3.
La pluie avait cessé de tomber. Il bruinait encore un peu, mais pas suffisamment pour empêcher le groupe de déjeuner dehors. Les cinq déballèrent leur repas sur une bâche en plastique à même le sol, et s'installèrent confortablement. Max jeta nonchalamment un dossier rouge à côté de lui, dossier qui leur avait valu une matinée de travail sur une des chaines de la Ruche. Épuisés par la mission de la veille, la journée garde-entretient-service imposée tout les trois jours selon le roulement des groupes, tous étaient satisfaits de ce jour de répit, à profiter tout simplement. A vrai dire, le dossier blanc était le plus redouté de tous: il signifiait le plus souvent une journée de déplacement, de ménage au Saule, de préparation du repas et de guet aux différents bâtiments importants. Quelques fois, le travail était encore plus pénible, puisqu'il prenait en compte les livraisons entre la Fourmilière et la Ruche, mais d'autres, il se révélait plus ennuyeux qu'épuisant, surtout pour celui chargé de conduire le tramway. Quoi qu'il en soit, ce jour pénible était passé, et Anouck, Michael, Corentin, Anna et Max se sentaient libérés d'un poids. Alors qu'il se recommençait encore à pleuvoir, le groupe se remit au travail: la veille, ils avaient livré une grosse quantité de cuir à la Ruche, et s'occupaient désormais de le transformer en chaussures, en sacs, et en divers objets plus ou moins gros et plus ou moins utiles. Lorsque le stock de cuir fut entièrement métamorphosé, le groupe rangea les chaussures dans un carton, et les sacs dans un autre. Les chutes furent placés dans une corbeille spéciale qui rejoindrait la réserve de la Ruche. Max rédigea son rapport en quatrième vitesse, et les cinq repartirent vers le Saule. Comme l'après-midi était à peine entamée, ils auraient droit à quelques heures de temps libre avant que Max aille rendre le rapport à Maman.
Le Saule était une grosse maison peinte en blanc qui trônait sur la colline la plus haute des environs. Chacune de ses fenêtres offrait une vue imprenable sur la ville. Au Nord, on pouvait apercevoir la Ruche, et ses champs de blé jaunes, à l'Ouest la Fourmilière, ses élevages et sa mine, au Sud-Ouest la Centrale, qui fournissait l'ensemble de la ville en eau et en électricité, et au Sud-Est Le Grenier et ses centaines de serres. Tout au Sud, on pouvait distinguer une petite battisse noire dépourvut de fenêtre: c'était le bâtiment privé de Maman, interdit à toute autre personne. Il se disait, parmi les pensionnaires du Saule, que c'était là que Maman menait toutes ses recherches, et que l'absence d'ouvertures visibles était justifiée par l'extrême sensibilité des produits et des matériaux qu'elle utilisait. Mais bien sûr, ce n'était que des on-dits. La plupart des espaces entre ces bâtiments étaient couverts d'une forêt luxuriante. On devinait le passage de la ligne de tramway, qui serpentait oisivement d'une battisse à l'autre, et les chemins, par les zones moins denses de la canopée. D'ailleurs, l'observateur attentif pouvait observer le dénuement du bâtiment noir de tous types d'accès. Le Saule n'était pas directement desservit par le tramway: celui ci traversait la colline par un tunnel d'une centaine de mètre, et l'arrêt se situait en plein milieu de ce dernier. Il fallait ensuite emprunter un ascenseur qui permettait d'accéder à l'intérieur du Saule. Si d'aventure quelqu'un avait vu pour la première fois le Saule, il aurait peut être jugé le bâtiment pratiquement neuf, car son entretient quotidien et rigoureux portait ses fruits. Mais celui qui observait la maison ne se serait certainement pas arrêté sur son état. La battisse était circulaire, et ses fenêtres empruntaient beaucoup au hublot. A mi-hauteur, elle se subdivisait en cinq tours, elles aussi de forme ronde, qui partaient chacune un peu en diagonale, si bien que la moitié de la tour faisait pratiquement face au sol. La partie qui pointait vers le ciel était couverte de baies vitrées. Un immense paratonnerre, installé entre les tours, était le point culminant du Saule et venait compléter le tableau. Mais l'élément le plus étrange de cette maison n'était pas cette espèce d'arbre mort formé par la structure, mais les centaines de tuyaux qui quittaient le toit plat des tourelles pour finir au sol, comme des guirlandes mal accrochées et dont la moitié aurait chu lamentablement dans le vide. Le tout donnait au bâtiment l'allure d'un saule pleureur. Certains pensaient que cette architecture était un hommage à la nature, d'autres que celui qui avait conçu les plans de la maison s'était simplement inspiré d'un arbre qui se trouvait là avant et qui avait disparu à cause des travaux de terrassement, avant le début de la construction. En fait, tant de débats existaient sur le sujet que Maman, considérant que c'était une source de conflit, avait finalement interdit les conversations à ce propos. Et personne ne voulait contrarier Maman.
