Chapitre 46 - Le poste Sud
Le monde explose en une multitude d'étincelles plus agressives les unes que les autres. Elles me frôlent, me griffent, m'éraflent le cœur et le corps. Des flammes lèchent ma peau, s'engouffrent dans mes pores malgré les cris de douleur qui lancinent mes cordes vocales jusqu'à les briser. Mon être est étiré, déformé en tous sens dans des déflagrations de lumière.
Malmenée, je ne peux m'appuyer sur aucune prise tangible en dehors d'une pression à mon poignet témoignant d'une présence lointaine. Laquelle ? Je n'ai pas la force de m'en souvenir, pas la force de penser.
Je retrouve soudain projetée contre une paroi aussi dure que la pierre et tout s'arrête en un battement de cœur.
Plus rien, plus aucun son, aucune paillette ni même la moindre sensation physique. Seule persiste la douleur sourde qui possède tout mon modeste corps.
Je suis tentée de rester ainsi à jamais, pour fuir tous les lointains souvenirs qui bourdonnent à l'arrière de mon crâne et qui se joue en boucle dans mon esprit sans que je n'en saisisse le sens. Comme un rêve nous semble parfaitement logique quand chacun des éléments qui le compose est absurde au possible, les images qui s'enchaînent ne me disent rien tout en étant étrangement familières.
Des visages, des sentiments... Mais la douleur, plus que jamais présente dans mes membres, m'empêche de me concentrer, de reconnaître ces êtres qui me sont chers, et bientôt, me sort de ma transe : mes paupières s'ouvrent, laissant apparaître des iris terrorisés dans la pièce sombre qui me retiens prisonnière, accompagnées d'un gémissement de douleur alors que je me recroqueville sur moi-même. Une odeur âcre envahit mes narines. Des larmes chaudes dévalent mes joues couvertes de suie, et des dizaines de picotements sur ma peau m'indiquent la présence de plaies balayées par la brise froide.
La poussière de l'explosion est retombée, voile d'argent sur les divers débris qui parsèment le sol. La luminosité est particulièrement basse, et je ne peux distinguer que quelques formes éparses.
Un râle se fait entendre, hors de mon champ de vision. Je frissonne tandis que la mémoire me revient et que je comprends qui est étendu derrière moi. Mobilisant les maigres forces encore présentes au fin fond de mes muscles moulus, je tente de me relever dans l'objectif de lui fausser compagnie. Une inspiration plus forte que les autres me signale que le chef des ogres qui m'a traînée jusqu'ici vient de s'éveiller à son tour.
Terrorisée, je m'immobilise pendant qu'il se relève lourdement. Mon pou accélère, martelant tel un tambour de fanfare mes côtes endolories. Le sardonixien se déplace à pas sourds, me contournant pour venir se planter devant mon être tremblant de peur avec un air sadique.
― Tu as survécu, parfait, constate-t-il, sans la moindre once de soulagement.
Avec la délicatesse d'un ours bourru, il me saisit par le col pour me relever sans ménagement avant de me soulever pour me porter tel un sac de patate, sur son épaule. Les piques, heureusement pas aussi effilées qu'elles en ont l'air, s'enfoncent dans mon ventre. Le sang me descend rapidement vers ma tête alors qu'il entame son avancée rapide et houleuse. Pourtant je ne me débats pas, ce n'est pas la peine et j'en ai parfaitement conscience.
Je crispe les paupières, lutant pour rester consciente. Mais chaque secousse accentue mon mal de tête, de la bile me remonte dans la gorge. Tout tourne, et je finis par m'évanouir. Peut-être me suis-je seulement endormie ? La seule chose certaine, c'est que le chef des ogres me porte hors du bastion sud en renâclant, toujours plus loin de chez moi.
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Je me réveille allongée à même le sol dans un univers sombre, le corps moulu de courbatures et autres blessures si éparpillées que je ne saurais dire où, précisément, je souffre. Mes chevilles sont liées d'un épais filon rugueux, et mes poignets ont subi le même sort. Chacune de mes respirations est sifflante, presque douloureuse.
Je relève la tête, plisse des yeux endormis pour scruter le feu de camp et les silhouettes floues assises en cercle autour. Ma vue se stabilise, me permettant de reconnaître toute une escouade d'ogres en armures rutilantes. Couvrant largement le crépitement des flammes, leurs conversations rauques et désordonnées résonnent dans la forêt qui nous abrite de la nuit noire.
L'un deux s'exclame soudain en me pointant du doigt, sûrement après avoir remarqué mon réveil. Je ne suis pas encore assez consciente pour comprendre ses paroles, mais suffisamment pour en voir un autre se lever et se diriger vers moi. Celui qui m'a kidnappée.
