J'ai regagné ma chambre de l'autre côté du jardin de pierre sans être vu de personne. Cette nuit m'avait donné des réponses aux multiples questions que je me posais. La principale concernant l'identité de Feng Wu. Hier soir, il nous avait dévoilé être le dernier survivant du Clan du Vent du Sud. Les émotions que je ressentais pour lui ne pouvaient avoir qu'une signification selon moi. Il était bien A-Qiu et dans ce cas, les choses allaient se compliquer. Comme l'avait dit mon maître, seuls les sentiments pouvaient entraver ma mission de vengeance. J'espérais que l'éloignement causé par les funérailles du prince héritier pourrait m'aider. Mais rien n'était moins sûr.

Je voulais profiter que les grands clans, ainsi que le Prince Wan Yi, étaient occupés pour effectuer une visite de sa résidence à la recherche d'indices.

Notre activité nocturne m'avait laissé quelques douleurs dans le dos. Après m'être reposé quelques heures et délassé dans un bain, afin de soulager celui-ci, je me dirigeais vers la salle commune pour prendre mon petit-déjeuner. Je constatais que j'étais le dernier à m'installer.

Une fois le repas terminé, j'allais trouver Fan Zhen pour l'informer de mes intentions. Je frappais à la porte de sa chambre de travail. Après avoir été invité à entrer, je le saluais et il me fit signe de m'asseoir.

"Que me vaut cette visite matinale de votre part ?"

"Maître Fan, je sais que les funérailles du Prince héritier vont bientôt avoir lieu. J'aimerais en profiter pour procéder à une exploration de la résidence du Seigneur Wan Yi afin de voir si je peux trouver des indices sur l'emplacement où il retient les enfants."

Ce fut à ce moment que des coups furent frappés à la porte.

"Oncle, pouvez-vous m'accorder un peu de votre temps ?" Je reconnus la voix de Feng Wu.

" Entre."

Ce dernier s'exécuta, marqua une hésitation lorsqu'il m'aperçut, puis il vint finalement s'installer près de moi une étrange lueur dans les yeux.

" Tu tombes bien mon fils, Chen Han et moi étions en train de parler des prochaines actions à tenir. Il veut profiter des funérailles impériales auxquelles Wan Yi va assister pour aller inspecter sa résidence principale. "

Feng Wu se tourna vers moi.

"Je doute que le Prince ne garde les enfants chez lui. Ce serait trop incriminant !" Rétorqua-t-il.

" Aussi, n'est-ce pas eux ou les perles que je cherche, mais des indices pouvant me mettre sur leurs traces" je marquais un temps avant de continuer.

"Il doit cacher six jeunes enfants. Cela nécessite une organisation. : un lieu où les retenir, de la nourriture et des gardes pour les empêcher de s'enfuir. Tout cela demande de l'argent et sachant comment est le prince, il doit disposer d'un livre de compte secret pour ce genre de dépenses. Ces hommes d'armes ne sont sûrement pas membres de ses gens, mais des personnes qu'il a engagées auprès du Serpent Noir, par exemple. Quant au lieu où il les retient, je pencherais pour l'une de ses résidences secondaires ou un endroit dont il se serait récemment rendu acquéreur. "

"Je vois que tu y as réfléchi..."

Je fronçais les sourcils à cette phrase. Il s'adressait à moi avec la familiarité de deux amis. Il est vrai que les événements de la nuit avaient changé notre relation. Mais personne n'était au courant. Cette intimité risquait d'attirer l'attention de Fan Zhen. Ce dernier reprit la parole.

"J'avoue que c'est une bonne idée. Mais vous aurez peut-être besoin d'aide. Feng Wu, Fai Jin et moi devons nous rendre à la cérémonie, mais Hu Meng et Lien Mei ne sont pas obligés d'être présents à la capitale impériale. Vous pourriez, à vous trois, être plus efficaces. Qu'en pensez-vous Chen Han ?"

Je réfléchis un instant. Il était vrai que seul, je n'avais personne pour assurer mes arrières, en cas de problèmes. Je ne les connaissais pas bien, mais Feng Wu semblait leur faire confiance. De plus, ce serait l'occasion de découvrir si j'avais raison au sujet de l'identité de mon amant.

"C'est une bonne idée." Finis-je par répondre.

" Très bien, il est prévu que nous partions demain pour la capitale, vous avez toute la journée pour vous organiser. " Fan Zhen s'adressa ensuite à mon voisin.

