Chapitre 45 - Calion
― Vous n'irez pas plus loin ! Scande une voix ferme.
Nous nous retournons tous d'un seul bloc vers la femme qui vient d'interrompre nos ravisseurs. Mon cœur fait un bond lorsque je reconnais la reine Mathilda, fièrement campée à quelques pas de nous. Son épée, brandie dans notre direction, réfléchis la pâle lumière mauve des portails. Elle est entourée d'elfes, eux-mêmes armés et prêt à en découdre. Les ogres grognent, mécontent de voir cet obstacle se dresser sur leur chemin.
― Vous croyez ? Rétorque le chef des intrus avec un rictus méprisant.
Il dégaine sa volumineuse hache dans un bruit métallique, bientôt imité par ses compères. Mon geôlier me jette à terre d'un mouvement violent, au centre du cercle formé par les ogres. J'atterris une nouvelle fois sur les genoux avec un cri, maquant de taper du menton sur le sol à cause de mes mains toujours retenues dans le dos. Romain subit le même sort que moi, avec encore moins de ménagement si c'est possible.
Les deux espèces se toisent du regard sans bouger d'un iota pendant de longue minutes, faisant augmenter la tension à chaque instant. Mes pupilles cherchent celle de Romain pour lui communiquer l'espoir qui pointe dans mon cœur, et il me répond par un petit sourire plutôt rassuré.
Le silence est pesant, oppressant, et malgré la présence de nos amis qui viennent nous sauver, la peur de la violence imminente me paralyse.
Soudain, une flèche elfe siffle, provenant tout droit de l'obscurité pour venir se ficher dans la tête de l'un des ogres avant qu'il n'ait pu esquiver. Je détourne les yeux, épouvantée par le simple bruit de l'impact et du corps qui chute.
Dès cette attaque, le combat commence, chacun poussant des hurlements guerriers en se fonçant dessus, armes au clair. Une cacophonie mortelle s'installe immédiatement dans la salle, des hurlements de douleurs ou de rage se mêlant aux impacts de métal à métal. Mes paupières se remplissent de larmes, ma vision se réduit à un point fixe, espérant échapper à la vue d'un tel massacre alors que le cœur me remonte dans la gorge.
De la poussière s'échappe du sol terreux sous le martèlement des pas et des chutes, venant emplir mes poumons pour me faire tousser. Paniquée, je me traîne jusqu'à Romain qui s'avance lui aussi vers moi. Se déplacer sur les genoux, les mains liées dans le dos, n'est pas le mode de transport le plus efficace, d'autant que les cordes m'entaillent la peau à chaque mouvement.
― Ça va ? Halète Romain en arrivant à ma hauteur.
Il semble aussi perturbé que moi par la scène qui se déroule autour de nous, par le chaos sans nom qui résonne dans ce monde de fous.
― Qu'est-ce qu'on fait ? M'affolé-je sans prendre la peine de répondre à sa question stupide, surtout dans cette situation.
― Il faut qu'on sorte d'ici, dit-il, son visage aussi blême qu'un cachet d'aspirine.
― Je sais bien, mais comment ?! Crié-je, de plus en plus stressés.
De la bille viens piquer ma langue quand je perçois un râle d'agonie que j'aurais préféré ne jamais entendre de ma vie. Le garçon tente de se relever, lorsqu'une épée ensanglantée vient se planter dans le sol, bien trop près de nous. Mes cordes vocales fatiguées vibrent une nouvelle fois alors que je frôle l'arrêt cardiaque.
― C'est parfait ! Lance Romain à ma grande surprise.
Je le regarde comme s'il était complètement timbré – ce qui est sans-doute le cas, mais restons dans le déni – jusqu'à ce que je comprenne le fond de sa pensée : le garçon tente maladroitement de couper la corde qui retiens ses poignets liés grâce au tranchant de la lame. Il doit pour cela se retourner et tendre les bras en arrière. La tâche est ardue, mais dès que la fibre entre en contact avec le métal, elle se coupe immédiatement, ne laissant qu'une trace rougie et quelques égratinures sur la peau de Romain.
Heureusement que personne ne fait attention à nous, pensé-je en jetant un regard alentour pour être sûre qu'aucun ogre ne prévoit de nous bondir dessus.
― À toi, m'intime le garçon.
Je hoche la tête avant de me retourner pour qu'il guide mes mains jusqu'à l'arme. Une fois libérée je frotte mes poignets irrités et nous nous relevons vivement.
― Par là, m'indique le brun en me saisissant par le bras pour m'entraîner vers la porte.
Mais avant que je n'aie pu me mettre réellement à courir, une main s'écrase dans mon dos pour me tirer en arrière, me stoppant net.
― Pas si vite, grogne l'ogre en me soulevant à vingt centimètres du sol.
Romain se retourne immédiatement, d'abord surpris et effrayé, puis galvanisé d'une colère sourde. Je me débats, cogne en tous sens, tentant d'atteindre le monstre qui me suspend par le col tandis que mon garde du corps débutant frappe vainement la bête. Sans même se fatiguer, l'ogre m'élève un peu plus, avant de donner un coup puissant dans le ventre du garçon qui est projeté au sol dans un hurlement.
Je redouble d'efforts pour me libérer de sa prise, mais le chef des ogres est inatteignable : mes faibles coups de pieds et de poings ne rencontrent que son armure d'acier, me blessant davantage moi que lui. Ma respiration devient sifflante, presque désespérée, et je renonce à tout effort.
Il se penche en avant pour saisir un Romain toussotant par le bras, le forçant à avancer alors que ces pieds touchent tout juste le sol.
