La cité des assassins


16 ans plus tard :

Pendant les seize ans qui s'écoulèrent après la destruction de la Secte Long, de nombreuses personnes pensèrent que si tous ceux qui avaient participé au massacre étaient morts, c'est qu'ils n'avaient peut-être pas défendu une juste cause.

D'autres au contraire, affirmaient qu'ils s'étaient sacrifiés pour le bien de tous et qu'ils avaient payé de leur vie l'anéantissement du mal absolu.

Toujours est-il que pendant ces seize années, de multiples cataclysmes se produisirent à travers tout le Jianghu. Jamais, de mémoire d'homme, on n'en avait vu autant, du plus petit au plus terrifiant. Les volcans se réveillaient en crachant leur coulée de lave incandescente. La terre se fissura séparant des contrées, les océans se soulevèrent, faisant disparaître des îles et les tempêtes se déchaînèrent, emportant tout sur leur passage.

Tous se demandaient ce qu'ils avaient bien pu faire pour provoquer la colère des dieux de cette manière !

Le nom de la Secte Long se chuchota de nouveau au creux des oreilles curieuses et la rumeur du trésor qu'ils auraient protégé commença à se répandre.

Une autre question s'immisça dans les esprits : pourquoi la Secte du Vent du Sud avait-elle été annihilée elle aussi ? Ne s'était-elle pas dressée seule contre toutes et opposée à la décision de destruction du Clan du Dragon ? Y avait-il une relation entre les deux faits ?

Elles avaient disparu à quelques jours d'intervalle, ne laissant aucun survivant. On racontait que des brigands avaient profité de la mobilisation des hommes d'armes à travers tout le pays pour les attaquer et s'emparer de leurs richesses... Mais à y regarder de plus près, certaines choses semblaient étranges à ce sujet. La Secte du Vent du Sud était composée d'érudits. Elle avait toujours eu une vie humble, faisant preuve de générosité et d'abnégation. Elle ne montrait d'aucune opulence particulière, à part son incroyable bibliothèque... Alors pourquoi ?

Les choses avaient commencé à aller de mal en pis à partir de ce moment-là ! Comme si la destruction des deux clans avait sonné la fin d'une époque prospère et le début d'un règne de terreur.

L'entente entre les Sectes avait de tout temps été extrêmement fragile et la disparition de plusieurs chefs lors de la bataille du Mont Guan Tian n'avait pas arrangé les choses !

Des luttes de puissance internes s'étaient déclenchées dans plusieurs d'entre elles, provoquant de nombreux "accidents". La situation en était arrivée à un tel point que l'Empereur en personne fut obligé de taper du poing sur la table et remettre à la tête de chaque clan un descendant, considéré par le pouvoir en place, comme légitime.

Un semblant de paix revint, mais ce n'était qu'une façade. Les intrigues recommencèrent dans l'ombre des couloirs et des alcôves, avec l'aide plus ou moins avérée de la dangereuse Secte des Assassins.

Leur cité était le lieu le mieux gardé et le plus mystérieux de tout le Jianghu, au même titre que l'identité de leur maître qui se faisait appeler le Serpent Noir. Pour y accéder, il fallait être voleur, meurtrier, escroc, jouir d'une certaine renommée et paradoxalement... du sens de l'honneur ! on devait entendre, par là, ne jamais trahir un secret sous peine d'y laisser la vie.

La cité, vaste et souterraine, avait été bâtie dans une gigantesque caverne. Elle bénéficiait de tous les aménagements d'une grande ville du Jianghu. Une source apportait à toutes les demeures, des plus riches aux plus humbles, l'eau nécessaire au quotidien. En son sein, il ne faisait jamais froid même lors des hivers les plus rudes. Le maître des lieux tenait à ce que ses résidents puissent jouir de tous les plaisirs que les dieux avaient mis à la disposition des hommes. Aussi, dans la ville basse, les maisons de plaisirs et de jeux côtoyaient des étals de fruits et légumes ainsi qu'une bibliothèque. Selon le Serpent Noir, être un criminel n'empêchait pas d'être un érudit et de devoir se nourrir !

Pour les plus chanceux, la "protection" du chef de la Secte des Assassins revenait à avoir une garantie d'avenir. Les contrats se discutaient autour d'une jarre d'alcool ou en partageant un instant d'intimité avec l'une des résidentes de chez Lei Shun, le propriétaire de la maison de plaisir la plus renommée de la cité.

Dans la partie haute de la ville, on trouvait le palais du maître des lieux ainsi que quelques habitations toutes aussi luxueuses. Ces dernières lui permettaient d'accueillir discrètement ses "clients" qui ne souhaitaient pas que l'on connaisse leur présence en ces lieux malfamés et de débauche.

Mis à part la rue principale qui regorgeait d'activités et celle qui menait au Lotus doré de Lei Shun, le reste des boyaux étaient de vrais coupe-gorge...

≈ ≈ ≈ ≈ ≈

Je ne pouvais m'empêcher de regarder derrière moi. Je remontais le col de mon manteau noir et me faufilais le long d'un passage sombre. Je ne préférais pas que l'on sache que je résidais chez Lei Shun lorsque j'étais en ville. Le destin m'avait fait, non seulement, croiser la route, mais aussi affronter la mort aux côtés du propriétaire du Lotus doré et cela nous avaient liés l'un à l'autre. Lei Shun ne me devait pas seulement sa vie, mais également celle de la prunelle de ses yeux, sa fille unique Su Lian.

