Sur la route de CuiLin
Derrière nous, Hu Meng et Jia Yating semblaient lancés dans une discussion animée. Le maître des lieux jetait régulièrement des coups d'œil apeurés dans ma direction. Il avait bien saisi que parmi les trois personnes présentes dans la pièce, j'étais la plus dangereuse. Au regard que je lui adressais, il comprit qu'il avait intérêt à garder le silence sur ce qu'il savait à mon sujet. Feng Wu dû le remarquer, car il me demanda :
"Que vous a-t-il fait, pour que vous éprouviez autant de haine à son égard ?"
Je reportais mon attention sur cet homme qui me troublait et semblait lire en moi, alors qu'il ne voyait que la moitié de mon visage. Je déglutis et pris une grande inspiration. La confiance était quelque chose que j'avais du mal à accorder, pourtant avec Feng Wu, j'en avais envie. Je pouvais peut-être lui dévoiler une fraction de la vérité...
" Il fait partie de ceux qui ont dérobé des objets sacrés à ma famille. Même s'il n'a pas de sang sur les mains, il n'a rien fait pour empêcher leur meurtre ! Alors, oui, je le hais, car il est autant responsable que ceux qui ont levé l'épée contre les miens."
Il posa sa main sur mon bras en me fixant intensément. Je détournais la tête en fermant les yeux pour échapper à son regard. Comme les fois précédentes, des frissons remontèrent le long de mon dos et enflammèrent mon corps. Je devais faire le vide en moi pour retrouver ma sérénité, mais comment était-ce possible alors que ses doigts me communiquaient une chaleur qui se propageait jusqu'au creux de mes reins ? J'étais partagé entre rompre ce contact et le prolonger. Je devais lutter. Je rouvris les yeux et me dirigeai vers les deux autres personnes présentes dans la pièce, brisant ainsi cette force dévastatrice qui ravageait tout mon être. Feng Wu me suivit. Hu Meng et Jia Yating parlaient de la Secte des Animaux Spirituels.
" Alors, il m'a cherché ? " Demanda Hu Meng avec une voix chargée d'émotion.
" À travers tout le pays, mais en vain ! "Répondit le maître des lieux.
"Comment avez-vous découvert que Xue Xiang m'avait tendu un piège ?
" C'est ton oncle Yi Cheng qui l'a démasqué. Il a toujours trouvé étrange que si peu de temps après la mort de son animal spirituel, il ait pu se lier de nouveau et avec un esprit sauvage qui plus est ! Alors, sachant qu'il n'avait aucune preuve, il l'a confronté avec la certitude de sa culpabilité. Il a utilisé l'orgueil de ton cousin contre lui et a réussi à lui faire révéler sa forfaiture à ton encontre. Ton père et ton troisième oncle étaient dissimulés derrière un paravent. Ils ont été témoins de ses aveux ! Il a lui-même tué son animal spirituel et drogué ton loup, pour qu'il soit incriminé. Le reste, tu le connais aussi bien que moi."
" Personne n'a voulu croire que Hei Lang était innocent et comme il n'obéissait qu'à moi..."
" Tu as été accusé d'avoir tout organisé et tu as dû subir la sanction de la séparation mentale puis l'exil ! "
" Mais pourquoi ?"
" Vous étiez tous les deux liés à des animaux spirituels sauvages, mais contrairement à lui, ton invocation avait attiré le plus puissant esprit de la forêt. Tu connais son orgueil ! Ce qu'il ne peut avoir, nul ne doit le posséder."
" Il est vraiment malade ! "
"Tu comprends pourquoi je n'ai pu que lui obéir !"
Ainsi, Hu Meng avait été exilé du Clan des Animaux Spirituels... À mon approche, Jia Yating se contracta. Il me jeta un regard craintif et fuyant. Je me crus obligé de l'avertir.
"Je n'attenterais pas à vos jours, mais vous avez intérêt à ne parler à personne de ce qu'il s'est passé ici, ce soir ! Sinon, je reviendrai !". À côté de moi, Fan Wu fronça les sourcils en entendant ma menace.
