1.


L'eau ruisselait le long de la vitre. Max frissonna. La pluie lui donnait toujours froid. Il aurait aimé être au Saule. Mais Maman l'attendait. Ne jamais faire patienter Maman. Il se hâta donc de descendre du tramway, et prit la direction de la Ruche. La Ruche était si haute qu'on la voyait depuis le bout du sentier du Bois. C'était un bâtiment de brique rouge d'un style plutôt ancien. Une cheminé noire se dressait dans le ciel, bien que, autant que sache Max, il n'y ait jamais eu de four dans la Ruche. Il arriva au portail en fer qui constituait la seul ouverture dans le haut grillage. Reuben était de garde. Il semblait comme endormi dans sa cabine en verre, mais lorsque Max s'approcha, il leva le nez et enclencha la manette d'ouverture du portail. Max le salua de la main avant de s'engouffrer dans l'enceinte de la Ruche. Les abords de l'usine étaient couverts de champs. Les épis de blé ployaient sous l'averse. Il secoua sa cape dans l'entrée de l'édifice, laissant une petite flaque sur le sol impeccable. Max adorait l'ambiance de la Ruche. Cette activité constante l'excitait, et il se mit à trépigner d'impatience de se mettre au travail. Pour l'instant, les chaines de fabrications étaient vides. L'une était consacrée à la confection de chaussures et de vêtements, une autre à l'assemblage de meubles, d'appareils et autres petites machines, et une dernière à l'électronique de pointe. Au fond de l'immense hangar, un store métallique dissimulait la porte de livraison des matières premières, qui provenaient de la Fourmilière. Max se dirigea vers son casier et enfila sa blouse, profitant de l'occasion pour changer de chaussures, celles qu'il portait étant aussi boueuses que trempées. Il n'aurait certainement pas plus à Maman de voir ces chaussures fabriquées avec tant de peine dans un tel état. Max grimpa quatre à quatre les marches de l'escalier en aluminium. Le 1er étage était plus bas que le rez-de-chaussée. Séparés par des cloisons de cartons amovibles se trouvaient là une poignée de bureaux. Max traversa à grandes enjambées la totalité de l'étage. Il stoppa net lorsqu'il atteignit la porte de la salle de réunion. Max reprit un instant son souffle, et frappa doucement. Un " Entrez!" tonitruant se fit entendre. Max tourna la poignée, et la porte pivota sans un bruit. Dans la pièce au décor épuré, derrière son bureau de verre, Maman pianotait tranquillement sur un ordinateur translucide.

Maman était une femme assez grande. Même assise, elle apparaissait à Max comme immense. Sa silhouette, malgré la rondeur de ses formes, était d'une perfection incroyable. Lorsque Max la voyait, il ne voulait plus que se blottir dans ses longs bras dénudés, sentir sa peau velouté, son cœur battre dans sa poitrine généreuse et son parfum enivrant, encore et encore, pour toujours, à jamais, pour l'éternité. Maman était la seule personne que connaissait Max qui avait un parfum de cette intensité-là. Les autres ne sentaient jamais rien. Max ne sentait rien. Maman était donc exceptionnelle. Mais surtout, Maman était un génie. Elle avait tout inventé, tout construit. Tout ce qui existait dans le monde était le fruit de son imagination. Bien sûr, c'était Max et les autres qui avait posé les briques, coulé le béton, cousu les tissus, assemblé les pièces, miné le charbon, cultivé les champs, mais c'était comme si Maman avait guidé leurs gestes, été derrière chacun d'entre eux à chaque instant. Elle se montrait passionnée pour leur travail, suivant chaque étape de fabrication depuis son bureau, sur son petit ordinateur de verre.

Max regardait Maman. Il ne se lassait pas de son image. Lorsqu'elle leva les yeux de son écran, Max sentit son regard le pénétrer au plus profond de son être. Il trouva soudainement un intérêt dans la contemplation de ses chaussures. Lorsqu'il releva la tête, Maman lui souriait. Max sentit son cœur fondre. Maman avait le sourire le plus éblouissant de l'univers. Alors qu'elle souriait, elle plissait légèrement ses yeux pétillants de malice, et de petites fossettes apparaissaient au coin de sa bouche. Max sentit sa journée pourtant bien grise s'illuminer.

Lorsqu'il se retrouva devant son casier, Max avait un dossier bleu dans les mains. Il n'eut pas besoin de l'ouvrir pour savoir ce que cela signifiait. Journée au Grenier. Max s'empressa de remettre son manteau et sa cape. Il opta pour une paire de bottes en caoutchouc plutôt que de remettre ses chaussures boueuses. De toute façon, il allait probablement passer tout le jour dans les champs extérieurs et intérieurs du Grenier. Il retourna vers le tramway, repassant devant Reuben dans sa cabine en verre. L'averse c'était quelque peu calmée, il pleuviotait désormais doucement. Une forte odeur d'humus montait de la terre des bois. Max adorait presque autant le pétrichor que le parfum de Maman.

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