11
Charline me rejoint vers midi, avant même que je ne pose un pas dans le self. Elle embrasse ma joue, et force un grand sourire.
« Pas trop longue ta matinée ? »
Je secoue alors la tête en attrapant un plateau, et avant même qu'elle ne se vexe, me rattrape en demandant :
« Et toi ? »
Elle traîne un peu les pieds en haussant les épaules.
« Si un peu...Elle était là la nouvelle ?
-Oui, il était là. »
Je reprends, sous ses yeux étonnés. Elle plisse le nez, fronce les sourcils.
« Comment ça ? Elle est transgenre ?
-Non, il ne l'est pas. Il s'appelle Alice, et c'est juste un garçon. »
Elle s'arrête net sous mon ton peut-être un peu agressif.
« Attend, je rêve ou ça t'a vraiment vexé ? »
Je secoue la tête. En fait, si. Je n'aime pas comment elle parle de ce qu'elle ne connait pas. Je n'aime pas comment elle s'immisce dans ma vie. Si elle veut connaître Alice, elle peut aller lui parler, je ne suis pas journaliste. Ou alors, j'ai mal dormi et je suis de mauvaise humeur, c'est probable. Elle me plante là, et soupire en roulant des yeux, se dirigeant vers ses amies. Indifférent, je pars également avec mon plateau. Je manque de bousculer quelqu'un, trop dans mes pensées, et passe outre sans m'excuser. Puis, je réalise que c'est Alice. Quand on parle du loup...
« Hey. »
Il tourna la tête vers moi, l'air un peu perdu. Il baisse les yeux et les relève, comme s'il ne savait pas vraiment quoi en faire. Je prends alors les devants :
« T'es tout seul ? »
Il hoche la tête. Quelqu'un fait tomber un verre et il sursaute. Le bruit semble le gêner. Je ris un peu et passe entre les tables.
« Suis-moi. Enfin, sauf si tu veux rester là. »
Il lui faut trois secondes avant de marcher juste derrière moi, me rattrapant. J'ouvre les portes du self et les retiens, pour qu'il passe devant.
« On mange dehors ? Il va faire un peu froid, mais au moins il y aura moins de bruit. »
Sans prononcer le moindre mot, il hoche de nouveau la tête, approuvant l'idée. Ses yeux se relèvent alors enfin, petit à petit. Certaines de ses réactions me rappelle Amélia, alors ce n'est pas bien compliqué à traduire. Je me dirige vers un muret en pierre et m'assois dessus, lui faisant signe de s'installer en face, ce qu'il fait sans broncher. Je le laisse méditer dans son silence et au fil des secondes, il décide seul de sortir de son mutisme pour me demander, tout de même d'une petite voix :
« ça ne te dérange pas ? »
Je pique ma fourchette dans une salade, ce qui m'offre un bruit craquant plutôt satisfaisant en lui adressant un coup d'œil.
« De quoi ?
-De manger avec moi. »
Cette fois, c'est moi qui garde un peu le silence. C'est incroyable comme il semble vouloir s'effacer, comme il a peur de déranger. Je secoue la tête, en riant un peu :
« Mais non, bien sûr que non. Tu sais, je ne suis pas le genre à faire des choses à contre-cœur. Si je fais un truc pour toi, c'est que ça ne me dérange pas. Sinon, j'éviterai de proposer. »
Il me regarda un peu puis hocha la tête, comme s'il venait d'hésiter à me croire.
« D'accord, merci.
-Il n'y a pas de quoi, j'en profite pour sortir du self par la même occasion. »
Je ris un peu, et lui hausse un sourcil.
« Pourquoi ?
-Je suis un peu comme toi je crois. Les gens, le bruit, les odeurs... »
Je grimace en mangeant ma salade, beaucoup trop vinaigrée.
« Ce n'est pas vraiment mon milieu idéal.
-C'est amusant, je n'y aurais pas cru. »
Je repose mon bol et attrape mon pain en m'installant en tailleur. Mes doigts sont rougis par le froid et engourdis, et la pierre et si froide que je me demande si elle ne porte pas une couche de gèle.
« Ah bon ? Pourquoi ça ?
-De ce que j'ai vu, t'as l'air plutôt apprécié. »
Je hausse les épaules. Il a raison, et pourtant...
« Oui mais c'est eux qui m'aiment bien. Pas moi. Moi je ne les aime pas. »
Il garde un visage très neutre environs trois secondes, avant de commencer un rire. Un vrai rire, honnête, et là je peux les voir. Cet alignement presque stellaire de dents qu'il a, d'une blancheur d'ivoire. Il n'a pas un sourire, il a son sourire, le sien, bien à lui. Il n'a pas beaucoup de dents en plus, mais assez pour que ça se remarque. Assez pour que ça me fascine. Assez pour que j'esquisse un grand sourire, très content de les voir. Ça lui va bien.
« D'accord, je vois, Finit-il par dire, Ils sont donc victime d'un amour non-réciproque. Dur pour eux.
-Oh, tu sais, je crois qu'ils ne le savent pas. »
Je pouffe un peu aussi, en rangeant les haricots dans mon assiette par taille. Je sens son regard peser sur ma nuque, et il finit par soupirer :
« Mais la fille de tout à l'heure, ce n'est pas ta copine ? »
Touché. Et coulé. Je relève la tête, hésitant à assumer que si, mais que pour moi c'est un mot creux. C'est ma copine, mais je ne l'aime pas. J'ai le droit de dire ça, au moins ? J'estime que non et hoche la tête, à contre-cœur.
« Si, si. C'est l'exception qui confirme la règle. »
Pourtant quand je le regarde, je comprends ben vite qu'il y a quelque chose dans ses yeux, quelque chose d'imparable : du doute. Il ne me croit pas, et je me sens prit de court.
« Quoi ? »
Je lâche alors, bêtement. Il hausse les épaules en baissant la tête, et un petit sourire contredis sa réponse :
« Rien. »
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