La Secte du Vent du Sud
Le chemin jusqu'au Domaine de la Secte du Vent du Sud me parut durer une éternité ! Maître Zhen Shui me jetait régulièrement des coups d'œil furtifs. Je me doutais bien qu'il s'interrogeait sur la raison de mon insistance à le suivre. Je ne lui avais pas parlé de Peng Feng Qiu et je ne comptais pas le faire pour l'instant. Mon âme sœur était encore mon secret pour le moment.
Nous sommes enfin arrivés à l'entrée du Domaine du Vent du Sud. Je ne savais pas pourquoi, mais j'avais un mauvais pressentiment : le même que lorsque j'étais sorti du Temple du Pic Éternel. Sans m'en apercevoir, mon pas s'était fait plus rapide. Maître Zhen Shui s'y était adapté sans rien dire, me jetant régulièrement des regards interrogatifs, les sourcils froncés. Je ne m'étais jamais rendu jusqu'au Domaine, A-Qiu et moi, nous nous retrouvions toujours à la rivière. C'était la première fois que je voyais les murs de la Résidence où vivait mon amour.
Ils étaient carbonisés et il ne subsistait que des ruines !
" Maître ?" Fis-je en me retournant vers lui, l'air terrifié par ce que je venais de découvrir.
"Reste ici, ne bouge pas ! Nous ne savons pas ce qu'il s'est passé. Regarde ! Quelqu'un ramasse du bois là-bas. Allons voir et posons-lui la question. "
Bien qu'inquiet au sujet de mon âme sœur, je devais me rendre à l'évidence, mon maître avait raison. Nous ne connaissions rien des évènements qui s'étaient déroulés en ces lieux. Peut-être était-ce un accident ? Et qu'A-Qiu était en sûreté chez un voisin ou dans le village le plus proche ..."
Sur notre droite à l'orée de la forêt, une femme d'un certain âge ramassait des branches de bois mort. Un peu plus loin, à l'ombre d'un arbre, un bambin d'environ quatre ou cinq ans jouait avec une feuille.
Elle était vêtue sobrement. Ses habits, bien qu'usés, étaient propres tout comme ceux de son enfant. Mon maître s'approcha d'elle.
" Veuillez m'excuser d'interrompre votre occupation, Ma Dame, " Fit Maître Feng Shui en la saluant comme s'il s'agissait d'une grande Dame de l'aristocratie.
" Je me nomme Chang Tan. Mon fils et moi sommes venus voir l'un de nos parents de la Secte du Vent du Sud, mais nous avons découvert que la Résidence avait brûlé."
La femme nous regarda d'un air méfiant. Heureusement, mon maître avait enlevé le foulard qui lui masquait habituellement la figure. Comme son visage était fin et avenant, elle sembla rassurée. Elle nous adressa un salut à son tour.
" Maître Chang, je crains d'avoir une bien mauvaise nouvelle à vous annoncer. Il y a de cela plusieurs semaines, la Résidence a été attaquée par une horde de brigands. Ils ont profité de ce que les autorités et l'armée donnaient l'assaut à la Montagne du Dragon. Tous les membres de la Secte du Vent du Sud ont tous été décimés. Il n'y a eu aucun survivant, même parmi les femmes et les enfants. Puis ces barbares de bandits ont tout brûlé pour ne laisser aucune trace de leur identité !"
Qu'est-ce qu'elle venait de dire ? Ils avaient tous été massacrés ? C'était impossible ! Je ne pus m'empêcher de lui demander.
" Ma Dame, il y a un garçon du nom de Peng Feng Qiu, il est un peu plus vieux que moi et son père est le chef du clan. Est-ce que vous savez s'il en a réchappé ? "
"Jeune Maître, je vous ai dit qu'ils avaient tous été tués. Hommes, femmes, enfants, il n'y a eu aucun survivant. Certains n'ont même pas pu être identifiés. Nous avons dû les enterrer dans une fosse commune. Il ne reste que les quelques murs que vous voyez là-bas." Me répondit-elle en montrant de la main les ruines au loin.
Je me retournais et courus comme un fou en leur direction.
C'était impossible ! Mon âme sœur ne pouvait pas être morte.
Je me suis mis à hurler son nom au milieu des décombres. Cherchant partout en soulevant les poutres calcinées. Mon cœur ne laissait pas ma raison s'exprimer. Il y avait plusieurs semaines que l'attaque avait eu lieu. Mais je ne supportais pas l'idée d'avoir perdu une personne de plus !
Je contournais ce qui avait dû être le hall de réception principal et aperçu un alignement de pierres tombales. Alors, les yeux brouillés de larmes, je commençais lentement à en faire le tour jusqu'à découvrir celle du chef du clan : Zhou An. À côté de cette dernière se trouvait une autre plus petite où je pus lire le nom de mon âme sœur.