Car oui, j'ai bel et bien été kidnappée. Pas par un simple fou errant la nuit dans les ruelles comme le craignait ma mère, mais par une cohorte de monstres qui ne devraient même pas exister. La première situation me semble soudain bien moins catastrophique. Des larmes silencieuses coulent sur mes joues, y laissant sans doute un sillage bien visible après s'être chargée d'une partie de la crasse qui recouvre mon visage. Me redressant sans ménagement pour m'exhiber à ses complices, le chef des ogres ricane, d'un rire étrangement rocailleux et désagréable.
Bon public, les soldats crient, applaudissent cette mission menée à bien, malgré ceux qui n'en sont pas revenus. La perte des leurs, restés à Chrysocolia et sans doute tués ou enfermés jusqu'au dernier, ne semble pas les toucher. Seul compte leur otage : moi.
L'agitation retombe et le chef me lâche plutôt qu'il ne me repose, m'abandonnant dans l'herbe jusqu'à l'aube suivante. Tout le côté droit de mon corps encaisse ma chute alors que je retiens un gémissement.
Je pourrais me placer dans une position plus confortable, m'asseoir même, mais j'estime que ce confort négligeable ne vaut pas l'effort demandé à chacun de mes muscles pour y parvenir. Alors je reste ainsi, la joue écrasée contre la terre, un bras sous mon flanc. Il finira sans doute par s'ankyloser, et je devrais bouger. Peu importe.
Pourquoi moi ? Qu'est-ce qui me rend spéciale au point d'organiser une intrusion dans le palais elfe seulement pour me kidnapper ? Par la rumeur des conversations, je devine de nombreux feu de camp autour de moi, tous entourés d'une trentaine d'ogres au moins. Pourquoi ne pas avoir directement envahi Chrysocolia ?
Cet étrange lien avec leur mythique Phénix Créateur en est sûrement la raison. Pourtant, je suis bien incapable d'avoir un quelconque impact dans cette guerre : l'oiseau de feu, bien qu'il m'ait sorti d'affaire une fois, m'a annoncé qu'il ne pourrait plus me porter secours. Et de toute façon, je ne saurais pas provoquer sa venue. L'image du roi lutin retrouvant la raison me revient à l'esprit. Il est évident que le phénix l'a débarrassé de sa mystérieuse maladie. Laquelle viendrait tout droit de Sardonixia, dont les habitants seraient eux-mêmes atteints. Si le pouvoir du phénix représente une menace pour leur roi alors qu'il pourrait soigner son peuple, c'est qu'il souhaite cette maladie, voire qu'il l'a provoquée.
Mais moi, en dehors des maigres fois où j'ai communiqué avec ce volatile magique, qu'ai-je de spécial ? Ce n'est pas comme si j'étais capable de soigner ce mal...
J'écarquille les yeux au souvenir d'un immense dragon d'argent dressé au-dessus de moi. Mes pupilles s'étaient scotchées aux siennes, et je lui avais transmis ce que j'avais interprété comme des « ondes positives » avant que son énergie ne change et qu'il ne s'envole à tire-d'aile. Ce jour-là, je l'ai soigné, cela ne fait plus aucun doute.
Je soupire en sentant des fourmis de mon épaule au bout de mes doigts et me retourne péniblement sur le dos, le regard rivé sur des étoiles cachées par un voile de nuages. Je me demande bien pourquoi ce rôle alambiqué m'est retombé dessus, je m'en serrais bien passée.
Mais à croire que tout le monde savait que j'aurais ce don, puisqu'on m'a ramenée dans ce monde. « Un cœur pur ». Quel que soit le sens de ce terme, il indiquait la raison de ma venue dans la lettre et doit être en rapport direct avec ce pouvoir étrange de guérison. Quand je pense que le père de Romain se tenait juste sous notre nez sans daigner assumer ses actes ni nous fournir d'explications... j'ai envie de frapper quelqu'un. C'est lui qui nous a fournis le collier que je porte encore autour du cou. Lui qui a quémandé ma présence en sachant très bien pourquoi.
Et la reine était sa complice. Son fils aussi.
La pensée de leurs mensonges, de leur trahison m'arrache un sanglot, et je sèche mes larmes d'un mouvement las.
Pourquoi l'ont-ils couvert ? Pourquoi agir comme s'ils ne connaissaient pas mon rôle ? Et comment pourraient-ils le connaître ?
Je me perds dans mes questionnements, inapte, sans éléments nouveaux, à avancer plus loin dans mon raisonnement. La clameur des conversations m'emporte et je me laisse happer par leur discussion inintéressante de guerriers sanguinaires en pause.
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Le ciel n'a pas commencé à s'éclaircir que déjà, le chef des ogres me charge sur son dos sans prendre la peine de me réveiller au préalable.
― Dépêchez-vous ! Scande-t-il, bien trop près de mon oreille. Il faut quitter les lieux avant que les elfes ne rappliquent !