"Feng Wu planifie notre voyage. Il nous faudra environ cinq jours pour nous rendre à destination. Nous resterons autant sur place. Nous serons donc de retour dans une quinzaine. Je te laisse le soin de prévenir les auberges sur notre route. Maintenant, vous pouvez disposer, je dois gérer les affaires du clan pour le temps de cette absence. "

Feng Wu et moi, nous nous sommes levés et avons salué notre hôte. Une fois sortis, le silence et une certaine gêne s'installèrent entre nous. Nous croisions des disciples et des serviteurs qui vaquaient à leurs occupations, nous ne pouvions donc pas parler librement. Je lisais dans son regard qu'il voulait que l'on aborde ce qui s'était passé cette nuit entre nous. Mais en avais-je envie ? Je connaissais le risque. Son comportement de la veille, ses paroles, tout m'indiquait qu'il souhaitait une relation suivie, mais moi, je ne pouvais pas me le permettre. Je devais lui faire comprendre s'il ne l'avait pas déjà assimilé.

Il m'attrapa soudain par le poignet et m'attira dans un recoin sombre et désert entre deux bâtiments. Il me plaqua contre le mur.

" Il faut que l'on parle Chen Han ! "

" Je ne vois pas de quoi. Nous avons passé un moment agréable qu'il serait plaisant de renouveler, mais cela s'arrête là !"

Je sentis ses mains se resserrer autour de mes bras. Son visage montrait son incompréhension et sa colère.

"Ne mens pas ! Même si je n'ai pas pu percevoir tes traits cette nuit, j'ai pu constater que tu appréciais ce que nous avons fait ! Sans compter que tu m'as avoué que c'était ta première fois. Je ne pense pas que tu sois du genre à te donner au premier venu. "

Il avait raison, mais je ne devais rien laisser transparaître. Je devais continuer de rester froid et insensible.

" Feng Wu, c'est vrai que c'était ma première fois et ce serait mentir de te dire que je ne ressentais rien, mais cette sensation était du désir et rien d'autre. Le peu de choses que je t'ai dévoilé de moi devrait te faire comprendre que les sentiments n'ont pas leur place dans ma vie. "

" Le fait qu'ils n'aient pas de place dans ton existence ne signifie pas que tu ne les éprouves pas ! " Me rétorqua-t-il.

Une fois de plus, il avait raison. Comment arrivait-il à lire en moi aussi facilement, alors qu'il ne pouvait même pas voir les émotions sur mon visage ?

"Je ne peux pas te laisser prendre de la place dans ma vie. Ce serait une faiblesse qui pourrait nous être fatale à l'un comme à l'autre ! "

"Je ne suis pas sans défense ! " Il hésita un instant avant de continuer.

" Je veux juste savoir, si nous nous étions rencontrés dans des circonstances différentes, aurions-nous pu devenir plus que de simples amants et construire quelque chose ensemble ?"

Je gardais le silence et détournais le regard de ses yeux inquisiteurs.

" Ton mutisme est ma réponse. Alors, apprends que je n'abandonnerais pas. Il y a longtemps, de cela, j'ai perdu mon âme sœur. Peut-être le connaissais-tu, car il faisait partie du clan du dragon tout comme toi. Son nom était Song Wei. Il était la joie de vivre personnifiée, drôle, inventif et aventurier. La première fois que je t'ai vu, tu m'as fait penser à lui, c'est pour cela que j'ai provoqué notre rencontre. Quand tu as relevé la tête, j'ai compris à la couleur de tes yeux que je m'étais trompé. Mais le sentiment que tu m'as inspiré, lui, est resté. Vous êtes de caractères différents, mais tu me le rappelles de bien des façons. Alors quoi que tu dises, tu ne te débarrasseras pas de moi aussi facilement sous le prétexte fallacieux qu'il n'y a pas de place pour l'amour dans ta vie !"

Quand il avait prononcé mon véritable nom, j'avais cru que mon cœur s'arrêtait. J'avais ma réponse. C'était bien A-Qiu qui se trouvait en face de moi. Mon âme sœur, mon seul et unique amour. J'avais tellement envie de tout lui raconter, de me blottir dans ses bras, mais à présent que cette certitude était mienne, je devais m'éloigner. Les quinze jours à venir allaient me permettre de prendre la distance nécessaire pour réfléchir quant à la suite de notre relation. Tant que je n'avais pas rempli ma mission, je ne pouvais me laisser aller à mes sentiments. Si jusqu'à présent, j'avais été indécis, maintenant une chose était sûre : j'avais retrouvé mon âme sœur et si je ne voulais pas le perdre pour toujours, j'allais devoir m'écarter de lui au plus vite.