Il y avait en tout dix étages, six dans le tronc, et quatre dans chaque tour. Le groupe devait en traverser cinq pour accéder à la salle de jeux et de repos. Le rez-de-chaussée était un hall assez large bordé de casiers individuels. Chacun se changea pour une tenue plus adaptée pour l'intérieur: Max enfila une chemise et un pantalon propres, et une paire de chaussons blancs. Lorsque tous eurent fait de même, les cinq commencèrent l'ascension laborieuse du Saule. Le premier étage était un réfectoire, accompagné de cuisines spacieuses. Des gens y étaient d'ailleurs à l'ouvrage, préparant le repas du soir, le petit déjeuner et les panier-repas du lendemain. Comparée à celle de l'étage inférieur, la température était assez élevée, et Max, qui avait tremblé toute la matinée, se détendit instantanément. Le second étage abritait des installations sportives, dont une piscine et une salle de gymnastique, accessibles pendant les temps libres. Ces équipement servaient plus souvent l'été, car l'étage n'était pas chauffé pendant l'hiver, et la température y était très basse. Au troisième se trouvait la réserve de la maison, avec des cartons et des cartons de draps, de mobilier, de matériel, de vêtements et de chaussures comme ceux que les compagnons avaient rempli plus tôt dans l'après-midi. Le groupe arriva enfin à destination. Au quatrième étage se trouvait la salle de jeu. Au milieu, quelques tables rondes partageaient l'espace, et les murs étaient couverts de placards du sol au plafond, qui contenaient des milliers de jeux de société. Max chargea Anna, la meilleure joueuse d'entre eux, de choisir celui qui conviendrait le mieux pour le groupe. Il s'assit dans un des fauteuils confortables qui bordaient chaque table, et laissa son regard se perdre dans le vague. Cette pièce immense lui paraissait la plus agréable de l'ensemble du Saule, avec sa bibliothèque en mezzanine qui constituait le cinquième étage de l'édifice. Une belle bibliothèque remplie de roman d'aventure, plein de personnages qui avaient chacun une Maman à eux, et aussi l'équivalent masculin, un Papa, et qui vivaient des péripéties fantastique. Celui que préférait Max s'intitulait Le Grand Champ des hommes, et contait dans un style très agréable la vie d'un pauvre fermier sans le sou, qui un jour était accueilli dans une communauté de fermiers comme lui, et à eux seuls ils construisaient une société parfaite, où chacun était à l'égal de son prochain, et où tous pouvaient vivre décemment. A la fin de l'histoire, le fermier était contraint de retourner à la pauvreté, et il mourrait misérablement dans une petite chaumière au bord du lac. Les dernières phrases du livre l'avaient beaucoup marqué : l'ouvrage s'achevait en effet ainsi:« Les secondes lui fermaient doucement les yeux. Le doux murmure de l'eau et du sable ressassaient leur inlassable chant, que ses oreilles ne pouvaient plus entendre. Il regarda une dernière fois le lac d'argent sous le berceau de la lune, et sa main s'affaissa sans un bruit. Son visage blême devint plus cire que la bougie sur le buffet qui s'éteignait à petit feu. Et dans un dernier soupir, il renvoya la vie au néant. Il fut heureux. Le bonheur n'est qu'un instant.» .
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