Peu de temps après notre rencontre, je lui avais demandé de l'aide pour infiltrer la cité secrète des assassins. Le tenancier de la maison de plaisirs avait appuyé mon accession. Les rumeurs sur moi couraient aussi vite que le vent dans le milieu très fermé des criminels. Depuis un an que j'avais quitté la Montagne Sacrée, je m'étais fait une réputation de tueur froid, efficace et silencieux. Il ne m'avait pas fallu beaucoup de temps pour attirer le regard du chef du clan des Assassins. L'enseignement que Maître Zhen Shui m'avait donné me permettait de manier n'importe quelle arme. Je maîtrisais les poisons et les remèdes, mais surtout, j'étais connu pour être avare de mots, chose que le Serpent Noir appréciait.

Je franchis le seuil du Lotus doré par l'entrée arrière. Je montais directement dans la salle de travail de Lei Shun. Je savais qu'il m'attendait. Je poussais la porte dérobée, cachée par la tenture de l'alcôve représentant des pruniers en fleur. Il était assis à son bureau. Âgé d'environ une quarantaine d'années, c'était un homme que l'on pouvait qualifier de séduisant. Grand, carré d'épaules, le visage marqué par l'expérience, il reflétait à chaque instant un calme à toute épreuve. Ce soir, il était vêtu de robes pourpres et roses resserrées à la taille par une ceinture noire. Quand je le vis se précipiter vers moi un immense sourire aux lèvres et l'air excité, je sentis qu'un évènement important était arrivé et m'interrogeais.

" Frère Chen Han, enfin te voilà ! Tu ne devineras jamais ! Regarde ce que j'ai reçu de la part de notre chef, cela te concerne !" Il me tendit une lettre dont je me saisis.

Je la dépliais et commençai à lire. Elle émanait bien de notre chef. Celui-ci me conviait à une réunion au Palais du Serpent le soir même. Je savais ce que cela signifiait. Il m'acceptait comme protégé et m'avait sélectionné pour un éventuel contrat pour l'un de ses clients privilégiés.

Je comprenais maintenant le comportement de Lei Shun et son excitation ! Après tout, c'était lui qui m'avait introduit dans la cité ! Je pliais la missive et la glissais dans ma tunique.

" Tu vas y aller, n'est-ce pas ?" J'acquiesçais de la tête. Bien sûr que j'allais m'y rendre. Une telle opportunité ne pouvait que servir mon objectif. J'avançais doucement, mais je me rapprochais du cercle très privé des clans dirigeants, ainsi que de leurs secrets.

J'avais appris qu'il y avait neuf survivants à l'attaque. Deux d'entre eux étaient morts mystérieusement au cours des années passées : un membre de la secte impériale et un autre, de celle des commerçants.

Sur les quatre rescapés que j'avais localisé, le premier que j'avais interrogé avait eu tellement peur face à Huolong, mon dragon de feu, qu'il avait fui le pays, sans demander son reste dès que j'avais quitté sa demeure. Le second m'avait posé problème, car quelqu'un était intervenu juste avant moi. J'avais dû, une fois de plus, utilisé mon animal spirituel pour faire diversion ! Le lendemain, j'avais eu la surprise d'apprendre que ma cible avait été tuée. Cette mort était imputée à un esprit maléfique du clan Long puisqu'un dragon de feu avait été vu au-dessus de la résidence de la victime.

Derrière moi, à mille lieues d'imaginer mes pensées, Lei Shun continuait de parler.

" Je suis très fier de toi..." Il s'arrêta un instant et scruta mon visage.

" Tu as l'air soucieux. Ne t'inquiète pas, je suis sûr que tout ira bien et que le chef te proposera un contrat intéressant. Tu sais ce qu'il te faut pour te détendre ? La belle Xie Jiang ! "Conclut-il en riant.

"D'ailleurs, l'autre jour, elle m'a confié qu'elle aimerait que tu honores plus fréquemment sa couche. Et je suis d'accord avec elle. Tu as libre accès à toutes mes résidentes. Tu as choisi de n'en visiter qu'une seule et je respecte cela. Mais tu es un homme jeune et vigoureux, il n'est pas bon pour ta santé mentale que tu ne jouisses pas plus souvent du plaisir d'avoir une belle femme dans ton lit prête à se soumettre au moindre de tes désirs ! " Son regard joyeux se fit interrogatif.

" À moins que tu ne souhaites tenter... l'autre sexe ! Tu sais que je peux également te fournir un partenaire masculin qui te laissera faire tout ce dont tu as envie..." Sa phrase resta en suspens, laissant place aux sous-entendus.

"Si tu préfères, ou que tu n'es pas sûr, tu peux aussi alterner les deux..."

" Je suis plutôt occupé en ce moment."

" Je remarque que tu ne dis pas non à ma proposition ! En ce qui concerne ton emploi du temps, jusqu'à ton rendez-vous avec le chef ce soir, tu es libre ! Va rejoindre Xie Jiang, je lui ai déjà dit de ne prendre aucun client pour le reste de la journée et de se réserver pour toi jusqu'à demain matin ! "Me fit-il avec un sourire paternel.

"Pour mon autre proposition, je veux te trouver le partenaire parfait, j'ai ma petite idée... Allez, va ! " Il se retourna en ricanant et se dirigea vers sa table de travail, l'air joyeux.

Je soupirais discrètement. Il était inutile d'épiloguer sur le sujet, de plus Xie Jiang était toujours au courant de tout ! Je pourrais probablement en apprendre davantage sur le ou les invités de notre chef en passant un moment d'intimité avec elle... Cette pensée me fit sourire. 

S'ils savaient !





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