Je nouais ma ceinture et regardais une dernière fois la chambre à coucher. Xie Jiang dormait paisiblement sur le ventre. Je rabattis le drap jusqu'à la cambrure de ses reins. Elle m'avait donné tout ce dont j'avais besoin pour ce soir et bien plus encore. Je me penchais au-dessus d'elle et déposais un baiser dans son cou qui la réveilla. Elle se tourna langoureusement vers moi en s'étirant.

" Tu t'en vas déjà ?" Me demanda-t-elle en imitant les mimiques d'une petite fille à qui l'on a pris son jouet préféré.

" Le chef m'attend et il vaut mieux que je ne sois pas en retard."

" Tu reviendras finir la nuit avec moi ? "

"Cela va dépendre..."

" De quoi ? De si le Maître te trouve un partenaire qui te laissera jouir entre ses fesses et jouera de la "flûte" sur ton instrument ?" Me rétorqua-t-elle d'un air renfrogné et boudeur.

" Tu ne devrais pas écouter aux portes, cela risque de t'attirer des ennuis !" Lui répondis-je en lui caressant la joue et les lèvres. Un sourire se forma de nouveau sur sa belle bouche.

" C'est fou, ce que tu as fait comme progrès en amour depuis notre première rencontre !"

" J'ai eu un bon professeur ! "J'effleurais et mordillais le lobe de son oreille.

"Tu sais, tu es le seul de mes clients..." Elle se reprit aussitôt lorsqu'elle vit que je fronçais les sourcils en m'écartant soudainement d'elle.

"... De mes partenaires, qui me mènent à l'ultime plaisir et qui me laissent en pleine forme le lendemain ! "

" C'est justement parce que tu entrouvres tes pétales lors de ta floraison et que mon pollen s'étend sur tes pistils afin de faire naître l'ultime plaisir que tu te sens pleine de vigueur après ! "Elle se mit à rire.

"Quel poète ! Tu vas plaire au chef et probablement aussi à son invité. Ce dernier apprécie les hommes dans ton genre." Je l'embrassais une fois encore.

" Je viendrais finir la nuit dans ta couche, je te le promets. »

Elle se laissa tomber en arrière avec son rire de petite fille gâtée qui venait d'obtenir ce qu'elle convoitait.

Je refermais doucement la porte. Je saisis l'une des sphères noires que j'avais dans ma bourse de poitrine et la glissais dans l'ourlet de ma manche. J'allais encore avoir besoin de "la brume des désirs" avant la fin de la nuit !

Je relevais mon col et ajustais mon foulard, puis je descendis l'escalier jusqu'au rez-de-chaussée. Les salles, de part et d'autre du hall d'accueil, étaient bondées à cette heure. Je le traversais rapidement. Une fois dehors, je pris la direction de la rue principale.

Je parcourus la ville en direction de la partie haute où se situait le Palais du Serpent Noir. Parvenu au portique d'entrée, je montrais le sceau de ma lettre comme indiqué à l'intérieur. Je fus guidé au travers des bâtiments par divers couloirs jusqu'à une pièce où se trouvaient déjà plusieurs de mes "confrères". Il ne me fut pas difficile de les identifier. J'avais toujours eu une bonne mémoire. Dès mon arrivée dans la cité, je m'étais renseigné et j'avais appris à reconnaître les proches de notre chef.

Le silence régnait dans la salle. Nous étions une dizaine et j'étais le nouveau venu. Leurs regards suspicieux me détaillaient des pieds à la tête, cherchant à savoir dans quelles mesures, j'étais dangereux pour leurs privilèges. Notre chef entra entièrement habillée de noir, son chien spirituel sur les talons. Beaucoup ignoraient que le Serpent Noir était une femme, même parmi les habitants permanents de la cité. Elle était accompagnée d'un homme ayant la trentaine, vêtu sobrement dans les tons brun et beige, cependant, l'on pouvait voir que les étoffes utilisées pour réaliser sa tenue étaient de la meilleure qualité. Une mèche de cheveux tombait sur le côté droit de son visage, lui donnant un certain charme.

" Veuillez vous approcher. Je vous ai convoqué, car mon ami, ici présent, a besoin de deux d'entre vous pour une mission de confiance. Il va vous recevoir un par un, pour vous poser des questions afin de déterminer si vous avez les aptitudes qu'il recherche. En attendant, votre tour, installez-vous aux tables que j'ai fait dresser, et savourez ces jarres de vin venues de la capitale " elle étendit le bras, nous invitant à prendre place.

Depuis qu'il était entré dans la pièce aux côtés de notre chef, je sentais le regard insistant de son hôte peser sur moi. Pendant que je m'asseyais derrière la table la plus éloignée, je le vis se pencher et chuchoter à son oreille. Un sourire énigmatique se dessina sur les lèvres fines et rouge sang du Maître des Assassins, en même temps qu'un furtif coup d'œil me survolait. L'homme se retourna et pénétra dans la salle voisine.

" Chen Han nous commencerons par toi "Appela le Serpent Noir.

Je me levais et me dirigeais vers elle. Arrivée à sa hauteur, elle s'inclina vers moi et murmura discrètement près de mon visage.

" Si tu sais t'y prendre avec lui, ton avenir est assuré. Tu as tout ce qu'il convoite. Sers-t 'en !" Elle se recula et m'indiqua la porte derrière elle.