Je parcours un regard suppliant vers nos alliés, mais les elfes sont en infériorité numérique et ceux qui ont encore la force de se battre font face à un, voire deux adversaires à la fois. La scène est bien trop teintée de rouge pour moi, et lorsque du sang jaillit d'un corps, je ne peux que vider mes intestins sur la cuirasse de mon ravisseur. Celui-ci grogne, me secouant brutalement pour se venger. Une série d'insultes parviens jusqu'à moi, mais des points noirs dansent devant mes pupilles et je n'en comprends pas un traître mot.
Le chef nous emmène droit vers le portail sud. Une fois parvenu devant, il envoie Romain au sol avant de sortir sa hache de son fourreau pour la pointer droit sur sa tête, lui ordonnant silencieusement de ne pas faire un geste. Il me dépose ensuite à terre et enserre ma gorge de ses gigantesques griffes. Ma respiration devient difficile et je tente de retirer ses doigts de ma trachée, en vain.
― STOP ! Hurle-t-il alors à l'intention de la foule de combattants.
Son beuglement est si puissant que tous les guerriers s'immobilisent, tournant vers nous un visage terrorisé pour les elfes, et satisfait pour les ogres. Mathilda vient tout juste d'achever son attaquant et Calion semblait en train prendre l'avantage sur son adversaire, à terre et désarmé. Partout, des corps plus ou moins entiers jonchent le sol et je suis incapable de les regarder en face pour les reconnaître, priant de tout mon être pour que ce ne soit pas des amis, ou même des alliés.
― Plus un geste où ils n'y survivront pas, clame le chef de sa voix rauque et glaçante.
Je croise le regard dur de la reine, où je ne lis aucune émotion, sa robe tachée de sang et déchirée en de nombreux endroits témoignant de la bataille qu'elle vient de mener.
― Déposez vos armes ! Ordonne mon détenteur aux elfes.
Ceux-ci hésitent, jetant des regards incertains vers leur souveraine pour agir de la même manière qu'elle. Lentement, très lentement et sans cesser de fixer l'ogre qui lui fait face, Mathilda dépose son épée souillée sur le sol crasseux.
― Toi ! Beugle-t-il à l'un de ses subordonnés. Ouvre le portail, vite !
L'ogre désigné s'empresse de rejoindre son maître pour se poster face au portail, bras levés comme pour invoquer la plus sombre des créatures. Fébrile, je scrute les visages de la reine et de ses alliés, espérant profondément qu'ils aient un plan pour nous sortir d'ici. Avec un peu d'attention, je parviens à distinguer d'infimes mouvements venant des doigts fins de Mathilda. Serait-ce un code ?
― Cape nos ad stationem Meridionalem ! Récite lentement l'ogre, sa voix résonnant étrangement dans le silence.
Le portail magique se met alors à briller de plus en plus fort dans un crépitement grandissant, criblant ma rétine comme autant de flèches acérées. La lumière atteint rapidement son apogée, explosant dans un flash d'étincelles et de sons. Nous sommes tous projetés à terre par l'onde de choc qui se propage autour du portail.
Amortissant ma chute de mes mains, je roule sur le côté pour éviter le poids lourd qui m'aurait écrasée comme un crêpe. Mais avant que je n'aie pu lui fausser compagnie, l'ogre me retient par le bras. Je hurle de douleur lorsque sa main se resserre sur mon poignet, broyant au passage mes os dans un craquement sinistre.
Des morceaux entiers de plafond se décrochent pour tomber dans cette pièce où règne maintenant un chaos sans nom. Les elfes et les ogres ont repris leur combat, à peine visibles au travers de l'épaisse poussière qui s'élève l'atmosphère. Je tousse, je crie, je me débats et je pleure, mais rien à faire : je suis à nouveau prisonnière de ce monstre sans cœur. Baissant, les yeux, j'aperçois Romain, recouvert de débris, qui tente de se relever en toussant.
Notre bourreau plonge en direction du garçon, mais à l'instant où il va refermer d'éléphantesques doigts sur son bras, une ombre noire bondit pour rouler sur le côté, emportant Romain avec elle dans un froissement de tissus.
Les deux hommes se relèvent quelques pas plus loin, Romain tentant de se dégager de la poigne de Calion, son sauveur, mais celui-ci tient bon, empêchant le garçon de venir à mon secours.
― NE ME TOUCHE PAS ! Hurle Romain à l'elfe qui lui maintient les bras dans le dos.
Mon cœur tambourine dans ma cage thoracique, percutant au même rythme mes tympans tandis que mes pupilles se criblent une nouvelle fois de taches sombres. Pourquoi Calion s'attaque-t-il à Romain ? Il est dans notre camp non ?
― C'EST TROP DANGEREUX ROMAIN ! Plaide Calion de sa voix grave, presque robotique.
Je ne comprends plus rien à la situation : tout cela tourne bien trop à un cauchemar !
Un rictus se dessine sur les lèvres boursoufflées de mon geôlier qui en profite pour m'emporter en direction du portail, ma gorge se déchirant en hurlement que personne ne semble entendre.
Mon regard croise une dernière fois celui de Romain avant que l'ogre ne se mette à courir droit vers le cercle de lumière crépitant.
― JE TE DÉTESTE !
Un déclic se fait dans mon esprit embrumé, et je comprends la scène qui vient de se tramer sous mes yeux à l'instant où le chef des Sardonixiens bondit au travers du portail qui explose en un millier de particules lumineuses.
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Hello hello
ça va ?
j'espère que le chap vous a plu ^^ (et que je me suis améliorée en scène d'action XD)
dites moi si y a des détails pas clairs, comme ça je m'améliore :D
Alors, vous avez compris la révélation de Laurie ? (à part Nuits, je sais que tu sais)
Sinon, des pistes sur la suite ?
Byyye
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