Chacun semble abasourdi, et je suis peut-être le seul avec assez de contrôle pour ne rien montrer de ma surprise, que je maudis. Je ne voulais pas m'attendre à quoi que ce soit. Et pourtant...

Il penche la tête sur le côté, légèrement, et ses cheveux noirs dégagent son visage, plutôt mate. Ses yeux sont immenses, comme ceux d'une poupée, et d'un noir profond. Il est impossible de distinguer l'iris de la pupille, même de proche. Et sa peau semble avoir été éclaboussée par un pinceau. Des dizaines et des dizaines de petites tâches de rousseurs parcourent ses joues, et sont si condensées sur son nez qu'elles ont fait une tâche de naissance, du même marron clair. Il a un petit sourire, et quelque chose m'interpelle. Je ne sais pas quoi de suite, et il me faut plusieurs secondes avant de comprendre. Ce n'est pas désagréable à voir, au contraire, ça a même quelque chose de satisfaisant, mais il possède plus de dents que la moyenne. Il place une mèche de cheveux derrière son oreille. Elles sont bien collées à son crâne, un peu pointue comme un elfe. Ses lèvres sont comme dessinées, sculptées, et porte une cicatrice assez fine, en contraste avec la perfection de ses traits.

Dans la classe, il y a un ou deux rires, puis quelques insultent. Il a des cheveux longs, des traits fins, ça semble leur déplaire alors qu'ils ne devraient même pas avoir leur mot à dire. Finalement, je détourne le regard, ne voulant pas ajouter une paire d'yeux en plus de la vingtaine qui le scrutait de haut en bas.

« Alice, tu veux bien aller te trouver une place s'il te plaît ? »

Je pars du principe qu'il partira à côté de quelqu'un de discret, n'ayant pas l'option de place individuelle, et commence donc à lister vers qui il risque d'aller. Lucie peut avoir un air sympathique, Léo aussi. Mathéo a le physique du mec populaire, il peut être une option...

Pourtant, c'est la chaise à côté de moi qui commence à être tirée. Le professeur entame alors son cours, essayant de mettre l'attention sur quelqu'un d'autre qu'Alice. Je le regarde avec de grands yeux, ne m'attendant pas à le voir venir à côté de moi, mais il me sourit un peu mal à l'aise :

« Ah, la place est prise ? »

Je secoue alors la tête. Non, elle ne l'est jamais. Les gens m'apprécient, oui, mais quand je fais ce qu'ils veulent. Quand je suis insolent, donc, autrement je suis insignifiant. Je commence un début de sourire, pour essayer de le rassurer.

« Non, non, vas-y, je t'en prie. »

Il hocha alors doucement la tête et s'installe, posant son sac au sol dans le plus profond silence. Il ressemble à un lapin entouré de loup endormis. Il essaye de se faufiler au travers de leurs pattes, sans les réveiller, sans se faire remarquer. Ce qui est amusant, c'est qu'à présent je me sens lapin également. Des sans-visages se tournent vers moi, l'air curieux, comme s'ils attendaient quelque chose. Que je me transforme, peut-être. Ils m'effraient presque.

Je détourne mon attention d'approximativement tout, et dirige mon regard vers la fenêtre. Le ciel se couvre, la pluie menace de venir s'abattre pour fouetter le sol à grandes eaux, le tonnerre grogne. Cette période de l'année vers chez moi est particulièrement compliquée à cause des tempêtes. On en a déjà pas mal durant l'été, alors l'hiver...

Alice prêt attention au professeur et se plonge dans le cours, tandis que je commence à la détailler. C'est amusant car il semble très classique à première vue, mais quand on le regarde bien, on se rend compte qu'il est beau. Très beau, même. Sa trousse est noire, un peu abîmée, et il semble avoir plusieurs stylos de la même couleur mais pas tant de matériel que ça. Son cahier est déjà entamé, signe qu'il a probablement le même depuis l'année dernière. Son sac est d'un noir classique, avec tout de même des pin's accrochés dessus. Sinon, son apparence est très apprêtée. Ses cheveux sont impeccablement bien coiffés et lissa, mieux que ceux de dizaine et dizaine de filles, sa peau est parfaite, son style est simple mais classe. Et il sent bon, ce qui change de pas mal de gens. Le professeur distribue des papiers à découper, et il se tourne vers moi, l'air embêté.

« Tu as un ciseau ? »

Je souris alors que j'entends la faute, mais surtout son accent. Espagnol, peut-être, ou portugais. Mon regard se plonge dans les siens alors que j'essaye de voir où s'arrête son iris, sans succès. Ça lui donne un air très doux, très attachant. Je hoche la tête et lui tends une paire, en le reprenant :

« Des ciseaux. Mais la faute est fréquente. »

Il rougit un peu, peut-être de gêne et hoche la tête à son tour, en découpant le papier. Ses gestes sont grâcieux, et je m'affale un peu sur le bureau en le regardant faire, captivé par chacun de ses mouvements. Il est fascinant.

« Tu viens d'où ? »

Je finis par demander, trop intrigué pour garder ma langue. Il relève un peu la tête, comme surpris que je lui adresse la parole. Il balbutie un mot, puis se racle la gorge, reprenant son assurance :

« Barcelone. Enfin, d'à côté.

-C'est beau ?

-Très. Mais quand j'étais petit, j'habitais déjà ici. J'ai déménagé au collège en Espagne. »

Il me rend les ciseaux, encore plus rouge.

« Pardon, tu t'en fiche peut-être.

-Mais non, sinon je n'aurais pas lancé la conversation. L'Espagne te manque ? »

Il sourit un peu, sans vouloir montrer ses dents. Etrangement, ça me frustre.

« C'est encore trop tôt pour savoir. Mais j'aime bien être ici, je crois. »

Je range mes ciseaux et attrape le papier que je lis d'un œil un peu désintéressé.

« Et toi ? Tu viens d'ici ? »

J'acquiesce.

« Oui, je vis un peu plus loin dans la campagne. Je te montrerai si tu veux. Enfin, plutôt le centre-ville, il n'y a rien à voir là où je vis. »

Je pouffe un peu.

« Sauf si tu aimes les vaches. »

Il garda son sourire aux lèvres closes en haussant les épaules.

« Bien sûr que j'aime les vaches. »

Je relève la tête vers lui, en le regardant. Lui, non, les yeux rivés sur sa feuille il semble captivé par les phrases qu'il lit. Je retiens un sourire, satisfait de ses mots pour une fois pas moqueurs, contrairement à tout ce que j'ai pu entendre des autres jusqu'à présent.

Il aime bien les vaches.