Je fis glisser le battant et entrais. Grâce aux renseignements de Xie Jiang, je connaissais l'identité de celui qui m'attendait : Xue Xiang. Il dirigeait la garde privée du prince Wan Yi, neveu de l'Empereur et l'un des trois chefs de clan dont je n'avais pas encore vu le visage.

Il était assis devant la table de travail et versait deux tasses de thé. Il me fit signe de m'installer avec un sourire charmeur. Xie Jiang ne s'était pas trompée, notre chef non plus d'ailleurs ! Il y avait bien du désir dans son regard.

"Le Serpent Noir doit vous avoir en haute estime pour vous introduire auprès de moi ! " Fit-il en guise de présentation.

" Je sais rester à ma place, tenir ma langue et je suis efficace. »

"Que des qualités que votre chef apprécie !"

Il poussa la tasse devant moi. Je la pris et y trempais les lèvres sans le quitter des yeux. Il fit de même. J'avais l'impression d'être mis à nu tant, l'intensité de son regard sur moi était pesante. Il reposa finalement sa coupelle.

"Soyons concis. J'ai besoin de deux hommes de confiance pour une mission particulière dans trois nuits de cela. Votre chef pense que vous pouvez faire l'affaire."

Trois nuits, cela tombait mal, j'avais donné rendez-vous à Tian Tao pour interroger l'un des survivants.

"Gongzi (*), si votre contrat doit être rempli dans trois nuits, je vais devoir décliner votre offre, car je suis déjà engagé pour un travail."

" Je peux doubler votre salaire et vous accorder... certaines faveurs." Son regard était de plus en plus insistant.

"Gongzi, l'argent n'est pas le problème. Un engagement est un engagement. Si je venais à rompre un contrat pour un autre plus lucratif, cela entacherait ma réputation."

" Un homme d'honneur à ce que je vois ! Vous ne ressemblez pas à vos "confrères". Enfin, quand je dis ressembler... C'est difficile à estimer puisque vous cachez la moitié de votre visage."

" Gongzi, j'ai mes raisons pour agir de la sorte et elles ne regardent que moi. Puisqu'il est évident que je ne peux satisfaire votre demande, je vais prendre congé. Je suis persuadé que vous trouverez le personnel dont vous avez besoin parmi mes confrères."

Je me redressais et lui adressais un salut avant de me retourner pour quitter la pièce. Ce laps de temps lui suffit à se lever et à venir me rejoindre. Il était rapide !

" Une prochaine fois alors." Me fit-il en posant sa main sur ma hanche.

Il m'offrait une ouverture pour m'approcher de l'une de mes cibles. Je ne devais pas la négliger, même si ce soir je ne pouvais pas en profiter."

Je relevais légèrement la tête pour le regarder droit dans les yeux. Faire monter son désir et son intérêt pouvait être judicieux et bénéfique pour moi.

" Si les dieux souhaitent que nos routes se croisent de nouveau, alors cela sera..."

" Régler mon affaire ne va pas me prendre très longtemps. Avez-vous quelque chose de prévu pour le reste de la nuit ? Nous pourrions faire plus ample connaissance."

" Gongzi, comme vous l'avez dit, je suis un homme d'honneur aussi bien dans le travail qu'en privé. Je n'ai qu'une maîtresse ou un amant à la fois. Reposez-moi la question, quand je me serais lassé de la personne dont je partage le lit actuellement."

Je prononçais ces paroles, ma bouche frôlant la sienne. Je jouais à un jeu dangereux, je le savais. Maîtriser une femme est une chose, mais un homme et un soldat de surcroît, c'était une autre affaire !

" Prenez garde, je vais vous prendre aux mots, car au vu de la splendeur de vos yeux à la couleur si particulière, je donnerais cher pour vous ôter ce tissu qui vous masque le visage. Je suis sûr qu'il est à la hauteur de la beauté de votre regard. D'ailleurs, ce n'est pas la seule chose que j'aimerais vous enlever, vous l'avez bien compris." Sa bouche était tout contre mon oreille maintenant.

Je me forçais à ne pas bouger lorsque sa main glissa jusqu'à l'arrondi de mes fesses.

" J'espère que nous nous reverrons très bientôt et qu'alors vous serez libre de venir boire un bon alcool en ma compagnie." Ajouta-t-il d'une voix suave.

" Laissons le destin en décider."

" Je déteste que le hasard détermine mon avenir ! Je rends très régulièrement visite à votre chef, je présume qu'elle sait toujours où vous trouver ? "

J'acquiesçais.

" Par conséquent, un conseil, soyez disponible la prochaine fois que nous nous reverrons ! " Il enleva sa main et ouvrit le battant de la porte.

" À très bientôt !"

Mon cœur battait à tout rompre, mais il ne devait à aucun prix s'en apercevoir. Je m'empressais de le saluer une dernière fois et échappais à son emprise que je sentais de plus en plus pesante. J'avais besoin de respirer. Je traversais la pièce où notre chef nous avait reçues. Sous le regard méfiant de mes collègues, je quittais le Palais du Serpent Noir pour rejoindre le Lotus doré et Xie Jiang, comme je le lui avais promis.

(*) Gongzi : Jeune Homme/Maître. Formule de politesse pouvant s'ajouter au nom de famille