" Je vous le promets ! " Me fit-il un peu trop vivement à mon goût. Je me retournais vers Feng Wu. Avec un hochement de tête en direction de la porte, ce dernier me fit signe de le suivre.
" Partons, nous avons de la route pour rentrer."
" Je... Je fais quoi si Xue Xiang revient ? " Nous interpella Jia Yating, en tendant une main tremblante vers nous.
" Retourne à Zhulin et mets-toi sous la protection de mon père. Raconte-lui ce qu'il s'est passé avec mon cousin." Lui répondit Hu Meng en quittant la pièce à son tour.
Nous avons traversé la résidence dans le silence le plus complet. Il n'y avait toujours pas trace des gardes. Huolong avait dû les entraîner à distance. J'avançais au côté de cet homme qui faisait battre mon cœur plus vite que de raison ! Je pouvais encore échapper à son emprise, mais je n'en avais pas envie. Je récupérais mon cheval en passant et les rejoignis au pied du pont qui marquait l'entrée du Domaine de Jia Yating. Le cri d'un oiseau de proie résonna dans la nuit. Je levais la tête et tendis le poing. Huolong vint s'y poser.
" Un faucon couronné, c'est votre animal spirituel ? C'est extrêmement rare ! " Constata Hu Meng.
" Disons qu'il est un peu plus..."
Sous leurs yeux, le rapace se mit à scintiller puis son halo m'enveloppa pour finalement disparaître en moi. Feng Wu et Hu Meng restèrent sans voix et éberlués par ce qu'il venait de voir. Hu Meng fut le premier à revenir de sa surprise.
" Ce n'est pas un animal spirituel ! C'est un esprit gardien !"
J'esquissais un sourire derrière mon foulard. Il avait raison, mais je m'abstenais bien de le lui confirmer. Je pris les rênes de mon cheval, mis le pied à l'étrier et montais sur son dos.
" Nous y allons ? " leur demandais-je pour couper court aux interrogations que je lisais dans leurs yeux.
Le chemin se déroula en silence. Je me doutais bien que nous prenions la direction du Domaine des Médecins de l'Est. Après tout, Feng Wu appartenait à ce clan !
Le voyage allait durer au moins trois jours. Mes compagnons d'aventure tentaient de me faire parler de moi, mais j'éludai la plupart de leurs questions. Ils réussirent quand même à apprendre que je faisais partie de la Secte des Assassins, que j'avais déjà croisé le chemin de Xue Xiang lorsqu'il avait essayé de m'engager pour un contrat. Ils furent étonnés d'apprendre que j'étais présent le soir de l'attaque de la résidence de Shen Guanting, mais que c'était le cousin d'Hu Meng qui avait tout orchestré. Nous nous étions rencontrés le lendemain... Ils étaient donc sur place eux aussi ! Pour une raison que j'ignorais, nos routes se croisaient sans cesse et je soupçonnais un lien entre nos deux affaires. Mais lequel ?
Le premier soir, nous nous arrêtâmes dans une auberge, mais nous étions tellement fatigués que nous sommes allés nous coucher aussitôt notre repas terminé. La deuxième nuit, Feng Wu m'invita dans sa chambre pour boire un verre et discuter. Pendant que nous nous dirigions vers l'escalier, Hu Meng était parti à la conquête de deux jeunes et belles demoiselles qui lui avaient lancé de langoureuses œillades, à travers la salle, lors du dîner. Il rejoignit les deux jouvencelles qui l'accueillirent à grand renfort de sourires et de regards veloutés.
" Il n'est pas marié à la femme qui était à ses côtés lorsque nous nous sommes rencontrés la première fois ? " demandais-je à Feng Wu, l'air sceptique. Ce dernier se mit à rire en posant le pied sur la première marche.
" Lien Mei ? Non, que les dieux nous en préservent ! Elle appartient à la secte Taoïste de ChinFing. C'est l'Aînée de Fai Jin ma petite sœur. "
Tout en parlant, nous étions arrivés devant la porte de sa chambre. Il la poussa et s'effaça pour me laisser y entrer.
" Votre sœur n'a pas grandi dans la Secte des Médecins de l'Est ?"
