De même, Alice. »

Il relâche ma main en regardant un peu les salles, et je me demande si cet échange vient de briser notre titre d'inconnu, et même de connaissance. Je crois que je commence à être ami avec lui.