Je me laissais tomber à genoux, le corps privé de toute force, le cœur vide et glacé. J'avais tenu jusqu'à présent grâce à l'espoir de revoir A-Qiu. Mais la réalité m'avait rattrapée. Je me mis à hurler ma souffrance ! Je sentais la rage et la colère monter en moi. Une chaleur venant du plus profond de mes entrailles voulait s'en échapper, les larmes m'empêchaient de considérer clairement ce qui se passait autour de moi. J'avais mal. Mon cœur, mon esprit, tout mon être réclamait vengeance. J'entendis au loin une voix sourde m'appelant. Je tournais la tête et aperçus mon maître au travers d'un voile rouge sang. Il s'arrêta net en me voyant. Je fixai une nouvelle fois le nom de mon âme sœur gravé sur ce qui était son ultime demeure. Au moment où la douleur que je ressentais fut à son paroxysme, tout devint noir et la pierre tombale explosa.
Lorsque je repris connaissance, je me trouvais de nouveau dans la cabane de chasse sur la Montagne Sacrée. Avais-je rêvé ? Cette situation me semblait familière, comme si je jouais une scène déjà interprétée. Je m'assis un instant au bord du lit, car ma tête tournait. Quand la pièce fut stabilisée, je décidais de me lever. À pas comptés, je pris la direction de la table. Un petit bol et une cuillère s'y trouvaient.
Dans la cuisine, le feu dans le foyer faisait se soulever le couvercle du fourneau où mijotait un ragoût de lapin, si j'en croyais les effluves qui s'en échappaient. À côté, un récipient en terre était maintenu au chaud. Je regardais à l'intérieur et découvris un congee (*) agrémenté de quelques légumes et baies de la montagne. Mon ventre se mit à protester. Je pris le bol sur la table et je m'en servis une généreuse ration.
Je retournais ensuite m'asseoir, mais au moment où j'allais porter la cuillère à ma bouche, je m'aperçus que je n'avais pas vraiment faim et celle-ci retomba dans le bol.
Je me sentais vraiment mal, vide, comme si plus rien n'avait d'importance. J'avais bien conscience que ce qui était arrivé n'était pas un rêve. Mon âme sœur s'en était allée pour toujours et jamais plus je ne le reverrais. J'avais tout perdu ! J'avais eu des difficultés à me remettre de la mort de ma famille, de mon clan et maintenant ça ! Il ne me restait rien à part ma vengeance contre celui qui avait anéanti les miens. Je n'avais plus de raison d'espérer retrouver un jour le bonheur. Je décidais de fermer mon cœur à tout jamais. De ne vivre que pour mon but : avoir ma revanche sur l'homme de la colline et peu importait les dégâts que cela pourrait causer autour moi.
J'entendis la porte s'ouvrir. Je me tournais vers elle. Mon maître se tenait dans l'encadrement. Son regard se posa sur moi. Il fronça les sourcils puis se saisit de mon bol dans lequel il remplit une part de ragoût.
" Même si tu n'as pas faim, tu dois manger, pour reprendre des forces. J'ai été obligé de t'assommer, car le Dragon de feu avait commencé à se matérialiser. Tant que tu ne contrôles pas tes pouvoirs, tu ne quitteras plus la Montagne Sacrée. Tu m'as bien compris ?"
J'opinais. Maître Zhen Shui eut l'air d'hésiter l'espace d'un instant.
" Le jeune maître du Clan du Vent du Sud, tu le connaissais ?" Me demanda-t-il d'une voix incertaine.
Une fois de plus, j'acquiesçais de la tête.
" C'est à cause de lui que tu étais moins assidu dans tes études ces derniers temps ?"
"Humm"
" Quand tu te sentiras prêt à m'en parler, je t'écouterai. Je suis curieux de savoir comment vous vous êtes rencontrés et comment vous êtes devenu ami.
" Il n'était pas mon ami, mais mon âme sœur."
Les larmes coulaient de nouveau sur mes joues.
Je me tournais vers mon maître. J'essuyais mes yeux d'un revers de la main et le fixais. Avec la perte de A-Qiu, ma détermination s'était renforcée.
" Maître, apprenez-moi à devenir le plus redoutable des Dragons Célestes. À partir de cet instant, je vous jure que plus aucun sentiment autre que celui de la vengeance n'entrera dans mon cœur. Je veux être aussi froid que la pierre, insaisissable comme l'eau, plus puissant que le vent et destructeur tel le feu."
Les yeux de mon maître se transformèrent en deux fentes par lesquelles il jugeait ma détermination.
" Si telle est ta volonté et ton destin, je te transmettrais tout mon savoir. Quand le temps sera venu, tu iras au travers du Jianghu, venger les morts de notre clan. Je serais sans pitié dans mon enseignement et dans ton entraînement. Je n'accepterais aucune protestation ni aucune plainte. En contrepartie, je te promets que dans quinze ans, tu seras prêt. À ce moment-là, nul être vivant ne pourra t'arrêter. Nous sommes d'accord ?"
" Oui, maître Zhen Shui."
"Dans ce cas, termine ton repas et rejoins-moi à la clairière. Ton entraînement commence maintenant !"
Je regardais partir celui qui allait faire de ma vie un enfer pour les quinze années à venir. Mais je l'acceptais. Je finis de manger et me levais pour faire face à mon destin.
Une partie de moi avait péri, il y a un mois de cela, avec ma famille...
Aujourd'hui, je décidais de changer de nom. Long Song Wei était mort sur la tombe de son âme sœur à Helan.
Désormais, je serais Chen Han (**), le Neuvième Dragon du Clan Long.
(*) congee : soupe de riz
(**) Shen Han : littéralement, Ancien Bâtisseur.
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