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Je bascule ma tête en arrière, mes cheveux suivant mon mouvement, et fais danser la chaise en avant, puis en arrière, et de nouveau en avant.

« Si tu glisses, tu te casses la nuque. »

Je lève mes yeux si haut que j'ai l'impression qu'ils vont rouler dans leur propre orbite, comme pour vérifier qu'il y a encore une lumière de vie dans ma cervelle. Mais non. Je ricane simplement, dévisageant le garçon à l'air renfrogné -je veux dire, pire que moi- et finis par répondre.

« Ce serait si mal ? »

Il hausse les épaules et ouvre la bouche, mais la referme bien vite. Il cherche quelque chose dans mon regard. Une étincelle de bon sens, peut-être ? Il risque de chercher longtemps. Il se tasse un peu sur sa chaise, et décide de me répondre, sûrement pour ne pas perdre la face.

« Tu pourrais en mourir, tu sais ? »

Je me redresse aussitôt et tourne sur ma chaise, pour avoir le dossier contre mon ventre, tandis que je la pousse un peu arrière, pour m'accrocher à son bureau. J'ai besoin de le fixer de plus près. J'ai besoin de le comprendre. Les traits qui le diffèrent des autres, qui font qu'il n'a pas le même visage que son voisin, pourtant composé des mêmes éléments. Son nez est creux, ses yeux un peu éloignés, ses joues sont prêtes à porter des fossettes. Je finis par sourire, après cette longue analyse :

« Je recommence : Ce serait si mal ? »

Il fronce les sourcils, et je me replace face à mon bureau. Il marmonne quelque chose, mais je décide que la conversation est close, alors je ne l'écoute plus. Je balance ma tête et mon corps de droite à gauche, faisant tourner un stylo entre mes doigts. Quelqu'un souffle derrière : « il est vraiment chelou », et ça m'arrache un nouveau sourire.

Je serais étrange, alors que je parle correctement, moi. Et puis, d'où se permettent-ils de ramener leur avis, comme s'il avait été demandé ? Personne ne s'est retourné pour acquiescer, personne ne rajoute rien, personne ne fait de commentaire. Sa phrase est ignorée, perdue dans la grandeur de la pièce. Je tourne le regard vers la personne, sans lâcher mon sourire.

« Coulée. »

Elle a un mouvement de tête en arrière, grimaçant, mais ne dit plus rien, peut-être par peur de se heurter à un autre échec. Elle a bien raison. Perdre deux fois d'affilé, c'est humiliant. Je commence à m'allonger sur ma table lorsque le professeur entre enfin dans la salle. Il échange un regard entendu à presque chacun d'entre nous, et finit par soupirer, calmement.

« Je vais devoir annoncer quelque chose, je ne veux pas le moindre murmure, pas le moindre son. Vous échangerez à la pause. C'est clair ? »

Un « oui monsieur » général se fait entendre. Je n'en fais pas parti. Il ne parlait pas à moi. Ils ne me parlent jamais, alors je ne réponds rien.

« Il va y avoir un nouveau. »

La phrase est comme une balle qui transperce la salle de haut en large. Ou inversement. Sa phrase, à présent au passé, n'est plus retenue, et les murmures se fondent dans l'air dans un mélange parfait, comme du sirop dans de l'eau, qui me prend les oreilles. Comme avant. Comme à chaque fois. « le nouveau, le nouveau, le nouveau, le nouveau. » Finalement, une voix masculine se lève.

« Ce sera peut-être une nouvelle ? »

Silence. Le sirop s'en est allé. Mais comme pas satisfait, il revient, cette fois d'une couleur différente. « la nouvelle, la nouvelle, la nouvelle, la nouvelle. »

C'est comme une mélodie jouée sur un violon trop serré avec le dos de l'archer. Je m'enfoui dans mes bras à a recherche d'un autre monde, en vain. Le professeur soupire simplement. Il n'a pas d'autorité. Il ne sait rien. Ils me rendent fou.

Je frappe sur la table. Je ne veux pas qu'ils donnent aussi vite un titre à un inconnu, encore anonyme. « le nouveau » ou « la nouvelle ». C'est toujours aussi binaire dans leurs cerveaux étriqués, et je sature. Qu'on laisse la place à une personne plutôt qu'à cette petite case. Leur regard se jette alors sur moi, et je ne peux m'en dégager. Le professeur finit par se racler la gorge et reprend :

« Bon, bref. Vous l'accueillerez comme il se doit s'il vous plaît, et l'aiderez à se repérer dans le bâtiment. Je sais qu'il est grand, et vous savez qu'il est dur de se retrouver dedans. Maintenant, ouvrez vos livres à la page trente-six, et commencez l'exercice trois. Je vais passer dans les rangs pour distribuer un papier. Aller, aller. »

Tout me tape sur les nerfs. Sa voix, ses gestes, sa façon de marcher, son odeur. Il me jette un regard de travers, suivit d'un sourire arrogant. Il se croit supérieur. Je ne crois pas. Ils me voient tous comme un malade. Mais c'est eux les fous.

J'ouvre mon livre mais ne regarde même pas l'exercice et lève les yeux vers le ciel étrangement bleu pour une journée d'hiver. J'aime cette saison, mais pas en période de cours. L'hiver dans un lycée est étrange, comme si on entrait dans un monde différent, plus sombre. Le brouhaha semble toujours être plus fort, mais les couleurs plus ternes. L'ambiance général est comme éteinte, triste, et moqueuse. Hautaine. Comme si tout le monde devenait méchant, plus que d'habitude. Comme si ça rongeait nos nerfs et que soudainement nous étions plus dangereux. La pluie n'arrange rien puisqu'elle nous entasse sous le préau, nous bouscule, et par conséquent, créer des embrouilles.

Je ferme les yeux, pensifs, mais le bruit d'un papier sur mon bureau m'interpelle. Le professeur ne m'adresse pas un regard en le déposant, face cachée. Je l'attrape et le retourne pour le lire, en diagonal. C'est la liste des sorties scolaires planifiées pour l'année. Il y en a deux pour un musée en début d'année -scolaire-, une en Janvier pour une découverte d'une grotte, et une en fin printemps sur plusieurs jours pour visiter divers sites historiques. En le lisant pour de vrai, je vois qu'il y aura des sorties cinéma, mais elles seront distribuées sur un autre papier, plus tard dans l'année.

Presque toute la classe se retourne et murmure pour partager des choses très intéressantes comme « on se mettra à côté dans le bus ?» ou alors « viens on emmène une enceinte ? ». Plus les questions sont partagées, plus l'excitation monte, et ainsi de suite, dans un cercle vicieux. Un simple sourire arbore mes lèvres, tandis que je les regarde se tortiller d'impatience, comme des vers qui viennent d'être déterrés. Notre professeur tape dans ses mains pour essayer de les rappeler à l'ordre, comme des chiens, sans succès. Il pousse alors un cri plus proche d'un hurlement qu'autre chose :

« Silence ! »

C'est peut-être plus ses postillons qui calment l'assemblé que sa colère, car cette dernière les fait juste sourire. Moi aussi, mais c'est parce que je trouve la situation fascinante.

Je cale ma tête dans mes bras pour somnoler, espérant faire passer l'heure plus vite.

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