Lui, et un groupe d'une vingtaine de soldats, quittent le gros de l'armée pour m'emmener je-ne-sais-où. Une douleur sourde irradie toujours l'entièreté de mon corps, et les signaux paniqués de mes nerfs occupent la plus grande partie de mon cerveau. Le monde qui m'entoure est indistinct, et je ne peux que me laisser porter toute la journée sans avoir aucune idée de la distance parcourue.
Les ogres se déplacent sur des espèces d'équidés particulièrement grands et sombres, que je n'ai pas l'occasion de détailler avant qu'on ne me jette sur la croupe de l'un deux pour m'y attacher solidement. La tête retournée d'un côté du flanc de la bête, les jambes pendantes de l'autre, je renonce à me débattre et préfère reprendre petit à petit des forces.
Le soir venu, mes détenteurs campent dans une clairière verdoyante, m'abandonnant au coin du feu avec un maigre morceau de pain après avoir décidé que, la frontière passée, ils étaient plus en sécurité. C'est déjà mieux que rien, je m'efforce de penser.
Je m'empresse d'ingérer ma maigre pitance en tirant une grimace. Mes courbatures ont encore augmenté, les innombrables plaies – heureusement bénignes – causées par l'explosion sont recouvertes de terre, sans compter mon poignet visiblement cassé que je dois soutenir en permanence, espérant que ça ne soit pas trop grave.
Une seule pensée me maintient consciente : mes amis ne vont pas tarder.
Il ne fait aucun doute qu'après avoir retourné tout Chrysocolia pour que je survive à un poison ogre, ils vont rallier leurs forces pour venir me chercher, non ?
Et pourtant, ils ne sont toujours pas là...
Lors d'une pause ou autre moment d'inattention, j'ai bien tenté de m'enfuir à toutes jambes vers la forêt. Hélas, mes chevilles sont étroitement liées et je n'ai réussi qu'à m'étaler de tout mon long dans les cailloux.
Peu importe que Thalion et Mathilda soient des faux-jetons, peu importe que les elfes ne se soucient plus de mon existence, Romain viendra me chercher lui.
Je passe une nuit tourmentée en me raccrochant à cette unique lueur d'espoir, avant d'être réveillée sans ménagement par le chef, qui refuse que quiconque d'autre que lui ne me porte. Sans doute craint-il que l'un de ses compagnons ne s'attribue ses mérites.
Luxia n'a pas atteint son apogée que des cris de joie retentissent déjà : nous atteignons la capitale.
En meilleure forme que la veille, je tente de redresser un peu le buste pour apercevoir le décor, et découvre la ville au prix d'une immense douleur dans tous les muscles de mon corps, y compris ceux qui ne devraient pas exister.
Les habitations, rudimentaires, sont bâties d'immenses blocs de pierre noire et craquelée assemblés les uns aux autres avec plus ou moins de brio. Des ogres vêtus de toges arpentent des rues pavées de cette même roche, elle-même identique à celle composant le palais.
C'est un édifice immense, exposé en plein centre de la cité. Constitué de quatre tours ronde scindées de meurtrières tout juste visibles permettant de scruter l'horizon dans son entièreté. Une immense porte de fer rouillé rempli à elle seule le rôle d'entrée et de sortie. Le tout, mal ravaudé et loin, très loin de la perfection et de la pureté des constructions elfiques, dégage une aura de puissance brute, de force à l'état pur.
Les villageois s'écartent sur notre passage, nous dévisageant parfois avec mépris, sans pour autant s'autoriser le moindre commentaire face à la garde royale.
Après quelques minutes de marche au travers de l'allée principale, les soldats stoppent leurs montures face à l'immense grille de métal, qui s'ouvre lentement en grinçant à m'en faire mal aux dents. Le chef saute brutalement à terre, vite imité par ses subordonnés, avant de m'attraper par le colback pour me poser devant lui, une main possessive sur l'épaule.
La pression me fait mal, pourtant ma terreur l'éclipse au même titre que toutes les autres douleurs présentes dans mon corps : une fois en ses murs, il me sera impossible d'en sortir.
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Et coucouuuuuu !
Désolée pour le temps d'écriture de ce chapitre.... je devais préparer l'oral blanc du bac de français... 🫠 (je suis passée aujourd'hui, alors je me suis dépêchée de le finir XD)
Mais vous serez heureux d'apprendre que le jury m'a annoncé une "très bonne note" 😌
Bref, j'espère que ce chapitre vous a plu, il sera peut-être inversé avec le suivant à la relecture... (vous verrez pourquoi)
Est-ce qu'on ressent assez bien la douleur de Laurie ? est-ce que j'en fait trop ? pas assez ?
Chais pas, j'ai l'impression que c'est exagéré qu'elle soit à peine consciente pour une SI PETITE explosion alors que dans les romans et les films, tout le monde se relève direct et c'est limite ridicule, mais ça me paraissait plus crédible comme ça...
Si vous pouvez me donner votre avis, ça m'aide, sinon tant pis, merci de lire déjà 😂
Allez, je me dépêche d'écrire la suite
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