" À l'âge de douze ans, Oncle Fan Zhen a envoyé sa fille cadette suivre l'enseignement Taoïste"
Il avait appelé Fan Zhen, son oncle, pourtant l'autre jour à l'auberge, le chef de secte l'avait présenté comme son fils.
" Fan Zhen n'est pas votre père ?"
" Non, c'est celui de mon épouse."
À ces mots, j'eus l'impression qu'un rocher me tombait sur la tête. Quel idiot j'étais, bien sûr qu'il était marié, sinon comment aurait-il eu un enfant !
" Votre femme doit être très inquiète de la disparition de votre fille ! " M'enquérais-je d'une voix enrouée ?
Feng Wu me fit signe de prendre place en face de lui et déposa sur la table la jarre qu'il avait remontée. Il s'assit à son tour et versa deux verres d'un liquide ambré odorant. Il releva ensuite la tête et me fixa le regard triste.
" Mon épouse est morte en donnant le jour à notre fille unique, Shao Ning, il y a sept ans de cela."
" Je ne voulais pas être indiscret", répondis-je après un court silence gêné.
Je savais que je n'aurais pas dû, mais mon cœur fut soulagé d'apprendre cette sombre nouvelle. Je n'arrivais pas à comprendre mes réactions. Que m'inspirait cet homme ? Du désir, de l'amour ? Cette dernière éventualité était impossible. J'avais déjà été amoureux et j'avais perdu l'objet de ma flamme. Selon ma mère, chaque personne avait une âme sœur et une seule. J'avais dû dire adieu à la mienne, il y a bien longtemps de cela. Ce que je ressentais devait donc être du désir. Ce besoin de chair que j'avais jusqu'à présent su contrôler.
Feng Wu me tendit ma coupelle. Je sortis de mes pensées et m'en saisis. Au passage, nos doigts se frôlèrent. Son index passa au-dessus du mien et y appliqua une douce caresse. Ce fut si rapide que je crus avoir rêvé !
Je glissais mon breuvage sous mon foulard pour le boire.
" Vous n'enlevez jamais cette barrière derrière laquelle vous vous cachez ?"
Je reposais mon verre sur la table pendant que lui portait le sien à ses lèvres.
" J'ai mes raisons pour garder mon apparence secrète..."
" C'est vrai, vous êtes membre de la Secte des Assassins ! Dévoiler votre visage, c'est condamner à mort les personnes qui le découvrent... Je me trompe ?"
" Non ! " Je préférais le laisser croire ce demi-mensonge. Mon cœur battait à tout rompre. Je devais quitter cette pièce au plus vite si je voulais rester maître de mes émotions.
" Je pense qu'il est temps pour moi de regagner ma chambre. " Déclarais-je en me redressant.
"Je vous raccompagne", me fit-il en se levant de table à son tour.
" Ce n'est pas la peine, je trouverais mon chemin seul. " Au moment où j'allais ouvrir la porte, je sentis sa main se poser au creux de mon dos.
" On dirait que vous me fuyez..." Me glissa-t-il à l'oreille ? Il était si proche ...
Je me retournais vers lui et le regardais droit dans les yeux.
" Fuir n'est pas mon genre ! Mais je n'ai plus rien à dire, à part bonne nuit !"
J'espérais que le ton de ma voix avait été assez froid pour le maintenir à distance. Ses doigts brûlaient ma peau au travers de mes vêtements et des frissons de plaisir commençaient à la faire frémir là où ils reposaient.
Je quittais la pièce sans me retourner et rejoignis ma chambre aussi rapidement que possible. Il avait raison, je le fuyais ! Moi qui ne l'avais jamais fait devant rien ni personne ! Demain, nous arriverions dans son fief et les choses risquaient de se compliquer si je ne faisais pas attention ! Quelle idée avais-je eu d'accepter d'unir nos forces ? Pourquoi avais-je écouté mes bas instincts plutôt que ma raison ?
Une fois dans ma chambre, je me dévêtis et m'allongeais sur mon lit. Le sommeil vint me cueillir alors que le doux sourire de Feng Wu se superposait à celui de mon premier amour.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top